Rapport final suivant une plainte déposée par le président et une enquête d'intérêt public au sujet de la mort sous garde de Clay Willey

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada Paragraphe 45.46(3)

Le 31 janvier 2012

Traduction

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No de dossier : PC-2009-3397

La plainte

Le 21 juillet 2003, M. Clay Alvin Willey a été arrêté par des membres du détachement de la GRC de Prince George, en Colombie-Britannique. Durant son arrestation, M. Willey se comportait de façon agressive à l'endroit des membres de la GRC; ceux-ci l'ont aspergé d'aérosol capsique, et lui ont donné des coups de poing et des coups de pied avant de parvenir à lui passer les menottes. Même lorsque cela a été fait, l'altercation s'est poursuivie, de sorte que les membres n'ont eu d'autre choix que d'attacher les jambes de M. Willey. Après qu'il a été transporté au détachement, M. Willey a continué de se démener afin de se défaire de ses entraves, ce qui a mené deux membres à utiliser leurs armes à impulsions à son endroit. Peu après, on a décidé d'amener M. Willey à l'hôpital; il a subi un arrêt cardiaque dans l'ambulance, et est mort le lendemain matin.

Compte tenu des préoccupations exprimées relativement au recours à la force par les membres, la Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission) exerce, le cas échéant, ses pouvoirs au nom du public, afin d'examiner de façon approfondie les faits qui suscitent la préoccupation du public ainsi que de déterminer si l'enquête de la GRC sur les événements en question était appropriée. Le 15 janvier 2009, le président de la Commission a déposé une plainte et lancé une enquête d'intérêt public (aux termes des paragraphes 45.37(1) et 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada – ci-après la Loi sur la GRC) au sujet de la conduite de membres non identifiés ayant pris part à des incidents survenus n'importe où au Canada au cours de la période s'étendant du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2009 dans le cadre desquels des personnes détenues par la GRC ont perdu la vie après qu'une arme à impulsions a été utilisée à leur endroit, ou qui étaient présentes durant de tels incidents. L'arrestation et la mort subséquente de M. Willey à Prince George, en Colombie-Britannique, le 22 juillet 2003, est l'un des incidents visés par cette plainte. La plainte initiale a été déposée en vue de déterminer :

  1. si les policiers de la GRC impliqués dans ce genre d'incident, soit du premier contact avec le détenu jusqu'à la mort de celui-ci, ont agi conformément à la formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences obligatoires appropriées en ce qui concerne le recours à la force;
  2. si les politiques, les procédures et les lignes directrices actuelles de la GRC s'appliquant à de tels incidents sont adéquates.

En octobre 2004, la mort de M. Willey a fait l'objet d'une enquête du service du coroner de la Colombie-Britannique. Parmi les éléments de preuve examinés dans le cadre de l'enquête figuraient des enregistrements vidéo provenant d'un certain nombre de caméras de sécurité installées à divers endroits du détachement de la GRC de Prince George. Après le dépôt de la plainte du président et le début de l'enquête d'intérêt public, le solliciteur général de la Colombie-Britannique, au nom des résidents de cette province, a communiqué directement avec le président pour exprimer ses préoccupations à l'égard de cet incident et, tout particulièrement en ce qui concerne l'intégrité des éléments de preuve que sont les enregistrements vidéo de l'arrestation et de la détention de M. Willey.

Par conséquent, le président a accru la portée de la plainte du public et de l'enquête d'intérêt public pour examiner les éléments suivants :

  • 3. si les membres de la GRC qui ont participé à l'enquête sur l'arrestation et la mort de M. Willey ont mené une enquête rigoureuse et s'ils l'ont fait à l'abri de tout conflit d'intérêts réel ou perçu;
  • 4. s'il existe d'autres enregistrements vidéo (autres que ceux qui ont été compilés et dont il est question ci-dessus) et si un membre quelconque de la GRC a cherché à dissimuler des éléments de preuve, notamment des enregistrements vidéo, concernant l'arrestation de M. Willey, à truquer ces éléments de preuve ou à les modifier de quelque façon que ce soit.

L'enquête d'intérêt public et le rapport intérimaire de la Commission

La Commission a présenté son rapport intérimaire sur l'enquête d'intérêt public au commissaire de la GRC et au ministre de la Sécurité publique le 4 novembre 2010. Ce rapport contient 28 conclusions et 5 recommandations concernant des changements à apporter.

De façon générale, la Commission a relevé un certain nombre de lacunes liées tant à la conduite des membres en cause qu'aux mesures qui ont été prises subséquemment par des officiers supérieurs ou à l'absence de telles mesures. La Commission a conclu que le recours à la force aux fins de l'arrestation de M. Willey était raisonnable compte tenu des circonstances, mais qu'une force inappropriée avait été employée durant son retrait du véhicule de police et son transport au détachement; entre autres, deux armes à impulsions ont été utilisées simultanément, et on a pointé une arme à feu sur lui. La Commission a conclu que les membres qui se sont occupés de M. Willey au détachement ne l'ont pas traité avec le niveau de décence auquel on peut s'attendre des agents de police.

En outre, la Commission a conclu que les membres n'avaient pas fait appel en temps opportun à une aide médicale pour M. Willey, et qu'ils n'avaient pas communiqué aux ambulanciers tous les renseignements pertinents concernant M. Willey et son arrestation.

La Commission a constaté que, après la mort de M. Willey, le Groupe des crimes graves du district Nord a été mobilisé en temps opportun et conformément à la politique de la GRC. Cependant, la Commission a conclu que le lieu de l'arrestation n'avait pas été adéquatement sécurisé avant l'arrivée de l'équipe d'enquête, que le véhicule de police utilisé pour transporter M. Willey avait été nettoyé avant qu'il ne soit examiné, que les bottes d'un des membres auraient dû être recueillies à titre d'élément de preuve et que l'équipe d'enquête n'avait pas remarqué qu'un élément de preuve (à savoir le téléphone portable de M. Willey) avait été égaré.

De surcroît, la Commission a établi que les enquêteurs avaient omis de demander en temps opportun aux membres en cause de fournir au moins des comptes rendus préliminaires, et qu'ils ne les avaient pas interrogés adéquatement concernant leur recours à la force. En fin de compte, ni les aspects criminels ni ceux liés à la conduite de la police relativement à la mort de M. Willey n'ont fait l'objet d'une enquête adéquate et n'ont été abordés de façon appropriée.

En ce qui concerne les enregistrements vidéo, la Commission a conclu, à la suite d'un examen mené par un analyste judiciaire indépendant de vidéos, que les vidéocassettes fournies par la GRC à la Commission étaient les versions originales et montraient les moments que M. Willey a passés en détention au détachement, et que l'image figée qui aurait autrement montré le retrait de M. Willey du véhicule de police est le résultat non pas d'une intervention humaine, mais plutôt d'une défaillance du système d'enregistrement vidéo.

L'avis du commissaire de la GRC

Conformément au paragraphe 45.46(2) de la Loi sur la GRC, le commissaire doit fournir un avis écrit décrivant toute autre mesure qui a été prise ou qui sera prise à la lumière des conclusions et des recommandations formulées dans le rapport intérimaire.

Le 5 janvier 2012, la Commission a reçu l'avis du commissaire de la GRC. Pour l'essentiel, le commissaire souscrit à toutes les conclusions de la Commission. Cependant, il a indiqué qu'il était d'accord avec la conclusion selon laquelle l'utilisation d'aérosol capsique dans le cadre de l'arrestation de M. Willey n'était pas déraisonnable, mais qu'il ne souscrivait pas à la conclusion selon laquelle elle était contre-indiquée. Compte tenu des propos du commissaire, la Commission a révisé la conclusion qu'elle a formulée à cet effet. Tout en n'écartant pas le risque de contamination croisée, la Commission a déterminé que la norme devant être suivie en l'occurrence est celle du caractère raisonnable.

Le commissaire s'est également penché sur les recommandations de la Commission, et a indiqué que, en principe, il souscrivait à chacune d'entre elles. En outre, il a mentionné que ces recommandations avaient été mises en œuvre, ou qu'elles allaient l'être.

En ce qui a trait à la recommandation de la Commission, selon laquelle la GRC devrait préciser les rôles des parties chargées de l'enquête et de l'examen pour veiller à ce que les aspects criminels et ceux liés à la conduite de la police soient abordés adéquatement dans le cadre d'une enquête, le commissaire a souligné que cela se faisait au moyen de la Politique relative aux enquêtes ou examens externes, entrée en vigueur en 2010. De surcroît, je fais observer qu'il existe une directive selon laquelle l'on doit aviser les cadres supérieurs de tout incident grave pouvant être lié au code de déontologie. Toutefois, il semble qu'il existe peut-être encore une disparité entre ce qui constituerait une enquête judiciaire et une enquête liée au code de déontologie. Le commissaire devrait veiller à ce que les politiques et les directives de la GRC fournissent des lignes directrices claires pour ce qui est de l'examen de toute conduite à la suite d'un incident grave, et en ce qui concerne une conduite devant être évaluée à la lumière des politiques et de la formation ne répondant pas au seuil requis aux fins du déclenchement d'une enquête liée au code de déontologie, mais devant néanmoins faire l'objet d'un examen.

Je souligne que le commissaire a également reconnu que tout membre qui semblait avoir adopté une conduite inappropriée ne peut faire l'objet d'une mesure disciplinaire officielle en raison du délai de prescription prévu par la Loi sur la GRC. Toutefois, il a mentionné qu'il avait la possibilité d'ordonner que d'autres mesures officielles soient prises afin de déceler les lacunes dans la conduite des membres en cause, et de prendre des mesures afin de les corriger, et qu'il le ferait.

En outre, je souligne que la GRC dispose de politiques qui lui permettent généralement de dissiper les préoccupations soulevées par la Commission, mais que, en l'occurrence, elle a mis près de 14 mois pour réagir au rapport intérimaire de cette dernière. À mon avis, ce délai n'était ni approprié ni nécessaire, et n'a fait l'objet d'aucune explication. La Commission a l'assurance que des mesures ont été prises pour dissiper les préoccupations qu'elle a soulevées dans son rapport, mais tient à mentionner que le temps qu'a pris la GRC pour réagir à son rapport ne contribue pas à susciter la confiance à l'égard du processus de plaintes du public, ni à l'égard de la GRC en général.

Les conclusions et les recommandations de la Commission

À la suite de l'enquête de la Commission, j'ai formulé un certain nombre de conclusions et de recommandations qui, selon moi, pourraient aider la GRC à examiner et à modifier ses politiques et à améliorer la formation qu'elle offre à ses membres pour faire en sorte qu'un événement tragique semblable ne se reproduise. Je répète ci-dessous les conclusions et les recommandations de la Commission auxquelles, comme il a été mentionné précédemment, la GRC a réagi.

Conclusions

Conclusion : Il était légitime pour les membres d'interagir avec M. Willey, et ils en avaient l'obligation en raison de leurs fonctions.

Conclusion : La force utilisée par les gendarmes Graham et Rutten pour arrêter et menotter M. Willey était raisonnable dans les circonstances.

Conclusion : L'utilisation d'aérosol capsique par le gendarme Rutten dans le cadre de l'altercation avec M. Willey dans le garage aérien n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

Conclusions

  • Il était raisonnable pour le gendarme Graham d'utiliser la technique des pieds et poings liés dans les circonstances même si son utilisation avait été interdite par la GRC.
  • La GRC a omis de mettre en œuvre en temps opportun son changement de politique en ce qui concerne l'interdiction de l'utilisation de la technique des pieds et poings liés et l'utilisation approuvée de l'entrave RIPP Hobble.

Conclusion : Les gendarmes Graham, Fowler et Rutten ont utilisé un degré de force approprié pour arrêter Clay Willey le 21 juillet 2003.

Conclusion : Les gendarmes Scott et Edinger n'ont pas mis leur arme à feu en lieu sûr à leur arrivée au détachement, comme l'exige la politique de la GRC, et n'étaient pas fondés à ne pas respecter cette politique.

Conclusion : La gendarme Scott a eu recours à un degré de force inapproprié en empoignant son arme à feu au moment où on sortait M. Willey du véhicule de police.

Conclusion : Les gendarmes Caston et O'Donnell n'ont pas traité M. Willey avec le niveau de décence auquel on peut s'attendre des agents de police quand ils l'ont sorti du véhicule de police et l'ont transporté vers l'ascenseur.

Conclusion : L'utilisation simultanée de l'arme à impulsions par les gendarmes Caston et O'Donnell était déraisonnable, inutile et exagérée dans les circonstances.

Conclusion : Les gendarmes Caston et O'Donnell n'ont pas consigné adéquatement et en temps opportun leur utilisation de l'arme à impulsions.

Conclusion : Le gendarme Graham n'a pas fait appel en temps opportun à une aide médicale pour M. Willey. Après avoir conclu raisonnablement qu'il était dangereux de transporter M. Willey à l'hôpital, le gendarme Graham aurait dû appeler une ambulance pour qu'elle rencontre les membres et M. Willey à leur arrivée au détachement de la GRC de Prince George.

Conclusion : La GRC a omis de transmettre tous les renseignements pertinents sur M. Willey et son arrestation aux ambulanciers.

Conclusion : Le Groupe des crimes graves a été chargé de l'enquête au sujet de l'arrestation et de la mort subséquente de M. Willey en temps opportun et conformément à la politique de la GRC.

Conclusion : Aucun des membres de l'équipe d'enquête n'avait de relations étroites avec les membres en cause dans l'incident.

Conclusion : Le lieu où l'arrestation de M. Willey a été effectuée n'a pas été adéquatement sécurisé avant l'arrivée de l'équipe d'enquête du Groupe des crimes graves du district Nord.

Conclusion : Les membres de la Section de l'identité judiciaire se sont rendus à l'endroit où avait eu lieu l'arrestation et l'ont examiné en temps opportun.

Conclusion : L'équipe d'enquête du Groupe des crimes graves a commis une erreur, car elle n'a pas veillé à ce que le véhicule de police utilisé pour transporter M. Willey soit examiné avant d'être nettoyé.

Conclusion : L'équipe d'enquête du Groupe des crimes graves aurait dû recueillir les bottes du gendarme Rutten à titre d'élément de preuve potentiel.

Conclusion : L'équipe d'enquête du Groupe des crimes graves n'a pas remarqué qu'un élément de preuve (le téléphone portable de M. Willey) avait été perdu.

Conclusion : Tous les témoins pertinents ont été trouvés et interrogés.

Conclusion : Les enquêteurs ont omis de demander au moins des comptes rendus préliminaires aux membres en cause, et ce, en temps opportun.

Conclusion : Les enquêteurs du Groupe des crimes graves ont omis de questionner adéquatement les membres ayant pris part à l'incident relativement à leur recours à la force.

Conclusion : Il aurait fallu trouver plus tôt au cours de l'enquête un expert de l'usage de la force, et un rapport aurait dû être préparé; les enquêteurs auraient pu considérer cette opinion puis la transmettre au procureur de la Couronne.

Conclusion : Les aspects criminels et ceux liés à la conduite de la police relativement à la mort de M. Willey n'ont pas fait l'objet d'une enquête adéquate et n'ont pas été abordés de façon appropriée.

Conclusion : L'enquête de la GRC sur la mort de M. Willey n'a pas souffert de retards déraisonnables et elle a été menée en temps opportun.

Conclusion : Les vidéocassettes fournies par la GRC à la Commission étaient les versions originales et montraient les moments que M. Willey a passés en détention au détachement.

Conclusion : L'image figée qui aurait autrement montré le retrait de M. Willey du véhicule de police est non pas le résultat d'une intervention humaine, mais plutôt d'une défaillance du système d'enregistrement vidéo.

Recommandations

Recommandation : La Commission réitère sa recommandation, énoncée dans son rapport concernant la mort de détenus sous la garde de la GRC à la suite de l'utilisation d'armes à impulsions (juillet 2010), selon laquelle la GRC devrait élaborer des protocoles clairs concernant l'utilisation du matériel de contrainte et l'interdiction de la technique des pieds et poings liés, de cette technique modifiée et de la prise par l'encolure et les diffuser à ses membres.

Recommandation : L'officier responsable du détachement de la GRC de Prince George devrait prendre des mesures pour veiller à ce que tous les membres soient conscients de la nécessité de fournir tous les renseignements pertinents au personnel médical.

Recommandation : Quand la GRC mène une enquête sur ses membres dans des situations où la force a été utilisée et où le sujet subit une grave blessure ou meurt, un rapport sur l'usage de la force devrait être requis avant l'examen par le procureur de la Couronne.

Recommandation : La GRC devrait préciser les rôles des parties chargées de l'enquête et de l'examen pour veiller à ce que les aspects criminels et ceux liés à la conduite de la police soient abordés adéquatement dans le cadre d'une enquête.

Recommandation : La GRC devrait prendre des mesures pour veiller à ce que tout enregistrement vidéo soit entièrement divulgué, et ce, de façon présentable au bureau du coroner dans les cas de la mort de détenus et veiller à ce que ces enregistrements soient conservés dans le dossier d'enquête.

Aux termes du paragraphe 45.46(3) de la Loi sur la GRC, la Commission a rempli son mandat dans le cadre de la présente affaire.

Le président intérimaire,
Ian McPhail, c.r.

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