Rapport sur l'enquête d'intérêt public concernant une plainte déposée par le président au sujet du décès de M. Robert Dziekanski qui était sous la garde de la GRC

Table des matières

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IntroductionNote de bas de page 1

M. Robert Dziekanski est décédé pendant qu'il était sous la garde de membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), tôt le matin du 14 octobre 2007, dans la zone d'arrivée des vols internationaux de l'aéroport international de Vancouver (YVR). Les circonstances ayant mené à la mort de M. Dziekanski ont causé une douleur intense et un lourd chagrin à sa famille et ont suscité un grand intérêt et de vives préoccupations chez le public.

Les commentaires et propos du public portaient essentiellement sur la nature de l'interaction entre M. Dziekanski et les membres de la GRC, y compris de savoir si les membres de la GRC avaient respecté la politique et si cette politique était raisonnable. La nature de l'arme à impulsions (AI) en tant qu'arme, la formation fournie aux membres de la GRC quant à son utilisation et l'utilisation particulière de l'AI par les intervenants de la GRC pendant l'incident à l'aéroport international de Vancouver ont joué un rôle prédominant dans l'examen effectué par la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP ou Commission)Note de bas de page 2.

J'étais, et je suis toujours, d'avis que cet incident exigeait un examen de la part de la Commission, un tiers neutre et objectif, portant non seulement sur la conduite des membres impliqués de la GRC, mais également sur les questions liées au respect et à la pertinence des politiques et de la formation en vigueur à la GRC. À titre de président de la Commission, j'ai donc déposé une plainte le 8 novembre 2007 visant l'examen des deux aspects de l'incident qui relèvent de la compétence de la Commission, soit la pertinence de la réponse de la GRC aux plaintes relatives au comportement de M. Dziekanski à l'aéroport international de Vancouver et l'enquête de la police sur le décès de M. DziekanskiNote de bas de page 3.

Une question étroitement liée à l'incident est l'utilisation d'une arme à impulsions (AI), aussi connue sous le nom de TASERMD, par un membre de la GRC pendant l'arrestation de M. Dziekanski. L'AI est une arme à feu prohibée en vertu de la réglementation associée au Code criminel du CanadaNote de bas de page 4. Avant l'incident, le débat sur la pertinence générale du recours à l'AI par la police avait lieu depuis un certain temps (et la Commission avait déjà formulé des commentaires à ce sujet, comme cela est indiqué ci-dessous), mais l'utilisation particulière d'une AI au cours de l'incident en cause a suscité beaucoup d'attention de l'utilisation appropriée de l'AI et de sa nature en tant qu'arme.

Par ailleurs, le 20 novembre 2007, le ministre de la Sécurité publique, l'honorable Stockwell Day, a demandé à la Commission d'examiner les protocoles de la GRC concernant l'utilisation de l'AI et sa mise en service et de déterminer si la GRC respectait ces protocoles; la Commission devait lui remettre un rapport provisoire au plus tard le 12 décembre 2007.

Contexte

Voici un aperçu des événements ayant mené au décès de M. Dziekanski et une description factuelle de l'incident.

Les questions entourant l'incident proprement dit ainsi que l'explication et l'analyse des politiques pertinentes, de l'information et des autres questions liées à la conduite et aux aspects connexes seront examinées en profondeur dans le présent rapport. De plus, on trouvera des renseignements supplémentaires dans les annexes du rapport. La plupart des observateurs connaissent déjà bien les faits entourant l'incident, mais un bref résumé s'impose aux fins du présent rapport.

M. Robert Dziekanski, un immigrant polonais âgé de 40 ans ayant l'intention de rejoindre sa mère, Mme Helena Zofia Cisowski, au Canada, est décédé tôt en matinée, le 14 octobre 2007, à l'aéroport international de Vancouver pendant qu'il était sous la garde des membres de la GRC.

M. Dziekanski est parti de Katowice, en Pologne, le samedi 13 octobre 2007, à 6 h 20 (heure de l'Europe centrale) à bord du vol 3297 de Lufthansa Airlines. Il est arrivé à 7 h 55, approximativement une heure et 35 minutes plus tard, à Francfort, en Allemagne (heure de l'Europe centrale).

M. Dziekanski est parti de Francfort, en Allemagne, le samedi 13 octobre 2007, à 12 h 15 (heure de l'Europe centrale) à bord du vol 6070 de Condor Air. Le vol 6070 de Condor Air est arrivé à Vancouver à 15 h 12 le samedi 13 octobre 2007. Cela correspond à 0 h 12, heure de l'Europe centrale, le dimanche 14 octobre 2007.

Lorsqu'il est arrivé à Vancouver, M. Dziekanski avait voyagé pendant presque 18 heures, excluant le temps écoulé depuis son réveil et son trajet pour se rendre à l'aéroport de Katowice, en Pologne.

Les personnes entrant au Canada traversent un processus en deux étapes au moment de se soumettre aux formalités des douanes et de l'immigration du Canada. La première étape est la ligne d'inspection primaire (LIP), où un agent de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pose des questions préliminaires à la personne voulant entrer au Canada. Si l'agent de l'ASFC détermine que le voyageur doit faire l'objet d'un examen approfondi, soit à l'égard des exigences des douanes ou de celles de l'immigration, l'agent dirigera le voyageur vers un contrôle secondaire. M. Dziekanski a été renvoyé au contrôle secondaire.

La sécurité générale de l'aéroport est la responsabilité de l'Administration de l'aéroport international de Vancouver, qui emploie des agents de services de sécurité privés pour patrouiller l'enceinte de l'aéroport. Conformément aux ententes conclues entre la province de la Colombie-Britannique, la Ville de Richmond et le Greater Vancouver Airport Authority, c'est la GRC qui est chargée de fournir des services de police à l'aéroport et dans la périphérie de celui-ci, dans la ville de Richmond, selon les conditions de l'entente complémentaire à cet sujet (Municipal Policing Supplemental Agreement for British Columbia – Vancouver International Airport)Note de bas de page 5.

Les témoins employés de l'ASFC et de l'aéroport international de Vancouver ont indiqué aux enquêteurs de la GRC que M. Dziekanski transpirait abondamment lorsqu'il s'est présenté à la LIP. Aucun représentant officiel de l'ASFC ou employé de l'aéroport international de Vancouver dans la zone n'a semblé avoir pris des mesures pour aider M. Dziekanski ou tenter de déterminer la cause de son état physique à ce moment-là. Il est important de souligner que l'ASFC a mené sa propre enquête sur la conduite de ses agents. Ces questions sont également du ressort de la Commission Braidwood (expliqué ci-après)Note de bas de page 6.

Pour des raisons inconnues, M. Dziekanski a décidé de demeurer dans la zone sécurisée d'arrivée des vols internationaux à l'aéroport international de Vancouver pendant près de six heures et demie. Entre-temps, il n'a pas demandé d'aide aux agents de l'ASFC ou au personnel de l'aéroport, et ces derniers ne l'ont apparemment pas remarqué.

Vers 22 h 30, le samedi 13 octobre 2007, M. Dziekanski s'est présenté à la zone de contrôle secondaire de l'ASFC, où il a reçu l'aide d'agents de l'Agence pour trouver ses bagages dans le secteur des bagages non réclamés de la zone sécurisée, s'est plié aux formalités douanières et a été dirigé vers le bureau d'Immigration Canada. Il a été traité comme un immigrant et admis au Canada vers 0 h 45, le dimanche 14 octobre 2007. À ce moment-là, il était libre de partir de l'aéroport et d'entrer au Canada. Pendant que M. Dziekanski faisait l'objet d'un contrôle secondaire de l'ASFC, des agents de l'ASFC ont cependant fourni plusieurs verres d'eau à M. Dziekanski.

Comme la séquence de vidéosurveillance, telle qu'elle existait à ce moment-là, n'a guère capté d'images de cette zone, il est impossible de suivre la plupart des déplacements de M. Dziekanski pendant cette période de six heures et demie. Dans la zone sécurisée où est demeuré M. Dziekanski pendant tout ce temps se trouvent les carrousels à bagages, les comptoirs de bagages et des sièges ainsi que les zones de contrôle secondaire des services de douanes et d'immigration du Canada.

À l'aide des caméras de vidéosurveillance de l'aéroport international de Vancouver, on a constaté que M. Dziekanski est sorti de la zone sécurisée de la zone d'arrivée des vols internationaux, qu'il a attendu un peu dans la salle d'attente publique puis qu'il est retourné du côté sécurisé de la zone d'arrivée des vols internationaux.

Jointe au présent rapport, l'annexe G est une carte, affichée en décembre 2007 sur le site Web de l'Administration de l'aéroport international de VancouverNote de bas de page 7, qui illustre la zone visée et fournit un aperçu des changements effectués par les responsables de l'aéroport à la suite du décès de M. Dziekanski. L'incident impliquant M. Dziekanski s'est produit à l'endroit menant de la zone des services passagers d'arrivée des vols internationaux à l'aire d'accueil réservée au public.

Autres intérêts

Au départ, je constate et je reconnais que des groupes d'intérêts et des organismes, outre la Commission, s'intéressent toujours à ces questions et événements. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a créé ce qu'on désigne couramment comme l'enquête Braidwood, qui est chargée d'examiner le décès de M. Dziekanski et les répercussions de ce décès.

De plus, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA) a présenté deux plaintes à la CommissionNote de bas de page 8.

En dernier lieu, je mentionnerai dans le présent rapport le programme d'observateur indépendant. Il s'agit d'une initiative découlant d'une entente entre la Commission et le commandant divisionnaire de la Division E (Colombie-Britannique) de la GRC, qui consiste à affecter des membres du personnel de la Commission pour observer et évaluer l'impartialité (non pas la pertinence) des enquêtes menées par la GRC sur la conduite de membres de la GRC impliqués dans des incidents graves qui retiennent l'attention du public, comme le décès de personnes sous gardeNote de bas de page 9.

Résumé des conclusions et des recommandations

Mes conclusions et recommandations, chacune accompagnée d'une explication afférente, sont exposées dans le présent rapport. Un résumé se trouve à l'annexe Y.

Première allégation – La conduite de la GRC et le décès de M. Dziekanski

Partie A

Cette partie du rapport portera sur ce que je considère comme étant les principaux aspects de l'interaction entre les membres de la GRC en cause et M. Dziekanski. Pour une analyse plus complète des questions, veuillez consulter les annexes mentionnées dans le rapport.

Plainte déposée par le président

À titre de président de la Commission, je suis autorisé, aux termes du paragraphe 45.37(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, à déposer une plainte en vue de la tenue d'une enquête.

Les conclusions et recommandations formulées par la Commission ne sont pas de nature criminelle pas plus qu'elles ne visent à évoquer une quelconque culpabilité criminelle. Bien que certains termes employés dans le présent rapport puissent en même temps être employés dans le contexte criminel, un tel langage ne vise pas à inclure les exigences du droit pénal en ce qui a trait à la culpabilité, à l'innocence ou à la norme de preuve.

Pour ce qui est de la première partie de ma plainte, l'interaction entre les membres de la GRC et M. Dziekanski, il est essentiel de tenir compte du fait que la Commission s'est concentrée sur la question principale visant à déterminer ce que les membres qui sont intervenus savaient au moment où ils sont arrivés sur les lieux au sujet de la plainte concernant un homme qui se comportait de manière étrange. Être au fait de ce que les membres présents savaient réellement ou ce qu'ils auraient dû conclure est crucial pour déterminer s'ils ont agi comme il se doit dans les circonstances et s'ils ont respecté la loi et la politiques applicables de la GRC. De plus, il est inutile de leur attribuer une connaissance qu'ils n'avaient pas ou qu'ils n'auraient raisonnablement pu avoir au moment de l'incident pour apprécier la preuve ou formuler des conclusions, des constatations et des recommandations raisonnables.

Participation de la GRC et rapidité de l'intervention

Quatre membres de la GRC étaient en fonction à l'aéroport international de Vancouver le soir du samedi 13 octobre et pendant les premières heures du dimanche 14 octobre 2007. Sans doute parce que le quart avait été calme et qu'aucune demande d'assistance n'avait été reçue, les quatre étaient présents au bureau annexe de la GRC à l'aéroport international de Vancouver à l'heure où des plaintes ont été reçues au sujet d'un homme se comportant de manière étrange dans la zone d'arrivée des vols internationaux, soit à moins de deux minutes en voiture. Le gendarme Kwesi Millington, un des quatre membres en service, a reçu la plainte du répartiteur de la GRC. Comme nous le verrons ci-après, la version des événements relatés par les membres en cause soulève un certain nombre de questions dans mon esprit.

Les membres en service de soir-là étaient les suivants :

  • Caporal Benjamin Robinson — Le caporal Robinson était le membre présent le plus expérimenté et il était également le chef de quart. À la date de l'incident, le caporal Robinson comptait approximativement 11 années de service au sein de la police et avait été affecté à plusieurs détachements en Colombie-Britannique.
  • Gendarme Kwesi Millington — Le gendarme Millington comptait un peu moins de deux années et demie de service et était le seul des quatre membres à être muni d'une AI ce soir-là (modèle X26E).
  • Gendarme Gerry Rundel — Le gendarme Rundel comptait approximativement deux années de service et était affecté au détachement de Richmond depuis octobre 2005 et à l'aéroport international de Vancouver depuis octobre 2006 environ.
  • Gendarme Bill Bentley — Le gendarme Bentley comptait approximativement une année et demie de service. Il a commencé à travailler à l'aéroport international de Vancouver en septembre 2007.

Les trois gendarmes avaient servi exclusivement au détachement de Richmond.

Les quatre membres ont suivi une formation de base à l'École de la Gendarmerie royale du Canada à Regina (Saskatchewan) et ont été affectés à la Division E (Colombie-Britannique). Le présent rapport scrutera leur formation et leurs accréditations au moment pertinent de l'analyse.

Selon ces mêmes membres, pendant leur témoignage à l'enquête Braidwood, le sous-détachement de la GRC à l'aéroport international de Vancouver n'a pas de politique précise en ce qui concerne l'entreposage, l'affectation et le port d'une AI. D'après les éléments de preuve, deux AI étaient mises à la disposition des membres de la GRC à l'aéroport international de Vancouver « selon la disponibilité » et, même si cela n'était pas explicitement mentionné, il était courant que les membres plus expérimentés signent le registre et portent les AI.

Un certain nombre de personnes étaient présentes dans l'aire d'accueil réservée au public de l'aéroport international de Vancouver, située à l'extérieur de la sortie de la zone d'arrivée des vols internationaux. Une de ces personnes, M. Paul Pritchard, a remarqué M. Dziekanski, qui, à ce moment-là, était revenu dans la zone sécurisée de la sortie de la gare d'arrivée des vols internationaux.

Après un échange animé entre M. Lorne Meltzer (un chauffeur de limousine à l'aéroport international de Vancouver pour accueillir un client d'un vol international) et M. Dziekanski, M. Pritchard a saisi les gestes de M. Dziekanski dans une série d'enregistrements vidéo numériques. Les vidéos de M. Pritchard fournissent un relevé plus exact des gestes de M. Dziekanski dans les secondes précédant l'arrivée des membres de la GRC et de l'interaction entre M. Dziekanski et la GRC par rapport à la vidéo de l'aéroport international de Vancouver. La vidéo de M. Pritchard a donc été le principal moyen de dresser la chronologie de l'interaction entre M. Dziekanski et les quatre membres présents de la GRC.

Interaction entre les membres de la GRC et M. Dziekanski

À la suite d'une série d'appels au 911, les quatre membres de la GRC en service à l'aéroport international de Vancouver ont répondu à des plaintes au sujet d'un homme (qu'on sait maintenant être M. Dziekanski) qui se comportait de manière étrange dans la zone d'arrivée des vols internationaux. Les quatre agents se sont déplacés dans des véhicules distincts, mais ils sont tous arrivés approximativement à la même heure. Outre l'appel initial, les membres ont reçu des renseignements à jour par radio de police, pendant le trajet.

La radiocommunication entre les membres à l'aéroport international de Vancouver et le répartiteur de la GRC confirme que, à l'heure où ils se sont présentés à l'extérieur des portes sécurisées de la zone d'arrivée des vols internationaux, les quatre membres de la GRC avaient été informés du fait qu'un homme âgé d'approximativement 50 ans (on a appris plus tard que M. Dziekanski avait 40 ans), que l'on pensait en état d'ébriété (ce qui plus tard s'est révélé faux), se comportait de manière étrange en jetant des bagages dans tous les sens et en lançant des chaises à travers les vitres (ce qui plus tard s'est révélé faux). L'homme a de plus été décrit comme ayant des cheveux foncés et portant un manteau blanc.

À l'arrivée des quatre membres, les responsables de la sécurité à l'aéroport international de Vancouver leur ont indiqué que M. Dziekanski était la personne au comportement agité et qu'il ne parlait pas l'anglais. Lorsque les membres sont entrés dans la zone sécurisée, ils pouvaient voir l'ordinateur démoli sur le plancher ainsi qu'une petite table brisée contre la vitre (en réalité, il n'y a pas eu de vitre fracassée).

Les membres de la GRC ne pouvaient pas savoir que M. Dziekanski avait voyagé pendant de nombreuses heures et que, apparemment, il n'avait rien mangé et il avait consommé très peu de liquides, pas plus qu'ils auraient pu évaluer l'état d'esprit de M. Dziekanski ou sa frustration possible du fait qu'il ne voyait pas sa mère contrairement à ce qu'il avait sans doute prévu pour son arrivée au Canada.

La vidéo de M. Pritchard et les déclarations des témoins confirment que, à leur arrivée, les membres de la GRC ont reçu des renseignements de base des responsables de la sécurité de l'aéroport international de Vancouver et d'autres témoins pendant qu'ils se dirigeaient vers M. Dziekanski et qu'ils ont sauté par dessus une petite barrière de retenue. Les membres sont allés directement vers M. Dziekanski, qui était debout juste à l'intérieur des portes (du côté sécurisé) de la sortie de la zone d'arrivée des vols internationaux.

Les quatre membres se sont approchés de M. Dziekanski. Aucun ne s'est immobilisé pour obtenir valablement des détails ou confirmer auprès des témoins présents les renseignements reçus par la radio de police et la nature du comportement de M. Dziekanski (comme l'allégation selon laquelle M. Dziekanski avait lancé des meubles à travers une vitre, ce qui plus tard s'est révélé faux, ou le degré de violence en cause). On pourrait supposer que, si un ou deux membres avaient pris le temps de le faire pendant que les autres membres s'approchaient de M. Dziekanski pour le surveiller au cas où il aurait d'autres accès de colère, la dynamique de l'interaction et le résultat final auraient pu être tout à fait différents.

Moins de 25 secondes après le début de l'interaction, le gendarme Kwesi Millington a décidé d'utiliser l'arme à impulsions (AI) qu'il avait sur lui pendant ce quart. Le caporal Robinson semblait en être venu à une décision semblable en même temps que le gendarme Millington, du fait que le caporal Robinson a indiqué avoir demandé au gendarme Millington de se servir de l'AI au moment même où le gendarme Millington s'en servait lui-même. Après de multiples décharges de l'AI à l'endroit de M. Dziekanski et une échauffourée mettant en cause les quatre membres de la GRC, M. Dziekanski a été maîtrisé et menotté. Il est décédé peu après pendant qu'il était sous la garde des membres de la GRC.

On trouvera un complément d'information aux endroits suivants :

Réponse des membres de la GRC aux plaintes à l'aéroport international de Vancouver

Les commentaires relatifs à la réponse des membres de la GRC sont fondés sur la politique en vigueur à la date de l'incident à l'aéroport international de VancouverNote de bas de page 10. De plus, le Code criminel du Canada autorise un agent de la paix agissant dans l'application ou l'exécution de la loi à utiliser la force nécessaire pour cette fin.

Comme on l'a indiqué ci-dessus, les membres répondaient à une série de plaintes au sujet d'un homme se comportant de manière étrange. Malgré l'absence d'une confirmation directe, ils ont été informés par le répartiteur de la GRC que l'homme avait peut-être consommé de l'alcool ou de la drogueNote de bas de page 11. Par conséquent, il incombait aux membres de tenir compte de toutes les interventions pertinentes de recours à la force dont ils disposaient, y compris celle de ne recourir à aucune force physique.

Les membres étaient vêtus de l'uniforme de la GRC et étaient tous munis des articles composant leur équipement usuel, y compris un aérosol capsique, un bâton ASP (télescopique)Note de bas de page 12, des menottes et une arme à feu. L'AI n'est pas un article distribué avec la tenue; le membre doit signer le registre au début de son quart ou pendant celui-ci pour qu'on lui en fournisse une. Le gendarme Millington était le seul membre qui portait une AI à ce moment-là.

Comme la plainte avait été reçue par le gendarme Millington, il peut avoir cru qu'il était responsable du dossier. Toutefois, d'un point de vue de gestion d'une intervention, le caporal Robinson était l'officier supérieur sur les lieux, il possédait le plus d'expérience et il assumait donc la responsabilité générale de l'intervention de la GRC.

En dépit du témoignage du gendarme Millington pendant l'enquête Braidwood, selon lequel il croyait être l'agent responsable au moment de l'incident, aucun des membres de la GRC ne semble avoir pris le contrôle et la responsabilité de coordonner les actes des autres intervenantsNote de bas de page 13. En tant que chef de quart et compte tenu des niveaux relatifs d'expérience dans le domaine des opérations policières, cette obligation aurait dû échoir au caporal Robinson.

Pendant que les membres de la GRC s'approchaient des lieux, on a entendu le gendarme Bentley demander au gendarme Millington s'il avait une AI avec lui. Le gendarme Millington a répondu par l'affirmative.

Même si les membres intervenants ont prévu le comportement combatif et les options de recours à la force correspondantes, à ma connaissance, aucun élément de preuve ne donne à penser que les membres ont réellement envisagé d'utiliser l'AI avant leur arrivée sur les lieux. En outre, il ne semble pas y avoir eu de planification des opérations ou de la situation avant ou pendant l'incident.

On a fait observer que le surintendant Wayne Rideout, officier responsable du Groupe intégré des enquêtes sur les homicides (IHIT), était au courant de conversations entre les intervenants laissant entendre que ces membres avaient planifié d'avoir recours à l'AI avant leur arrivée sur les lieux et leur interaction avec M. Dziekanski. Ces insinuations ont gagné en vigueur après la communication d'un courriel rédigé par le surintendant principal Richard Bent, alors officier responsable adjoint des enquêtes criminelles de la GRC en Colombie-Britannique, dans lequel il mentionnait avoir parlé avec « Wayne » (le surintendant Rideout) et que ce dernier avait déclaré que les intervenants avaient établi un tel plan. La Commission a interviewé le surintendant Rideout, qui a résolument nié avoir été au courant de tels renseignements ou avoir communiqué ces renseignements au surintendant principal Bent.

La vidéo de M. Pritchard concernant l'événement montre que les membres ont d'abord tenté d'apaiser M. Dziekanski et que, pendant quelques secondes, ce dernier est resté debout avec les mains de chaque côté en regardant les membres. Il a fait un mouvement vers ses bagages, mais le caporal Robinson lui a enjoint de se diriger vers le comptoir, situé à quelques mètres. À ce moment-là, M. Dziekanski a levé les bras dans les airs et s'est déplacé vers le comptoirNote de bas de page 14.

Les membres se sont alors placés autour de M. Dziekanski selon un arc d'approximativement 180 degrés (positionnement tactique) visant, selon la déclaration du caporal Robinson, à empêcher M. Dziekanski de se déplacer vers une autre zone de l'aéroport. Bien que cela ne soit pas précisé, le positionnement tactique avait sans doute pour but de faire en sorte que M. Dziekanski puisse seulement se concentrer sur un membre à la fois s'il décidait d'employer la violence et d'assurer une distance de protection (appelée espace de réaction)Note de bas de page 15 afin que les membres puissent réagir en cas d'attaque de la part de M. Dziekanski.

À peu près en même temps, les membres ont réagi différemment aux mêmes signes de menace apparemment manifestés par M. Dziekanski. Comme on l'a évoqué, le caporal Robinson a indiqué dans sa déclaration, et l'a confirmé pendant le témoignage à l'enquête Braidwood, qu'il était sur le point d'ordonner au gendarme Millington de se servir de l'AI au moment où le gendarme Millington l'a déployée. Le caporal Robinson a dégainé son bâton ASP, mais ne l'a pas allongé. Le gendarme Bentley a dégainé son bâton ASP et l'a allongé. Le gendarme Rundel n'a pas pris de mesure défensive évidente. Le gendarme Rundel n'a pas indiqué qu'il était au courant que l'AI était sur le point d'être déployée, mais il a mentionné que, en raison de sa formation, il avait prévu que l'AI serait utilisée. Ces réactions différentes me confirment que le caporal Robinson aurait dû prendre les commandes de l'intervention afin de garantir une approche coordonnée à l'égard de M. Dziekanski.

Approximativement quatre secondes après que les membres se sont placés, le gendarme Millington a utilisé l'AI. Selon la preuve médicale, seule une marque sur le corps de M. Dziekanski correspondait à l'impact d'une sonde de l'AI. La deuxième sonde a atteint la partie inférieure de la chemise de M. Dziekanski. Le dard a probablement été en contact intermittent avec M. Dziekanski, lorsque sa chemise bougeaitNote de bas de page 16, d'où une décharge électrique intermittente infligée à ce dernier. Le gendarme Millington a noté que l'AI émettait un « cliquetis » intermittent. D'après la formation de la GRC sur l'AI, ce son indique que le circuit est incomplet et que le contact ne se fait pas. Le caporal Robinson a déclaré avoir dit au gendarme Millington de lui envoyer une autre décharge (c.-à-d. utiliser de nouveau l'AI) parce que l'AI n'avait pas d'effet.

La politique opérationnelle de la GRC qui était en vigueur à l'époque exigeait que, dans la mesure du possible, les membres doivent lancer l'avertissement suivant : « Police, ne bougez plus, sinon vous allez recevoir une décharge électrique de 50 000 volts!Note de bas de page 17 ». Cet avertissement, ou mise en garde comme l'appelle la politique de la GRC, n'a pas été donné par le gendarme Millington. Les enquêteurs de l'IHIT ne lui ont pas demandé, lorsqu'il a fourni sa déclaration après l'événement, pourquoi il n'avait pas lancé la mise en garde. Toutefois, dans son rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions (formulaire 3996), le gendarme Millington a indiqué que l'avertissement n'a pas été donné. La raison mentionnée était la suivante :

[Traduction]
Le membre a dit à l'homme de s'immobiliser et de placer les mains sur le bureau à côté. L'homme ne comprenait pas l'anglais, alors la communication verbale était difficile.

Au cours de son témoignage à l'enquête Braidwood, le gendarme Millington a déclaré qu'il était d'avis qu'il n'avait pas le temps de lancer la mise en garde à M. Dziekanski avant de se servir de l'AI.

Ayant visionné la vidéo de l'événement, je ne vois pas pourquoi la mise en garde n'aurait pas pu être donnée. Les membres avaient encerclé M. Dziekanski à ce moment-là, et même si on devinait, d'après la vidéo, que des mesures visant à faire face à la situation étaient sur le point d'être prises, le gendarme Millington aurait eu le temps de lancer la mise en garde avant d'utiliser l'AI.

Comme on l'a déjà souligné, avant le recours à l'AI, les membres avaient également le temps de confirmer avec les témoins, les renseignements qu'ils savaient sur les événements, d'envisager le repositionnement tactique ou de tenter autrement de désamorcer la situation, notamment en continuant à faire des gestes avec les mains et en manifestant un comportement non menaçant à l'endroit de M. Dziekanski. Malheureusement, l'AI a été utilisée avant toute tentative valable de désescalade.

En dernière analyse, personne ne saura jamais s'il aurait été finalement nécessaire de maîtriser physiquement M. Dziekanski si les autres méthodes avaient échoué. Il ressort cependant qu'aucune autre méthode n'a été employée pour tenter de désamorcer ou de régler la situation de façon à réduire le risque de blessure pour toutes les personnes en cause.

J'admets que le caporal Robinson n'a pas initialement ordonné au gendarme Millington d'utiliser l'AI et que le gendarme Millington a agi de son propre chef. La question demeure : était-il raisonnable d'utiliser l'AI dans les circonstances?

Au moment où ils sont entrés dans la zone, les membres ont été informés du fait que M. Dziekanski ne parlait pas l'anglais. Il serait raisonnable de supposer que M. Dziekanski ne les comprenait pas, mais étant donné qu'il était sur le point de se servir de l'AI, le gendarme Millington aurait dû lancer la mise en garde malgré tout. Il y a sans doute eu des situations où une personne feignait l'incapacité de parler une langue afin d'obtenir un avantage. Lancer la mise en garde aurait fait en sorte que M. Dziekanski, s'il comprenait effectivement l'anglais, aurait été averti de ce qui était sur le point de se produire. Le ton de la voix et la posture aurait également attiré l'attention de M. Dziekanski sur le fait que l'augmentation du degré de force employé par la police (à son endroit) était imminente.

La Commission a demandé à la GRC de fournir des renseignements sur la formation fournie à ses membres concernant les interventions auprès de personnes qui ne peuvent pas comprendre les membres de la GRC ou communiquer véritablement avec eux. J'ai appris qu'une telle formation n'est pas offerte.

De plus, la mise en garde aurait averti les autres membres de l'utilisation imminente de l'AI. Le caporal Gregg Gillis, coordonnateur du recours à la force à la Division E, l'émission d'un avertissement de cette nature, lorsque cela est possible sur le plan tactique. Comme on l'a mentionné, au moins un des membres a indiqué qu'il ignorait qu'on était sur le point de se servir de l'AI jusqu'à ce qu'il entende la décharge. Dans cette situation, la mise en garde aurait donc servi à deux fins :

  1. Elle aurait averti les autres membres de s'assurer que personne ne s'approche de M. Dziekanski au moment même où le gendarme Millington a utilisé l'AI, car cette personne aurait pu cacher la cible ou être touchée elle même par les sondes. Dans le cours de formation de TASER International, il est recommandé de crier « TASER! TASER! » avant d'utiliser l'arme en tant que considération tactique.
  2. Elle aurait attiré l'attention de M. Dziekanski sur le fait qu'une arme était pointée vers lui et aurait confirmé au gendarme Millington et aux autres personnes présentes que M. Dziekanski était conscient de la présence d'une arme (qu'il se soit rendu compte ou non du fait qu'il s'agissait d'une AI). D'après ce que j'ai vu dans la vidéo de M. Pritchard, je ne crois pas que M. Dziekanski a réellement regardé le gendarme Millington avant que l'AI ne soit déployée. S'il avait compris qu'une arme était pointée vers lui, la situation aurait pu être désamorcée, ce qui aurait évité la nécessité de recourir à l'arme. Inversement, si l'AI s'était, au bout du compte, révélée nécessaire, on aurait au moins tenté d'utiliser d'autres moyens pour régler la situation.

Un autre aspect connexe de l'utilisation de l'AI me préoccupe, soit le fait que les membres ne se sont pas parlé pendant l'incident. Le gendarme Bentley a déclaré qu'il n'était pas au courant que l'AI avait été sortie jusqu'à ce que le gendarme Millington l'utilise. Le gendarme Millington n'a jamais indiqué aux autres membres présents qu'il dégainait l'arme ou qu'il avait réellement l'intention de l'utiliser. Comme je l'ai indiqué ci-dessus relativement au défaut d'avertir les autres membres présents, rien n'empêchait le gendarme Millington de dégainer l'arme et d'informer les autres membres qu'il l'avait dégainée et, pendant qu'il visait M. Dziekanski avec l'AI, de leur demander quelle était la meilleure façon de gérer la situation (compte tenu de son expérience opérationnelle limitée) ou de les informer de son intention d'utiliser l'AI.

Diverses justifications opérationnelles ont été avancées quant aux raisons pour lesquelles le gendarme Millington ne pouvait pas prendre plus de temps pour évaluer la situation, notamment le fait que M. Dziekanski était armé (une agrafeuse ouverte) et que l'on risquait de perdre la cible que représentait M. Dziekanski pour le gendarme Millington si M. Dziekanski bondissait sur un des intervenants. J'estime qu'il est difficile d'admettre que ces faits soient réalistes dans les circonstances.

Je comprends que les événements, teIs qu'ils se sont déroulés en temps réel, étaient stressants pour toutes les parties en cause, et je ne m'attends pas à ce que les policiers prennent des décisions en commun lorsqu'ils disposent de si peu de temps pour le faire et que la situation impose une réaction immédiate. Cela dit, M. Dziekanski était complètement encerclé dans un espace confiné. Si le gendarme Millington avait pris quelques secondes de plus pour faire le point sur les options disponibles, la dynamique aurait pu changer et produire un résultat très différent.

Conclusion
Les membres de la GRC ayant participé à l'arrestation de M. Dziekanski agissaient dans le cadre légal de leurs fonctions respectives et en vertu de l'autorisation légale appropriée.

Conclusion
À la lumière des renseignements dont disposaient les membres de la GRC qui sont intervenus au cours de l'incident en cause, la décision de s'approcher de M. Dziekanski afin de donner suite aux plaintes n'était pas déraisonnable. Un voyageur ou un employé à l'aéroport international de Vancouver aurait pu, à tout moment, se retrouver face à M. Dziekanski. Comme le montrent les multiples appels au service 911, il incombait aux membres de la GRC de garantir un milieu sûr pour le public et les employés utilisant les installations de l'aéroport et de mettre fin aux troubles causés par M. Dziekanski.

Conclusion
Pour que l'intervention auprès de M. Dziekanski soit faite selon une approche coordonnée, le caporal Robinson aurait dû prendre le contrôle et diriger les autres membres afin que chacun soit au courant de l'intervention projetée et que chacun communique avec les autres pendant le déroulement des événements.

Conclusion
Avant d'utiliser l'AI, le gendarme Millington aurait dû lancer l'avertissement requis à M. Dziekanski, la mise en garde, comme l'exige la politique de la GRC, et ce, même si M. Dziekanski semblait ne pas comprendre l'anglais.

Conclusion
Comme les membres présents de la GRC n'ont pas tenté, de façon valable, de communiquer avec M. Dziekanski afin de clarifier les renseignements relatifs à la situation de ce dernier ou de communiquer entre eux, l'utilisation de l'AI par le gendarme Millington était prématurée et inappropriée dans les circonstances.


Recommandation
Que la GRC envisage la conception et la mise en œuvre d'une formation à l'intention de ses membres sur les techniques de communication avec les personnes qui ne peuvent pas communiquer verbalement avec eux.

Décharge et utilisation de l'AI

Le caporal RobinsonNote de bas de page 18 et le gendarme Millington semblent avoir été du même avis quant à l'utilisation de l'AI dans les circonstances. Pendant l'enquête Braidwood, le gendarme Millington a indiqué que, même si le caporal Robinson lui a ordonné d'utiliser l'AI après la première décharge, la décision d'utiliser de nouveau l'AI, était la sienne.

La vidéo de l'incident montre qu'au moment où il a été atteint par la sonde, M. Dziekanski s'est tourné et a marché vers sa droite. On peut voir une agrafeuse ouverte dans sa main droite lorsqu'il lève les bras. Les membres présents ont qualifié ses actes de tentative de [traduction] « résister » au courant électrique. Ils ont dit avoir vu d'autres personnes tenter de résister à l'AI pendant les séances de formation sur l'arme à impulsions. À la fin du premier cycle de l'AI, M. Dziekanski s'est effondré au plancher, se tordant manifestement de douleur.

Après le décès de M. Dziekanski, les données de l'AI ont été téléchargéesNote de bas de page 19. Le rapport sur les données téléchargées indiquaient la mise en fonction de l'AI ci-après :

  • i. 13 octobre 2007, 19 h 55 min 33 sec : une (1) seconde [test d'étincellesNote de bas de page 20];
  • ii. 14 octobre 2007, 1 h 23 min 49 sec : activation pendant six (6) secondes;
  • iii. 14 octobre 2007, 1 h 23 min 55 sec : activation pendant cinq (5) secondes;
  • iv. 14 octobre 2007, 1 h 24 12 sec : activation pendant cinq (5) secondes;
  • v. 14 octobre 2007, 1 h 24 min 25 sec : activation pendant neuf (9) secondes;
  • vi. 14 octobre 2007, 1 h 24 min 32 sec : activation pendant six (6) secondes.

L'heure indiquée dans le rapport sur les données téléchargées indique la fin d'un cycle d'utilisation, non pas le début.

Selon le rapport, le temps total d'utilisation à l'endroit de M. Dziekanski était de 31 secondes, mais il a été impossible d'établir le temps pendant lequel M. Dziekanski a réellement subi des décharges électriques. Même si l'utilisateur peut interrompre le cycle, le TASERMD X26E est programmé de façon à ce que l'arme produise du courant pendant cinq secondes après la décharge. Après cela, le courant ne passe plus, sauf si l'utilisateur appuie sur la détente. Je constate que les renseignements présentés pendant l'enquête Braidwood indiquaient que, à partir de 10 millisecondes après de la deuxième seconde, l'AI arrondit la durée à la seconde la plus proche. Le gendarme Craig Baltzer, membre du service de police de Delta qui a effectué le téléchargement des données de l'AI employé dans l'incident Dziekanski, n'était pas au courant de la fonction d'arrondissement des données des produits TASERMD.

Quant à l'utilisation répétée de l'AI, le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI)Note de bas de page 21 présente une mise en garde contre les blessures causées au sujet. Le Manuel des opérations de la GRC appuie cette mise en garde en avisant également les utilisateurs que l'utilisation répétée de l'AI peut causer des blessures au sujet.

La vidéo de M. Pritchard, examinée à la lumière du rapport sur les données téléchargées de l'AI, montre que M. Dziekanski s'est écroulé sur le plancher et qu'il se tordait de douleur à la fin de la première décharge de cinq secondes de l'AI. Voilà qui soulève la question de la nécessité d'utiliser de nouveau l'AI. La politique de la GRC stipule qu'il faut maîtriser le sujet le plus tôt possible à la suite de l'utilisation d'une AI en mode sondeNote de bas de page 22.

Après la première décharge de l'AI, on peut voir les membres debout autour de M. Dziekanski. Après une pause de une seconde, l'AI est utilisée une deuxième fois pendant cinq secondes. Ce n'est qu'à la fin de la deuxième utilisation que l'on peut voir que le caporal Robinson est le premier membre à intervenir pour maîtriser M. Dziekanski. À ce moment-là, M. Dziekanski a subi une douleur intense pendant environ dix secondes au total sans que la police tente de le maîtriser.

Après la deuxième utilisation, les membres de la GRC ont dû affronter M. Dziekanski qui a commencé à se débattre. Plutôt que d'attendre de voir les autres membres tenter de maîtriser M. Dziekanski pour déterminer si une troisième décharge était nécessaire, le gendarme Millington a, après un délai de deux secondes, de nouveau utilisé l'AI pendant cinq secondes. D'après ce que j'ai vu dans la vidéo de M. Pritchard, cela semble être en réponse à l'ordre du caporal Robinson de lui envoyer une autre décharge.

À la fin de la troisième utilisation en mode sonde, le gendarme Millington a retiré la cartouche de l'AI et, quatre secondes plus tard, a utilisé l'AI en mode paralysant dans le dos de M. Dziekanski, pendant neuf secondes. Comme on l'a noté précédemment, d'après le Manuel des opérations de la GRC en vigueur à la date de l'incident, en mode paralysant, l'AI est un moyen de contrainte par la douleurNote de bas de page 23.

Après un délai d'une seconde, le gendarme Millington a encore une fois utilisé l'AI contre M. Dziekanski en mode paralysant pendant six secondes encore.

Je constate que, dans son témoignage pendant l'enquête Braidwood, le gendarme Millington a indiqué que, même si on a appuyé sur la détente de l'AI, l'arme n'a pas été en contact avec M. Dziekanski pendant les 31 secondes où l'arme a été utilisée.

Pour ce qui est du nombre d'utilisations de l'AI (comme il est indiqué ci-dessus, cinq au total), et à la lumière du danger mentionné précédemment auquel est exposé le sujet soumis à des décharges multiples, comme l'indique la politique de la GRCNote de bas de page 24, quand il a décidé d'utiliser l'AI, il incombait au gendarme Millington de l'utiliser le moins de fois nécessaires pour maîtriser M. Dziekanski. M. Dziekanski était sur le plancher et se tordait de douleur à la fin de la première utilisation, et le gendarme Millington a pourtant décidé d'utiliser l'AI une deuxième fois avant qu'on tente de maîtriser M. Dziekanski ou qu'il ne réagisse à la première décharge. Si M. Dziekanski avait été maîtrisé et arrêté après la première utilisation, d'autres décharges auraient clairement été inutiles.

Le gendarme Millington n'ayant pas procédé à une évaluation adéquate à la suite de la première décharge, contrairement au modèle CAPRANote de bas de page 25, il est donc impossible de savoir s'il était vraiment nécessaire de répéter l'application de l'arme.

Le déploiement et les utilisations supplémentaires de l'AI, particulièrement en mode paralysant, ont duré jusqu'à neuf secondes. À mon avis, il s'agit d'une utilisation inappropriée de l'AI. Des 49 secondes pendant lesquelles le gendarme Millington a utilisé l'AI pour la première fois, l'arme a été activée pendant 31 secondes. Le gendarme Millington a indiqué qu'il a entendu un cliquetis intermittent en mode sonde (ce qui dénote que l'arme n'était pas en contact avec M. Dziekanski pendant ce temps). Toutefois, aucun effort important n'a été déployé pour déterminer l'effet de l'AI sur M. DziekanskiNote de bas de page 26; cela s'avère à la fois en ce qui a trait à son bien-être physique et au fait qu'il était prêt à cesser de se débattre et à laisser les gendarmes procéder à son arrestation. L'utilisation de l'AI dans ces circonstances était donc devenue inappropriée.

Témoignant pendant l'enquête Braidwood, le caporal Gillis (un expert sur le recours à la force à la GRC) a affirmé que le stimulus neuromusculaire infligé par l'utilisation de l'AI, soit en mode sonde soit en mode paralysant, contre M. Dziekanski ne l'aurait pas amené à rabattre les bras sur sa poitrine et à les bloquer pour éviter d'être menotté parce que la décharge de l'AI supprime la capacité de la personne d'utiliser toutes les diverses fonctions motrices et ligamentaires requises pour effectuer un tel geste. En dépit de ces affirmations, à mon avis, il est impossible de savoir si M. Dziekanski semblait se débattre parce que la contraction de ses muscles faisait qu'il était impossible qu'on puisse tirer ses bras ou parce qu'il ne voulait pas le permettre.

Je remarque qu'après la dernière utilisation de l'AI, la lutte a continué pendant près d'une minute avant que M. Dziekanski soit enfin menotté. Le gendarme Millington n'a pas expliqué pourquoi il a interrompu l'utilisation de l'AI au moment où il l'a fait et pourquoi il n'a pas jugé nécessaire de continuer à employer l'arme contre M. Dziekanski pendant le reste de la lutte.

M. Dziekanski n'est manifestement pas en mesure de nous dire s'il a continué à se débattre pour éviter d'être menotté ou parce qu'il cherchait désespérément à respirer.

Conclusion
Le gendarme Millington a utilisé l'AI à de multiples reprises contre M. Dziekanski alors qu'il ne savait pas si ces utilisations ultérieures étaient nécessaires pour maîtriser M. Dziekanski.

Conclusion
L'utilisation répétée de l'AI contre M. Dziekanski tandis qu'aucun effort important n'a été déployé pour déterminer l'effet de l'arme sur M. Dziekanski était une utilisation inappropriée de l'AI.

Prestation des premiers soins

D'après les déclarations, jusqu'à peu avant l'arrivée du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond et du service d'ambulance de la C.-B., M. Dziekanski respirait, et son cœur battait. Dans sa déclaration à l'IHIT, le gendarme Millington a mentionné que M. Dziekanski a été menotté, et les membres ont attendu l'arrivée des services médicaux d'urgence (SMU) pour examiner l'homme.

La vidéo de l'événement montre que le caporal Robinson est demeuré avec M. Dziekanski et, accompagné de M. Trevor Enchelmaier (un superviseur pour Securigard, agence privée de sécurité à l'aéroport international de Vancouver), a surveillé M. Dziekanski qui, selon leur compte rendu à tous les deux, respirait et avait un pouls. Dans un tel cas, et compte tenu du fait qu'aucune autre blessure n'exigeait l'administration immédiate de premiers soins, la mesure appropriée aurait été de surveiller le rythme cardiaque de M. DziekanskiNote de bas de page 27.

Dans la vidéo de M. Pritchard, on peut voir le gendarme Bentley après l'incident, mais il n'a pas administré de premiers soins à M. Dziekanski. Les deux autres gendarmes présents n'ont pas surveillé M. Dziekanski. Le caporal Robinson a demandé au gendarme Rundel d'aller chercher des « entraves »Note de bas de page 28 dans la voiture de police au cas où M. Dziekanski reprendrait conscience et manifesterait de nouveau un comportement violent. Dans la vidéo de M. Pritchard après l'incident, on peut voir le gendarme Millington enrouler les câbles électriques de l'AI.

M. Enchelmaier a pris le pouls carotidien de M. Dziekanski à au moins trois reprises avant l'arrivée des services d'incendie et de sauvetage de Richmond et des ambulanciers paramédicaux du service d'ambulance de la C.-B.; il a dit que le pouls s'affaiblissait progressivement. Selon la déclaration de M. Enchelmaier, il a agi ainsi parce qu'aucun des membres de la GRC n'a décidé d'enlever ses gants pour vérifier le pouls de M. Dziekanski. M. Enchelmaier a ajouté qu'il a pris le temps de veiller à ce que les membres de son personnel s'acquittent efficacement de leur rôle; par conséquent, les gestes du caporal Robinson peuvent lui avoir échappé ou il ne s'en souvient pas. Le caporal Robinson a affirmé pendant l'enquête Braidwood qu'il a enlevé son gant pour vérifier le pouls de M. Dziekanski. La vidéo de M. Pritchard montre le caporal Robinson enlevant son gant et faisant un geste correspondant à la vérification du pouls.

Le fait que le caporal Robinson ait enlevé son gant et vérifié le pouls ne constitue pas la prestation de soins adéquats à M. Dziekanski. Si le caporal Robinson avait lui-même pris le pouls régulièrement, il aurait constaté que le pouls et la respiration de M. Dziekanski s'affaiblissaient et devenaient moins réguliers, et ces renseignements auraient été communiqués par radio de police aux membres du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond et du service d'ambulance de la C.-B. avant leur arrivée.

Le caporal Robinson a également affirmé ne pas savoir s'il y avait de l'équipement médical disponible, comme un défibrillateur, à l'aéroport international de Vancouver. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait demandé de l'aide au personnel des services médicaux d'urgence de l'aéroport international de Vancouver, il a déclaré que le rôle de la police est de demander une assistance médicale lorsqu'il y a lieu de le faire, mais pas de demander à un endroit précis de la lui fournir.

Nonobstant le fait que M. Enchelmaier a décidé d'offrir une aide, la responsabilité principale du bien-être de M. Dziekanski incombait aux membres de la GRC sur les lieux jusqu'à ce que cette responsabilité soit cédée au personnel des services d'incendie et du service d'ambulance qui sont intervenusNote de bas de page 29. Les membres de la GRC ont arrêté et menotté M. Dziekanski et, compte tenu du devoir de diligence à l'égard des personnes sous garde, ils étaient responsables de surveiller physiquement M. Dziekanski et de veiller à son bien-être. Par conséquent, ce sont les membres de la GRC qui auraient dû, en fait, surveiller M. Dziekanski en attendant l'arrivée du personnel médical qualifié.

D'après les déclarations et le témoignage des membres de la GRC en cause pendant l'enquête Braidwood, aucun d'entre eux n'a demandé à M. Enchelmaier quelles étaient ses compétences en premiers soins au moment de son intervention. Je n'ai aucune raison de croire que les membres de la GRC connaissaient déjà quelles étaient les compétences en premiers soins de M. Enchelmaier. Par conséquent, les membres de la GRC ne savaient pas si M. Enchelmaier était qualifié en premiers soins ou si son intervention exacerberait une situation déjà grave.

M. Enchelmaier détenait un certificat en premiers soins et il a déclaré que M. Dziekanski respirait et avait (initialement) un pouls fort. Selon le caporal Robinson, M. Enchelmaier a indiqué que M. Dziekanski respirait toujours peu avant l'arrivée du personnel des services médicaux d'urgence. M. Enchelmaier a confirmé avoir fait cette déclaration et avoir précisé à un enquêteur de l'IHIT qu'à l'arrivée du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond, et lorsqu'il leur a confié M. Dziekanski, ce dernier respirait et avait un pouls bien que son rythme cardiaque était plus lent qu'auparavant.

Pendant leur témoignage dans le cadre de l'enquête Braidwood, les membres du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond ont critiqué les premiers soins prodigués par la police. Le personnel du service d'ambulance de la C.-B., qui est arrivé quelques minutes après celui des services d'incendie et de sauvetage de Richmond, a critiqué le défaut du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond de prodiguer les premiers soins appropriés à M. Dziekanski, y compris de ne pas lui administrer de l'oxygène. Un pompier de Richmond sur les lieux a affirmé que le personnel du service d'ambulance de la C.-B. est arrivé au moment même où prenait fin l'évaluation initiale de M. Dziekanski.

Conclusion
Le caporal Robinson n'a pas surveillé adéquatement la respiration et le rythme cardiaque de M. Dziekanski.

Conclusion
Le caporal Robinson ne connaissant pas les compétences en secourisme de M. Enchelmaier, il n'aurait pas dû l'autoriser à prodiguer les premiers soins ou à surveiller activement l'état de M. Dziekanski. Les membres de la GRC auraient dû se charger eux-mêmes de cette tâche. Le caporal Robinson n'a donc pas prodigué les soins médicaux adéquats à M. Dziekanski.


Recommandation
Que les procédures de formation et d'orientation des détachements de la GRC comprennent un examen détaillé des installations médicales et de l'équipement médical.

Enlèvement des menottes

L'appel initial des agents de police en cause pour obtenir un soutien médical correspondait à une intervention habituelle (code 1), mais elle est rapidement passée au code 3 (intervention d'urgence) lorsque M. Dziekanski s'est évanoui. Selon les déclarations des témoins et des intervenants, avant l'arrivée du personnel des services d'incendie et de sauvetage et d'ambulance, le teint de M. Dziekanski tournait au bleu. Il aurait dû être de plus en plus évident pour les membres présents que M. Dziekanski était en détresse.

Les membres du personnel des services d'incendie et de sauvetage de Richmond ont indiqué avoir demandé, à plusieurs reprises, que les menottes soient enlevées, comme l'ont fait les membres du personnel du service d'ambulance de la C.-B. à leur arrivée. La raison invoquée par les membres de la GRC pour ne pas avoir enlevé les menottes était la préoccupation liée à la sécurité des personnes présentes dans l'éventualité où M. Dziekanski cherchait à les tromper ou s'il reprenait conscience et manifestait un comportement combatif. À ma connaissance, aucune élément de preuve ne laisse présumer qu'il y aurait lieu de soupçonner que M. Dziekanski était en train de feindre ou d'essayer de les tromper. Au contraire, les éléments de preuve montrent que le teint de M. Dziekanski tournait au bleu à la fin de l'arrestation. Le caporal Robinson qui, dans sa déclaration aux enquêteurs de l'IHIT a dit avoir remarqué que l'oreille de M. Dziekanski tournait au bleu pendant la lutte, s'est rétracté au cours de son témoignage à l'enquête Braidwood pour déclarer qu'il avait remarqué que l'oreille devenait bleue après que M. Dziekanski a été menotté. Le gendarme Rundel ne se rappelle pas le changement de couleur tandis que les gendarmes Bentley et Millington ont également juré que le changement de couleur au bleu s'est produit après que M. Dziekanski a été menotté.

Si les membres de la GRC avaient vraiment cru que M. Dziekanski voulait les tromper ou qu'il était seulement inconscient temporairement et qu'il reprendrait conscience et manifesterait de nouveau un comportement combatif, plutôt que d'être réellement préoccupés par la sécurité de M. Dziekanski après son arrestation, il n'y aurait pas eu lieu d'augmenter le niveau d'intervention du service d'ambulance à un code 3Note de bas de page 30.

L'allégation selon laquelle, à ce moment-là, les menottes ne pouvaient pas être enlevées pour des motifs de sécurité, est indéfendable. Dans sa déclaration à l'IHIT, le caporal Robinson a indiqué que le teint de M. Dziekanski a tourné au bleu pendant la lutte et son arrestation; par conséquent, les membres auraient dû être davantage conscients de la possibilité que M. Dziekanski était peut-être réellement en détresse plutôt qu'en train d'essayer de les tromper. De plus, à ce moment-là, il y avait quatre membres de la GRC ainsi que plusieurs pompiers de Richmond et des membres du personnel de sécurité de l'aéroport international de Vancouver. Si M. Dziekanski avait repris connaissance et s'était montré violent, il y avait suffisamment de membres du personnel présents pour maîtriser la situation.

Je nuance cette observation, conscient du fait que les membres en question venaient tout juste d'être mêlés à une lutte difficile afin de maîtriser M. Dziekanski. Dans le feu de l'action, on peut comprendre les raisons pour lesquelles les membres auraient eu des préoccupations subjectives liées à l'enlèvement des menottes. Dans l'intervalle de quelques minutes précédant l'arrivée des membres du personnel des services d'incendie et d'ambulance, les membres auraient dû reconnaître que le risque présenté par M. Dziekanski avait été atténué du fait de son épuisement physique et de son état de conscience qui faiblissait nettement.

De plus, je suis au courant du témoignage des membres du personnel du service d'ambulance de la C.-B. pendant l'enquête Braidwood selon lequel la conduite des membres de la police au cours de l'incident était caractéristique de ce à quoi ils se seraient attendus. Je sais également que le fait que M. Dziekanski soit demeuré menotté n'empêchait pas qu'on lui prodigue des soins médicaux, même si l'enlèvement des menottes aurait facilité cette assistance médicale.

Conclusion
On aurait dû enlever les menottes à M. Dziekanski lorsque les membres ont reconnu qu'il était inconscient et en détresse et qu'il ne représentait pas une menace immédiate pour les membres. À tout le moins, on aurait dû les enlever immédiatement dès la première demande du personnel médical.

Évaluation de la conduite et de la crédibilité des membres

Le MIGI précise que l'évaluation du risque est une activité continue pendant un incident :

Comme les situations évoluent, vous devriez évaluer continuellement le risque. Les comportements et les circonstances propres aux situations peuvent changer. Il est donc possible qu'à un moment donné, durant l'intervention, l'option soit plus ou moins raisonnable.

Comme il en a été question au sujet du modèle CAPRA, la première étape de l'évaluation du risque indiquée dans le MIGI est la collecte de renseignements. Des renseignements ont été recueillis auprès des plaignants et communiqués par radio de police aux membres qui sont intervenus. Une partie de ces renseignements a été communiquée au répartiteur de la GRC par le personnel des opérations de l'aéroport international de Vancouver, qui communiquait lui-même au répartiteur de la GRC des renseignements obtenus par personne interposée. Les membres de la GRC en cause auraient dû savoir que les renseignements qui leur ont été communiqués pouvaient être inexacts et qu'ils devraient peut-être être vérifiés ou évalués à leur arrivée sur les lieux. Cela s'avère particulièrement du fait que quatre membres étaient présents. Ils étaient en nombre suffisant pour prendre le contrôle des lieux, obtenir les renseignements nécessaires des spectateurs et observer M. Dziekanski.

M. Dziekanski était confiné dans la zone sécurisée de l'aéroport. Les membres qui sont intervenus savaient qu'il se trouvait à cet endroit depuis un moment, et il n'a jamais donné de signe laissant supposer qu'il était sur le point d'échapper à la police ou de fuir. Lorsqu'ils se sont approchés, M. Dziekanski a crié police! à plusieurs reprises en polonais et est resté sur ses positions. Je ne vois pas pourquoi les membres n'auraient pas pu prendre les mesures requises pour observer M. Dziekanski et l'isoler puis prendre un peu de temps pour obtenir des renseignements généraux auprès des témoins qui se trouvaient à proximité.

Je constate qu'au moins un employé de la sécurité de l'aéroport international de Vancouver, en uniforme, était présent depuis quelques minutes à l'arrivée de la GRC, mais M. Dziekanski n'a fait aucun geste pour l'attaquer, lui échapper ou s'éloigner de lui. Je ne crois pas que la simple présence des membres de la GRC aurait exacerbé la situation et exigé d'eux qu'ils prennent des mesures immédiates pour s'approcher de M. Dziekanski et l'arrêter.

Dans une vidéo de formation de la GRC, on présente le protocole pour intervenir auprès de personnes qui manifestent un comportement étrange. La vidéo fait allusion au délire excité (terme désormais effacé du lexique de la GRC); toutefois, les concepts s'appliquent également à toute situation où une personne est fortement agitée. Dans la vidéo de formation, les membres de la GRC interviennent dans une situation où une personne est manifestement agitée. Un membre prend le contrôle et explique aux deux autres membres qui interviennent la façon dont ils s'approcheront du sujet et procéderont à son arrestation (dans cet exemple de gestion des lieux et d'interaction avec le sujet, on utilise l'AI). Dans cette vidéo, on voit également du personnel des services médicaux d'urgence.

Je reconnais que les réactions humaines ne peuvent pas toujours être conformes en tous points à la politique, particulièrement lorsque ces réactions ont lieu dans le feu de l'action et que des décisions réactives sont prises intuitivement sans que l'on puisse réfléchir pleinement aux résultats éventuels. C'est pourquoi le volet formation est essentiel au dénouement d'un incident. Si les membres de la police ne sont pas formés pour réagir de façon à obtenir le meilleur résultat et éviter les blessures, les décisions prises en réaction au comportement manifesté ne seront pas conformes aux principesNote de bas de page 31 du MIGI et aux attentes de la collectivité à l'égard de la police.

L'analyse de cet incident comprend en grande partie la réaction des membres à la plainte au sujet d'un homme se comportant de manière étrange près des portes de sortie de la zone d'arrivée des vols internationaux. Toutefois, en ce qui a trait à l'utilisation de l'AI, le fait est que c'est le gendarme Millington qui a décidé de dégainer l'arme et de l'utiliser à l'endroit de M. Dziekanski.

D'après les déclarations des membres, ils étaient au courant, à divers degrés, du fait que le gendarme Millington utilisait l'AI. Le caporal Robinson a déclaré qu'il savait que le gendarme Millington avait dégainé l'AI et que le gendarme Bentley avait étiré son bâton ASP. Le caporal Robinson a dit qu'il avait ordonné au gendarme Millington d'utiliser l'AI presque en même temps que ce dernier a envoyé une décharge électrique. Le gendarme Millington ne se rappelle pas de l'ordre qui lui a été donné de décharger l'arme.

Le fait que le caporal Robinson, en tant que chef de quart et officier supérieur responsable sur les lieux, savait que le gendarme Millington avait dégainé l'AI et qu'il n'a pas ordonné au gendarme Millington de la rengainer dénote que le caporal Robinson était probablement d'avis que l'utilisation de l'AI était une option viable et respectait les principes et paramètres du MIGI. De même, le fait que le gendarme Millington a dégainé l'arme suppose que lui aussi estimait que l'AI était une option viable et conforme à sa formation.

Le caporal Robinson a déclaré être intervenu au cours de 12 incidents approximativement (dans le cadre d'opérations et de séances de formation) pendant desquels il a vu une personne recevoir une décharge électrique d'une AI. Il a précisé que personne n'a été blessé au cours de ces incidents.

Comme on peut le voir dans le tableau qui se trouve à l'annexe P, la conduite des membres est généralement conforme à la politique; toutefois, il en est ainsi seulement si plusieurs hypothèses sont formulées. Par exemple, il faut supposer que les membres qui sont intervenus ont réellement réfléchi individuellement ou collectivement à la façon dont ils interagiraient avec M. Dziekanski plutôt que de simplement réagir à l'évolution de la situation. Les déclarations des membres illustrent l'analyse des autres options possibles de recours à la force, mais aucun des membres n'a mentionné qu'ils avaient coordonné leur réflexion pendant qu'ils se rendaient au terminal de l'aéroport international de Vancouver.

Comme il est indiqué ailleurs dans le présent rapport, le surintendant Rideout, alors officier responsable de l'IHIT, a été interrogé par la Commission. Au cours de l'entrevue, il a catégoriquement nié que l'IHIT possédait des renseignements relatifs à l'allégation suscitée par un courriel rédigé le 5 novembre 2007 par le surintendant principal de la GRC, Richard Bent, (alors) officier responsable adjoint des enquêtes criminelles (à contrat) de la Colombie-Britannique auprès de l'officier responsable des enquêtes criminelles, le commissaire adjoint Al Macintyre. Dans ce courriel, le surintendant principal Bent mentionnait qu'il avait parlé avec le surintendant Rideout et que l'IHIT était au courant d'une conversation entre les membres en cause au sujet de l'intention d'utiliser l'AI dès leur arrivée.

Au cours de l'interaction avec M. Dziekanski, le gendarme Bentley a allongé son bâton ASP. Le caporal Robinson a sorti son bâton de son étui, mais ne l'a pas étiré. Il a dit avoir envisagé de l'utiliser, mais qu'il n'est pas intervenu lorsque le gendarme Millington a dégainé l'AI et ne lui a pas donné l'ordre de la rengainer. Le gendarme Rundel n'a pris aucune mesure de défense. Aucun des membres ne croyait que le gaz poivré constituait une option valable dans les circonstances.

Comme je l'ai souligné dans le présent rapport, les vrais incidents se déroulent très rapidement, et je ne m'attends pas à ce que les membres qui interviennent adoptent une approche concertée face à un incident qui exige la prise de mesures unilatérales. Dans l'incident en cause, cependant, un membre pouvait prendre les commandes; ce qui ne s'est pas produit. Prendre le contrôle est une obligation dont le caporal Robinson aurait dû s'acquitter en tant que chef de quart et officier supérieur sur les lieux.

Les gendarmes comptaient tous entre une année et demie et à peine un peu plus de deux années de service et, à l'époque, ils étaient affectés à l'aéroport international de Vancouver (où l'on pourrait s'attendre à ce que le nombre d'appels exigeant des membres qu'ils aient à s'occuper de personnes violentes serait plus faible que dans le cadre des fonctions de la moyenne des membres aux services généraux affectés, par exemple, dans la ville de Richmond). Étant donné leur peu d'années de service, l'encadrement et la formation étaient particulièrement importants s'ils devaient réagir adéquatement aux appels pouvant donner lieu à des incidents de violence.

J'ai déjà soulevé ces préoccupations générales (dans d'autres contextes) avec la GRCNote de bas de page 32.

Conclusion
Le défaut du caporal Robinson de prendre les commandes sur les lieux, de communiquer avec les membres plus jeunes et inexpérimentés et de leur donner des ordres a eu des répercussions négatives sur l'interaction avec M. Dziekanski.

Les membres qui sont intervenus à la suite des plaintes au sujet de M. Dziekanski ont présenté, devant un certain nombre d'instances, leur version des événements survenus ce soir-là. Ils ont fourni leurs notes écrites des événements, ils ont fourni des déclarations verbales aux enquêteurs de l'IHIT, le gendarme Millington a rempli le formulaire 3996 (rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions)Note de bas de page 33, et chacun a témoigné à l'enquête Braidwood.

Étant donné que le gendarme Millington a terminé sa formation sur l'AI approuvée par la GRC en juillet 2007, seulement trois mois avant l'incident à l'aéroport international de Vancouver, il est probable que la formation du gendarme Millington était relativement fraîche dans sa mémoire. Il a affirmé que sa formation sur l'AI lui a enseigné que l'AI a fait l'objet d'études approfondies en tant qu'arme non mortelle et que l'effet d'une AI est moins marqué que celui d'un stimulateur cardiaque ou d'un défibrillateur. On lui a également enseigné que, dans le cadre de tests effectués sur des animaux, l'AI montrait des effets négligeables sur le rythme cardiaque et la pression artérielle. Partant, une telle formation aurait bien pu faire en sorte que le gendarme Millington était plus enclin à utiliser l'AI en raison de la position de la GRC selon laquelle l'AI est une option efficace, relativement sûre et moins dommageable pour atteindre un but.

Au cours du témoignage à l'enquête Braidwood en particulier, les membres ont invoqué le fait que leurs réactions étaient conformes à la formation. Incontestablement, la formation guide la réaction qu'ont eue les membres. Cette logique suppose que les membres adoptent la position consistant à alléguer : « je ne faisais que suivre les instructions ». Cet argument ne peut être retenu. La formation fournit le bien-fondé de l'intervention, mais les membres qui interviennent sont tenus de réfléchir et de faire preuve de discernement dans l'application de l'intervention afférente à la formation. Fait intéressant, les notes de l'instructeur dans le manuel de formation sur l'AI précisent que les AI ne remplacent pas le bon sens et [un jugement sûr].

Par rapport à la vidéo de M. Pritchard, les souvenirs des membres sont loin d'être crédibles quant au déroulement réel des événements. Par exemple, chacun des quatre membres a indiqué qu'il s'était senti menacé et a évoqué le comportement combatif de M. Dziekanski. Chacun a raconté que M. Dziekanski est devenu agressif et s'est avancé vers les membres de la GRC. Dans la vidéo, on ne peut pas observer de comportement combatif ou de mouvement, agressif ou autre, en direction des membres, de la part de M. Dziekanski.

Dans les déclarations fournies par les membres, rares sont les détails sur les événements et la réflexion des membres pendant l'incident. En réponse à de nombreuses questions des enquêteurs de l'IHIT, les membres ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas se rappeler divers aspects de l'incident survenu à l'aéroport international de Vancouver. J'ai examiné leur témoignage pendant l'enquête Braidwood et j'estime que cette preuve n'a pas atténué ni étayé leurs déclarations initiales.

Je suis préoccupé par le fait que les membres se sont réunis au bureau annexe à l'aéroport international de Vancouver après l'incident, avant d'être interrogés par les enquêteurs de l'IHIT. Je m'inquiète qu'ils se soient tous réunis et que le gendarme Millington ait en outre rencontré en privé le caporal (maintenant sergent d'état-major) Mike Ingles, représentant des relations fonctionnelles (RRF), avant le début de la participation de l'IHIT dans le cadre de l'affaire en cause. Je remarque que le RRF a justifié sa rencontre avec les membres en cause avant les enquêteurs de l'IHIT en expliquant qu'il était préoccupé par leur bien-être émotionnel. Le RRF a précisé qu'il n'a discuté d'aucun détail de l'incident avec les membres en cause le soir de l'incident ou à des réunions ultérieures avec eux.

Comme je l'ai indiqué dans la section du présent rapport, intitulée Notes des membres intervenants, la qualité et l'importance des notes prises par les membres en cause me préoccupent. Dans le même ordre d'idées, la qualité des notes prises par le RRF m'inquiète. Les notes du RRF relativement au matin de l'incident (14 octobre 2007) et à sa rencontre avec les quatre membres impliqués tiennent sur une page et une ligne sur une deuxième page dans un petit calepin. Le RRF n'a conservé aucune note de toutes ses réunions ultérieures avec les membres en cause.

Le RRF a décidé de citer mot à mot les paroles du caporal Brassington de l'IHIT lorsqu'il a demandé aux membres en cause de produire leur déclaration, mais il a omis de noter les conseils qu'il a prodigués aux quatre membres pendant qu'ils se trouvaient au bureau annexe à l'aéroport international de Vancouver quant à leur obligation de donner un compte rendu de leurs actes ou de fournir une déclaration officielle aux enquêteurs de l'IHIT.

Selon les fondements du processus d'enquête, on doit séparer les témoins immédiatement afin de les soustraire à toute occasion qu'ils pourraient avoir d'harmoniser leur témoignage ou d'échafauder une version des événements. Les réunions, comme celles avec le caporal Ingles, me préoccupent en raison de la possibilité d'une influence ou d'une participation inappropriée à une enquête. Cet aspect est abordé plus en détail dans la section (ci-après) intitulé Déclarations des membres de la GRC.

En raison du manque de détails sur le compte rendu des événements, allié à la réunion des membres ensemble et avec le RRF, la crédibilité des membres et la fiabilité que je peux accorder à leur version des événements s'en trouvent considérablement diminuées.

Je remarque que, dans le témoignage des membres pendant l'enquête Braidwood, chacun a précisé que des aspects de son compte rendu des événements entourant le décès de M. Dziekanski étaient inexacts. En fait, je ne dispose d'aucun élément de preuve permettant de confirmer que des aspects des comptes rendus des membres au sujet des événements ont été échafaudés, que les membres ont été de connivence dans leur compte rendu ou qu'ils ont agi de manière à tromper intentionnellement.

Conclusion
Je n'admets pas l'exactitude des versions des événements présentées par les membres en cause parce que j'estime que l'exposé et l'exactitude des souvenirs des membres comprennent des divergences importantes et significatives lorsqu'on les compare aux éléments de preuve autrement incontestés sur la bande vidéo. Dans leur déclaration, les membres ont répondu à de nombreuses questions en mentionnant qu'ils ne pouvaient pas se rappeler en détail les événements qui se sont déroulés. Le fait que les membres se sont réunis ensemble et avec le RRF avant de fournir les déclarations m'incite à remettre davantage en question leur version des événements.

Conclusion
La conduite des membres qui sont intervenus est loin de correspondre à celle à laquelle la population canadienne s'attend de la part des membres de la GRC et d'être conforme aux politiques de la GRC. Les membres ont montré qu'ils n'avaient pas réellement tenté de désamorcer la situation et qu'ils ne sont pas intervenus en adoptant une approche mesurée, coordonnée et appropriée.

Conclusion
Les membres n'ont pas adéquatement suivi les principes de leur formation sur le modèle CAPRA et le MIGI lorsqu'ils ont évalué le comportement de M. Dziekanski et, par conséquent, le risque qu'il présentait. L'intervention était donc supérieure au niveau requis et acceptable, contrairement au MIGI et au modèle CAPRA de la GRC.

Conclusion
Comme la GRC classifie l'AI comme une arme intermédiaire et qu'elle fournit à ses membres une formation appropriée pour l'utilisation de l'AI, dans les situations représentant une faible menace parce qu'il s'agit d'un moyen de maîtriser un sujet qui est relativement moins dommageable, les membres qui sont intervenus n'ont pas pleinement apprécié la nature de l'AI en tant qu'arme, et ils y ont eu recours trop tôt.

Première allégation – La conduite de la GRC et le décès de M. Dziekanski

Partie B

Dans cette partie du rapport, il sera question de ce que je considère comme étant les aspects secondaires de l'interaction entre les membres de la GRC et M. Dziekanski. Pour une analyse plus complète des questions, veuillez consulter les annexes mentionnées dans le rapport.

Il incombe aux organismes de surveillance civile de la police de veiller à ce que l'examen minutieux des enquêtes soit effectué de manière impartiale et objective. À cette fin, j'ai soigneusement examiné la conduite des membres de la GRC qui ont répondu à la plainte au sujet de M. Dziekanski à l'aéroport international de Vancouver. De plus, j'ai examiné attentivement l'enquête de l'IHIT de Vancouver concernant le décès de M. Dziekanski pour cerner les enjeux pertinents à ma plainte.

Le temps jouait en la faveur des membres de la GRC faisant partie du Groupe intégré des enquêtes sur les homicides (IHIT) qui ont participé à l'enquête sur le décès de M. Dziekanski, et ils avaient la capacité de mener méthodiquement leur enquête. Les premiers intervenants, les quatre membres de la GRC qui se sont rendus sur les lieux, n'ont pas pu se permettre de prendre beaucoup de temps pour vérifier les faits ou les hypothèses.

Le public s'attend à ce que les premiers intervenants et les personnes procédant à l'enquête ultérieure reçoivent une formation et des directives suffisantes pour qu'ils soient au courant des lois et des politiques applicables et qu'ils s'y conforment. Le public s'attend également à ce que les documents directeurs et les politiques soient raisonnables.

Nature de l'AI

L'AI est une arme à feu prohibéeNote de bas de page 34. La Commission maintient fermement sa position : utilisée adéquatement, l'AI peut se révéler un outil efficace pour la GRC. La Commission a également maintenu que l'AI cause une douleur intense, qu'elle peut exacerber un état sous-jacent et qu'elle a été utilisée dans des situations où il n'est pas justifié de le faire et qui contreviennent à la politique de la GRC (appelé « usage exponentiel »).

À l'inverse, dans divers milieux, on prétend que l'AI est une solution de rechange viable à la force mortelle, que son utilisation entraîne un risque moindre de blessure pour les membres des services de police qui interviennent et la personne sur qui l'arme est déchargée et qu'il s'agit, en fait, d'une méthode beaucoup plus humaine de maîtriser une personne qui résiste à son arrestation ou qui est difficile à maîtriser.

La réalité se heurte à ces prétentions : l'AI pouvant également être considérée comme un outil de contrainte par la douleur, la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) est susceptible de s'appliquer en raison de la nature et de la façon dont l'AI est utilisée dans certaines situations. Les tribunaux ont statué que l'utilisation de l'AI dans des situations cruelles et inhabituelles contrevenait à divers articles de la Charte et équivalaient à un abus de procédure, ce qui donne lieu à l'arrêt des procédures criminelles intentées contre l'accuséNote de bas de page 35.

L'AI peut être utilisée de deux façons : en mode sonde ou en mode paralysant. En mode sonde, on décharge l'arme en projetant une cartouche munie de sondes qui se fixent au corps du sujet et qui sont reliées à l'AI au moyen de fils électriques. En mode paralysant, les électrodes de l'AI sont appuyées directement sur la personneNote de bas de page 36.

Plus importante encore est la question visant à déterminer si les policiers sont conscients de la nature et de l'intensité de la douleur infligée. Comme on le souligne dans le présent rapport, les membres semblent ne pas s'être demandé si l'application d'une technique de contrainte par la douleur était justifiée dans cette situation. Même si l'AI est en fait une arme à feu prohibée, le MIGI en vigueur à la date du décès de M. Dziekanski classait l'AI comme une option de recours à la force dont le degré était intermédiaire et donc d'un type équivalent à celui de l'aérosol capsiqueNote de bas de page 37.

La norme de formation de la GRC concernant le cours sur l'AI prévoit l'exposition volontaire des participants à l'envoi d'une décharge de l'AI, mais la durée autorisée est limitée à deux secondes, même si des membres ont subi le cycle complet de cinq secondes. La décharge d'une AI est de cinq secondes à la première utilisation, mais l'utilisateur peut l'interrompre.

Comme il en est question dans le présent rapport à l'annexe K, une étude commandée par la Société Radio-Canada (SRC), et publiée le 2 décembre 2008Note de bas de page 38, s'est penchée sur les impulsions de certains pistolets TASERMD. En outre, le gouvernement de la Colombie-Britannique a effectué des essais concernant un certain nombre de ses Taser, modèle M26, et a conclu que :

(...) 80 % de ces appareils n'ont pas fonctionné selon les spécifications du fabricant. Ils ont également montré que 90 % de ces appareils produisaient moins d'électricité que prévu et pouvait présenter un risque pour la sécurité tant du public que des membres des services de policeNote de bas de page 39.

Par conséquent, le 1er juin 2009, la GRC a retiré approximativement 1 600 AI M26 à l'échelle nationale en attendant les résultats des essais ou le remplacement de certaines unités par le modèle X26 plus récent. La GRC a également effectué des essais indépendants et aléatoires de certaines de ses AI, comme l'ont fait certaines provinces.

Les documents relatifs à la formation de TASER International soulignent qu'aucun décès n'a été attribué au TASERMD, mais on laisse sous-entendre que, dans une situation où la personne montre certains signes, p. ex., un comportement étrange ou violent, une respiration irrégulière ou des pertes de conscience, il convient de demander immédiatement une assistance médicaleNote de bas de page 40. De plus, trois bulletins de formation de TASER International, publiés en 2005, 2006 et 2007, appuient cette suggestion.

La politique a invariablement reconnu la nécessité d'évaluer d'autres options d'intervention pour calmer ou maîtriser un suspect et a exigé, dès le début (sauf dans une situation opérationnelle qui exclurait une telle étape), que les membres s'identifient en tant qu'agents de la paix et lancent un avertissement avant d'utiliser l'AINote de bas de page 41.

La norme de formation de la GRC concernant le cours sur l'utilisation de l'AINote de bas de page 42 a été créée en juillet 2001 et modifiée en mai 2002 et le 12 octobre 2005. Le cours sur l'AI de la GRC est d'une durée de 16 heures. La norme de formation indique que ce temps alloué permet aux instructeurs d'enseigner la matière requise et prévoit du temps pour la mise en pratique et la formation fondée sur des scénarios.

La GRC semble admettre que l'AI est une option fiable et moins dommageable pour maîtriser les personnes qui sont visées par les paramètres de l'utilisation acceptable de l'AI. En appui à cette position, la GRC invoque souvent les études financées par Taser International qui abondent en en ce sens. La Commission a noté diverses questions liées à la recherche méthodologique financée par Taser International, en particulier, mais sans s'y limiter, le fait que le fabricant semble formuler des allégations non fondées qui sont très difficiles à vérifier de façon indépendante, son recours à de petits groupes témoins de volontaires en santé qui ne reflètent pas les réalités opérationnelles et un manque général de recherche totalement indépendante.

Mais au-delà de ce qui précède se trouve la question du contrôle de la qualité. Depuis la mise en place initiale des AI en 2001, la politique de la GRCNote de bas de page 43, jusqu'à ce qu'elle soit retirée du Manuel des opérations du 8 août 2007 (la version en vigueur à la date du décès de M. Dziekanski), exigeait ce qui suit :

L'armurier principal doit :

  1.  tenir un registre à jour des AI dont la GRC a fait acquisition;
  2.  maintenir un programme d'assurance de la qualité pour la vérification et l'évaluation des AI et des munitions;
  3.  remplacer toute AI défectueuse.

Malgré le fait qu'on ait retiré de la politique l'exigence relative à la mise en œuvre d'un processus de contrôle de la qualité, la Commission a expressément demandé à la GRC d'indiquer le processus lui permettant d'assurer le contrôle de la qualité à l'égard de ses AI.

La GRC a répondu que, essentiellement, le seul processus de contrôle de la qualité utilisé en ce qui a trait aux AI est que l'armurier de la GRC à Regina (Saskatchewan) examine les armes dès leur réception avant leur distribution à l'échelle du pays. L'examen ne vise pas à évaluer la conformité ou l'uniformité de la tension existante lors de la décharge, mais à déterminer si l'unité est enregistrée avec le bon numéro de série, si le bloc-piles s'insère bien, si l'horloge interne est réglée au temps moyen de Greenwich et si les viseurs sont alignés. Il effectue un test d'étincelles, mais il s'agit d'un test manuel visant à garantir visuellement qu'il y a bien une étincelle entre les électrodes. Il n'y a pas d'évaluation de la tension réelle envoyée par l'unité.

La réponse n'indique pas que les AI sont régulièrement ou habituellement retournées à l'armurier pour des essais de tension; par conséquent, je présume donc qu'elles ne le sont pas. La politique en vigueur à la date de l'incident survenu à l'aéroport international de Vancouver exigeait que l'AI soit retournée à l'armurier si on constatait qu'elle fonctionnait mal ou qu'elle était défectueuse ou encore pour le téléchargement des données dans le cadre d'une enquêteNote de bas de page 44.

Même si les AI font actuellement l'objet d'essais indépendants dans le cadre d'une vérification interne continue à la GRC (voir l'annexe L, intitulée Formation sur l'AI), j'estime que la procédure de la GRC ne correspond pas à un niveau adéquat de contrôle de la qualité. Selon moi, un niveau adéquat de contrôle de la qualité comprendrait une évaluation de la capacité de l'arme de fonctionner selon les paramètres normalisés, et ce, dès sa réception. Je m'attendrais également à ce que les AI fassent l'objet d'essais techniques réguliers visant à garantir leur fiabilité en tout temps.

Recommandation
Que la GRC examine le programme d'évaluation de la qualité des AI actuellement en vigueur et détermine s'il convient de l'étoffer afin de garantir un degré élevé de confiance à l'égard de l'utilisation des AI en service.

Évolution de la politique de la GRC sur l'utilisation de l'AINote de bas de page 45

L'utilisation de l'AI à la GRC a été initialement approuvée en 2001. La GRC a adopté une politique régissant l'utilisation de l'AI, et cette politique a été modifiée à un certain nombre de reprises au fil du tempsNote de bas de page 46. Dans la plus récente version révisée, diffusée par la GRC le 27 janvier 2009, la politique a été modifiée pour indiquer que les personnes extrêmement agitées ou délirantes peuvent être exposées à un risque élevé de décèsNote de bas de page 47 et pour préciser que les membres de la GRC doivent demander proactivement une assistance médicale si l'AI est utilisée à l'endroit de ces personnesNote de bas de page 48. De plus, le commissaire de la GRC a déterminé que l'AI ne doit être utilisée que dans les circonstances où il y a menace à la sécurité des agents ou du publicNote de bas de page 49.

Jusqu'à l'adoption de la version actuelle de la politique de la GRC sur l'utilisation des AI, la notion de délire excité était incluse dans la politique. Au cours d'une entrevue à la radio le 6 janvier 2009, le commissaire Elliott de la GRC a indiqué qu'il a demandé qu'on supprime l'expression « délire excité » dans la politique de la GRC. On voulait ainsi éviter que les membres de la GRC établissent ce que l'on pourrait appeler un diagnostic médical lorsqu'ils doivent intervenir et qu'ils doivent déterminer l'option de recours à la force appropriée. Comme on l'a souligné, l'expression est désormais effacée de la version révisée du Manuel des opérations de la GRC émise en janvier 2009Note de bas de page 50 et remplacée par la mention personnes extrêmement agitées ou délirantes, ce qui englobe un groupe de personnes plus vaste manifestant un comportement qui représente un risque pour elles-mêmes, la police ou autrui.

Soins médicaux après l'utilisation de l'AI

Depuis l'introduction de l'arme, on a envisagé, conformément à la politique de la GRC sur l'utilisation des AI, d'assurer les soins médicaux à quiconque avait été exposé à l'AI. C'est au membre ou aux membres en cause qu'il incombe de prendre la décision concernant ces soins, qui ne sont pas obligatoiresNote de bas de page 51. Il semble qu'on a d'abord supposé que le sujet sera lucide et en mesure de se déplacer après l'utilisation de l'AI puisque la politique exige que, dans la mesure du possible, le membre de la GRC transporte le suspect vers un centre médical pour examen et qu'il consigne toute blessure ou toute détresse d'ordre médical ou physique observée causées par l'arme à impulsionsNote de bas de page 52. La politique en vigueur à la date de l'incident survenu à l'aéroport international de Vancouver reconnaissait la gravité de l'état éventuel d'agitation du sujet avant l'utilisation et la nécessité de fournir des soins médicaux, particulièrement dans ces cas; la politique actuelle exige l'intervention du personnel médical professionnel, le cas échéantNote de bas de page 53.

Les mises en garde de nature médicale comme celles-là n'attirent pas l'attention des membres de la GRC sur le fait que l'AI inflige une forte douleur à la personne à l'endroit de laquelle elle est utilisée et que l'utilisation de l'arme peut être mortelle. À mon avis, si on veut maintenir la confiance du public à l'égard de la capacité des membres de la GRC d'utiliser l'AI comme il se doit, la GRC doit montrer que ses membres l'utilisent de manière judicieuse et avec discernement. On ne doit pas utiliser l'arme de façon précipitée. Pour atteindre ce but, je crois que la GRC doit modifier sa structure de formation pour faire ressortir les dangers inhérents à l'utilisation de l'AI par les membres.

Comme je l'ai déclaré devant la Commission Braidwood :

Si l'État ou ses représentants veulent introduire un instrument à utiliser contre les membres du public, ils ont le fardeau de démontrer le niveau de risque pour le public que présente le recours à cet appareil. En cas d'ambigüité ou d'incertitude, ce doute doit être résolu en faveur du citoyen.

À la date à laquelle a eu lieu l'incident à l'aéroport international de Vancouver (octobre 2007), la GRC avait classé l'AI dans la catégorie des dispositifs intermédiaires. À l'époque, la politique de la GRC prévoyait que les armes faisant partie de cette catégorie pouvaient être utilisées à l'endroit de sujets manifestant un comportement résistant ou plus menaçant, notamment un comportement combatif.

Lorsque les membres font face à des situations qui représentent une menace de mort ou de lésions corporelles graves, la formation leur a enseigné que l'AI est appropriée seulement si un autre membre peut exercer une force dominante pouvant être mortelle. Cela signifie qu'au moins un autre membre doit avoir dégainé sont arme à feu et d'être prêt à tirer si l'AI est défectueuse ou se révèle inefficace, c.-à-d. que la menace n'est pas neutralisée.

Dans l'incident survenu à l'aéroport international de Vancouver, trois autres membres de la GRC étaient présents et avaient leur arme à feu réglementaire. Pendant son enquête, l'IHIT n'a pas examiné la force dominante pouvant être mortelle dans les déclarations des membres intervenants de la GRC, qui sont intervenus dans le cadre de l'affaire en cause, car elle n'était pas pertinente dans les circonstances.

Les autopsies effectuées sur des personnes décédées à la suite de l'utilisation de l'AI et les études scientifiques n'ont pas établi de lien de causalité entre le recours à l'AI et le décès. À mon avis, en dépit du manque de preuves scientifiques indiquant que l'AI est la cause du décès ou un facteur contributif important à cet égard, d'un point de vue de politique publique, nous devons faire preuve de circonspection. Dans la politique, la GRC admet que l'AI peut présenter un risque pour les personnes extrêmement agitées; par conséquent, l'hypothèse devrait être que l'AI peut causer des dommages contrairement au point de vue habituellement adopté par les policiers selon lequel l'AI est une option acceptable et moins dommageable pour effectuer une arrestation.

Je ne sous-entend pas que l'AI ne devrait pas être utilisée. Toutefois, je conseille qu'elle ne soit utilisée que dans les cas où il est justifié et nécessaire de le faire. L'hypothèse devrait être la suivante : l'AI présente un risque inhérent et, à moins et jusqu'à ce qu'on puisse clairement démontrer le contraire, on devrait privilégier une utilisation moins fréquente.

Utilisation appropriée de l'AI

Dans l'analyse de l'utilisation appropriée de l'AI, il est essentiel que, on soit conscient du fait que l'AI inflige une douleur intense à la personne visée par l'utilisation, que ce soit en mode sondes ou en mode paralysant. Par conséquent, en raison de la nature de l'arme, son utilisation doit être justifiable, judicieuse et proportionnelle à la situation.

J'ai déjà fait connaître ma position sur la question il y a quelque temps. Dans mon rapport provisoire de décembre 2007Note de bas de page 54 sur l'utilisation de l'AI à la GRC, j'ai déclaré :

Ces derniers mois, les incidents tragiques associés à l'utilisation de l'AI ont accentué l'intérêt du public à l'égard de l'arme. La GRC compte sur les études portant sur la sécurité relative des AI en tant que technologie moins meurtrière. Toutefois, bon nombre de ces mêmes études soulignent le manque de recherche se rapportant aux « groupes à risque ». Il est impératif que l'on poursuive les recherches visant à établir les niveaux de sécurité pour les « groupes à risque » et à déterminer si, en vertu de la symptomatologie même de ces groupes (c.-à-d. consommation de drogue ou troubles mentaux), ils peuvent être exposés à un nombre disproportionné d'interventions policières où l'utilisation de l'AI peut être jugée appropriée.

De plus, il est essentiel d'apprécier le degré de douleur associé à l'AI afin que l'on puisse non seulement garantir l'utilisation appropriée de l'arme, mais également éviter ce que la Commission a qualifié d'« usage exponentiel », soit la tendance à utiliser l'AI dans les situations pour lesquelles son usage n'était pas autorisé par la politique de la GRC. Comme je l'ai également souligné dans mon rapport de décembre 2007Note de bas de page 55 sur l'utilisation de l'AI :

L'approche adoptée par la GRC illustre clairement un changement dans l'usage autorisé par rapport à l'intention initiale en 2001 qui était plus restrictive : l'arme devait être utilisée pour maîtriser les suspects qui résistaient à l'arrestation, avaient un comportement « combatif » ou qui étaient suicidaires. La Commission qualifie cet usage répandu et moins restrictif d'« usage exponentiel ». Ainsi, l'arme est utilisée en dehors des objectifs énoncés, comme l'ont démontré les cas examinés par la Commission au cours des six dernières années où les sujets ont affiché des comportements qui étaient manifestement non combatifs ou ceux où il n'y avait pas de résistance active.

TASER International mentionne que l'AI en mode sonde ne mise pas sur la douleur pour contraindre une personne à obtempérer. Dans les documents relatifs aux effets de l'utilisation de l'AI, on indique que l'AI inflige une douleur plus bénigne que celle réellement ressentie. Pratiquement chaque personne ayant subi une décharge de l'AI, volontairement ou involontairement, parle d'une expérience extrêmement douloureuse (comme il est indiqué ci-après). La formation de la GRC sur l'utilisation de l'AI traite de la douleur infligée par l'arme d'une façon relativement limitée et sommaire.

Comme je l'ai noté dans mon rapport final de juin 2008 sur l'utilisation de l'AI à la GRCNote de bas de page 56 :

Lorsque l'arme est utilisée en mode sonde, il est rare que plus d'une (1) cartouche soit tirée (dans seulement 7,6 % [sic] de tous les cas). Par contre, le mode paralysant est susceptible d'être utilisé à de multiples reprises. Lorsque seul le mode paralysant est utilisé, il est utilisé à deux reprises ou plus dans 40 % des cas. Ce fait est important et confirme une préoccupation soulevée à plusieurs occasions par la Commission : le mode paralysant est le plus susceptible de faire l'objet d'un « usage exponentiel ».

Cela s'avère également dans le cas de M. Dziekanski. L'AI a été utilisée en mode sonde au-delà de la norme. En outre, j'estime que la façon dont elle a été utilisée en mode paralysant était inappropriée. Mes rapports antérieurs sur l'AI ont cerné ce type d'utilisation inappropriée.

Dans ses séances de formation à l'intention du personnel de « formation des formateurs » des services de policeNote de bas de page 57, TASER International enseigne que l'utilisation de l'AI en mode sonde cause l'inhibition du système nerveux central dans le but de neutraliser le sujet. La formation indique que l'AI ne mise pas sur la douleur pour amener une personne à obéir. Elle inhibe le système nerveux central et cause l'incapacité.

D'après le MIGI, les dispositifs intermédiaires, qui incluent l'aérosol capsique et l'AINote de bas de page 58. La formation fournie non seulement aux membres de la GRC, mais également aux utilisateurs de l'AI en général, renforce la notion selon laquelle l'AI est une option sûre et efficace pour maîtriser une personneNote de bas de page 59. La question de la sécurité relative de la personne visée par l'utilisation de l'AI n'est pas claire, et on ne sait pas non plus si la police est consciente du fait que l'AI est, d'abord et avant tout, un moyen de contrainte qui cause l'incapacité chez le sujet par le contrôle neurologique des muscles et la douleur, lorsque l'AI est utilisée en mode sonde, et uniquement par une puissante douleur localisée lorsqu'elle est employée en mode paralysant.

Il est crucial de faire preuve de discernement lorsqu'on prend la décision d'utiliser l'AI. Des membres de la police semblent ne pas bien comprendre la nature de l'AI en tant qu'arme, c.-à-d. le niveau extrême de douleur associé à son utilisation ou le risque qu'elle présente pour la santé du sujet, parce que la formation qu'ils reçoivent n'exige pas qu'ils procèdent à de telles analyses au moment de choisir d'avoir recours à l'AI.

À la lumière de ce qui précède, je maintiens mon point de vue quant à la douleur infligée par l'AI, comme je l'ai exprimé dans mon rapport provisoire du 11 décembre 2007 intitulé Utilisation de l'arme à impulsions (AI) à la GRCNote de bas de page 60 :

Peu importe le mode employé, il convient de souligner que les sujets éprouveront de la douleur. Toutefois, il semble qu'on ait accordé peu d'attention au niveau de douleur infligé par l'utilisation de l'AI. L'utilisation des AI a fait l'objet d'un examen dans R. c. Hannibal, 2003 BCPC 0504. Dans cette affaire, où un membre de la GRC a été accusé de voies de fait à la suite d'un incident survenu en août 2001, voici ce qu'a déclaré la juge Challenger : « Aucune étude n'a été faite en ce qui concerne l'expérience de recevoir une décharge de pistolet Taser en comparaison des techniques de contrôle à mains nues ». Toutefois, un rapport d'Amnistie Internationale contenait les anecdotes suivantes :

D'après Taser International, les Taser comptent parmi les quelques armes non meurtrières capables d'immobiliser une personne sans la blesser. La société indique que toute douleur ressentie est passagère et ne comporte aucune répercussion. Pourtant, les policiers qui ont reçu une décharge d'une fraction seulement de la durée normale d'une utilisation dans le cadre de leur formation disent avoir ressenti une douleur vive :

« Bjornstad, qui a reçu une décharge d'une seconde et demie dans le cadre de sa formation, a affirmé que tous ses muscles se sont contractés et que le choc était semblable à celui causé par une prise électrique, mais plus violent encore. Ceux qui ont vécu l'expérience ne l'oublieront jamais... Je ne recommande cela à personne. C'est très désagréable... c'est le moins qu'on puisse dire ». (The Olympian, 14 octobre 2002)

« C'est comme recevoir cent coups de suite, mais dès que ça arrête, tout va bien ». (The Olympian, 2 mars 2002)

« C'était terrible. Quelle douleur. Je penserai deux fois avant d'utiliser cette arme contre quiconque ». (Propos de deux policiers cités dans le Mobile Register, 8 avril 2002)

« Je n'ai jamais ressenti une douleur aussi pénétrante. Les gens vous obéissent, car ils ne veulent recevoir une deuxième décharge ». (Commentaires d'un consultant en armes à feu cités dans The Associated Press, 12 août 2003)

« Il s'agit des cinq secondes les plus longues de votre vie... c'est extrêmement douloureux, cela ne fait aucun doute. Personne ne voudrait recevoir un deuxième décharge ». (Shérif de comté, cité dans The Kalamazoo Gazette, Michigan, 7 mars 2004) :

En évaluant les aspects négatifs de l'utilisation de l'AI, la juge Challenger a écrit :

« La GRC ainsi que d'autres services de police devraient tenir compte du fait que le Taser peut causer des brûlures superficielles et des dommages aux tissus, entraînant ainsi des croûtes et des cicatrices. Le Taser provoque une douleur intense et peut aussitôt complètement immobiliser une personne. Si un policier peut contrôler les techniques traditionnelles de contrainte par la douleur qu'il utilise, il en est autrement pour le Taser, qui cause une douleur constante » [c'est nous qui soulignons].

L'aspect « douleur » lié à l'utilisation de l'AI demeure un sujet largement anecdotique et n'a pas été suffisamment étudié pour que l'on puisse déterminer la pertinence de son utilisation dans le cadre des interventions des services de police.

Statistiquement, l'utilisation de l'AI cause relativement peu de blessures graves ou de décès par rapport au nombre de fois où elle est utilisée. Les statistiques ne tiennent cependant pas compte de la nature de l'AI en tant qu'arme et si son utilisation était appropriée dans les circonstances. Je crois que l'étude également pertinente, par conséquent, devrait non pas porter sur le nombre de personnes ayant été gravement blessées ou étant décédées pendant l'utilisation de l'AI ou à la suite de son utilisation, mais sur la pertinence de l'utilisation de l'AI dans des situations données.

Étant donné les blessures causées par l'utilisation de l'AI, il incombe aux services de police de démontrer que l'AI est une option valable dans les situations particulières où elle est utilisée. Il ne suffit pas d'indiquer des statistiques montrant que, la plupart des cas d'utilisation de l'arme, le sujet n'a pas subi de blessure grave ou prolongée. La justification de son utilisation doit inclure une appréciation de la nature de l'AI, c.-à-d. que le niveau de douleur infligé et le risque de lésions corporelles graves ou de décès pour la personne étaient appropriés et nécessaires dans une situation donnée.

Comme on l'a déjà indiqué, le 27 janvier 2009, la GRC a modifié sa politique stipulant que l'AI peut être utilisée seulement si le membre de la GRC, après avoir tenu compte de toutes les circonstances, estime que sa sécurité ou celle du public est menacéeNote de bas de page 61. Toutefois, on peut se demander de quelle façon les membres interpréteront la notion de « menace ». Ce changement, qui crée une confusion quant à l'utilisation appropriée des armes de la police, empêche la Commission de déterminer si la modification sera à la hauteur de ce qu'avait prévu la Commission lorsqu'elle a formulé la recommandation dans ses rapports antérieurs à l'intention de la GRC. Elle mise beaucoup trop sur l'appréciation subjective du membre concernant les événements sans offrir le bien-fondé objectif de la politique permettant d'évaluer la conduite. La préoccupation de la Commission à cet égard est que l'absence de lignes directrices claires peut très bien continuer à favoriser « l'utilisation exponentielle » au sein de l'organisation et les cas individuels d'utilisation inappropriée de l'AI qui ont fait l'objet d'un examen et d'observations de la part de la Commission, y compris le présent incident.

Ce qui complique la question, ce sont les déclarations récentes des provinces de la Colombie-Britannique et de l'Alberta à propos de leur position respective face au seuil de menace que les membres de la police doivent respecter et qui doit être établi avant le recours à l'AI. En particulier, il n'est pas indiqué clairement si la nouvelle politique de la GRC concernant ce seuil peut concorder ou concordera avec ces normes provinciales. De plus, le commissaire Braidwood a été catégorique en déclarant qu'un risque clair et imminent de lésions corporelles doit être présent pour justifier l'utilisation d'une AI. Il semble que ce seuil soit considérablement plus élevé que celui qu'envisage la politique actuelle de la GRC. Reste à savoir quelles modifications il faudra apporter à la politique applicable de la GRC afin de respecter ces politiques provinciales tout en maintenant une norme nationale uniforme pour tous les membres de la GRC.

Je suis d'accord avec l'approche de la GRC visant à fournir des contrôles plus rigoureux quant à l'utilisation de l'AI, mais je ne suis pas convaincu du fait que ce nouveau seuil satisfait à ce critère. De plus, la précision requise quant à l'utilisation de l'arme doit comprendre à la fois des éléments objectifs et subjectifs. Le membre doit légalement se trouver là où I'AI est utilisée, il doit avoir une conviction subjective selon laquelle les dommages qui pourraient être causés par l'AI sont raisonnables dans les circonstances, et la conduite du membre doit être raisonnable aux yeux d'une personne indépendante et objective face à la même situation.

Les membres de la GRC doivent suivre une formation leur imposant de faire preuve d'une plus grande circonspection au moment de recourir à l'AI. Bien que la formation de la GRC comprenne l'exposition volontaire à l'AI, une telle exposition a clairement lieu dans le contexte d'une situation maîtrisée afin de garantir la sécurité du membre exposé à la décharge et dans une situation non conflictuelle. Manifestement, il est impossible de reproduire les situations sur le terrain.

Recommandation
Que la GRC continue de participer à la recherche indépendante actuelle sur l'utilisation et l'effet de l'AI et qu'elle se tienne au courant à cet égard.

Recommandation
Nonobstant le fait que la GRC a modifié sa politique (en janvier 2009) de manière à ce que l'AI soit utilisée en réponse à une menace à la sécurité d'un membre de la GRC ou d'un membre du public selon l'évaluation par un membre de toutes les circonstances, la GRC doit préciser, à l'intention de ses membres et du public, les circonstances appropriées justifiant l'utilisation de l'AI et le seuil de menace servant à déterminer la pertinence de cette utilisation.

Recommandation
Que la GRC envisage d'examiner sa formation visant à garantir que ses membres connaissent bien la nature potentiellement dangereuse de l'arme et à faire en sorte que la formation donnée aux membres les aide à évaluer adéquatement les situations justifiant l'utilisation de l'AI en tenant compte du degré de douleur infligé au sujet et le résultat que pourrait avoir une telle utilisation.

Pertinence de la réponse de la GRC

Pour reprendre, la plainte déposée par le président relativement à l'interaction entre les membres de la GRC et M. Dziekanski avait trait à la conduite des membres de la GRC qui sont intervenus conformément aux politiques, procédures, lignes directrices et exigences obligatoires en ce qui concerne l'interaction avec M. Dziekanski. D'autres détails et une analyse approfondie de ces politiques et exigences sont fournis ci-après.

Ainsi que je l'ai déjà souligné, la Direction générale de la justice pénale de la Colombie-Britannique a fait état de la décision visant à déterminer s'il était justifié de porter des accusations au criminel dans ce cas, et le présent rapport ne s'attardera donc pas sur ce point.

Politique applicable de la GRC

Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents

La GRC applique le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI), qui lui sert à former et à orienter ses membres en matière de recours à la forceNote de bas de page 62, à promouvoir l'évaluation du risque et à décrire les divers niveaux de résistance, les comportements et les options raisonnables d'interventionNote de bas de page 63. À la date du décès de M. Dziekanski, le MIGI était fondé sur les sept principes suivants :

  1. L'objectif premier de toute intervention est la sécurité du public.
  2. La sécurité du policier est essentielle à la sécurité du public.
  3. Le modèle d'intervention doit toujours être appliqué dans le contexte d'une évaluation minutieuse des risques.
  4. L'évaluation des risques doit toujours tenir compte de l'ampleur des dommages, des blessures et de la perte de vie.
  5. L'évaluation des risques est un processus continu et la gestion des risques doit évoluer à mesure que les situations changent.
  6. La meilleure stratégie consiste à choisir l'intervention minimale permettant de gérer les risques.
  7. La meilleure intervention est celle qui cause le moins de torts ou de dommages.

J'estime que ces deux derniers principes sont essentiels aux services de police fournis par la GRC, mais pour être en mesure d'intervenir adéquatement, les membres de la GRC doivent suivre une formation sur les diverses options d'intervention à leur disposition et être au courant de la nature de chacune d'elle. Comme je l'ai indiqué dans le présent rapport et dans d'autres rapports que j'ai présentés au sujet de l'utilisation de l'AI, je ne crois pas que la formation de la GRC enseigne une notion réaliste de la nature de l'AI en tant qu'arme. Les membres de la GRC n'ont donc pas la connaissance nécessaire des dommages possibles ni, par conséquent, de la nature générale de l'intervention à leur portée.

La GRC a modifié le MIGI en mai 2009. Les sept principes ont été réduits à six, et les voiciNote de bas de page 64 :

  1. La responsabilité première de tout agent de la paix consiste à préserver et à protéger la vie.
  2. Le principal objectif de toute intervention est la sécurité publique.
  3. La sécurité de l'agent de la paix est essentielle à la sécurité publique.
  4. Le MIGI a été élaboré en tenant compte des lois fédérales, de la jurisprudence et common law; il ne remplace pas la loi, ni ne s'y ajoute.
  5. Le modèle d'intervention doit toujours être appliqué dans le contexte d'une évaluation minutieuse des risques et tenir compte de la probabilité et de l'importance des pertes de vies, des blessures et des dommages à la propriété.
  6. L'évaluation du risque est un processus continu et la gestion des risques doit évoluer à mesure que les situations changent.

Je constate que les deux derniers principes énumérés dans le MIGI en vigueur à la date du décès de M. Dziekanski ont été retranchés du MIGI actuel. On pourrait soutenir que les principes antérieurs sont subsumés dans le nouveau MIGI, mais je suis d'avis que les principes tels qu'ils étaient énoncés auparavant exprimaient le besoin pour les membres d'utiliser le niveau d'intervention le plus bas possible que leur permette d'assumer leurs fonctions de manière efficace et en toute sécurité (compte tenu du besoin de garantir la sécurité de la police et du public).

De plus, je suis d'avis que, même si la formation de la GRC précise d'utiliser le moins de force possible, s'il y a lieu, il convient de souligner que le but principal consiste à désamorcer la situation.

J'estime que les principes adoptés par Sir Robert Peel en 1829 demeurent pertinents. Au cours de mon exposé au cours de la Commission Braidwood, j'ai énoncé quatre piliers sur lesquels, à mon avis, repose la confiance du public à l'égard de la police. Voici ce que j'ai déclaréNote de bas de page 65 :

Au Canada, les services de police sont fondés sur les principes directeurs de Sir Robert Peel. En fait, parmi ces principes, quatre me semblent primordiaux; ils sont aussi importants de nos jours qu'ils l'étaient pour Peel en 1829.

D'abord, il y a le fait que la police ne peut s'acquitter de ses fonctions que dans la mesure où ses actions sont approuvées par le public. Deuxièmement, il y a la réalité que la police est le public, et que le public est la police. Ce principe signifie que les policiers assument une obligation sociale globale, soit d'agir comme nos agents de la paix.

Troisièmement, la police ne doit avoir recours qu'au degré de force physique nécessaire pour assurer l'ordre public. Finalement, la police doit s'assurer de la coopération du public pour assumer ses fonctions.

Formation de la GRC

Des experts en recours à la force, qui enseignent aux agents de police les notions liées à la détermination du risque et au niveau approprié d'intervention, ont commenté le recours à la force contre M. DziekanskiNote de bas de page 66. Mon problème avec ces observations, c'est que je constate une logique circulaire à l'œuvre. Le sergent Brad Fawcett du service de police de Vancouver et le caporal Gregg Gillis de la GRC sont les experts en recours à la force qui ont commenté, avec approbation, la pertinence de la force employée par les membres qui sont intervenus. Ce sont les mêmes personnes qui présentent régulièrement des exposés aux policiers et des séances de formation. Par conséquent, d'un point de vue objectif, le parti pris possible à l'égard de la formation sur le recours à la force qui est offerte à la police est inhérent à la situation et doit être reconnu. Dans le cas présent, les observations formulées par le sergent Fawcett et le caporal Gillis au sujet de la pertinence de la force employée par les membres qui sont intervenus me préoccupe.

Si, dans la formation de la GRC, on considère que le recours à l'AI est approprié lorsque le comportement de la personne constitue le plus faible niveau de risque, les membres de la GRC y auront dont recours plus tôt et plus souventNote de bas de page 67. Ainsi, les agents de police auront tendance à recourir à l'AI plus tôt dans le processus en croyant, à tort, qu'il s'agit de l'intervention appropriée.

Si un agent de police agit en fonction de la formation qu'il a reçue, le formateur peut par la suite justifier les actes de l'agent en fonction de ce modèle de formation. Toutefois, si le modèle de formation est erroné, la justification ne peut pas rectifier la réaction de l'agent. Dans l'affaire en cause, je ne crois pas qu'il y a suffisamment de données empiriques pour admettre la position de la GRC selon laquelle on doit insister sur le fait que l'AI est une arme causant moins de dommages.

Le fait qu'un formateur ou des experts en recours à la force disent qu'un membre a agi conformément à la politique ne justifie pas les actes du membre si l'arme est en réalité plus dangereuse que ce que décrit la formation et, par conséquent, la politique sur la formation est elle-même fautive.

Les membres de la GRC sont formés au moyen du MIGI (dans sa version en vigueur le jour de l'incident) qu'ils utilisent la force minimale pour assurer le maintien de l'ordre, garantir la sécurité publique et réduire au minimum le risque et les dommages. Par conséquent, les membres de la GRC étaient tenus d'évaluer le comportement de M. Dziekanski et le niveau de danger ou de risque qu'il présentait donc pour lui-même, pour les membres de la GRC et pour le public en général et de prendre les mesures appropriées pour évaluer correctement la situation afin de gérer l'arrestation et de mettre sous garde M. Dziekanski en employant la force minimale requise.

Dans le plan de formation à l'École de la GRC de la Division Dépôt (Regina), on enseigne aux cadets les étapes de l'intervention d'un agent selon le MIGI, en commençant par la présence de l'officier et l'intervention verbale ainsi que les compétences en résolution de problèmes selon le modèle CAPRA. Ces aspects de la formation sont axés sur l'acquisition des aptitudes verbales requises auxquelles les agents de la paix ont recours lorsqu'ils sont confrontés à des situations potentiellement explosives. De plus, les cadets reçoivent une formation sur les techniques de négociation et de médiation et, à mi-parcours de leur formation à la Division Dépôt, ils commencent à employer ces techniques dans des mises en situation où certains interprètent le rôle des membres du public.

Le but est d'enseigner aux agents de la GRC à réagir de façon appropriée, à pouvoir cerner les circonstances où ils doivent utiliser les outils appropriés pour désamorcer une situation avant qu'elle ne dégénère et à utiliser ces outils.

Même si les cadets reçoivent une telle formation, je ne sais pas si les membres de la GRC bénéficient d'une formation continue en cours d'emploi visant à ce qu'ils demeurent conscients de ces techniques de désamorçage et à ce qu'ils continuent de les maîtriser.

Rapport sur le recours à la force

Le 3 mars 2008, le sergent Brad Fawcett, membre du service de police de VancouverNote de bas de page 68, a fourni aux enquêteurs de l'IHIT un rapport sur le recours à la force.

La participation du sergent Fawcett est attribuable à une lettre du 23 novembre 2007 en provenance du surintendant Wayne Rideout, officier responsable de l'IHIT, adressée au gendarme Jim Chiu, chef du service de police de Vancouver. Le surintendant Rideout a demandé les services du sergent Fawcett afin qu'il fournisse l'avis d'un expert sur la force utilisée par les quatre membres en cause. La lettre demandant l'aide du sergent Fawcett ne précisait pas la portée de l'examen que ce dernier devait entreprendre pas plus qu'elle n'indiquait que le sergent Fawcett devait évaluer les actes des quatre membres de la GRC par rapport à la politique de la GRC.

Pour un certain nombre de raisons énoncées à l'annexe O, j'estime que le rapport du sergent Fawcett n'est pas particulièrement instructif et je ne me suis donc pas fondé sur celui-ci.

Conclusion
Même si l'IHIT a retenu les services d'un expert en recours à la force, cet expert n'a pas fourni une orientation adéquate concernant les questions qu'il devait prendre en considération, la portée de son travail ou le mandat qu'on lui avait donné.

Test d'étincelles

Une question secondaire liée à l'utilisation de l'AI porte sur le besoin d'effectuer un test d'étincelles lorsque l'arme est prêtée contre signature et la consignation des résultats de ce test à la suite d'un incident. Les membres de la GRC sont tenus de remplir un rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions (formulaire 3996) après un incident au cours duquel une AI a été utilisée. Le gendarme Millington a rempli ce rapport; toutefois, la présentation du rapport (formulaire 3996) n'exige pas du membre qu'il indique si un test d'étincelles a été effectué avant l'utilisation de l'AI. Le Manuel des opérations de la GRC mentionne qu'un test d'étincelles est la seule méthode fiable approuvée pour évaluer l'état des piles NiMH et la fonctionnalité de l'AINote de bas de page 69. D'après le rapport d'utilisation de l'AI, le gendarme Millington a effectué un test d'étincelles lorsqu'il a signé le registre pour obtenir l'arme.

TASER International, le fabricant, a indiqué qu'un « test d'étincelles » est la seule méthode sur le terrain pour s'assurer du fonctionnement adéquat de l'AI. Il faut effectuer un test d'étincelles chaque fois qu'une AI est remise.

La GRC met actuellement à l'essai un formulaire appelé Comportement du sujet/ Intervention de l'agent (CS/IA) visant à saisir les données sur le recours à la force par un membre de la GRC, y compris dans les cas où il y a menace d'utiliser l'AI, lorsqu'elle est dégainée ou quand elle est utilisée. Je comprends que le formulaire CS/IA entrera en vigueur en 2010 et qu'il ne sera alors plus nécessaire de remplir le rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions (formulaire 3996) actuellement en usage.

Comme on l'a déjà noté, la pratique relative à l'utilisation de l'AI à l'aéroport international de Vancouver était que l'arme était prêtée au membre contre signature. La Commission a demandé une copie de la feuille du registre de contrôle sur laquelle le gendarme Millington aurait signé pour obtenir l'AI qu'il a utilisée les 13 et 14 octobre 2007. La GRC a mentionné que la feuille du registre de contrôle n'a jamais été saisie en tant que preuve pendant l'enquête de l'IHIT, et elle n'a pas été présentée depuis. La GRC croit que la feuille a vraisemblablement été détruite dans le cadre de ses procédés de gestion des documents.

Recommandation

La GRC doit :

  1. Modifier son formulaire rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions (AI) (formulaire 3996) de manière à ce que les renseignements relatifs à un test d'étincelles soient saisis dans le cadre du processus de déclaration de l'utilisation d'une AI (ou inclure cette exigence dans la future base de données du formulaire Comportement du sujet/Intervention de l'agent);
  2. Modifier son Manuel des opérations afin d'insister sur l'importance du test d'étincelles et d'indiquer clairement que le test est obligatoire pour confirmer le fonctionnement adéquat de l'AI.

Code de déontologie – Enquête interne

La GRC pouvait lancer une enquête interne sur les actes des membres qui sont intervenus et les agents des relations avec les médias, à la suite de l'enquête de l'IHIT sur le décès de M. Dziekanski, mais d'une manière indépendante de celle-ci, afin d'établir si une mesure disciplinaire était justifiée. Aucune enquête n'a été entreprise.

Le pouvoir d'ouvrir une telle enquête se trouve à l'article 40, à la partie IV de la Loi sur la GRCNote de bas de page 70.

Voici le libellé du paragraphe pertinent de la partie IV de la Loi sur la GRC :

40.(1) Lorsqu'il apparaît à un officier ou à un membre commandant un détachement qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au code de déontologie, il tient ou fait tenir l'enquête qu'il estime nécessaire pour lui permettre d'établir s'il y a réellement contravention..

Comme l'aéroport international de Vancouver est situé dans les limites du détachement de Richmond de la GRC, il incombait à l'officier responsable du détachement de Richmond d'ordonner la tenu d'une enquête en vertu du Code de déontologie. Après la conclusion d'une telle enquête, la décision revient alors à l'officier compétentNote de bas de page 71, habituellement le commandant divisionnaire de la division de la GRC où sert le membre dont la conduite est en cause, de décider si une mesure disciplinaire grave ou simpleNote de bas de page 72 doit être imposée ou si aucune mesure disciplinaire n'est justifiéeNote de bas de page 73.

Le Code de déontologie de la GRC se trouve aux articles 38 à 58.7 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988)Note de bas de page 74. Toutefois, aux fins de la présente analyse, les articles manifestement pertinents du Règlement dont l'officier responsable du Détachement de Richmond aurait pu tenir compte sont les suivants :

39. (1) Le membre ne peut agir ni se comporter d'une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie

(2) Le membre agit ou se comporte de façon scandaleuse lorsque, notamment :

  • a) ses actes ou son comportement l'empêchent de remplir ses fonctions avec impartialité;
  • b) à cause de ses actes ou de son comportement, il est trouvé coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable par procédure sommaire tombant sous le coup d'une loi fédérale ou provinciale. (DORS/94-219, art. 15)

45. Le membre ne peut sciemment ou volontairement faire une déclaration ou un rapport faux, trompeur ou inexact à un membre qui lui est supérieur en grade ou qui a autorité sur lui, relativement :

  • a) à l'exercice de ses fonctions;
  • b) à une enquête;
  • c) à sa conduite ou à celle d'un autre membre;
  • d) au fonctionnement de la Gendarmerie;
  • e) à l'administration de la Gendarmerie. (DORS/94-219, art. 18)

Assurément, le paragraphe 39(1) ci-dessus pourrait être pertinent si la conduite du membre qui est intervenu était considérée comme ayant jeté le déshonneur ou le discrédit sur la Gendarmerie. À la lumière des divergences entre les versions des événements relatés par les membres qui sont intervenus et la vidéo de M. Pritchard, l'officier responsable aurait pu déterminer si les membres en cause ont sciemment ou volontairement fait une déclaration fausse, trompeuse ou inexacte aux enquêteurs, en contravention de l'article 45. La même justification pourrait s'appliquer au motif concernant certains commentaires formulés par le sergent Lemaitre, l'agent initial des relations avec les médias (ARM).

La GRC n'a pas fourni à la Commission de renseignements concernant la possibilité qu'une telle enquête soit menée à la suite du décès de M. Dziekanski.

En dépit des recommandations que je pourrais formuler à cette étape-ci concernant l'examen de la décision de ne pas tenir une telle enquête, le résultat est sans importance puisque le paragraphe 43(8) de la Loi sur la GRC stipule que l'on ne peut convoquer une audience relative aux mesures disciplinaires concernant une contravention au Code de déontologie censément commise par un membre plus d'une année après que la contravention et l'identité de ce membre ont été portés à la connaissance du commandant divisionnaire de la région où sert le membre auquel on reproche sa conduite. L'officier responsable du détachement de Richmond et le commandant divisionnaire connaissaient l'identité des membres intervenants et les faits entourant le décès de M. Dziekanski le 14 octobre 2007.

Recommandation
Que la GRC examine ses processus et critères relativement à la tenue d'une enquête interne concernant la conduite de ses membres afin d'en garantir l'application uniforme à l'échelle du pays.

Accréditation des membres

Chacun des membres de la GRC qui sont intervenus avait obtenu l'accréditation relative à l'utilisation de l'AI. Le gendarme Millington avait l'AI sur lui pendant l'incident et qui l'a utilisée, a obtenu son accréditation en juillet 2007. Le caporal Robinson, chef de quart, avait les qualifications nécessaires, mais son accréditation était expirée depuis avril 2006. Les deux gendarmes Rundel et Bentley avaient une accréditation valide au sujet de l'utilisation d'une AI.

Au moment de l'incident, la politique de la GRC exigeait des membres qu'ils renouvellent leur accréditation en maniement d'une AI tous les trois ans. La politique a été modifiée, et les membres doivent désormais renouveler leur accréditation depuis tous les ansNote de bas de page 75.

En dépit de l'affirmation du caporal Robinson pendant son témoignage à l'enquête Braidwood selon laquelle son certificat de premiers soins n'était plus valide depuis 2002, les renseignements fournis par la GRC indiquent que chacun des membres qui sont intervenus détenait un certificat valide en premiers soins. Pour une analyse complète des accréditations détenues par les membres qui sont intervenus, veuillez voir l'annexe M.

Deuxième allégation – Enquête sur le décès de M. Dziekanski

Partie A

Cette partie du rapport portera sur ce que je considère comme étant les principaux aspects associés à l'enquête de l'IHIT sur le décès de M. Dziekanski. Pour une analyse plus complète des questions, veuillez consulter les annexes mentionnées dans le présent rapport.

Enquête du Groupe intégré des enquêtes sur les homicides (IHIT)

D'après son site Web, l'IHIT :

est chargé d'enquêter sur les homicides, les fusillades impliquant la police et les décès pendant la détention ayant lieu dans les endroits du Lower Mainland dans lesquels les services de police sont assurés par la GRC et les services de police d'Abbotsford, de New Westminster et de Port MoodyNote de bas de page 76.

Les équipes de l'IHIT sont considérées comme étant intégrées, c.-à-d. que les enquêteurs de chacun des quatre services de police mentionnés ci-dessus participent aux enquêtes de l'IHIT, mais l'équipe enquêtant sur le décès de M. Dziekanski ne comprenait que des membres de la GRC.

Enquête criminelle ou responsabilité du coroner

Au cœur de l'enquête de l'IHIT se trouve la responsabilité principale de la tenue d'une telle enquête. Les enquêteurs de l'IHIT ont assumé la responsabilité initiale de l'enquête à leur arrivée et ont commencé à contrôler les lieux, à recueillir des déclarations et à recueillir des éléments de preuve. L'officier responsable de l'IHIT, le surintendant Rideout, a déclaré au cours d'un point de presse en décembre 2008 que, initialement, l'IHIT tenait une enquête sur une mort subite pour le compte du service du coroner, sous l'autorité de la Coroner's Act de la C.-B. (sans doute parce que l'IHIT était d'avis qu'il n'y avait pas eu crime). Pendant l'enquête Braidwood, il a cependant déclaré :

[Traduction]

[...] notre réflexion faisait en premier lieu progresser l'affaire à mesure qu'elle était dévoilée à un avocat de la Couronne et, peut-être, à un tribunal criminel. Donc, nous, lorsque nous avons été chargés de cette enquête, la responsabilité de l'IHIT était de tenir une enquête indépendante sur [...] le décès de Robert Dziekanski à l'aéroport international de Vancouver.

Le surintendant Rideout a également expliqué, dans le cadre de l'enquête Braidwood, qu'à la fin d'octobre 2007 il estimait qu'il n'y avait pas de motif suffisant pour conclure que les membres de la GRC en cause avaient commis une infraction criminelle relativement au décès de M. Dziekanski. À la mi-novembre 2007, il a écrit au service du coroner de la C.-B. pour lui indiquer que l'IHIT menait une enquête criminelle sur le décès de M. Dziekanski et que les résultats de l'enquête seraient présentés à l'avocat de la Couronne afin qu'il décide si des accusations criminelles seront portées.

Dans les jours suivant le décès de M. Dziekanski, les communiqués de la GRC indiquaient que l'enquête était de nature criminelle et qu'elle était tenue sous l'égide de l'IHITNote de bas de page 77. Le 17 novembre 2007, le sous-commissaire Gary D. Bass, commandant divisionnaire de la Division E (Colombie-Britannique) de la GRC, a mentionné dans un communiqué que l'enquête de l'IHIT était toujours en coursNote de bas de page 78.

L'IHIT n'a jamais renoncé publiquement à son pouvoir de mener une enquête sur l'affaire dans le cadre d'une enquête criminelle et, à la fin, a présenté un rapport à l'avocat de la Couronne au sujet de l'enquête. La présentation du rapport à l'avocat de la Couronne a permis à la Direction générale de la justice pénale de la Colombie-Britannique de déterminer s'il était approprié de porter des accusations criminelles contre l'un ou l'autre des membres qui sont intervenus. Aucune mise en accusation n'a été approuvéeNote de bas de page 79.

Je suis préoccupé par le fait que la nature de l'enquête n'était pas évidente aux yeux des enquêteurs, c.-à-d. s'ils menaient une enquête criminelle ou une enquête en vertu de la Coroner's Act de la C.-B. Par exemple, les enquêteurs semblent ne pas s'être entendus relativement à la saisie des éléments de preuve. Les rapports de pièces à conviction ont été préparés pour les éléments de preuve matérielle (comme l'AI, les sondes et les câbles) sur les lieux qui étaient directement liés au décès de M. Dziekanski. D'autres éléments de preuve, comme la vidéo de M. Pritchard, ont été non pas saisis, mais « empruntés ». Toutefois, si l'enquête avait été traitée comme une enquête criminelle dès le début, les enquêteurs de l'IHIT n'auraient vraisemblablement pas eu une approche aussi équivoque.

Je constate que, au début de 2009, la division E de la GRC a commencé à envisager l'ébauche d'un protocole d'entente avec le service du coroner de la Colombie-Britannique et d'autres services de police dans la province relativement à la prestation d'une assistance opérationnelle en vertu de leur mandat respectif. S'il est signé, ce document représentera une étape importante dans la concrétisation d'une approche coordonnée à l'égard de telles enquêtes.

Recommandation
Je réitère ma recommandation tirée de mon rapport intitulé La police enquêtant sur la police (août 2009) : que les enquêtes sur les membres de la GRC impliquant des cas de décès, de blessure grave ou d'agression sexuelle soient confiées à un service de police externe ou à un organisme d'enquête criminelle provincial aux fins d'enquête. La GRC ne participe aucunement à l'enquête. Toutefois, si la GRC continue d'enquêter sur de telles affaires, je recommande alors que la GRC mette en œuvre des directives claires en matière de politique selon lesquelles toutes les enquêtes portant sur un décès ou des lésions corporelles graves et auxquelles participent des membres de la GRC enquêtant sur d'autres agents de police soient de nature criminelle jusqu'à preuve du contraire.

Questions liées à l'enquête de l'IHIT

Certains aspects de l'approche d'enquête adoptée par I'IHIT et les renseignements communiqués au public par l'entremise des médias me préoccupent.

Présence du caporal Robinson à la séance d'information du Détachement de Richmond

Le 14 octobre 2007, une séance d'information de l'IHIT a eu lieu au Détachement de Richmond, en présence de l'équipe d'enquête de l'IHIT et des agents des relations avec les médias (ARM). Au cours de la séance d'information, le caporal Robinson, l'un des membres en cause, était présent et a relaté aux membres de l'IHIT sa perception des événements. Comme il est indiqué plus en détail ci-après à l'annexe S (communiqués de presse), il est possible que, dans une certaine mesure, les renseignements communiqués aux médias par les ARM pendant les premiers jours de l'enquête aient été faussés par les commentaires du caporal Robinson.

Le sergent d'état-major (alors sergent) Attew, chef d'équipe de l'IHIT à l'époque, a déclaré qu'il n'était pas au courant du fait que le caporal Robinson était un des quatre membres impliqués sinon il n'aurait pas autorisé le caporal Robinson à être présent. Le surintendant Rideout, qui n'était pas présent à la séance d'information, a indiqué qu'il n'aurait pas autorisé le caporal Robinson à assister à la séance parce que cela pouvait manifestement altérer l'objectivité de l'enquête. L'ARM du Détachement de Richmond, la caporale N. Basra, n'a pas assisté à la séance d'information de l'IHIT, mais elle a déclaré qu'elle n'aurait pas autorisé un membre en cause à assister à la séance du fait qu'on aurait pu, par inadvertance, adopter une position présentée par ce membre, laquelle position pourrait alors, par erreur, arriver jusqu'aux médias.

La responsabilité de garantir l'intégrité de l'enquête est demeurée celle de l'officier supérieur de l'IHIT à la séance d'information. En tant que chef d'équipe à l'époque, il s'agissait du sergent d'état-major Attew.

Au-delà de la décision d'autoriser le caporal Robinson à assister à la séance d'information de l'IHIT, il y a le manque apparent de certitude de la part des enquêteurs de l'IHIT au début de l'enquête quant à la nature de cette enquête. Interrogé par la Commission, le surintendant Rideout a prétendu que les enquêteurs de l'IHIT n'avaient aucun élément de preuve établissant qu'une infraction criminelle avait été commise; l'incident n'a donc pas été initialement traité comme une enquête criminelle. Il est possible que les renseignements fournis aux médias aient été fondés sur la même hypothèse, d'où une attitude plus souple de l'ARM.

Conclusion
Le caporal Robinson, en tant que membre en cause dans l'incident, n'aurait pas dû être autorisé à assister à la séance d'information de l'IHIT au Détachement de Richmond le 14 octobre 2007. Le sergent Attew a omis de s'assurer que seuls les membres compétents de la GRC étaient présents à la séance d'information.

Vidéo de M. Pritchard

La vidéo de l'incident filmé par M. Pritchard à l'aéroport international de Vancouver concernant M. Dziekanski lui a été censément « empruntée » par le gendarme Patrick Mulhall, un enquêteur de l'IHIT, la nuit de l'incident (14 octobre 2007)Note de bas de page 80. D'après les documents présentés par M. Pritchard alors qu'il tentait de récupérer la vidéoNote de bas de page 81, le gendarme Mulhall lui a dit que la GRC devait faire une copie de la vidéo et qu'elle lui serait retournée dans les 48 heures. Le gendarme Mulhall a par la suite communiqué avec M. Pritchard pour l'informer qu'il pourrait s'écouler de un an et demi à plus de deux ans (approximativement) avant que la vidéo lui soit rendue parce qu'elle servirait à l'enquête du coroner. Cette information est confirmée dans une note au dossier par le gendarme Mulhall. Dans la même note, le gendarme Mulhall a indiqué que la vidéo n'a pas été retournée parce que le surintendant Rideout, officier responsable de l'IHIT, avait décidé qu'il fallait la conserver en attendant la fin de l'enquête de l'IHIT. Il a été confirmé que le surintendant Rideout avait pris la décision de conserver la vidéo de M. Pritchard le 22 octobre 2007 et que, le 19 octobre 2007, la plupart des témoins (pas tous) avaient été interrogés.

Au cours de son entrevue avec la Commission, le surintendant Rideout a déclaré qu'il croyait que la vidéo aurait pu être saisie et non pas « empruntée », aux termes des dispositions du Code criminel ou de la Coroner's Act de la C.-B. Il n'était toutefois pas en mesure de préciser les raisons pour lesquelles, selon lui, ces dispositions n'ont pas été appliquées.

M. Pritchard a intenté une poursuite judiciaire pour récupérer sa vidéo, qui lui a finalement été retournée avant qu'il y ait litige.

Étant donné que la vidéo n'a pas été initialement saisie à M. Pritchard, mais qu'elle a été obtenue avec son consentement et son accord, la GRC n'avait pas le pouvoir de conserver la vidéo lorsque M. Pritchard a demandé qu'elle lui soit rendue. Si la vidéo était considérée comme étant saisie, ce fait aurait dû être clairement communiqué à M. Pritchard. D'une façon ou d'une autre, M. Pritchard ne savait pas ce qu'il en était de son bien.

J'ai examiné la politiqueNote de bas de page 82 du service de police de Vancouver au sujet de l'obtention d'une vidéo pertinente à une enquête. Je félicite l'organisation qui a mis en place ce que je considère être une politique claire et pratique sur la question. La GRC voudra peut-être s'en inspirer pour établir une politique similaire.

Recommandation
Étant donné la prolifération des appareils d'enregistrement, on prévoit que les incidents dans le cadre desquels les membres de la GRC chercheront à obtenir des enregistrements vidéo ou audio privés se produiront probablement plus fréquemment à l'avenir. Que la police saisisse un enregistrement vidéo ou audio d'un événement ou qu'elle l'obtienne sur consentement d'un membre du public, la police doit savoir en vertu de quel pouvoir elle peut obtenir l'enregistrement vidéo ou audio et en informer le public. Je recommande que la GRC fournisse à ses membres des précisions sur la procédure relative à l'obtention d'enregistrements vidéo ou audio d'un événement.

Communiqués de presse

La GRC a été critiquée au sujet de certaines déclarations de ses membres dans les médias à la suite du décès de M. DziekanskiNote de bas de page 83. Le 13 novembre 2007, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA) a déposé une plainteNote de bas de page 84 à la Commission, aux termes de la partie VII de la Loi sur la GRC. La plainte comprenait un certain nombre d'allégations relatives à des déclarations aux médias faites par la GRC dans les jours suivant le décès de M. Dziekanski et au fait que la GRC avait en sa possession la vidéo de M. Pritchard. Dans sa plainte, la BCCLA alléguait également que la GRC avait fourni au public une version subjective des événements ayant mené au décès de M. Dziekanski.

Conformément au processus prévu par la Loi sur la GRC, la plainte a été transmise à la GRC aux fins d'enquête. Dans un rapport daté du 23 décembre 2008, signé par le surintendant principal Rob Morrison, officier responsable de la Sous-direction des stratégies opérationnelles, Division E, Vancouver, et fourni à la BCCLA, le surintendant principal Morrison a déclaré que l'enquête de la GRC a conclu que les allégations de la BCCLA n'étaient pas fondées. Il a poursuivi en ajoutant que le sergent Lemaitre (l'agent des relations avec les médias de la GRC) avait reçu des directives opérationnelles de sa part (surintendant principal Morrison) relativement à la prise de notes.

La BCCLA a par la suite demandé que j'examine la conformité de l'enquête sur la plainte du public contre la GRC. L'examen étant inextricablement lié à l'enquête en cause, j'ai inclus dans le présent rapport les conclusions de mon examen de l'enquête en vertu de la partie VII de la Loi sur la GRC. Les conclusions de l'examen se trouvent à l'annexe C du présent rapport.

Au cours au cours d'une conférence de presse, le surintendant Rideout a reconnu, le 12 décembre 2008Note de bas de page 85, que certains renseignements communiqués au public au début de l'enquête étaient inexacts et incompatibles avec les renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête. Il a ajouté que, même si la GRC était au courant des erreurs, celles-ci n'ont pas été corrigées puisque l'enquête était en cours et à cause d'autres facteurs, comme la décision en instance du ministère de la Justice de la C.-B. sur le dépôt ou non d'accusations criminelles contre les membres de la GRC en cause.

Témoignant à l'enquête Braidwood le 6 mai 2009, le surintendant Rideout a déclaré de plus que la diffusion de certains renseignements relatifs à des aspects particuliers de l'enquête était, à son avis, exagérément précise et représentait une menace potentielle à l'intégrité de l'enquête sur le décès de M. Dziekanski. Il a alors remplacé le sergent Lemaitre, l'agent des relations avec les médias qui était chargé des relations avec les médias à la GRC depuis l'incident, par le caporal Carr, un agent des relations avec les médias affecté à l'IHIT. Le surintendant Rideout a déclaré que, même s'il était au courant des inexactitudes, il n'a pas rectifié ce dont le public avait été informé parce que, selon lui, cela aurait pu avoir une incidence sur l'équité d'une instance ultérieure, comme un procès criminel (dans l'éventualité où des mises en accusations avaient été justifiées), une enquête du coroner ou une commission d'enquête comme la Commission Braidwood.

On peut soutenir que le fait de corriger des inexactitudes relativement simples comme le nombre de membres présents ou le nombre de fois où l'AI a été utilisée n'aurait pas compromis la position de la GRC à l'égard d'une enquête criminelle sur les événements. Il incombe à la GRC de prendre toutes les mesures raisonnables pour confirmer les renseignements avant qu'ils ne soient communiqués au public et de corriger les inexactitudes lorsqu'elles sont constatées, sauf s'il existe un motif prépondérant en raison duquel ces renseignements ne devraient pas être rendus publics. Le défaut de prendre de telles mesures perpétue les préoccupations selon lesquelles la police ne mène pas d'enquête transparente et impartiale à l'égard de ses membres.

À une conférence de presse, on a demandé au surintendant Rideout si les agents impliqués avaient eu l'intention d'utiliser l'AI contre M. Dziekanski, et ce, qu'il se soit ou non emparé d'une arme (l'agrafeuse). Le surintendant Rideout a répondu que l'enquête de l'IHIT avait examiné tous les aspects de l'événement et conclu que les membres en cause de la GRC ont utilisé l'AI parce que le comportement de M. Dziekanski était perçu comme étant inhabituel et combatifNote de bas de page 86.

Au cours de la même conférence de presse, le 12 décembre 2008, le surintendant Rideout a également déclaré :

[Traduction]

En route vers l'incident, les agents ont reçu par radio de nouveaux renseignements sur la situation. Ils ont été informés de la nature de la plainte à laquelle ils répondaient. Selon la politique, ils avaient l'obligation de mettre M. Dziekanski sous garde. Ils devaient évaluer la façon dont ils s'y prendraient pendant qu'ils se dirigeaient vers les lieux, en se fondant sur tous les renseignements dont ils disposaient. Nous savons que cela s'est produit.

Cette déclaration soulève la question suivante : l'IHIT savait-elle que les membres qui sont intervenus avaient discuté de l'utilisation de l'AI avant leur arrivée à l'aéroport international de Vancouver ou avaient-ils au contraire conspiré ou échafaudé une histoire? La question a été posée directement au surintendant Rideout lorsqu'il a comparu devant la Commission. Le surintendant Rideout a catégoriquement nié que l'IHIT était ou avait été au courant de ce fait.

La Commission a également posé la question à la GRC. La GRC m'a fait part du fait qu'elle a examiné les dossiers et les enregistrements audio afférents à cette question et qu'il ne s'y trouve aucune indication selon laquelle l'IHIT en aurait été informée.

Les principales questions à se poser relativement aux communiqués de presse sont de déterminer si, au fil du temps, les communiqués fournis par la GRC étaient justes et objectifs ou si, dans une quelconque mesure, ils étaient intéressés et prenaient la défense des membres de la GRC et de leur conduite? Je ne peux pas déclarer formellement que les communiqués ont été fournis pour protéger ou rehausser l'image de la GRC, mais je m'inquiète du fait que des renseignements fournis aux médias ont justement eu cet effet. La question est abordée plus en détail à l'annexe S (communiqués de presse) du présent rapport.

Dans mon Rapport final suivant la plainte déposée par le Président concernant la mort par balle d'Ian Bush — 28 novembre 2007Note de bas de page 87, il est également question de l'impression laissée par les communiqués de presse de la GRC. Dans cette décision, j'ai recommandé [q]ue la GRC élabore une stratégie des médias et des communications spécifique aux enquêtes sur des fusillades impliquant des policiers qui tienne compte de la nécessité de faire des mises à jour régulières, significatives et opportunes à l'intention des médias et du public. De plus, la stratégie des médias et des communications devrait comprendre un aperçu accessible par le public précisant les mesures à prendre et les délais prévus pour chacune d'elles.

Conclusion
La GRC aurait dû communiquer aux médias certains renseignements qui auraient servi à clarifier l'information relative au décès de M. Dziekanski et à rectifier les renseignements erronés fournis auparavant, et ce, sans compromettre l'enquête de l'IHIT.

Recommandation
Je réitère ma recommandation formulée dans la décision relative à Ian Bush : [q]ue la GRC élabore une stratégie des médias et des communications spécifique aux enquêtes sur des fusillades impliquant des policiers qui tienne compte de la nécessité de faire des mises à jour régulières, significatives et opportunes à l'intention des médias et du public. De plus, la stratégie des médias et des communications devrait comprendre un aperçu accessible par le public précisant les mesures à prendre et les délais prévus pour chacune d'elles. Ma recommandation s'applique également à toutes les enquêtes sur les décès sous garde.

Cause du décès

La détermination de la cause du décès de M. Dziekanski dépasse la portée du présent rapport. Voici cependant des renseignements relatifs à l'expertise médicale.

Le Dr Charles Lee a pratiqué une autopsie sur M. Dziekanski le 16 octobre 2007. Dans son rapport d'autopsie, le Dr Lee a déclaré que la cause du décès ne pouvait pas être établie de façon concluante et qu'un problème cardiaque préexistant chez M. Dziekanski, allié à des signes d'alcoolisme chronique et du fait qu'il a été maintenu en position ventrale pendant qu'il était maîtrisé, peuvent avoir provoqué une arythmie mortelleNote de bas de page 88. Le Dr Lee a indiqué également que, même si M. Dziekanski était agité, il n'était vraisemblablement pas atteint de délire. L'autopsie pratiquée sur M. Dziekanski n'a révélé aucune trace d'alcool ou de drogue dans son organisme. Le Dr Lee s'est prononcé en déclarant que le décès de M. Dziekanski était au mieux un décès subit à la suite d'un recours à la contrainte.

Après l'autopsie du Dr Lee, les enquêteurs de l'IHIT ont demandé au Dr Michael Pollanen, pathologiste judiciaire en chef de l'Ontario, d'examiner les conclusions de l'autopsie et de fournir une contre-expertise à ce sujet. Après avoir examiné le rapport d'autopsie, les documents médicaux à l'appui, les éléments de preuve recueillis par le Dr Lee ainsi qu'après avoir regardé la vidéo et les photos, voici ce que le Dr Pollanen a conclu :

[Traduction]

  1. Robert Dziekanski n'est pas décédé des effets d'une blessure physique, des effets toxiques d'une drogue ou d'une affection ou maladie naturelle aiguë, mortelle. Au moins quatre variables pourraient être des cofacteurs du décès : un état agité, l'immobilisation en position ventrale, les effets de la décharge d'une arme à impulsions et l'alcoolisme chronique.
  2. Robert Dziekanski n'est pas décédé d'une arythmie cardiaque provoquée par l'utilisation d'une AI.
  3. Il y a des preuves scientifiques contradictoires sur les effets non cardiaques indésirables potentiels d'une décharge d'une AI chez l'animal et l'homme. Si le décès de Robert Dziekanski est attribuable, en partie, aux effets indésirables d'un état agité, nous devons donc garder à l'esprit le rôle potentiel de la décharge de l'AI comme cause indirecte du décès, puisque M. Dziekanski semblait davantage en détresse et agité après l'utilisation de l'AI.

Pour un complément d'information au sujet de l'expertise médicale, veuillez consulter l'annexe T.

Asphyxie positionnelle

Le Dr Lee et le Dr Pollanen ont mentionné le fait que M. Dziekanski a été placé en position ventrale au moment où il a été maîtrisé et qu'il est possible que le fait de se trouver dans cette position, combinée à un état d'agitation élevée, puisse entraîner la mort.

D'après mon examen de la vidéo de l'arrestation de M. Dziekanski, je note que le caporal Robinson semble avoir appliqué une pression sur la partie supérieure du corps de M. Dziekanski durant 40 secondes approximativement pendant que ce dernier se débattait et se trouvait en position ventrale. La déclaration du caporal Robinson aux enquêteurs de l'IHIT corrobore ce fait ainsi que les déclarations des autres membres de la GRC qui sont intervenus pendant l'incident. Je constate que, lorsqu'il a témoigné à l'enquête Braidwood, le caporal Robinson a nié avoir placé un poids déraisonnable sur la nuque de M. Dziekanski.

Tandis que l'asphyxie positionnelle ne joue pas un rôle concluant ou déterminant dans la cause du décès, et d'après les commentaires des pathologistes dans l'affaire en cause, je crois que cette asphyxie peut survenir indépendamment d'autres facteurs contributifs comme le délire. Comme je l'ai mentionné ci-dessus, le Dr Lee a indiqué qu'il ne croyait pas que M. Dziekanski était atteint de délire.

On ne sait pas si M. Dziekanski aurait survécu s'il s'était débattu moins longtemps avec les membres de la GRC ou s'il avait été placé en position de récupération complète immédiatement après son arrestation ou encore si les menottes avaient été retirées plus tôt.

En 2005, une décision du Bureau du commissaire aux plaintes contre la police de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 89 avait trait à l'asphyxie positionnelle causant la mort. Dans cette décision, le commissaire analysait également l'asphyxie positionnelle par rapport au délire agité et d'autres causes de comportement irrationnel. Il recommandait que la police reçoive régulièrement une formation à jour à ce sujet et commentait les questions liées à la sécurité des agents et du public et à la nécessité d'obtenir rapidement une assistance médicale lorsqu'il faut protéger la personne manifestant un tel comportement.

Recommandation
Que la GRC effectue immédiatement un examen de ses politiques et de sa formation afin que les membres reçoivent la formation nécessaire pour être en mesure de reconnaître les risques inhérents à l'asphyxie positionnelle et les signes de celle-ci et de prendre des mesures pour atténuer ces risques.

Séjour en Pologne

Des critiques formulées contre l'enquête de la GRC du fait que les enquêteursNote de bas de page 90 de l'IHIT se sont rendus en Pologne portaient sur le fait que ce déplacement se voulait une tentative de discréditer M. Dziekanski et qu'il n'était aucunement lié aux besoins de l'enquête. Au cours d'une conférence de presse en décembre 2008, le surintendant Rideout a expliqué les motifs du séjour en Pologne.

À son avis, le déplacement était nécessaire afin de connaître les antécédents et d'obtenir des éléments de preuve éventuels qui se trouvaient en Pologne. De plus, le surintendant Rideout a indiqué que les experts en médecine qui ont tenté de déterminer la cause ou les causes du décès de M. Dziekanski avaient demandé ces renseignements supplémentaires. Je constate qu'un certain nombre des rapports d'experts préparés après l'examen de l'autopsie de M. Dziekanski indiquaient que des renseignements généraux sur M. Dziekanski pourraient aider à déterminer la cause du décès.

Toutefois, ces experts en médecine étaient concentrés sur la cause du décès et non pas sur la nature du décès ou sur la façon dont il est survenu. J'estime donc que le déplacement est lié à la nature de l'enquête menée. Si l'IHIT menait une enquête en vertu de la Coroner's Act, c.-à-d. pour déterminer la cause du décès, le déplacement aurait pu être jugé nécessaire, mais j'imagine qu'on aurait obtenu l'accord du service du coroner avant le départ. Si l'enquête était de nature criminelle, la connaissance des événements ayant mené au décès peut aider à établir la culpabilité mais, là encore, je me serais attendu à une raison d'être plus précise du voyage.

Le voyage des enquêteurs de l'IHIT en Pologne a été effectué non pas aux termes de la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle (couramment appelée une demande en vertu d'un traité d'entraide juridique), mais il a été organisé selon une entente ponctuelle entre l'IHIT et les autorités polonaises. Le Canada et la Pologne ont conclu un accord d'entraide bilatérale en 1997Note de bas de page 91.

Lorsqu'il a comparu devant la Commission, le surintendant Rideout a déclaré avoir participé au voyage en Pologne parce qu'il voulait dénicher tous les renseignements disponibles permettant d'expliquer le comportement de M. Dziekanski à l'aéroport international de Vancouver. Il a dit que le coroner ne semblait pas intéressé par les comportements de M. Dziekanski avant son décès, mais lui (le surintendant Rideout) estimait que les questions touchant la santé physique et la santé mentale de M. Dziekanski étaient pertinentes. Le surintendant Rideout a indiqué qu'il n'avait pas approuvé le voyage à cause du profil de l'enquête. Il a précisé que le voyage ne visait pas à discréditer M. Dziekanski et qu'il aurait mené une telle enquête sur les antécédents pour tout dossier de décès sous garde.

Un tel voyage pourrait avoir pour motif de faire avancer une enquête criminelle, d'offrir une assistance au service du coroner ou d'appuyer une affaire au civil. Dans les communications officielles, la GRC n'a jamais précisé la nature du voyage ni ses buts et objectifs, ce qui contribue donc à la perception de partialité.

Deuxième allégation – Enquête sur le décès de M. Dziekanski

Partie B

Cette partie du rapport porte sur ce que je considère comme les aspects secondaires de l'enquête de l'IHIT sur le décès de M. Dziekanski. Pour une analyse plus complète des questions, veuillez consulter les annexes mentionnées dans le rapport.

Déclarations des membres de la GRC

Dans le cadre de leurs fonctions, les membre de la police sont tenus de préparer des documents où ils consignent leur participation à des événements qui se produisent dans le contexte de leur emploi et de fournir ces documents à leur employeur. Ces documents doivent également être communiqués, en vertu de la loi, à l'avocat de la défense ou conformément aux instructions des tribunaux en ce qui a trait aux processus judiciaires. De plus, pour qu'un agent de la paix bénéficie de la protection prévue à l'article 25 et à d'autres articles pertinents du Code criminel, il doit fournir les renseignements suffisants démontrant que, moment donné, il était un agent de la paix agissant dans l'exercice légitime de ses fonctions et n'utilisant que la force nécessaire pour cette finNote de bas de page 92.

Comme je l'ai noté dans mon rapport sur le décès d'Ian BushNote de bas de page 93 :

En règle générale, au Canada, les gens n'ont aucune obligation juridique de faire des déclarations à la police. Celle-ci peut demander à une personne de faire une déclaration dans le cadre d'une enquête mais, en l'absence d'obligation imposée par la loi ou par la common law, elle n'a aucun moyen d'obliger un répondant à acquiescer à sa demande. Si la police a des motifs raisonnables d'arrêter une personne et de la détenir, les policiers peuvent tenter d'interroger cette personne dans des circonstances où sa liberté lui a été retirée mais il n'existe toujours aucune obligation, pour cette personne, de collaborer avec la police.

Les membres de la GRC sont tenus de fournir un « compte rendu » de leurs activités quand ils en reçoivent l'ordre. Ce compte rendu est appelé « obligation de rendre compte ». Le pouvoir d'obliger les membres de la GRC à faire une déclaration par obligation de rendre compte vient de ce que les membres de la GRC sont tenus d'obéir aux ordres légitimes d'autres membres de la GRC qui les dépassent en grade ou qui détiennent des pouvoirs auxquels ils sont assujettis. Les particuliers ne sont soumis à aucune exigence de cette nature dans le cours normal des enquêtes policières.

Au vu de la nature imposée des déclarations faites par obligation de rendre compte, de telles déclarations ne sont vraisemblablement pas volontaires et, par conséquent, ne sont pas recevables dans le cadre de procédures pénales. Il apparaît clairement que l'obligation de rendre compte est surtout considérée comme un processus administratif. On peut l'invoquer, par exemple, dans le cadre de procédures découlant du code de déontologie. Bien que l'obligation de rendre compte ne soit pas expressément considérée comme une partie du processus d'enquête pénale, ce type de déclaration peut produire des renseignements généraux servant de piste à une enquête pénale.

Les enquêteurs de l'IHIT ont qualifié la déclaration d'un des membres en cause de « déclaration par obligation de rendre compte ». Il s'agissait d'une déclaration du gendarme Millington recueillie par le caporal D. Brassington au bureau du sous-détachement de la GRC à l'aéroport international de Vancouver dans les heures suivant l'incident. D'après le résumé figurant dans le rapport à l'avocat de la Couronne, lorsque le caporal Brassington est arrivé, tous les membres qui sont intervenus (le caporal Robinson et les gendarmes Millington, Rundel et Bentley) étaient ensemble dans le bureau annexe, avec le représentant des relations fonctionnelles (RRF)Note de bas de page 94, le caporal Ingles. Ce dernier a indiqué au caporal Brassington qu'il avait parlé avec le gendarme Millington.

D'après les renseignements dont dispose la Commission, de nombreux membres de la GRC sont d'avis qu'il existe une règle non écrite selon laquelle les membres fourniront ce qu'on appelle une déclaration par obligation de rendre compte après un incident. De telles déclarations sont parfois recueillies à la suite d'une réunion entre le RRF et le membre en cause.

Les exigences de l'obligation de rendre compte doivent être claires pour tous les membres de la GRC. Certaines lignes directrices de division prévoient l'obligation de rendre compteNote de bas de page 95, mais ce n'est actuellement pas le cas à l'échelle du pays pour la GRC.

Le rôle du RRF n'est pas de fournir des conseils juridiques. Puisque les RRF ne fournissent pas de conseils juridiques aux membres, les conversations entre les membres en cause et les RRF ne sont donc pas protégées au sens de la loi, mais la GRC les considère comme étant confidentielles.

Faute d'explications, la question tient à la perception qu'évoque une telle réunion. Pourquoi le RRF a-t-il rencontré tous les membres en cause? Le RRF et le gendarme Millington se sont-ils rencontrés seul à seul? Pendant combien de temps? Quel a été le sujet de la discussion? La participation du RRF a-t-elle eu une influence et, le cas échéant, quelle a été cette influence? Qui a fait appel au RRF? et pourquoi?

Pour ce qui est de la réunion entre le gendarme Millington et le caporal Ingles, je ne connais pas le contenu de la conversation, outre les commentaires du gendarme Millington dans sa déclaration. Celui-ci a déclaré que le caporal Ingles lui a dit qu'il pouvait dormir un peu et ne pas présenter tout de suite sa déclaration pour s'assurer qu'il (le gendarme Millington) se rappelait tous les détails.

Le caporal Ingles a commenté la réunionNote de bas de page 96. D'après les commentaires du caporal Ingles, il me semble que, selon lui, le rôle du RRF est de filtrer les renseignements entre le membre en cause et les enquêteurs. Quant au rôle du RRF et à l'interaction entre ce dernier et un membre en cause, j'estime que cette pratique présente de multiples pièges potentiels. Les enquêteurs, particulièrement au début d'une enquête, ont besoin de faits qui ne sont pas modifiés ou influencés. L'enquêteur doit être en mesure de mener l'entrevue auprès du membre en cause sans que le RRF ait d'abord pu discuter des faits de la situation avec le membre. La présence du RRF et sa discussion avec le ou les membres impliqués avant que le membre doive fournir une déclaration relative aux incidents graves risquerait de donner lieu à la présentation de renseignements filtrés à l'enquêteur. L'autre danger est la possibilité qu'il y ait apparence d'ingérence, ou au pire, ingérence réelle, dans le cadre d'une enquête en cours.

À la lumière de ma recommandation (voir la page 61) selon laquelle les enquêtes sur les membres de la police qui sont en cause dans des incidents ayant causé un décès ou des lésions corporelles graves devraient être traitées comme des enquêtes criminelles jusqu'à preuve du contraire, il convient de préciser le rôle du RRF.

En dépit de la possibilité que la déclaration du membre en cause ait été influencée, ma préoccupation est liée au fait que, avant de recueillir une déclaration du membre, l'enquêteur aurait pu être influencé par des renseignements ou une version des événements fournie par le RRF. Pour reprendre un vieil adage, il ne suffit pas d'effectuer une enquête impartiale, il doit être évident qu'une enquête impartiale a été effectuée. Cela s'avère particulièrement lorsque la police enquête sur la police.

Outre les préoccupations liées à la présence du RRF avant que les enquêteurs n'interrogent ou ne recueillent les déclarations des témoins de la police, je suis préoccupé par le fait que, apparemment, tous les membres en cause étaient ensemble au sous-détachement à l'aéroport international de Vancouver après le décès de M. Dziekanski afin de rencontrer le RRF. Selon la pratique de base en matière d'enquête, il faut séparer les témoins pour éviter toute possibilité de complicité ou d'apparence de complicité.

La question de l'obligation de rendre compte a déjà été soulevée, et j'ai recommandé qu'on évalue la pertinence de la participation du RRF. Dans ma décision relative à l'affaire Ian BushNote de bas de page 97, voici ma recommandation et la réponse du 2 novembre 2007 du commissaire de la GRC :

Recommandation
Que la GRC élabore une politique où elle précisera l'exigence même, le moment auquel y satisfaire et l'usage qui sera fait de la déclaration par obligation de rendre compte que doivent produire les membres de la GRC.

Le commissaire Elliott a répondu :

Je souscris à cette recommandation et je demanderai au directeur des Services de police communautaires, contractuels et autochtones de veiller à ce que cela soit fait en temps utile.

On n'a toujours pas confirmé à la Commission que cette recommandation a été mise en œuvre.

Conclusion
Il était inapproprié que les membres de la GRC qui sont intervenus se retrouvent seuls au bureau du sous-détachement à l'aéroport international de Vancouver après le décès de M. Dziekanski.

Conclusion
Le RRF n'aurait pas dû être autorisé à avoir une rencontre individuelle avec le gendarme Millington avant l'enquêteur de l'IHIT.


Recommandation
Si le protocole relatif à la présence du RRF doit être maintenu, la GRC doit officialiser le rôle du RRF en fournissant une orientation et des politiques claires visant à garantir que le RRF connaît les limites de sa participation et les protocoles exigés relativement à une telle présence et que, dans tous les cas, le RRF ne rencontre pas seul à seul un membre en cause avant qu'il soit interrogé par un enquêteur.

Recommandation
Je réitère ma recommandation formulée dans la décision relative à l'affaire Ian Bush (novembre 2007) : [q]ue la GRC élabore une politique où elle précisera l'exigence même, le moment auquel y satisfaire et l'usage qui sera fait de la déclaration par obligation de rendre compte que doivent produire les membres de la GRC.

Approche de l'IHIT à l'égard des entrevues auprès des membres

Il m'apparaît que les enquêteurs de l'IHIT n'ont pas mené les entrevues auprès des membres en cause ou les civils selon un ensemble coordonné de questions à poser pour que les mêmes aspects soient examinés avec chaque personne. Cela ne signifie pas pour autant que les enquêteurs de l'IHIT auraient dû mener chaque entrevue en posant les mêmes questions, mais il aurait été utile de coordonner la nature des questions à poser à chaque témoin. Les déclarations obtenues ne représentent pas ce que l'on pourrait qualifier d'approche coordonnée.

Lorsqu'on a demandé à l'IHIT si cette hypothèse était correcte, voici ce qu'il a répondu :

[Traduction]

Les membres de l'IHIT ayant recueilli les déclarations avaient l'accès libre et complet à l'ensemble du dossier d'enquête. À divers degrés, les membres ont fourni des renseignements comme le registre quotidien, les transcriptions des déclarations, les séquences vidéo, les enregistrements audio et d'autres éléments matériels recueillis au cours de l'enquête.

Les paroles creuses comme « à divers degrés » donnent l'impression que les enquêteurs n'ont pas adopté une approche coordonnée en ce qui a trait au processus d'entrevue et que chacun a mené l'entrevue comme il l'entendait. Ma préoccupation est donc que : les enquêteurs ont peut-être travaillé en ne tenant pas compte des détails que les autres ont obtenus, et la coordination des renseignements peut avoir fait en sorte que les questions qu'il fallait poser ne l'ont pas été. Par exemple, dans leur déclaration à l'IHIT, les membres de la GRC qui sont intervenus n'ont jamais été interrogés au sujet de l'étendue des communications entre les membres pendant l'incident Dziekanski, pas plus qu'ils n'ont été questionnés sur la nature de la décision d'utiliser l'AI, la vitesse à laquelle on a eu recours à l'arme ou les autres options disponibles pour désamorcer ou régler la situation.

La GRC souscrit aux pratiques de gestion des cas graves, mais il faut un certain temps pour organiser et mettre en place les outils requis pour la gestion du dossier. Pendant les entrevues menées immédiatement après l'incident, je comprends que les enquêteurs de l'IHIT ont tenté d'obtenir tous les renseignements disponibles sans effectuer une analyse importante. Dans les jours suivant l'incident, cependant, les enquêteurs auraient pu effectuer une analyse à tout le moins superficielle visant à déterminer les aspects exigeant une attention plus ciblée et l'ampleur des renseignements requis.

Recommandation
Que la GRC examine ses procédures et politiques opérationnelles afin de garantir que, particulièrement dans les cas graves pour lesquels les membres enquêtent sur les actes d'autres membres, des processus soient prévus pour sensibiliser l'enquêteur à la nature et à l'ampleur des détails requis pendant les entrevues.

Mise en garde donnée par la police

Les membres de la GRC qui sont intervenus dans le cadre de l'affaire en cause, dont les déclarations ont été recueillies par les enquêteurs de l'IHIT, n'ont pas reçu une mise en garde donnée par la police aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés à la date où leurs déclarations ont été recueillies; parce que les enquêteurs estimaient qu'il n'y avait aucun élément de preuve établissant qu'il y avait eu infraction criminelle. Au moment où les déclarations ont été recueillies, les enquêteurs de l'IHIT savaient que le gendarme Millington avait déchargé l'AI; ils savaient qu'il y avait eu une altercation entre les membres et M. Dziekanski; et ils savaient que M. Dziekanski était décédé. Toutefois, ils n'avaient aucun élément de preuve établissant que l'un des membres en cause avait commis une infraction criminelle.

D'après le module de la GRC intitulé Introduction aux déclarations après mise en garde ou avertissement, à partir du moment ou il y a doute (raisonnable) qu'une infraction criminelle a peut-être été commiseNote de bas de page 98, il y a lieu de recueillir la déclaration après avoir fait la mise en garde de rigueur. Lorsqu'ils ont recueilli les déclarations des membres en cause, les enquêteurs de l'IHIT n'avaient pas de soupçons à cet égard. Les enquêteurs ont indiqué dans le rapport de l'IHIT à l'avocat de la Couronne qu'ils étaient prêts à interrompre toute déclaration et à faire la mise en garde de rigueur si des éléments de preuve avaient indiqué une infraction criminelle.

Le rapport à l'avocat de la Couronne, tel que les enquêteurs de l'IHIT l'ont préparé, mentionnait ceci :

[Traduction]

Les enquêteurs ont décidé, en toute connaissance de cause, de recueillir des déclarations sans la mise en garde de rigueur plutôt que des déclarations après mise en garde. D'après l'ensemble des éléments de preuve dont disposaient les enquêteurs à ce moment-là, aucun élément de preuve existant ne dénotait un comportement criminel de la part des membres. Les enquêteurs étaient prêts à interrompre les entrevues et à faire la mise en garde de rigueur aux membres si les renseignements qu'ils communiquaient laissent supposer des infractions au Code criminel.

En ce qui a trait aux premières déclarations recueillies après le décès de M. Dziekanski par les enquêteurs de l'IHIT auprès des membres en cause, je suis d'accord avec la décision de recueillir les déclarations des témoins sans que la mise en garde de rigueur n'ait été faite.

Le 14 octobre 2007, à 7 h 23, une séance d'information de l'IHIT a eu lieu au Détachement de Richmond et, à cette heure, un certain nombre d'enquêteurs de l'IHIT avaient regardé la vidéo de M. Pritchard. Après avoir regardé la vidéo et avoir constaté que les déclarations des membres intervenants ne correspondaient pas à l'enregistrement vidéo, les enquêteurs de l'IHIT auraient été avisés de se demander si la vidéo présentait un doute raisonnable qu'une infraction criminelle avait été commise avant de recueillir les autres déclarations des membres qui sont intervenusNote de bas de page 99. Ainsi, ils auraient pu réfléchir à la possibilité de recueillir les déclarations des membres en cause après mise en garde et de les consigner et de montrer ou non la vidéo de M. Pritchard aux membres en cause avant de recueillir d'autres déclarations.

Les témoignages obtenus pendant l'enquête Braidwood étayent l'hypothèse selon laquelle le surintendant Rideout, officier responsable de l'IHIT, n'a pas envisagé cette mesure et a décidé d'y renoncer. Dans un courriel daté du 5 novembre 2007 du surintendant Rideout adressé à son supérieur, le surintendant principal Dale McGowan, voici ce que le surintendant Rideout a déclaré :

[Traduction]

[...] nous ne montrerons pas la vidéo au membre en cause. Nous estimons qu'il serait inapproprié de le faire dans le cadre d'une enquête impartiale.

Au cours de son témoignage à l'enquête Braidwood, le surintendant Rideout a expliqué que, même s'il a écrit membre, il voulait dire, en fait, que la vidéo ne serait pas présentée aux quatre membres qui sont intervenus.

Il semble que les enquêteurs de l'IHIT n'ont pas envisagé d'utiliser la vidéo en tant qu'outil d'enquête en ce qui concerne les membres en cause. Dans son témoignage pendant l'enquête Braidwood, le surintendant Rideout a indiqué qu'il avait tenu compte de l'effet qu'aurait, sur les membres en cause, la diffusion de la vidéo, mais il n'a pas expliqué la raison pour laquelle il n'a pas regardé la vidéo avec les membres. Voici ce qu'il a déclaré :

[Traduction]

[...] nous estimions que la diffusion de la vidéo et son visionnement seraient traumatisants pour eux [...] et sa diffusion soulevait des préoccupations. J'étais donc d'avis que ce n'était pas le rôle de l'enquête de l'IHIT et que nous ne devrions pas y prendre part.

Le surintendant Rideout a réitéré ces commentaires lorsqu'il a été interrogé par la Commission et qu'on lui a demandé pourquoi la vidéo de M. Pritchard n'a pas été présentée aux membres qui sont intervenus afin qu'ils puissent commenter les différences entre leur version des événements et les scènes filmées sur la vidéo. Particulièrement, pendant son témoignage à l'enquête Braidwood le 22 septembre 2009, le surintendant Rideout a été questionné au sujet d'un courriel qu'il a envoyé à l'inspecteur Bill Fordy (un membre de l'IHIT), le 23 octobre 2007, dans lequel il mentionnait le fait que le coroner régional avait [traduction] des préoccupations concernant les divergences entre les déclarations des membres et la vidéo saisie à l'aéroport international de Vancouver. Dans ce même courriel, le surintendant Rideout mentionne : [traduction] Vous pourriez peut-être examiner les déclarations. Nous devrons vraisemblablement interroger de nouveau les membres pour répondre à ses questions. Pendant l'enquête Braidwood, le surintendant Rideout a affirmé que ce message se voulait une « annonce » ou un avis à l'intention de l'inspecteur Fordy. En dépit de ce commentaire, ces divergences n'ont pas été abordées avec les membres impliqués dans cet incident. Je dois donc supposer que l'IHIT n'a pas envisagé d'utiliser la vidéo comme outil d'enquête.

Conclusion
Ne serait-ce que par souci d'équité à l'égard des membres qui sont intervenus et afin de leur donner l'occasion d'expliquer les divergences importantes et facilement visibles entre leur version des événements et la vidéo, il aurait été approprié de fournir à ces membres l'occasion de visionner la vidéo de M. Pritchard avant de recueillir leurs déclarations.

Notes des membres qui sont intervenus

J'ai examiné les notes prises par chacun des membres qui sont intervenus dans le cadre de l'incident en cause au sujet de son interaction avec M. Dziekanski et du décès de ce dernier. La qualité, l'exhaustivité et le contenu de ces notes sont bien en deçà de la norme attendue des membres de la police. Trois des quatre membres font état de la totalité de l'incident en approximativement quatre pages de leur calepin de police (format poche), qui est relativement petit. Quant aux notes du quatrième membre, sa description de la totalité de l'incident tient sur deux pages environ. Chacun de ces calepins comprend également les noms et les coordonnées des témoins éventuels, ce qui veut dire que la description détaillée de l'interaction avec M. Dziekanski est encore plus incomplète que le nombre de pages indiqué.

Rares sont les détails sur les observations des membres, leur perception de la scène et le comportement de M. Dziekanski ainsi que leurs propres réactions et le bien-fondé de ces actes. Au mieux, les notes fournissent un très mince aperçu de l'incident. Je constate que, pendant son témoignage à l'enquête Braidwood, le sergent d'état-major Douglas WrightNote de bas de page 100 a indiqué qu'il avait vivement conseillé au caporal Benjamin Robinson de prendre « d'excellentes notes » au sujet de l'incident, mais que, ultimement, ces notes n'étaient pas à la hauteur de ce qu'il avait escompté. Particulièrement, le sergent d'état-major Wright a reconnu que, souvent, puisque les notes d'un membre peuvent faire l'objet [traduction] « d'un examen, d'une présentation ou d'un mandat de perquisition dans le but de déterminer ce qu'il faisait à ce moment-là », un membre prendra [traduction] « des notes très, très brèves, énigmatiques » et que les renseignements supplémentaires seront conservés dans les documents au dossier proprement dit.

Voici ce que la politique de la GRC conseille à ses membres :

2. Généralités

2.1. Le calepin du membre constitue un outil d'enquête fondamental. Il est essentiel que le calepin soit bien rempli, complet et exact afin qu'il aide à l'enquête, corrobore la preuve et rehausse la crédibilité du témoignage du membre devant les tribunaux. Des notes bien consignées peuvent également s'avérer très utiles pour corroborer de l'information plusieurs années après l'enquête.

2.2. On peut utiliser ses notes pour se rafraîchir la mémoire lors du procès si les notes ont été prises au moment de l'incident ou à peu près à ce moment-làNote de bas de page 101.

Une partie ou l'ensemble des membres en cause peuvent penser que, comme on allait leur demander de fournir des déclarations verbales au sujet de l'incident à l'aéroport international de Vancouver, il était moins nécessaire de prendre des notes écrites détaillées. Je n'admets pas cette position. Quelle que soit la situation, les membres de la GRC sont conscients du fait qu'ils seront tenus de documenter l'affaire en préparant des rapports écrits internes. L'exigence de documenter les interventions de la police ne remplace pas ou n'atténue pas le besoin de prendre des notes dans leur propre calepin. Comme on le mentionne ailleurs dans le présent rapport, dans la section intitulée Déclarations des membres de la GRC, pour qu'un membre invoque la protection prévue à l'article 25 et à d'autres articles pertinents du Code criminel, il doit fournir les renseignements suffisants démontrant qu'au moment donné, il était un agent de la paix agissant dans l'exercice légitime de ses fonctions et n'utilisant que la force nécessaire à cette finNote de bas de page 102.

La question de la prise de notes inférieure à la norme a déjà été soulevée dans des décisions antérieures de la CommissionNote de bas de page 103. Jusqu'à présent, la Commission n'a constaté aucune amélioration perceptible dans la prise de notes.

En fait, j'établis une distinction entre la prise de notes sur le terrain et l'utilisation de divers formulaires de rapport que les membres de la GRC doivent remplir (p. ex., constats de police, rapports de continuation, rapport sur l'utilisation d'une arme à impulsions ou Comportement du sujet/Intervention de l'agent [qui devrait être mis en œuvre en 2010]). Même si la politique de la GRC exige que, dans certains cas, des rapports électroniques soient préparés avant la fin du quart, s'il n'y a pas de prise de notes adéquate sur le terrain, la fiabilité des données employées dans les documents de rapport obligatoire doit être considérée comme étant suspecte. De plus, la Commission a examiné de nombreux cas où les formulaires de rapport électroniques ne sont pas remplis en temps opportun. Dans ces cas, faute de notes ponctuelles, complètes prises au moment de l'incident, la fiabilité du dossier écrit sera sérieusement amoindrie.

À mon avis, il s'agit d'un problème que, dans certains cas, les membres puissent décider de se fier à leur mémoire pour rendre des comptes plutôt que de prendre dès le départ des notes appropriées et détaillées sur le terrain.

Conclusion
Les membres qui sont intervenus dans le cadre de l'incident en cause n'ont pas pris des notes comme il se doit de l'incident mettant en cause M. Dziekanski.

Recommandation
À la lumière de la nature persistante de la question, la GRC doit prendre des mesures pour que les membres soient conscients de l'importance de prendre des notes et encourager les superviseurs à examiner régulièrement les notes prises par leurs subalternes afin de garantir la qualité de ces documents.

Séance d'aide après un stress causé par un incident critique

Outre la rencontre avec le RRF, une séance d'aide après un stress causé par un incident critique a eu lieu le 27 octobre 2007. Les quatre membres en cause ainsi que d'autres ayant suivi une formation pour aider les personnes à faire face aux conséquences d'un événement traumatisant étaient présents. Outre le gendarme Bentley, qui a donné sa déclaration finale le 22 novembre 2007, les autres membres avaient tous fourni leurs déclarations avant cette séance d'aide. J'ai examiné la déclaration du gendarme Bentley après la séance d'aide et je constate qu'elle ne diffère pas véritablement des comptes rendus donnés par les autres membres ni de ses propres déclarations antérieures.

Je comprends qu'il convient d'offrir ces séances d'aide aux personnes ayant vécu des événements traumatisants. À ce titre, pour la santé et le bien-être des personnes en cause, ces séances sont nécessaires, pourvu qu'elles n'empiètent pas, de quelque façon que ce soit, sur le besoin d'isoler les éléments de preuve ou qu'elles ne contribuent pas à fausser les éléments de preuve futurs.

Observations de l'observateur indépendant

Comme il est indiqué dans la section du présent rapport sur le programme d'observateur indépendant, l'observateur indépendant a conclu qu'aucun des enquêteurs de l'IHIT n'avait de lien avec les membres en cause.

Il a remarqué que la copine de l'un des enquêteurs de l'IHIT connaissait la copine du gendarme Millington. Par conséquent, le chef d'équipe de l'IHIT a unilatéralement donné à l'enquêteur le rôle de coordonnateur du dossier pour qu'il ne participe pas directement à l'enquête. Cette mesure n'a pas été prise à la demande de l'observateur indépendant.

De plus, l'observateur indépendant a indiqué que le chef d'équipe de l'IHIT était accrédité (en gestion des cas graves) et que chacun des enquêteurs était affecté à temps plein à l'équipe de l'IHIT, ce qui signifie qu'ils étaient affectés uniquement à des enquêtes sur les homicides. Par conséquent, les membres de l'IHIT ont suivi une formation approfondie et possèdent les compétences requises pour mener des enquêtes sérieuses.

L'incident mettant en cause M. Dziekanski s'est produit vers 1 h 30 le dimanche 14 octobre 2007. L'IHIT a été informé du décès de M. Dziekanski à 2 h 28 et est arrivé à l'aéroport international de Vancouver à 3 h 45 pour commencer l'enquête.

L'observateur indépendant n'a constaté aucun signe de partialité évidente de la part des enquêteurs de l'IHIT. Le 29 octobre 2007, l'observateur indépendant a reçu un cédérom contenant les déclarations des témoins qui avaient été entendus à ce moment-là. Lorsqu'il a examiné ces déclarations, il n'a relevé aucune préoccupation liée à l'impartialité de celles-ci ou à l'utilisation de questions tendancieuses.

Ayant eu l'occasion d'examiner le dossier d'enquête de l'IHIT, je suis d'accord avec l'appréciation de l'observateur indépendant. Je souligne également ce qui suit :

  1. L'IHIT a répondu en affectant un nombre approprié de membres chargés de mener l'enquête.
  2. Les techniciens de l'identité judiciaire de la GRC ont été appelés sur les lieux à la suite du décès de M. Dziekanski. Ces techniciens ont traité les lieux afin d'y recueillir des éléments de preuve et ont préparé un compte rendu adéquat de l'incident à l'aide de photographies.
  3. Les enquêteurs de l'IHIT ont commencé à recueillir les déclarations des membres en cause et de quelques civils peu après leur arrivée sur les lieux de l'incident.

Rien ne me permet de conclure que les enquêteurs de l'IHIT n'ont pas agi avec professionnalisme. Aucun élément de preuve ne donne à penser que les membres intervenants de la GRC impliqués dans l'incident n'ont pas bénéficié d'un traitement approprié.

Accréditation en gestion des cas graves

Lorsqu'on juge que les incidents faisant l'objet d'une enquête sont de nature grave, comme les homicides, la plupart des services de police souscrivent à une série de protocoles et de processus d'enquête, ce qu'on appelle la gestion des cas graves.

Au moment de l'enquête sur le décès de M. Dziekanski, le surintendant Wayne Rideout, membre de la GRC et officier responsable de l'IHIT, était accrédité en tant que chef d'équipe en gestion des cas graves. Le sergent d'état-major David Attew, chef d'équipe initial de l'IHIT menant l'enquête, était également accrédité en gestion des cas graves. Selon le surintendant Rideout, un certain nombre des enquêteurs de l'IHIT avaient suivi le cours des enquêteurs en matière de cas graves, tandis que d'autres, même s'ils étaient des enquêteurs chevronnés, étaient nouvellement arrivés au sein de l'IHIT. Au total, neuf membres de l'IHIT se trouvaient sur les lieux à l'aéroport international de Vancouver.

Je constate que le surintendant Rideout, même s'il était l'officier responsable de l'IHIT et qu'il assumait donc la responsabilité générale des équipes d'enquête de l'IHIT, n'était pas le chef d'équipe initial de l'IHIT affecté à l'enquête sur le décès de M. Dziekanski. Il a cependant assumé ces fonctions, approximativement un mois après le début de l'enquête probablement en raison de l'intérêt que le décès a suscité chez le public.

Examen de la Police provinciale de l'Ontario (OPP)

Le 19 novembre 2007, le surintendant principal Richard Bent, officier responsable adjoint des enquêtes criminelles de la division E à la GRC a demandé que la Police provinciale de l'Ontario examine le dossier d'enquête de l'IHIT. Plus particulièrement, le surintendant principal Bent a demandé que l'OPP examine l'enquête de l'IHIT afin de s'assurer qu'il s'agissait d'une enquête minutieuse, professionnelle et impartiale. L'examen de l'OPP a révélé que, dans l'ensemble, l'enquête de l'IHIT a été menée de façon impartiale et qu'elle a été gérée selon les normes établies. Je ne me suis pas fondé sur le rapport de l'OPP dans mon enquête.

Conclusion
Il n'y a pas eu préjugé ou partialité à l'égard des membres de la GRC en cause dans le cadre de l'enquête de l'IHIT sur le décès de M. Dziekanski.

Observations sur la caméra vidéo corporelle (caméra serre-tête)

En dernier lieu, j'aimerais aborder une question dont les divers comptes rendus de l'incident par les témoins illustrent l'importance. Sans aucun doute, l'intérêt public à l'égard des événements ayant mené au décès de M. Dziekanski s'est accru en raison de la séquence vidéo montrant le déroulement des événements en temps réel. La prolifération de la technologie numérique offrira de plus en plus aux membres du public la capacité de saisir toutes sortes d'événements au moment même où ils se déroulent. Au cours de mon examen, j'ai beaucoup misé sur les images enregistrées par M. Pritchard, en tant que meilleurs éléments de preuve de la période cruciale, pour apprécier à la fois l'interaction entre les membres de la police et M. Dziekanski et l'exactitude des souvenirs des divers témoins qui ont ultérieurement fourni leur compte rendu de l'incident.

Les services de police du monde entier font des essais avec la technologie vidéo en appui à leurs activités de maintien de l'ordre. En juillet et août de la présente année, le service de police de Victoria a réalisé un projet pilote dans le cadre duquel des caméras vidéo corporelles (caméras serre-tête) servent à enregistrer les interactions de la police avec le public. Des comptes rendus anecdotiques du projet sont révélateurs de sa réussite. Au Royaume-Uni, un projet pilote sur l'utilisation de ces dispositifs a débuté en 2006; le nombre d'organismes ayant intégré cette technologie continue d'augmenter.

Dans les circonstances de l'affaire en cause, il aurait été clairement avantageux de saisir sur vidéo les événements du point de vue des membres. La Commission a eu l'avantage de disposer d'une vidéo qui n'a pas été produite par la police, mais il ne fait aucun doute qu'un système permettant à tous [traduction] « de voir et d'entendre l'événement se dérouler grâce aux yeux et aux oreilles de l'agent sur les lieux »Note de bas de page 104, serait la meilleure de toutes les options possibles. Outre le fait de fournir les meilleurs éléments de preuve, d'après l'étude des premières expériences au Royaume-Uni, l'utilisation de ces dispositifs pourrait avoir pour effet de réduire la criminalité, de réduire les taux d'arrestation et de condamnation, de diminuer la charge de travail générale de la police et de se révéler un outil utile pour fournir aux membres une rétroaction sur leur interaction avec le public, d'où l'amélioration des règles de civilité chez la police.

Il convient de soupeser ces avantages à l'égard des droits à la protection des renseignements personnels, des coûts et des exigences accrus en matière d'infrastructure, mais je crois que le temps est venu de prendre en considération encore une fois l'utilisation de ces appareils dans le contexte de la prestation de services de police au Canada.

Après examen de la plainte, je soumets par la présente mon rapport sur une enquête d'intérêt public conformément au paragraphe 45.43(3) de la Loi sur la GRC.

Le président,

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Paul E. Kennedy

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