Rapport final de la Commission à la suite d'une plainte déposée par le président et une enquête d'intérêt public au sujet de l’incident de recours à la force survenu à Coquitlam et mettant en cause M. Myung Lee et Mme Kap Su Lee
Liens connexes
- Réponse de la commissaire de la GRC
25 février 2021 - Rapport intérimaire de la CCETP
28 février 2019 - Communiqué de presse
31 octobre 2016
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.76(3)
Aperçu
[1] Un gérant d'hôtel a communiqué avec la GRC de Coquitlam pour signaler une bagarre dans une salle de réunion de l'hôtel, à la suite d'un vote contesté relatif à une association de copropriétaires. Les membres de la GRC qui ont répondu à l'appel ont déterminé qu'il n'y avait pas eu de voies de fait, mais que la situation demeurait tendue en raison de l'animosité que suscitaient des allégations de fraude électorale entre deux groupes rivaux. Les policiers ont décidé de mettre fin à la réunion, et ils ont demandé au gardien de sécurité de l'hôtel de prendre la boîte de scrutin et de la placer en sécurité dans le coffre-fort de la réception de l'hôtel.
[2] La situation a dégénéré, puisque de nombreux votants, dont un couple âgé, voulaient que les policiers gardent la boîte de scrutin jusqu'à ce que les avocats de l'organisme puissent recompter les votes. Les membres de la GRC ont ordonné aux participants de quitter les lieux et de ne pas faire obstacle au gardien de sécurité, sans quoi ils risquaient d'être mis en arrestation. M. Myung Ju Lee et Mme Kap Su Lee – le couple âgé – ont ultimement été mis en arrestation et escortés à l'extérieur de l'hôtel en empruntant l'escalier, sous le regard de leur petite-fille, qui les avait accompagnés à la réunion.
[3] M. Lee et un des policiers ont dégringolé l'escalier pendant l'escorte. À la sortie de l'hôtel, un membre de la GRC a saisi le téléphone cellulaire d'une témoin et l'a jeté au sol. Les arrestations et la sortie sous escorte de l'hôtel ont été filmées sur téléphone cellulaire et affichées sur YouTube, ce qui a attiré ainsi l'attention des médias.
[4] La GRC a demandé au Service de police de New Westminster (SPNW) d'enquêter sur les agissements des membres de la GRC et de M. et Mme Lee. Le SPNW n'a pas recommandé le dépôt d'accusations criminelles à l'encontre des membres de la GRC. Cependant, le SPNW a recommandé que des accusations soient portées contre M. et Mme Lee. Malgré cette recommandation, le bureau du procureur de la Couronne n'a pas autorisé les accusations criminelles.
[5] La GRC a aussi enquêté sur la conduite du gendarme Sébastien Fortin, conformément à la Partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du CanadaNote de bas de page 1 (« Loi sur la GRC »), et conclu qu'il n'avait pas dérogé au code de déontologie.
[6] Le 30 octobre 2016, la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada (« la Commission ») a décidé qu'il était dans l'intérêt du public de déposer une plainte et d'enquêter sur l'incident afin de déterminerNote de bas de page 2 :
- si les membres de la GRC ou toutes personnes nommées ou employées sous le régime de la Partie I de la Loi sur la GRC en cause dans l'incident du 27 octobre 2016 ont agi conformément à la formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences législatives appropriées;
- si la formation, les politiques, les procédures et les lignes directrices de la GRC à l'échelle nationale, des divisions et des détachements qui traitent de tels incidents sont raisonnables.
[7] Après enquête, la Commission a constaté que les membres de la GRC n'avaient pas exposé de motifs suffisamment raisonnables pour justifier l'arrestation du couple et que, compte tenu de l'arrestation injustifiée, le recours à la force était injustifié. La Commission a aussi conclu que le fait d'escorter le couple âgé à l'extérieur de l'édifice en empruntant l'escalier, plutôt que l'ascenseur, augmentait le risque de blessure. La Commission a recommandé la communication de directives opérationnelles aux membres de la GRC.
[8] La Commission a par ailleurs constaté que les membres de la GRC n'avaient noté aucune mesure raisonnable pour garantir le bien-être de la petite-fille, et que la politique de la GRC sur le bien-être des enfants dont les parents ou les gardiens sont mis en arrestation ne fournissait pas de directives utiles. Elle a recommandé que les membres de la GRC reçoivent des directives opérationnelles et que la GRC revoie ses politiques relatives au bien-être des enfants dont les parents ou les gardiens sont mis en arrestation ou autrement indisponibles.
[9] Enfin, la Commission a conclu qu'aucun pouvoir légal n'autorisait les membres de la GRC à prendre et à projeter le téléphone cellulaire avec lequel une témoin prenait des photos. La Commission a recommandé que la GRC s'excuse à la témoin et lui offre le remboursement des dommages à son téléphone cellulaire. Elle a aussi recommandé la communication de directives opérationnelles au membre concerné de la GRC.
[10] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions et recommandations de la Commission qui concernent la petite-fille, le téléphone cellulaire de la témoin et l'inefficacité avec laquelle les membres de la GRC ont tenté de désamorcer la situation. La commissaire n'était pas d'accord pour dire que les arrestations étaient injustifiées ou que l'utilisation de l'escalier était inappropriée dans les circonstances.
[11] Comme nous l'expliquons plus loin, la Commission réitère ses conclusions et recommandations intérimaires dans le présent rapport final.
Enquête
[12] Organe indépendant, la Commission fait un examen impartial des plaintes du public sur la conduite des membres de la GRC. Elle ne relève pas de la GRC.
[13] La Commission a appuyé sa décision sur les éléments de preuve suivants :
- dossier de la police sur l'incident initial;
- enquête sur le code de déontologie de la GRC;
- enquête du Service de police de New Westminster;
- enquête de la Commission sur la plainte;
- lois et politiques pertinentes.
[14] Le 28 février 2019, la Commission a fait parvenir un rapport intérimaire à la commissaire de la GRC, comme l'exige la Loi sur la GRC.
[15] Le 25 février 2021, la commissaire de la GRC a répondu à la Commission et expliqué ce qui serait fait dans ce dossier. La Commission a pris connaissance de la réponse et dépose maintenant le présent rapport final.
Décision
[16] La Commission a passé en revue la réponse de la commissaire de la GRC à son rapport intérimaire, dont les détails sont analysés plus loin. Cependant, la Commission croit important d'exprimer d'entrée de jeu ses préoccupations concernant le fait que, de façon continue, la commissaire de la GRC réévalue les preuves afin de contester les conclusions de la Commission, surtout lorsqu'il n'y a aucun fait ou élément de preuve nouveau à examiner.
[17] Dans l'arrêt Wood c SchaefferNote de bas de page 3, la Cour suprême du Canada a reconnu l'importance de ce problème lorsque « la police enquête sur la police » et cite de nombreux rapports soulignant « l'importance d'un organisme indépendant qui serait chargé de faire enquête de façon transparente pour déterminer, à la lumière des faits survenus, si la confiance du public avait été trahie ».
[18] La Commission n'est ni plus ni moins qu'un tel organisme indépendant chargé de faire sa propre enquête indépendante et d'évaluer la preuve. À cette fin, elle est habilitée à tirer des conclusions de faits et de droit. La réponse de la commissaire de la GRC ne constitue pas un appel ou une réfutation du travail de la Commission. Ce serait contraire au concept de surveillance indépendante si essentiel à la confiance du public dans la GRC. Le rôle de la GRC se limite plutôt à indiquer les mesures qu'elle entend prendre en réponse au rapport de la Commission. Si la GRC décide de ne pas donner suite à une conclusion ou recommandation, elle est tenue d'exposer ses motifsNote de bas de page 4. Ces motifs, hormis la découverte de nouveaux éléments de preuve qui n'ont pas déjà été soumis à la Commission, ne justifient pas la remise en litige des faits ou éléments de droit. Ils donnent plutôt à la GRC la possibilité d'expliquer pourquoi elle ne peut pas mettre en œuvre les mesures recommandées par la Commission ou n'entend pas le faire.
[19] Dans cette affaire, la commissaire de la GRC a accepté de prendre les mesures suivantes en réponse au rapport intérimaire de la Commission :
- Les gendarmes Abboub et Fortin seront tenus de lire le présent rapport pour se sensibiliser à l'importance de recourir à des techniques adéquates de résolution de problèmes lorsqu'ils répondent à des demandes de service.
- L'importance de clairement exposer les motifs de l'arrestation sera rappelée aux gendarmes Abboub et Fortin.
- Des directives opérationnelles sur l'importance de garantir le bien‑être des enfants après l'arrestation de leurs gardiens seront communiquées aux gendarmes Abboub, Fortin et Kevin Gibson.
- La GRC révisera ses politiques sur le bien-être des enfants dont les parents ou les gardiens sont mis en arrestation ou autrement indisponibles.
- La GRC s'excusera auprès de H. Y., au nom du gendarme Fortin, pour la projection de son téléphone cellulaire au sol.
- La GRC offrira à H. Y. le remboursement des dommages causés à son téléphone cellulaire.
- Le gendarme Fortin recevra des directives opérationnelles ayant trait au traitement qu'il a réservé au téléphone cellulaire de H. Y.
Faits
[20] Le 27 octobre 2016 à 22 h 30, à l'issue d'un appel 911, la GRC a été appelée à intervenir puisqu'il y avait du désordre à un hôtel Best Western de Coquitlam, en Colombie‑Britannique. J. C., un gestionnaire de propriété en condominiums, était l'auteur de l'appel; il a informé le préposé aux appels qu'une bagarre entre environ 20 personnes avait éclaté au cours d'une réunion de copropriétaires qui avait lieu à l'hôtel.
[21] À leur arrivée, les membres de la GRC ont appris qu'un groupe de votants à la réunion estimaient que le vote n'avait pas été mené de façon équitable, et qu'une dispute avait suivi entre M. Lee et G. J. Un des participants avait filmé la dispute sur son téléphone cellulaire et a montré la vidéo aux membres présents. Les policiers ont déterminé qu'il n'y avait pas eu voies de fait, mais que la situation exigeait l'annulation de la réunion et le dépôt de la boîte de scrutin en sécurité à l'hôtel.
[22] Les policiers ont demandé au gardien de sécurité de l'hôtel, D. C., de retirer la boîte de scrutin et de la mettre en sécurité dans le coffre-fort de la réception de l'hôtel. Une deuxième dispute a alors éclaté parce que M. Lee et son groupe refusaient de laisser les employés de l'hôtel s'emparer de la boîte. Ils préféraient que les policiers prennent possession de la boîte de scrutin jusqu'à ce que les avocats de l'organisme puissent recompter les votes.
[23] L'épouse de M. Lee a essayé de sceller la boîte de scrutin et d'y apposer sa signature pendant que le gardien de sécurité de l'hôtel l'emportait. Les membres de la GRC ont ordonné aux participants de quitter les lieux et de ne pas nuire au gardien de sécurité, sans quoi ils risquaient une arrestation. Même si les descriptions des témoins varient quant à la suite des choses, il reste que M. et Mme Lee ont tous deux été mis en arrestation et escortés hors de l'édifice en passant par l'escalier. M. et Mme Lee prenaient soin de leur petite-fille de cinq ans, laquelle était présente pendant les arrestations et tentait d'aider ses grands-parents. Des enregistrements sur téléphone cellulaire des arrestations ont été affichés sur YouTube, attirant l'attention des médias.
[24] Des ambulanciers ont examiné M. et Mme Lee et les ont emmenés à l'hôpital Royal Columbian. Ils ont obtenu leur congé peu après et ont tous deux signé une promesse de comparaître. Aucune accusation n'a par la suite été déposée.
[25] La Commission a déterminé que six membres de la GRC avaient participé concrètement à l'incident du 27 octobre 2016 :
- Première policière sur les lieux, la gendarme Soumia Abboub a procédé à l'arrestation de Mme Lee et contribué à celle de M. Lee.
- Le gendarme Kevin Gibson était parmi les premiers policiers à répondre à l'appel. Il a pris part à l'arrestation de Mme Lee et l'a libérée sur promesse de comparaître.
- Le gendarme Sébastien Fortin était également parmi les premiers policiers à intervenir. Il a mis M. Lee en arrestation pour avoir troublé la paix, et on le voit sur la vidéo descendre l'escalier avec M. Lee. Il s'est de plus emparé du téléphone cellulaire de H. Y., qui filmait l'arrestation, puis l'a projeté au sol.
- Le gendarme Benoit Brooks est arrivé à l'hôtel après l'arrestation de M. et Mme Lee, et il a aidé les ambulanciers.
- Le gendarme Yoojin Lee est arrivé après l'arrestation de M. et Mme Lee, et il a effectué la traduction en coréen et en anglais. Le gendarme Lee a accompagné M. et Mme Lee à l'hôpital, et a libéré Mme Lee sur promesse de comparaître.
- Le gendarme Porter est arrivé sur les lieux après l'arrestation de M. et Mme Lee, et il est lui aussi allé à l'hôpital.
Analyse
[26] La Commission a relevé quatre principaux aspects préoccupants de la conduite des membres de la GRC présents. Il s'agit de leur incapacité de gérer efficacement la situation après leur arrivée sur les lieux, de l'arrestation de M. et Mme Lee, de l'absence de soins consacrés à leur petite-fille et de la prise du téléphone cellulaire de H. Y.
Incapacité d'empêcher une dégradation de la situation
Décision de la Commission
Les gendarmes Abboub et Fortin n'ont pas réglé efficacement les préoccupations relatives à la mise en sécurité de la boîte de scrutin, semant ainsi l'émoi au sein du groupe.
Recommandation de la Commission
Que les gendarmes Abboub et Fortin soient tenus de lire le présent rapport pour se sensibiliser à l'importance de recourir à des techniques adéquates de résolution de problèmes lorsqu'ils répondent à des demandes de service.
[27] La première source de préoccupation réside dans l'incapacité des membres de la GRC d'empêcher que la situation se dégrade au point où des arrestations sont nécessaires. Il convient de signaler qu'il n'y avait aucune bagarre à l'arrivée des membres de la GRC, même si plusieurs témoins ont décrit un climat tendu.
[28] Après son arrivée sur les lieux, la gendarme Abboub a visionné la vidéo enregistrée sur le téléphone cellulaire d'un participant à la réunion, dans laquelle on voit M. Lee qui se montre agressif après s'être plaint d'irrégularités dans la conduite du scrutin. Cependant, de nombreuses déclarations des témoins indiquent que, même si M. Lee était auparavant énervé et agressif, la situation s'était calmée à l'arrivée des membres sur les lieux.
[29] Les déclarations des témoins révèlent qu'après le visionnement de la vidéo, les policiers ont décidé d'annuler la réunion. Le rapport de police de la gendarme Abboub indique que les engueulades et les chicanes ont poussé les policiers à mettre fin à la réunion, avec l'accord des organisateurs. Il a aussi été décidé de demander au gardien de sécurité de l'hôtel de mettre la boîte de scrutin dans le coffre-fort de la réception de l'hôtel, malgré les désirs exprimés par M. et Mme Lee et leurs alliés. C'est ce qui a mis le feu aux poudres.
[30] Il est clair, pour la Commission, que M. et Mme Lee, ainsi que leurs alliés, souhaitaient avant tout sécuriser efficacement la boîte de scrutin contenant les bulletins de vote. Ils se méfiaient de J. C., le gestionnaire de la propriété de condominiums, et de son représentant, et voulaient donc que les policiers prennent le contrôle de la boîte de scrutin jusqu'à ce que les avocats s'en mêlent. Les policiers avaient toute l'attention des participants à ce moment-là, et ils auraient pu en profiter pour expliquer calmement les étapes qu'ils prendraient pour régler le conflit de manière paisible et les motifs justifiant leur décision. Ils ont plutôt dit aux participants de se calmer, sinon ils risquaient de se faire arrêter.
[31] Dès que l'agent de sécurité de l'hôtel a pris la boîte de scrutin, la situation que les policiers avaient à gérer s'est compliquée. Mme Lee craignait que la boîte de scrutin soit manipulée, et elle a tenté de la signer pour pouvoir vérifier plus tard si elle avait été ouverte avant que les avocats s'en saisissent. Le rapport de police de la gendarme Abboub décrit très bien le résultat :
[traduction]
La situation a dégénéré assez rapidement après que le copropriétaire Myung LEE et son épouse, Park KAPSU, aient refusé de collaborer avec les policiers et résisté à leur arrestation pour avoir troublé la paix. M. LEE et Mme PARK ont été mis en arrestation pour voies de fait sur des policiers.
[32] Les policiers ont reconnu l'importance de la boîte de scrutin, mais refusé d'en prendre possession. Ils ont plutôt demandé au gardien de sécurité de l'hôtel de l'emporter et de la mettre dans le coffre-fort de l'hôtel. C'est pourquoi Mme Lee a tenté de signer la boîte et l'agent de sécurité a été accosté à sa sortie avec la boîte de scrutin.
[33] Selon M. et Mme Lee, il semble que la décision arbitraire des policiers ait nui à leurs intérêts de propriété et empêché un scrutin équitable, et il est compréhensible qu'ils aient été émotifs et fâchés. Il en est aussi ressorti qu'une procédure de scrutin apparemment anodine est devenue un incident teinté par l'arrestation de deux personnes âgées sans antécédents judiciaires, pour des infractions au Code criminel.
[34] La Commission n'a trouvé aucune politique précise de la GRC qui régisse la prise et la mise en sécurité d'une boîte de scrutin à de telles rencontres de propriétaires privés. La Commission estime toutefois que si les policiers avaient pris et sécurisé la boîte de scrutin jusqu'à ce que les avocats de la société puissent dépouiller adéquatement les votes, cet incident malheureux ne se serait sans doute pas produit.
[35] Dans leurs fonctions, les policiers de la GRC saisissent régulièrement des objets sans lien direct avec une enquête criminelle. De plus, tous les cas de fraude électorale alléguée ne nécessitent pas la saisie d'une boîte de scrutin. Cette décision exige des membres présents de la souplesse et la recherche d'une solution constructive. Une telle approche a l'avantage de faire comprendre à toutes les parties que les policiers ont agi avec impartialité et protégé leurs intérêts. Cette approche concorde par ailleurs avec le cadre de fonctionnement du modèle CAPRANote de bas de page 5 de la GRC, qui épouse le concept de la résolution innovatrice de problèmes pour remédier à des situations semblables à celle que vivaient les membres présents.
[36] Sur son site Web, la GRC fournit l'explication suivante :
Le modèle de résolution de problèmes CAPRA est l'application opérationnelle de la vision et de la mission de la GRC. Ce modèle englobe notre engagement en ce qui touche les communautés et les clients, la résolution de problèmes au moyen de partenariats ainsi que l'apprentissage continu. Ce modèle a permis de définir les compétences nécessaires aux services efficaces de la police communautaire [...] Une telle démarche met l'accent sur l'importance d'organiser les services de police en fonction des besoins de la collectivité et des différents clients plutôt que sur la discipline et les fonctions des services de police [...] Le curriculum, axé sur le client, comprend des situations vraisemblables et intégrées où les besoins, les attentes et les demandes des clients varient. Les méthodes de résolution de problèmes reposent sur le principe que la simple application systématique des règles et des procédures ne suffira pas pour atteindre les objectifs ambitieux des services de police communautaireNote de bas de page 6.
[37] Par ailleurs, le paragraphe suivant s'inscrit dans un cours sur le modèle CAPRA donné aux membres de la GRC. On peut y lire, sous le titre « Responsabilité première des policiers » :
Si vous devez combler tous les besoins du client et respecter ses intérêts, votre réaction inclura invariablement des éléments des diverses stratégies d'intervention : service, protection, prévention et application de la loi. Vous devrez savoir quelle est votre responsabilité première pour répondre au mieux à l'intérêt public dans chaque situation. Vous devez aussi savoir que cela peut changer dans le cours d'une enquête ou s'il s'agit d'un incident différent [...] Vous pourriez vous doter d'une stratégie qui met l'accent sur la protection, qui se déplace ensuite vers le service et plus tard vers la prévention, et, s'il le faut, vers l'application stricte de la loi [...] Dans toute situation, il faut toujours se demander : « Quelle est ma responsabilité première? Quelle mesure répond le mieux à l'intérêt public? Quel client doit avoir la priorité aux diverses étapes d'un incident? »
[38] Selon la Commission, le modèle de résolution de problèmes CAPRA aurait dû inciter les gendarmes Abboub et Fortin à adopter une méthode de résolution de problème qui limite le risque de violence. Comme solution raisonnable, la GRC aurait pu sécuriser la boîte de scrutin temporairement par courtoisie, afin d'éviter la violence.
Réponse de la commissaire de la GRC
[39] La commissaire a souscrit à la conclusion et ordonné la mise en œuvre de la recommandation de la Commission.
Arrestations
Décisions de la Commission
- Les gendarmes Abboub et Fortin n'ont pas convenablement exercé le pouvoir de procéder aux arrestations, rendant ainsi ces arrestations injustifiées.
- Puisque les arrestations étaient injustifiées, la force utilisée pour procéder aux arrestations était nécessairement injustifiée.
- Il était déraisonnable, dans les circonstances, d'escorter M. et Mme Lee en empruntant l'escalier plutôt que l'ascenseur.
Recommandations de la Commission
- Que l'importance de formuler clairement les motifs des arrestations soit rappelée aux gendarmes Abboub et Fortin.
- Qu'un expert en recours à la force communique des directives opérationnelles aux gendarmes Abboub et Fortin, en ce qui concerne l'intervention en cause et la décision de sortir par l'escalier.
[40] La deuxième préoccupation de la Commission porte sur l'incapacité des policiers d'exposer les motifs des arrestations de M. et Mme Lee, et l'absence d'une stratégie sécuritaire pour les escorter hors de l'hôtel après leur arrestation.
[41] Dans le cadre de son enquête, la Commission a fait parvenir un formulaire d'entrevue aux gendarmes Abboub, Fortin et Gibson, pour leur donner la possibilité de répondre à des questions précises sur le pouvoir légal et les faits justifiant l'arrestation de M. et Mme Lee. Ils ont tous refusé de fournir des renseignements supplémentaires, comme ils en avaient le droit.
[42] Pour établir si la conduite des policiers se conformait aux lois et aux politiques, il faut déterminer les pouvoirs légaux qui les autorisaient à agir à leur arrivée sur les lieux. S'ils n'avaient pas le pouvoir légal d'arrêter M. et Mme Lee, alors tout recours à la force pour procéder à leur arrestation était injustifié. Si les arrestations se fondaient sur un pouvoir légal, le degré de force utilisé devait être raisonnablement nécessaire pour justifier leur conduite.
[43] Le fondement législatif à partir duquel établir les obligations des membres de la GRC se trouve à l'article 18 de la Loi sur la GRC, qui se lit comme suit :
Sous réserve des ordres du commissaire, les membres qui ont qualité d'agent de la paix sont tenus :
a) de remplir toutes les fonctions des agents de la paix en ce qui concerne le maintien de la paix, la prévention du crime et des infractions aux lois fédérales et à celles en vigueur dans la province où ils peuvent être employés, ainsi que l'arrestation des criminels, des contrevenants et des autres personnes pouvant être légalement mises sous garde;
b) d'exécuter tous les mandats — ainsi que les obligations et services s'y rattachant — qui peuvent, aux termes de la présente loi, des autres lois fédérales ou de celles en vigueur dans une province, légalement l'être par des agents de la paix[.]
[44] Au nombre des « lois du Canada » figure le Code criminel, dont l'alinéa 25(1)b) se lit comme suit :
Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi :
[...]
b) soit à titre d'agent de la paix ou de fonctionnaire public;
[...]
est, s'il agit en s'appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu'il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
[45] L'article 26 du Code criminel limite cette autorisation et précise :
Quiconque est autorisé par la loi à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force, selon la nature et la qualité de l'acte qui constitue l'excès.
[46] Dans l'arrêt R c StorreyNote de bas de page 7, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour qu'une arrestation soit valide, il ne suffit pas que l'agent de police croie personnellement avoir des motifs raisonnables d'effectuer une arrestation. Il faut aussi établir qu'une personne raisonnable, se trouvant à la place de l'agent de police, aurait cru à l'existence de motifs raisonnables de procéder à l'arrestation. Pour être légitimes, les motifs de l'arrestation doivent donc être subjectivement et objectivement justifiables.
[47] L'infraction criminelle qui consiste à troubler la paix figure au paragraphe 175(1) du Code criminel, et ses passages pertinents se lisent comme suit :
Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque...
a) [...] fait du tapage dans un endroit public ou près d'un tel endroit :
(i) soit en se battant, en criant, vociférant, jurant [...],
[...]
(iii) soit en gênant ou molestant d'autres personnes [...]
[48] La décision de principe de la Cour suprême du Canada concernant cette infraction est l'arrêt R c LohnesNote de bas de page 8, dans laquelle elle déclare :
[...] le tapage visé à l'al. 175(1)a) représente plus qu'un simple trouble émotif. Il doit y avoir une perturbation manifestée extérieurement de la paix publique au sens d'une entrave à l'utilisation ordinaire et habituelle des lieux par le public. L'entrave peut être mineure, mais elle doit avoir lieu. Il peut y avoir une preuve directe d'un tel effet ou d'une telle entrave, ou on peut en déduire l'existence de la preuve apportée par un agent de police sur le comportement d'une personne aux termes du par. 175(2). Le tapage peut consister en l'acte reproché lui‑même ou il peut constituer une conséquence de l'acte reproché. Conformément au principe de la légalité, le désordre doit avoir été raisonnablement prévisible dans les circonstances particulières du moment et du lieu.
[49] Dans sa déclaration, la gendarme Abboub affirme que les agents ont dit aux membres du groupe de quitter l'hôtel immédiatement, sinon ils seraient mis en arrestation pour avoir troublé la paix, et elle ajoute ce qui suit dans son rapport :
[traduction]
[... Le gendarme Abboub] estimait qu'ils devaient mettre les deux parties en arrestation dès que possible pour contrôler la situation. À ce moment, la gendarme Abboub a informé Mme Lee qu'elle était en état d'arrestation pour entrave à un policier, en raison de son défaut de collaborer.
[50] À divers moments, la gendarme Abboub a donné quatre raisons différentes pour l'arrestation, soit entrave (refus de collaborer), résistance à une arrestation, trouble de la paix et voies de fait sur un policier.
[51] Le rapport de police du gendarme Fortin indique :
[traduction]
Le gendarme Fortin a posé sa main gauche sur le dos de M. LEE pour tenter doucement de le faire avancer. M. Lee a alors ralenti et fait des commentaires que les policiers n'ont pas saisis. Le gendarme Fortin lui a demandé de cesser de résister et l'a avisé qu'il troublait maintenant la paix et était sous arrestation.
[52] Le désordre causé par la conduite de M. et Mme Lee est discutable. Mme Lee a certainement tenté d'empêcher le gardien de sécurité de l'hôtel de quitter la pièce; cependant, c'était pour apposer sa signature sur le sceau de la boîte de scrutin, et non pour se chamailler ou pour nuire autrement à l'utilisation des lieux par le public. Les cris et protestations de M. Lee étaient axés sur le vote, et ne constituaient pas une perturbation manifestée extérieurement de la paix publique.
[53] Le prochain extrait de la déclaration de la gendarme Abboub au SPNW signale que les membres de la GRC ne contrôlaient pas pleinement la situation et n'étaient pas en mesure d'exprimer clairement les motifs de l'arrestation de M. et Mme Lee :
[traduction]
[...] Le gendarme Gibson est venu, et je lui ai dit essentiellement que, euh, elle était, elle, euh, était arrêtée pour entrave. C'est là qu'il l'a prise en charge, mais sans savoir pourquoi; il était simplement là pour m'aider. Alors il, nous l'avons menottée... le gendarme Gibson l'a maîtrisée [...] puis Mme Lee a essayé de se frayer un chemin jusqu'à son mari. J'ai alors pensé que, euh, elle, euh, tout d'abord, elle gênait notre travail parce qu'elle n'arrêtait pas, elle était (incompréhensible) elle me poussait. Elle ne collaborait donc pas à ce moment‑là [...] J'ignorais ce qu'elle allait faire.
[54] Pour ajouter à la confusion, le gendarme Gibson écrit qu'il a informé Mme Lee qu'elle était en état d'arrestation pour voies de fait sur un policier. Questionné sur les détails de l'agression, le gendarme Porter a répondu qu'on lui avait dit :
[traduction]
[...] Un verre avait été lancé [...] au gendarme Fortin, je crois [...] ils l'avaient agressé et essayaient simplement de l'atteindre; ils ont dit qu'il y avait encore beaucoup de gens sur le palier de l'escalier; ils essayaient de faire sortir tout le monde. C'est tout simplement devenu une situation où quelque chose avait été lancé (incompréhensible) quelqu'un avait été cloué au sol et [...] il avait donné des coups de pied, je crois... je sais que l'enfant a mordu le gendarme Gibson [...] Il m'a montré les marques de dents de l'enfant.
[55] Le rapport de police du gendarme Lee indique :
[traduction]
La gendarme Abboub a avisé le gendarme LEE de l'arrestation de Mme PARK pour voie de fait sur un policier. À 23 h 26, le gendarme LEE a arrêté Mme PARK, lui a fait part de ses droits et l'a mise en garde en coréen [...] On a aussi demandé au gendarme LEE d'en faire autant avec M. LEE. À 23 h 31, le gendarme LEE a arrêté M. LEE, lui a lu ses droits et l'a mis en garde en coréen.
[56] Il n'y a aucune mention de désordre pendant l'arrestation effectuée par le gendarme Lee, mais M. Lee avait été avisé qu'en plus d'être mis en arrestation pour voies de fait sur un policier, il était arrêté pour entrave.
[57] La Commission ne peut conclure à des motifs suffisants pour déterminer que M. ou Mme Lee avait agressé des membres de la GRC. Les rapports des membres indiquent simplement que M. et Mme Lee n'avaient pas obéi lorsqu'on leur avait demandé de ne pas nuire à l'agent de sécurité, et qu'ils avaient été arrêtés parce qu'ils avaient résisté. Tout contact physique entre M. et Mme Lee et les membres qui auraient pu constituer des voies de fait, y compris l'interaction dans l'escalier, s'est produit après les arrestations et ne s'applique donc pas à la présente analyse.
[58] La conduite de M. et Mme Lee équivalait davantage à de la résistance aux efforts des membres pour les contrôler, qu'à des voies de fait contre les membres. Les éléments de résistance à leur arrestation seraient valables, s'il y avait au départ des motifs de procéder à leur arrestation.
[59] L'infraction d'entrave se trouve au paragraphe 129(a) du Code criminel. Voici les trois éléments que la Couronne doit prouver : il y a entrave; le membre de la GRC était un policier en fonction, et l'accusé a volontairement entravé ses fonctionsNote de bas de page 9. Dans la décision R c LohidiciNote de bas de page 10, le juge Dunnigan résume ces éléments et indique que la question de savoir si la conduite équivaut à une « entrave » en est une de faits à laquelle il faut répondre en tenant compte de toutes les circonstances en cause.
[60] De plus, comme l'indique la décision R c Whalen, même s'il n'est pas nécessaire que les policiers soient totalement incapables d'exécuter leurs fonctions, « [traduction] les gestes insignifiants, momentanés ou transitoires de l'accusé, qui n'ont pas de conséquences ou n'exigent qu'un faible effort supplémentaire de la part du policier, ne suffisent pas à justifier une entraveNote de bas de page 11 ».
[61] L'examen de la jurisprudence en appel par la Commission révèle que l'actus reusNote de bas de page 12 de l'entrave exige davantage qu'une simple nuisance au policier dans l'exercice de ses fonctions. Dans l'affaire R c HargroveNote de bas de page 13, par exemple, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, qui est une cour d'appel en matière de poursuites sommaires, a conclu que même si le travail du policier avait été gêné, il n'y avait pas matière à entrave. Ce point de vue ressort également des observations de sources secondaires. Dans le numéro de septembre 2017 du Mack's Criminal Law Bulletin, l'auteur a fait un examen rigoureux de la jurisprudence moderne qui concerne l'infraction d'entrave, et conclu que « [traduction] il a été établi que l'entrave exige davantage qu'une simple complication du travail du policier [...] ».
[62] Appliquant cette analyse aux faits, il est essentiel de déterminer si les gestes de M. et Mme Lee ont nui aux efforts des policiers de façon plus qu'anodine. Mme Lee cherchait à apposer sa signature sur une boîte de scrutin, afin de s'assurer qu'elle ne soit pas manipulée. Même si la situation était chargée d'émotion, aucune activité criminelle n'était commise. M. Lee a tenté d'aider son épouse, à qui le gendarme Fortin avait ordonné de s'asseoir. L'application de la loi par les policiers consistait à veiller à ce que la boîte de scrutin soit retirée de la pièce. M. Lee criait et hurlait à ce moment-là, mais, selon le gardien de sécurité qui essayait de sortir la boîte de scrutin de la pièce, ni M. Lee ni personne d'autre ne l'ont empêché d'avancer.
[63] Dans ce contexte, les cris et hurlements de M. Lee peuvent avoir gêné les agents dans l'exercice de leurs fonctions, mais sans pour autant constituer l'actus reus de l'infraction d'entrave. La Commission reprendrait l'observation du juge Fradsham dans sa décision Whalen, à savoir :
[traduction]
[...] Je n'excuse pas un tel comportement malicieux, mais il faut le mettre en contexte. Pareilles erreurs momentanées sont fâcheuses, immatures, irresponsables et suscitent une kyrielle d'autres qualificatifs peu flatteurs, mais elles ne sont pas criminelles [...] On ne peut criminaliser une activité qui exige un petit effort transitoire supplémentaire de la part d'un agent de la paixNote de bas de page 14.
[64] Dans le même ordre d'idées, même si la Commission n'excuse pas la conduite de M. et Mme Lee, elle conclut que les membres de la GRC n'ont pas exposé les motifs légitimes de leur arrestation. Faute de les informer des motifs de leur arrestation, tout recours à la force était nécessairement injustifié.
[65] La Commission souligne que l'article 31 du Code criminel confère aux policiers le pouvoir de procéder à une arrestation pour violation de la paix. Cet article ne crée pas une infraction, mais confère un pouvoir d'arrestation préventive dans des situations telles qu'une activité publique. Même si un policier n'est pas témoin de la violation initiale de la paix, il peut légalement procéder à une arrestation si celle-ci lui est signalée. Les renseignements donnés aux membres de la GRC, selon lesquels M. Lee était agressif envers les votants du groupe opposé, et la conduite de M. et Mme Lee à l'endroit de l'agent de sécurité auraient pu être gérés plus efficacement par une arrestation fondée sur une violation appréhendée de la paix. Ainsi, ils auraient pu détenir M. et Mme Lee jusqu'à ce que la boîte de scrutin soit retirée de la pièce, puis les libérer sans conséquences juridiques.
Escorte de prisonniers dans un escalier
[66] Une fois M. et Mme Lee arrêtés, les agents ont décidé de les escorter à l'extérieur de l'édifice en passant par l'escalier, plutôt que par l'ascenseur. Si on se fie aux déclarations et aux rapports des agents, il est difficile de dire pourquoi M. et Mme Lee n'ont pas été escortés à la sortie en empruntant l'ascenseur, plutôt que l'escalier. Il est plus que probable que les agents connaissaient l'existence d'un ascenseur à proximité, puisque l'entrée principale de la salle de réunion se situait au haut de l'escalier, tout près de l'ascenseur qui mène au rez-de-chaussée.
[67] Bien des témoins ont affirmé dans leurs déclarations qu'ils avaient pris ce même ascenseur pour quitter l'hôtel, étant donné la foule qui s'était réunie autour de l'escalier. Non seulement les policiers auraient eu une meilleure maîtrise pour menotter M. et Mme Lee, mais ils auraient aussi évité les dangers de la descente de l'escalier avec des personnes récalcitrantes, entourés de gens solidaires à M. et Mme Lee. Les policiers connaissaient ce danger inhérent au déplacement de personnes récalcitrantes et menottées dans un escalier, comme le révèle la déclaration du gendarme Gibson au SPNW, dans laquelle il reconnaît avoir appris dans sa formation de policier que les escaliers sont des endroits fondamentalement dangereux.
[68] Dans le cadre de son enquête, la Commission a demandé à la GRC de fournir ses politiques et la formation nationales et celles de la Division « E » sur l'escorte d'une personne en état d'arrestation dans un escalier. La GRC a répondu qu'aucune politique n'expose les procédures à suivre pour escorter une personne arrêtée dans un escalier, et que les éléments tactiques à considérer par les policiers sont largement expliqués dans son Modèle d'intervention pour la gestion d'incidentsNote de bas de page 15. D'autres pièces de correspondance de la GRC indiquaient ce qui suit :
[traduction]
- Il ne semble pas y avoir de plan de cours précis sur l'escorte de prisonniers dans un escalier. Les deux sujets sont traités séparément. Les escaliers sont couverts par la formation au DRAI et le CISPP qui, à l'aide du même plan de cours, indique la façon de procéder. La Division Dépôt aborde aussi le sujet dans les méthodes d'établissement des risques faibles à modérés. L'escorte des prisonniers est étudiée au bloc horaire 6-7 de la Division Dépôt, et porte surtout sur le contrôle. Quant aux AI, il est surtout question de leur utilisation dans l'environnement global (bordures, eau, etc.), mais non précisément dans un escalier.
- Les escaliers s'inscrivent aussi dans l'évaluation générale du risque, car ils sont à la fois des éléments tactiques à considérer et un facteur conjoncturel qui peut influencer à la hausse l'évaluation du risque d'un membre, selon sa contribution à l'ensemble de la situation.
[69] Selon la Commission, le choix d'escorter M. et Mme Lee en empruntant l'escalier a augmenté le risque de violence ou de blessure. Quoi qu'il en soit, la Commission reconnaît qu'elle a l'avantage du recul et n'est pas nécessairement pleinement informée des perceptions de chacun des membres concernés de la GRC. C'est pourquoi la Commission recommande que les gendarmes Abboub et Fortin discutent de la situation avec un expert de la GRC en recours à la force, dans le but de mieux comprendre les solutions tactiques et les risques pour la sécurité, et ainsi de réduire le risque dans leurs futures interventions.
Réponse de la commissaire de la GRC
[70] La commissaire de la GRC n'était pas d'accord avec la conclusion de la Commission que « les gendarmes Abboub et Fortin n'ont pas convenablement exercé le pouvoir de procéder aux arrestations, rendant ainsi ces arrestations injustifiées ».
[71] La commissaire de la GRC a écrit :
[traduction]
La gendarme Abboub avait des motifs de procéder à l'arrestation de Mme Lee pour différentes infractions, dont voies de fait contre un agent de la paix, voies de fait et entrave à un agent de la paix. La gendarme Abboub a exposé les motifs de l'arrestation de Mme Lee dans sa déclaration au Service de police de New Westminster. La gendarme Abboub se rappelle avoir vu Mme Lee suivre le gendarme Fortin qui escortait son époux, M. Lee, à l'extérieur de la salle de réunion. La gendarme Abboub a vu Mme Lee tenir un verre d'eau au-dessus de sa tête. Craignant qu'elle le lance au gendarme Fortin, la gendarme Abboub lui a demandé deux fois de poser le verre, avant de le lui retirer. Une fois le verre au sol, Mme Lee a voulu bousculer la gendarme Abboub pour atteindre le gendarme Fortin. C'est alors que la gendarme Abboub a mis Mme Lee en arrestation pour entrave à un agent de la paix, dans le but de l'empêcher d'agresser le gendarme Fortin ou de nuire à l'arrestation de M. Lee par le gendarme Fortin.La Commission a conclu que les gestes de Mme Lee étaient une nuisance pour les membres et qu'aucune activité criminelle sous-jacente n'avait été commise. Cette interprétation limitée ne tient pas compte de tous les faits ni de la perception de la gendarme Abboub. Lorsque les éléments de l'entrave sont appliqués à cet incident, il est évident que les gendarmes Abboub et Fortin exécutaient légitimement leurs fonctions. Dans cette situation énergique et instable, la gendarme Abboub a cru que Mme Lee allait lancer un verre au gendarme Fortin et nuire à l'arrestation de M. Lee. Le verre aurait pu blesser sérieusement le gendarme Fortin, qui n'était pas conscient de la menace. Les gestes de Mme Lee n'étaient pas qu'une simple nuisance, mais bien une infraction criminelle. Pour empêcher Mme Lee de commettre une agression à l'aide du verre et de nuire à l'arrestation de M. Lee, la gendarme Abboub devait intervenir fermement. Au vu des circonstances, son arrestation était justifiée.
[72] La commissaire de la GRC était également en désaccord avec la conclusion que l'arrestation de M. Lee par le gendarme Fortin était injustifiée. Elle a déclaré :
[traduction]
Le gendarme Fortin [...] a décrit comment, avec l'aide des organisateurs, la séance a été levée et les participants invités à partir. La décision a été prise de demander au personnel de l'hôtel de mettre la boîte de scrutin contestée en sécurité. Selon le gendarme Fortin, cette décision a semé le désordre, et Mme Lee s'est approchée du gardien de sécurité pour apposer ses initiales sur la boîte de scrutin. M. Lee a aussi tenté de s'approcher de la boîte de scrutin, même si les policiers l'avaient déjà invité à quitter les lieux. Le gendarme Fortin a écrit qu'il avait posé sa main sur le dos de M. Lee pour tenter doucement de le faire avancer. M. Lee a alors ralenti et fait des commentaires que le gendarme Fortin n'a pas saisis, mais puisqu'il était clair que M. Lee ne se conformait pas et que la foule était agitée, le gendarme Fortin a arrêté M. Lee pour avoir troublé la paix. Les gestes du gendarme Fortin concordent avec les résultats de l'enquête du Service de police de New Westminster.
[73] La commissaire de la GRC a donné des détails sur les déclarations des témoins interrogés par le SPNW, quant à la conduite de M. Lee, et elle a conclu en affirmant :
[traduction]
Les renseignements contenus dans les documents justificatifs soulignent le comportement de M. Lee; par exemple, il continuait de crier et cherchait à bloquer le gardien de sécurité, ce qui lui a valu une arrestation en règle. Les membres n'ont peut-être pas exposé les motifs de l'arrestation, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'avaient pas de motifs raisonnables et probables d'arrêter M. et Mme Lee [...] À part les policiers, d'autres personnes pouvaient être dérangées par les entraves et les cris. C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec la conclusion que, puisque les arrestations étaient injustifiées, la force utilisée pour procéder aux arrestations était nécessairement injustifiée.
[74] La commissaire a fait référence à l'expert en recours à la force du SPNW, qui a conclu que « [traduction] les gendarmes Fortin et Abboub ont correctement observé le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents, afin d'arrêter et de contrôler M. et Mme Lee ».
[75] Même si elle n'était pas d'accord avec la conclusion, la commissaire de la GRC souscrivait « en général » à la recommandation de rappeler aux gendarmes Abboub et Fortin l'importance de formuler clairement les motifs des arrestations. Elle a ajouté qu'elle s'assurerait que ce soit fait.
[76] La commissaire de la GRC n'était pas d'accord avec la conclusion qu'il était déraisonnable, dans les circonstances, d'escorter M. et Mme Lee en empruntant l'escalier plutôt que l'ascenseur.
[77] La commissaire de la GRC a indiqué que les gendarmes Fortin et Abboub connaissaient peut-être – ou non – l'existence de l'ascenseur à proximité. Selon la commissaire, les éléments de preuve démontrent que les membres de la GRC n'ont pas pris l'ascenseur pour se rendre à la salle de réunion, mais ont plutôt emprunté l'escalier. Il se peut aussi que l'ascenseur n'ait pas été une option, en raison du nombre de personnes qui l'utilisaient. Par ailleurs :
[traduction]
Si les membres savaient que l'ascenseur se trouvait là, il n'aurait pas été judicieux de ramener M. Lee vers une foule, compte tenu du déroulement des événements [...] Dans les circonstances, il était raisonnable de contrôler M. Lee et de l'escorter jusqu'aux bas des escaliers, vers le hall. Il aurait été déraisonnable de remonter avec lui pour descendre par l'ascenseur.
[78] La commissaire de la GRC n'appuyait pas la recommandation qui consiste à demander à un expert en recours à la force de communiquer des directives opérationnelles aux gendarmes Abboub et Fortin. Elle a écrit : « [traduction] Comme je l'ai signalé plus tôt, un expert indépendant en recours à la force a conclu que les gendarmes Fortin et Abboub avaient correctement appliqué le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents, et les a félicités de leur retenue dans une situation instable. »
Réponse de la Commission
[79] La réponse de la commissaire de la GRC à la conclusion de la Commission, selon laquelle les arrestations étaient injustifiées, propose une interprétation et une évaluation différentes de la preuve, sans apporter de faits ou d'éléments de preuve nouveaux. Comme l'a indiqué la Commission dans des affaires précédentes, les opinions de la GRC sur le bien-fondé des actes de ses membres ne devraient pas prévaloir lorsque l'organe d'examen indépendant, après avoir examiné tous les éléments de preuve, en arrive à une conclusion différente et que la GRC n'offre aucune nouvelle preuve ou information factuelle.
[80] La Loi sur la GRC expose les obligations de la commissaire de la GRC après réception du rapport intérimaire de la Commission. Parmi ces obligations qui incombent à la commissaire, notons :
[...] est tenu, dans les meilleurs délais, de fournir par écrit au ministre et au président de la Commission une réponse qui fait état de toute mesure additionnelle qui a été ou sera prise relativement à la plainte. S'il choisit de s'écarter des conclusions ou des recommandations énoncées dans le rapport, il motive sa décision dans sa réponseNote de bas de page 16.
[81] La Commission estime que la Loi sur la GRC donne à la commissaire de la GRC le pouvoir de décider de donner suite aux conclusions et recommandations de la Commission. Elle ne l'invite pas à réfuter les conclusions de faits et de droit de la Commission.
[82] Après examen de la preuve dont il est question dans la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission réitère son évaluation initiale de l'affaire. Il n'y a pas de nouveaux faits ou de nouvelles preuves qui poussent la Commission à modifier ses conclusions initiales.
[83] Toutefois, la commissaire de la GRC a admis que les membres avaient omis d'exposer les motifs de l'arrestation. Cet élément à lui seul appuie les conclusions de la Commission. La Commission – ou la commissaire de la GRC – n'a pas pour tâche d'énoncer après coup les motifs sur lesquels les policiers se sont fondés pour procéder à une arrestation. Au moment de l'arrestation, les policiers doivent avoir des motifs subjectifs raisonnables de procéder. Ces motifs ne peuvent plus tard être déduits par d'autres. Le défaut de documenter les motifs d'une arrestation ou de fournir ces motifs au cours d'une enquête subséquente rend l'arrestation injustifiée.
[84] Puisque la Commission maintient sa conclusion que les arrestations étaient injustifiées, elle réitère aussi sa conclusion que le recours à la force était injustifié. L'expert en recours à la force du SPNW a fondé son opinion sur une arrestation justifiée. Cette hypothèse n'étant pas confirmée, l'opinion n'est pas utile à l'analyse de la Commission. De plus, la Commission n'est pas liée par les conclusions d'un corps de police externe. Le SPNW était un service de police distinct chargé d'une enquête criminelle. Le mandat de la Commission n'est pas de déterminer si une infraction criminelle a été commise. Il consiste plutôt à évaluer si la conduite du membre de la GRC était raisonnable. Une force légitime peut tout de même être injustifiée.
[85] En ce qui concerne l'escalier, la Commission est d'accord avec la commissaire de la GRC pour dire que, puisque le gardien de sécurité a accompagné les membres de la GRC en empruntant l'escalier, il n'est pas certain que les membres avaient vu l'ascenseur à proximité. Cependant, puisqu'il est très près, il est probable qu'ils en connaissaient l'existence. Le rapport final de la Commission a été modifié de façon à indiquer que les membres de la GRC n'avaient pas pris l'ascenseur à leur arrivée. Cela ne modifie toutefois pas la conclusion de la Commission que l'escalier présentait un risque plus grand que l'ascenseur.
[86] La Commission a conclu que l'utilisation de l'escalier, dans les circonstances, a augmenté le risque de violence ou de blessure. Même si la commissaire de la GRC a spéculé sur les raisons qui rendaient l'ascenseur stratégiquement impossible, ces facteurs n'ont pas été soumis à la Commission. Puisque les membres concernés de la GRC ont choisi de ne pas faire de déclarations pendant l'enquête de la Commission, leurs perceptions personnelles à ce sujet n'étaient pas accessibles. La Commission a dû examiner les éléments de preuve accessibles pour tirer ses conclusions. Les spéculations de la commissaire de la GRC ne modifient en rien la présente analyse.
[87] Enfin, dans son examen, la Commission a tenu compte des félicitations que l'expert en recours à la force du SPNW a adressées aux membres pour leur retenue. C'est pourquoi la Commission réitère sa recommandation que les gendarmes Abboub et Fortin discutent de la situation avec un expert en recours à la force de la GRC, dans le but de mieux comprendre les solutions tactiques et les risques pour la sécurité, et ainsi de réduire le risque dans leurs futures interventions.
[88] La Commission souligne par ailleurs que le processus de plaintes du public a un caractère correctif plutôt que punitif. Même si la GRC ne souscrit pas à l'analyse de la Commission, elle est encouragée à accepter les recommandations qui visent à améliorer les compétences et les aptitudes des membres de la GRC. Dans le présent cas, l'encadrement dispensé par un expert en recours à la force de la GRC ne pourrait qu'améliorer les aptitudes tactiques des gendarmes Abboub et Fortin. Il est décevant que la GRC n'ait pas retenu cette recommandation.
Problèmes concernant la petite-fille
Décisions de la Commission
- Les gendarmes Abboub, Fortin et Gibson n'ont pas documenté la prise de mesures raisonnables pour garantir le bien-être de la petite-fille de M. et Mme Lee.
- La politique de la GRC sur le bien-être des enfants dont les parents ou les gardiens sont arrêtés ne fournit pas de directives utiles dans ce cas-ci.
Recommandations de la Commission
- Que les gendarmes Abboub, Fortin et Gibson reçoivent des directives opérationnelles sur l'importance de garantir le bien-être des enfants après l'arrestation de leurs gardiens.
- Que la GRC revoie ses politiques relatives au bien-être des enfants dont les parents ou les gardiens sont mis en arrestation ou autrement indisponibles.
[89] Une des images les plus saisissantes et dérangeantes qu'on aperçoit sur les vidéos des téléphones cellulaires est celle de la petite-fille de M. et Mme Lee qui vient au secours de ses grands-parents, tandis que les policiers les emmènent. La petite-fille s'est retrouvée dans une situation terrifiante et pénible, et elle y a réagi en frappant les policiers avec ses pieds et ses mains, et en mordant le gendarme Gibson à la main.
[90] Tout au long de l'incident, M. et Mme Lee se sont inquiétés du bien-être de leur petite-fille, comme plusieurs autres personnes présentes au moment de l'arrestation. Dans sa lettre rédigée à la main, Mme Lee a déclaré ce qui suit : « [traduction] Les policiers sont responsables de protéger les gens et leurs biens, et non de battre une personne âgée et sa petite-fille de 5 ans. » Bien qu'elle laisse entendre que sa petite-fille a été agressée par un des membres de la GRC pendant l'arrestation, l'examen par la Commission des vidéos sur téléphone cellulaire et des déclarations des policiers et d'autres témoins ne corrobore pas les allégations de Mme Lee. En fait, la Commission estime que les membres ont traité avec patience et professionnalisme la petite-fille qui tentait de les empêcher d'emmener sa grand-mère.
[91] Dans sa déclaration écrite sommaire, Mme Lee indique qu'elle a plus tard appris que sa petite-fille avait été placée à l'extérieur des portes de l'hôtel et laissée seule, jusqu'à ce qu'un résident la trouve et la protège.
[92] Même si la Commission n'a conclu à aucune inconduite de la part des membres à l'égard de la petite-fille qui nuisait aux arrestations, la Commission s'inquiète du fait qu'aucune stratégie efficace ne veillait à ce que la petite-fille soit adéquatement prise en charge après le départ de M. et Mme Lee vers l'hôpital en ambulance.
[93] Dans le cadre de son enquête, la Commission a demandé à la GRC de lui fournir toutes les politiques nationales et celles de la Division « E » concernant les obligations des policiers à l'égard de la sécurité et du bien-être des jeunes enfants dont les parents ayant la garde ou les tuteurs sont mis en arrestation. La GRC a répondu qu'aucune politique ne porte sur les procédures à suivre par les policiers pour assurer la sécurité et le bien-être d'un enfant pendant l'arrestation d'un parent ou d'un tuteur, mais que la sécurité et le bien-être d'un enfant sont toujours prioritaires dans toute enquête.
[94] L'enquête de la Commission a déterminé que les membres de la GRC avaient demandé de l'aide pour empêcher la petite-fille de nuire à l'arrestation, et le gendarme Fortin a été vu avec la petite-fille à l'extérieur de l'hôtel; cependant, après leur départ en ambulance, M. et Mme Lee n'ont eu aucun contact avec leur petite-fille. Sauf une courte note du gendarme Fortin, les rapports opérationnels des policiers ne mentionnent aucune mesure prise pour veiller à ce que la petite-fille soit ramenée chez elle en sécurité.
[95] La déclaration de la gendarme Abboub à l'enquêteur du SPNW révèle que, pendant l'arrestation, on se préoccupait de la petite-fille; la gendarme Abboub a déclaré : « [traduction] [N]ous leur avons demandé, est-ce qu'il y a quelqu'un qui peut prendre soin d'elle? Où sont ses parents? Personne n'a répondu; ils continuaient tout simplement de nous filmer. » Le rapport de police du gendarme Fortin indique tout simplement que « le gendarme Fortin est retourné à l'intérieur pour aider le gendarme Gibson, qui s'occupait de Kapsu LEE et de sa petite-fille qui hurlait. Le gendarme Fortin a pris la petite fille dans ses bras et l'a amenée à l'extérieur, de sorte que nous puissions faire sortir les gens, comme nous l'avions demandé au départ. »
[96] Il n'y a pas là suffisamment de détails pour convaincre la Commission que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour garantir le bien-être de la petite-fille. La Commission ne dispose d'aucun renseignement qui puisse lui apprendre comment ou pourquoi K. S. a assumé la garde de la fillette ou si la GRC a tenté de communiquer avec les parents de l'enfant.
[97] La Child, Family and Community Service Act (CFCSA) de la Colombie‑Britannique est la loi provinciale qui veille au bien-être des enfants. Son article 13 traite du moment où une protection s'impose, et prévoit à l'alinéa (1)k) qu'un enfant a besoin de protection dans les circonstances suivantes : l'enfant a été abandonné et aucune disposition adéquate n'a été prise pour qu'une autre personne en assume la responsabilité.
[98] Même si la loi provinciale ne précise pas le mot « abandonné », le Dictionary of Canadian Law (Dukelow, Daphne 3e édition) le définit ainsi : « [traduction] traiter un enfant d'une façon pouvant l'exposer à des dangers contre lesquels il n'est pas protégé. » Cette définition figure également à l'article 214 du Code criminel. La petite-fille de M. et Mme Lee avait été « abandonnée », puisque les deux personnes qui en avaient alors la principale responsabilité avaient été arrêtées et étaient détenues par les policiers, et elle était donc exposée à des dangers contre lesquels elle n'était pas protégée. Rien, dans les documents soumis à la Commission, n'indique que des mesures adéquates ont été prises concernant l'enfant.
[99] Le paragraphe 25(1) de la CFCSA prévoit en outre, sous le titre des enfants laissés sans surveillance, que « [traduction] si un enfant est laissé sans surveillance adéquate [...] un administrateur peut prendre l'une ou l'autre des mesures suivantes : a) emmener l'enfant dans un endroit sécuritaire et confier l'enfant à une personne pendant jusqu'à 72 heures; b) demeurer sur les lieux ».
[100] Les renseignements pertinents révèlent qu'aucune mesure documentée n'a été prise pour assurer une surveillance adéquate ou pour communiquer avec l'administrateur désigné par la loi ou avec le bureau concerné des services de protection de l'enfance. Les documents pertinents signalent que des personnes, dont les membres de la GRC eux-mêmes, se préoccupaient de la fillette; toutefois, la Commission ne peut conclure, à la lecture des documents dont elle dispose, que son bien-être a été assuré de façon raisonnable.
[101] Dans cette affaire, cette question est particulièrement préoccupante, compte tenu de la détresse psychologique de la petite-fille qui voyait ses grands-parents mis en arrestation dans le brouhaha et la confrontation, et qui ne pouvait compter sur l'aide ou l'encadrement de ses parents ou d'autres membres identifiables de sa famille. La Commission a demandé à la GRC de produire ses politiques qui traitent de ce genre de situations. Les politiques concernant les enfants se trouvent en majeure partie dans les protocoles sur la violence familiale, et ne s'appliquent pas aux présentes circonstances. La Commission a conclu qu'il ne suffit pas de prévenir d'autres événements de cette nature. La Commission recommande à la GRC de revoir ses politiques qui traitent d'incidents au cours desquels des enfants risquent d'être laissés sans surveillance et auxquels la politique sur la violence familiale ne s'applique pas.
Réponse de la commissaire de la GRC
[102] La commissaire de la GRC a souscrit aux conclusions de la Commission et ordonné la mise en œuvre des recommandations.
Téléphone cellulaire
Décision de la Commission
Le gendarme Fortin n'avait pas le pouvoir légal de prendre et d'endommager le téléphone cellulaire avec lequel H. Y. prenait des photos.
Recommandations de la Commission
- Que la GRC s'excuse auprès de H. Y. de la projection au sol de son téléphone cellulaire par le gendarme Fortin.
- Que la GRC offre à H. Y. le remboursement des dommages à son téléphone cellulaire.
- Que le gendarme Fortin reçoive des directives opérationnelles sur le traitement qu'il a réservé au téléphone cellulaire de H. Y.
[103] Après examen du rapport opérationnel du gendarme Fortin, des déclarations de plusieurs témoins et des vidéos sur téléphone cellulaire, l'enquête de la Commission a révélé que le gendarme Fortin s'était emparé du téléphone cellulaire de H. Y. pendant qu'elle prenait des photos à l'aide de l'appareil. H. Y. a déclaré que, dans le hall, elle essayait de photographier le gendarme Fortin qui emmenait M. Lee à l'extérieur de l'hôtel. H. Y. se trouvait à côté du gendarme Fortin lorsque ce dernier l'a avisée de ne pas prendre de photos à moins de vouloir se faire arrêter.
[104] H. Y. a indiqué qu'elle était très près du gendarme Fortin; il lui a pris le téléphone des mains et l'a projeté dans la pièce. Lorsque le téléphone a frappé le sol, il s'est brisé en plusieurs morceaux et n'a pas bien fonctionné depuis.
[105] Dans son rapport, le gendarme Fortin indique qu'il a saisi le téléphone cellulaire, parce qu'il escortait M. Lee à l'extérieur de l'hôtel et que H. Y. ne voulait pas le laisser passer. Le gendarme Fortin a écrit :
[traduction]
Un groupe de gens qui filmaient la scène bloquait la sortie des policiers de l'hôtel, et on leur a ordonné de libérer le passage... Sur le chemin de la sortie, une des personnes qui filmait avec son téléphone cellulaire se tenait très près, et le policier a dû lâcher M. LEE puis s'emparer du téléphone cellulaire de la femme et le lancer, de sorte qu'elle laisse la voie libre aux policiers.
[106] Le rapport du gendarme Fortin ne précise aucun pouvoir légal lui permettant de saisir le téléphone cellulaire et de le jeter au sol. La Commission a donné au gendarme Fortin l'occasion de préciser le pouvoir légal et le fondement factuel lui ayant permis de saisir le téléphone cellulaire de H. Y. Le gendarme Fortin a refusé de produire une réponse écrite à l'entrevue.
[107] La Commission est incapable de déterminer pourquoi le gendarme Fortin s'est emparé du téléphone cellulaire de H. Y. et l'a jeté au sol, ce qui a endommagé l'appareil. Il ne semble pas y avoir de lien rationnel entre la prise du téléphone cellulaire et le fait que H. Y. bloquait le passage.
[108] Même si certains policiers trouvent frustrant de se faire filmer lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans des situations stressantes ou difficiles, leur formation et leur expérience exigent l'exercice professionnel de toutes leurs fonctions, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et aux dispositions législatives.
[109] Il convient de signaler que les gestes du gendarme Fortin ne peuvent s'expliquer par le fait que H. Y. entravait le travail des policiers. Dans la décision R c McFaddenNote de bas de page 17, une affaire dans laquelle une personne essayait également de photographier les policiers pendant qu'ils s'acquittaient de leurs fonctions, la Cour a conclu ce qui suit :
[traduction]
Si un agent de la paix agit dans l'exercice de ses fonctions, il est clair qu'un acte par lequel l'accusé empêche l'agent de la paix de s'acquitter de ses fonctions constitue une entrave. À l'autre extrémité du spectre, certains gestes ont peu d'effet sur le travail de l'agent de la paix, si ce n'est que de forcer l'agent à s'arrêter momentanément. Manifestement, ces gestes ne répondent pas aux critères... À quel endroit sur ce spectre les gestes d'un accusé équivalent-ils à une entrave? [Souligné dans l'original]
[110] La Cour a ensuite évoqué la mens rea, ou l'intention en tant qu'élément de l'infraction, et signalé :
[traduction]
Le Code criminel ne criminalise pas les gestes innocents, peu importe leurs conséquences. Une personne qui photographie un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions, sans autre intention que de saisir le moment sur support électronique, n'est pas coupable. Tel est le cas, même si la prise de photos complique d'une certaine façon l'exercice de ses fonctions par le policier.
[111] Dans l'affaire R c YussufNote de bas de page 18, la Cour a constaté que la simple lecture de la juxtaposition des mots « délibérée » et « entrave » est instructive. L'entrave délibérée implique que l'accusé avait l'intention de rendre plus difficile l'exécution de ses fonctions par le policier. Ainsi, l'accusé agirait de façon téméraire en sachant bien que ses gestes feraient probablement entrave.
[112] Rien n'indique que H. Y. entendait compliquer le travail du gendarme Fortin. Elle a expliqué qu'elle voulait prendre une photo. H. Y. était en droit d'utiliser son téléphone cellulaire pour enregistrer comme bon lui semblait. La Commission n'a trouvé aucun fondement juridique permettant au gendarme Fortin de saisir le téléphone cellulaire de H. Y. et de le projeter. Il est également important de constater que la force de projection a endommagé le téléphone cellulaire.
Réponse de la commissaire de la GRC
[113] La commissaire de la GRC a souscrit à la conclusion de la Commission et ordonné à la GRC de s'excuser auprès de H. Y., au nom du gendarme Fortin, de la projection de son téléphone cellulaire au sol. Elle a aussi ordonné à la GRC d'offrir un remboursement à H. Y. pour les dommages causés à son téléphone cellulaire, et exigé du gendarme Fortin qu'il reçoive des directives opérationnelles sur le traitement qu'il a réservé au téléphone cellulaire de H. Y.
Conclusion
[114] L'enquête et l'examen de cette plainte par la Commission sont maintenant achevés. Ayant pris connaissance de la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission maintient ses conclusions et ses recommandations, et sa participation dans cette affaire est maintenant terminée.
La présidente,
Michelaine Lahaie
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