Rapport intérimaire de la Commission à la suite d'une plainte déposée par le président et d’une enquête d’intérêt public sur les interventions de la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste qui ont eu lieu dans le comté de Kent (N.-B.)

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.76(1)

Liens connexes

Table des matières

Contexte

Plainte déposée par le président et enquête d'intérêt public

  1. Introduction
    1. Contexte
    2. Positions des manifestants autochtones
    3. Positions des manifestants non autochtones
    4. Aperçu des manifestations contre le gaz de schiste et des interventions de la GRC
  2. Pratiques et conditions de détention
  3. Communication avec les manifestants et médiation
    1. Approche modérée
    2. Équipe de négociation en situation de crise
  4. Surveillance et fouilles
    1. Opérations d'infiltration
    2. Dossiers de sources ouvertes
    3. Contrôles routiers
    4. Fouilles physiques
  5. Liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique
    1. Arrestations au titre de l'injonction du 22 Novembre 2013
    2. Zones tampon et détournement de la circulation
  6. Sensibilité à la culture, aux cérémonies et aux objets sacrés autochtones
    1. Formation/Guide sur la spiritualité
    2. Protocole relatif aux objets sacrés lors de l'arrestation
  7. Allégation de partialité dans les interactions avec les manifestants autochtones
  8. GRC et SWN Resources canada
  9. Opération tactique du 17 Octobre 2013
    1. Période précédant l'opération
    2. Décision de mettre en œuvre le plan opérationnel tactique le 17 octobre 2013
  10. Recours à la force et arrestations
    1. Arrestations
    2. Recours à la force
  11. Équipement, plan d'urgence et véhicules de la police incendiés
  12. Recours allégué à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC et/ou à des agents provocateurs
  13. Les suites du 17 Octobre 2013

Contexte

[1] La Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada (« la Commission »)Note de bas de page 1 a reçu plusieurs plaintes liées aux affrontements entre les manifestants et des membres de la GRC lors des manifestations contre les essais de gaz de schiste et la fracturation hydraulique dans le comté de Kent, au Nouveau-Brunswick, en 2013. Compte tenu du nombre élevé de plaintes et des questions soulevées à cet égard, le président a jugé qu'il était dans l'intérêt public que la Commission fasse enquête sur ces plaintes au moyen d'une enquête d'intérêt public (« EIP »).

[2] Le 30 juillet 2013, il a avisé le commissaire de la GRC et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que, conformément à l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (« la Loi sur la GRC »), il lançait une EIP sur les plaintes du public reçues concernant les interventions de la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste dans le comté de Kent, au Nouveau-Brunswick, en 2013. La Commission a reçu un total de 21 plaintes individuelles.

Plainte déposée par le président et enquête d'intérêt public

[3] Au cours de l'enquête, d'autres questions ont été soulevées en ce qui a trait à la réaction de la GRC face aux manifestants. En décembre 2014, le président a déposé sa propre plainte relativement à ces incidents. Parmi les questions devant être examinées, mentionnons les suivantes : le recours à des arrestations; l'exercice des pouvoirs de détention et de fouille; le recours à la force; le caractère adéquat des communications avec des membres du public; la planification, la gestion et l'exécution des arrestations dans le campement des manifestants le 17 octobre 2013; la manipulation d'articles spirituels et/ou l'ingérence dans les pratiques spirituelles des Autochtones ayant participé aux manifestations; le rôle de la GRC dans le maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones concernant les droits fonciers des Autochtones; et l'existence ou non d'un traitement différent réservé aux Autochtones comparativement aux autres manifestants.

[4] En décembre 2014, le président a avisé le commissaire de la GRC et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que la plainte déposée par le président ferait l'objet d'une EIP.

[5] La Commission souligne que les documents qui lui ont été présentés par la GRC et produits par les enquêteurs de la Commission étaient volumineux. Plus de 130 témoins civils et membres de la GRC ont été interrogés par les enquêteurs de la Commission. L'enquête a permis de rassembler plus de deux téraoctets de documents, dont une grande quantité de manuscrits (environ 50 000 dossiers, parmi lesquels des copies doubles) et des milliers de fichiers vidéo obtenus auprès de la GRC et de témoins civils. Des retards sont survenus dans l'obtention de documents pertinents auprès de la GRC, et les documents fournis étaient désorganisés. Le rapport de la Commission sur cette question se fonde sur un examen aussi approfondi que possible des renseignements disponibles. La Commission a également examiné la jurisprudence et la législation pertinentes, notamment la Loi sur la GRC et le Code criminel. La Commission remercie les plaignants et les membres en cause de leur patience.

Portée de l'enquête de la Commission

[6] Il ne relève pas du mandat de la Commission d'établir si les terres sur lesquelles était effectuée l'exploration avaient été cédées à la Couronne par les Mi'kmaq ou si la Couronne avait mené des consultations suffisantes avant d'accorder les licences d'exploration. La Commission fait remarquer que les licences requises ont été accordées à l'entreprise par le gouvernement du Nouveau-Brunswick à partir de 2010.

[7] Le rôle de la GRC dans le maintien de l'ordre lors d'une manifestation ou dans l'exécution d'une injonction est d'appliquer la loi tout en respectant les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte ») et les droits des peuples autochtones du Canada, conformément à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982Note de bas de page 2. La GRC n'a pas pour rôle d'établir la validité juridique d'une licence ou d'une injonction. Comme l'a statué la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick dans la décision R c Colford, une présomption selon laquelle les lois ne sont pas valablement promulguées, les licences sont accordées illégalement, etc., entraînerait « l'anarchie et le chaos » :

La question de savoir si les autochtones du Nouveau-Brunswick disposent d'arguments juridiques valides qui, une fois sanctionnés par un tribunal compétent, auraient pour effet de les affranchir de l'obligation d'acquitter la taxe de vente qu'ils contestent ne se pose pas en l'espèce. Toutes les lois sont présumées avoir été valablement édictées et s'imposent à tous jusqu'à ce qu'un tribunal compétent les déclare invalides. Toute autre présomption conduirait à l'anarchie et au chaosNote de bas de page 3.

[8] Compte tenu de cette présomption, l'entreprise était donc légalement autorisée à mener l'exploration et à utiliser les routes de la province à cette fin. C'est pour cette raison qu'un tribunal a accordé une injonction attestant du droit de l'entreprise de le faire sans être gênée par les manifestants. Les actes des manifestants peuvent être considérés sous l'angle de l'expression de leurs opinions par la manifestation. Néanmoins, les actes des manifestants peuvent violer la loi dans certaines circonstances. Le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou protestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi.

A. Introduction

1. Contexte

[9] À compter de 2010, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a accordé à SWN Resources Canada (« SWN »), une filiale de Southwestern Energy Company, des licences pour explorer l'accessibilité à la fracturation hydraulique du gaz de schiste (une méthode controversée utilisée pour extraire le gaz de schiste) dans les environs de la ville de Rexton et de la réserve de la Première Nation d'Elsipogtog, dans le comté de Kent. En raison de l'emplacement et de l'impact environnemental potentiel de l'exploration, on s'attendait à des manifestations. En sa qualité de service de police contractuel dans la province, la GRC était tenue de maintenir l'ordre pendant ces manifestations.

[10] Il ne relève pas du présent rapport de commenter les consultations entre le gouvernement du Nouveau-Brunswick et les Autochtones de la Première Nation d'Elsipogtog. Plusieurs manifestants autochtones ont affirmé qu'il n'y avait pas eu de consultation adéquate. La GRC s'est vu confier la difficile tâche d'arbitrer entre deux positions diamétralement opposées. D'une part, l'entreprise d'exploration, SWN, avait obtenu une licence d'exploration de gaz de schiste auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick à un coût considérable et était légalement autorisée à mener l'exploration. D'autre part, les Autochtones, soutenus par des manifestants non autochtones, pensaient que toute exploration ou fracturation liée au gaz de schiste détruirait leur eau et leur terre, qui constituent leurs forces vives. Un examen des éléments de preuve recueillis par la Commission révèle que, à quelques exceptions près, la GRC a fait preuve d'une tolérance exceptionnelle dans l'exécution de la tâche très difficile consistant à tenter de garantir aux manifestants leur droit constitutionnel de manifester et de se rassembler de façon pacifique et, parallèlement, de permettre à SWN d'effectuer les travaux pour lesquels elle avait obtenu une licence. Malgré cette tolérance, de nombreux manifestants estimaient que le rôle de la GRC était de travailler pour l'entrepreneur, en tant que service privé de sécurité d'entreprise, et contre les manifestants. Comme l'a dit Pamela Ross :

[Traduction]
Voir un agent se tenir là et dire « je suis désolé, je fais juste mon travail et je ne suis ici que pour la sécurité publique »... nous nous sentons assez en sécurité, alors pourquoi ne partez-vous pas? « Eh bien, nous ne pouvons pas. » Et puis dès que SWN part, la police s'en va.

2. Positions des manifestants autochtones

[11] Initialement, les manifestants autochtones provenaient principalement de la collectivité d'Elsipogtog située à Bass Point, près de la ville de Rexton, au Nouveau-Brunswick. Ce groupe de manifestants semble n'avoir eu aucun meneur identifiable, ce qui a créé des difficultés aux négociateurs de la GRC pour ce qui est de suivre les lignes directrices d'une politique visant à établir de bonnes relations avec les meneurs des manifestations. Leur chef était souvent absent et semble avoir peu participé aux manifestations. Plusieurs personnes interrogées ont dit croire qu'il s'était secrètement mis d'accord avec le gouvernement provincial et SWN pour autoriser les travaux d'exploration.

[12] En juin 2013, les manifestants d'Elsipogtog ont été rejoints sporadiquement par les membres d'un groupe semblant provenir de la Nouvelle-Écosse qui prétendaient faire partie de la Mi'kmaq Warriors Society. Plus tard, certains membres de la Mohawk Warriors Society d'Akwesasne se sont joints à eux. Les Warriors étaient beaucoup plus militants et agressifs dans leur approche et ont attiré plusieurs jeunes membres de la collectivité d'Elsipogtog, qui ont adopté leur style et leur comportement. Ils avaient un penchant pour le port de vêtements de camouflage et les moqueries agressives contre les membres de première ligne de la GRC. La participation du groupe des Warriors a considérablement modifié la nature des manifestations et les interventions de la GRC.

[13] La motivation pour s'opposer aux activités de SWN était similaire à celle qui a donné lieu à de nombreuses manifestations des peuples autochtones d'un bout à l'autre du Canada, par le passé et aujourd'hui, soit leur volonté de protéger la terre et l'eau. Leur justification était fondée sur le point de vue selon lequel les terres appartenaient aux Premières Nations, car elles n'avaient jamais été cédées à la Couronne par le moindre traité ou accord.

[14] Les relations entre les Mi'kmaq et les gouvernements fédéral et provinciaux sont régies par une série de traités depuis 1726. Ces traités, souvent appelés traités de paix et d'amitié, garantissent les droits de chasse et de pêche des Autochtones et d'autres activités traditionnelles. Contrairement aux traités que le gouvernement fédéral a signés avec les peuples autochtones de l'Ouest, qui comprenaient la cession de terres au gouvernement, les traités ne mettent pas l'accent sur les terres au-delà de la reconnaissance de la légalité des colonies britanniques existantes. Les Mi'kmaq ont également convenu que les Britanniques pourraient établir de futures colonies. Bien que plusieurs affaires judiciaires au fil des ans portant sur des activités de chasse, de pêche et d'exploitation forestière autochtones fassent référence à des « terres de la Couronne », il ne semble pas y avoir d'autorisation légale permettant de croire que les terres situées à l'extérieur des collectivités établies ont déjà été cédées à la Couronne. Au moins un jugement du tribunal reconnaît « le fait que les autochtones vivant au Nouveau-Brunswick n'ont jamais opéré un délaissement général de leurs terres au profit de la Reine comme l'ont fait les tribus à l'ouest de la frontière québécoise  ».

[15] La position des Mi'kmaq est que la terre leur appartient. Dans une lettre adressée à SWN, en date du 29 août 2013, le Grand conseil Mi'kmaq du district de Signigtog a écrit : [traduction] « Les premiers peuples des nations Wabanaki-Mi'kmak du district de Signigtog sont l'autorité légitime en ce qui a trait à toutes les terres et tous les plans d'eau du territoire que vous avez exploités, en collaboration, contre nos intérêts et en violation des directives que nous avons exprimées. »

3. Positions des manifestants non autochtones

[16] Outre les manifestants autochtones, plusieurs autres groupes ont participé aux manifestations, notamment l'Alliance anti-gaz de schiste; Notre environnement, notre choix; Upriver Watch; Christian Peacemakers; le Conseil des Canadiens; Moncton Anti-Fracking; et la Halifax Coalition Against Fracking. Ces groupes étaient principalement composés d'écologistes, et leur intérêt à protéger la terre se confondait clairement avec les intérêts des manifestants autochtones.

4. Aperçu des manifestations contre le gaz de schiste et des interventions de la GRC

[17] Les manifestations ont commencé début juin 2013 avec l'arrivée de l'équipement de SWN. Elles ont continué par intermittence jusqu'à ce que SWN plie bagages et parte au début de décembre 2013. Les manifestations se poursuivaient, mais il y a eu des incidents particuliers au cours desquels des manifestants sont entrés en conflit avec des membres de la GRC. Voici une brève chronologie des activités de protestation en 2013 :

Routes 126 et 116

  • 5 juin : Quatre-vingt personnes ont organisé une manifestation pacifique en marchant le long de la route 126 près de Gallagher Ridge, au Nouveau-Brunswick. Dix manifestants ont refusé de suivre les directives de la police leur demandant de se déplacer afin de permettre aux véhicules de SWN de passer. Cinq personnes ont été arrêtées.
  • 9 juin : Des manifestants sur la route 126 ont entravé les activités de SWN. Six personnes ont été arrêtées.
  • 14 juin : La GRC est intervenue lors d'une manifestation sur la route 126 à Harcourt, au Nouveau-Brunswick. Au moins deux personnes ont été arrêtées. Elles bloquaient les camions de Geokinetics (sous-traitant de SWN) sur la route et ont été priées de libérer la voie, mais ont refusé d'obtempérer.
  • 21 juin : Un groupe de manifestants sur la route 126 au sud de Rogersville, au Nouveau-Brunswick, a soudainement marché devant des camions vibrosismiques de SWN et a interrompu les activités de SWN. Deux équipes d'intervention rapide (« EIR ») de la GRC ont été dépêchées sur place, et 11 manifestants ont été arrêtés.
  • 25 juin : Arrivée de Warriors de la Nouvelle-Écosse.
  • 27 et 28 juillet : Manifestation de nuit à partir de 15 h 13, à un endroit connu sous le nom de « Ski-Doo Shack », près de la route 116. Le Groupe tactique d'intervention (« GTI ») a été déployé, et l'équipe anti-émeute de la Division « H » a été appelée en renfort. À l'heure du souper, de 50 à 60 personnes étaient présentes; elles ont avisé les membres de la GRC qu'elles voulaient exécuter une danse cérémoniale au milieu de la route. Le groupe a été autorisé à exécuter la danse cérémoniale. Des factions plus militantes (Warriors) sont arrivées sur le site du Ski-Doo Shack, et SWN a dû reporter ses activités.

Route 134 et chemin Hannay

  • 27 septembre : La zone de rassemblement de SWN et d'Industrial Security Limited (« ISL ») a été transférée dans une enceinte clôturée à Rexton, au Nouveau-Brunswick. Les plans logistiques et de sécurité de SWN pour ce site ont été communiqués à la GRC. La GRC a fait part à SWN de ses préoccupations concernant la sécurité du site.
  • 29 septembre : Un groupe de manifestants a envahi l'entrée menant à l'enceinte de SWN et d'ISL sur la route 134 (à l'est de Rexton). Ce faisant, ils se sont installés à l'entrée de l'enceinte, empêchant SWN de commencer ses travaux comme prévu. Une camionnette était garée devant l'entrée de l'enceinte, et les manifestants ont empêché une dépanneuse de l'enlever. (C'était le début d'un blocus de l'enceinte.) Les Warriors se sont déplacés sur le site. Un campement a été mis en place.
  • 3 octobre : SWN a obtenu une injonction provisoire ex parte pour empêcher les manifestants d'entraver ses activités.
  • 11 octobre: L'ordonnance d'injonction a été prolongée jusqu'au 18 octobre, permettant aux manifestants de la contester.
  • 13 octobre : La version définitive d'un plan opérationnel tactique visant à dégager le site des manifestations et à obtenir la libération des équipements et du personnel de SWN et d'ISL du campement sur la route 134 est achevée.
  • 16 octobre : SWN souhaitait envoyer deux huissiers sur le site pour signifier l'injonction. L'inspecteur John Warr a reporté la demande de SWN, jusqu'au matin du 17 octobre. SWN a été informée des gains positifs réalisés jusqu'à présent dans les négociations.
  • 16 octobre : Le surintendant Gilles Maillet informe le commandant et l'officier responsable des opérations criminelles de l'arrivée des équipes anti-émeute de la Division « H » et de la Division « C ». L'équipe devait effectuer un exercice sur table ce jour-là, dans l'après-midi. Le plan opérationnel tactique a été examiné; il n'était pas prévu que les tactiques de la GRC changent. Le premier objectif était de faire sortir le personnel d'ISL si les choses ne s'amélioraient pas avec les manifestants en tenue de camouflage (Warriors).
  • 16 octobre : L'Équipe de négociation en situation de crise (« ENSC »), n'étant pas au courant du plan opérationnel tactique, a réussi à négocier la libération des employés d'ISL barricadés et à les faire remplacer par des membres de la GRC. Au terme des négociations, les membres de l'ENSC ont offert du tabac aux membres de la Warriors Society, ce qui a été perçu de différentes façons comme une « preuve de respect » ou une « offrande de paix ».
  • 17 octobre : L'opération tactique de la GRC a commencé à 7 h 27. Une arme à feu a été observée pendant le déploiement de la police. Des cocktails Molotov ont été lancés sur la chaussée près de la porte ouest de l'enceinte. La GRC a tiré plusieurs « balles-chaussettes » à létalité réduite. La police s'est engagée dans une confrontation avec un homme muni d'un fusil. Plus de 200 membres de la GRC étaient sur les lieux. Les arrestations du noyau dur de manifestants étaient terminées à 10 h. Il y avait au total 40 arrestations à 13 h 30. Cinq voitures de police de la GRC ont été incendiées à 13 h 45. À 16 h 29, on a signalé que des manifestants lançaient des pierres. Les membres du Groupe tactique d'intervention (GTI) ont tiré des balles-chaussettes. À 18 h 39, les membres de la GRC ont commencé à quitter les lieux à l'aide d'un plan d'exfiltration contrôlé.
  • 18 octobre : À 2 h, le bâtiment du Détachement de la GRC d'Elsipogtog a été endommagé par un cocktail Molotov qui a été lancé. Les fenêtres ont également été endommagées.

Route 11

  • 12 novembre : SWN a repris ses travaux.
  • 13 novembre : Des manifestants ont revendiqué en tant que terres des Premières Nations une zone située à 1,5 kilomètre au nord de Laketon, au Nouveau-Brunswick, qui était utilisée par SWN la veille. Une quarantaine de manifestants se trouvaient à cet emplacement, tenant des pancartes et se déplaçant sur l'accotement de la chaussée.
  • 14 novembre : SWN a repris ses activités d'exploration le long de la route 11. Des groupes de manifestants ont entravé les activités de SWN. Au moins deux personnes ont été arrêtées. Des manifestants ont été vus munis de bâtons, de bombes aérosols et de couteaux de chasse. La GRC a considéré qu'il s'agissait d'un signe de menace accrue de violence.
  • 15 novembre : La GRC a constaté qu'un [traduction] « changement de dynamique indique un changement de stratégie, ce qui caractérise une situation très explosive et dangereuse pour notre personnel (GRC) et SWN ».
  • 22 novembre : La Cour du Banc de la Reine a accordé une nouvelle injonction, en vigueur jusqu'au 2 décembre.
  • 27 novembre : Trois manifestants ont été arrêtés pour violation des conditions de l'injonction. Ils ont été mis en liberté sous condition.
  • 29 novembre : La GRC s'attendait à ce que SWN se dirige vers le nord, en direction de la rivière Richibucto, mais SWN a apporté ses camions vibrosismiques sur la route 134. De nombreux manifestants avaient des pierres et des bâtons. Des pierres ont été lancées sur les camions de SWN. Des membres de la GRC ont été déployés pour dégager le viaduc. Cinq manifestants de sexe masculin ont été arrêtés pour avoir violé l'injonction.
  • 2 décembre : Des manifestants ont lancé des boules de neige sur des membres de la GRC. Les actes des manifestants ont amené SWN à mettre fin aux travaux plus tôt à cette date. Sept manifestants ont été arrêtés.
  • 6 décembre : SWN a terminé ses travaux.

[18} Les manifestations le long de la route 126 ont commencé pacifiquement. Bien que plusieurs arrestations aient eu lieu en juinNote de bas de page 5, elles étaient généralement provoquées par la pratique d'une forme de désobéissance civile : des personnes se positionnaient au milieu de la route pour empêcher les camions de SWN de passer et refusaient de se déplacer à la demande de la GRC. Il s'agissait parfois de cérémonies sacrées tenues sur la chaussée, et les participants insistaient pour les mener à bien avant de se déplacer. Plusieurs des personnes qui ont finalement été arrêtées ont continué de résister passivement et ont dû être déplacées de force.

[19] Vers la fin de juin, un groupe de personnes de la Nouvelle-Écosse, qui prétendaient être des chefs de la Mi'kmaq Warriors Society, est arrivé. Ces personnes sont parties rapidement à la demande de certains manifestants d'Elsipogtog, mais sont revenues en juillet. Selon des membres de la GRC prenant part au maintien de l'ordre lors des manifestations, les Warriors ont adopté une forme de protestation plus conflictuelle ou agressive. On ne sait pas dans quelle mesure les manifestants d'Elsipogtog approuvaient leur présence. De toute évidence, certains n'appréciaient pas leur intervention, tandis que d'autres ont commencé à imiter leur approche agressive.

[20] L'incidence de la présence des Warriors a d'abord été observée lors de la confrontation au Ski-Doo Shack, les 27 et 28 juillet 2013. Peu après cet incident, SWN a cessé ses activités et a quitté la région. Les Warriors sont également partis.

[21] SWN est revenue fin septembre. Les Warriors aussi. Cela a donné lieu à l'un des principaux problèmes à aborder dans le présent rapport : l'opération menée par la GRC le 17 octobre 2013. Les préparatifs ont commencé lorsque SWN a décidé d'utiliser une enceinte clôturée sur la route 134 à l'extérieur de Rexton comme zone de rassemblement pour ses véhicules, malgré les préoccupations de la GRC quant à la sécurité. Presque immédiatement, les manifestants ont garé une camionnette bloquant la sortie et ont par la suite empêché une dépanneuse d'enlever la camionnette. Les manifestants ont également abattu des arbres pour bloquer partiellement la route et installé un campement en face de l'enceinte sur une propriété privée, apparemment avec le consentement du propriétaire.

[22] Au cours des deux semaines et demie suivantes, les négociateurs de la GRC au sein de l'ENSC ont tenté de dénouer l'impasse. Dans l'intervalle, des plans opérationnels étaient en cours d'élaboration, et on réunissait des équipes anti-émeute supplémentaires d'autres divisions en vue d'une opération à grande échelle destinée à vider les lieux des manifestants, à secourir le personnel d'ISL qui était retenu dans l'enceinte et à permettre le retrait de l'équipement de SWN. Les négociateurs de l'ENSC n'ont pas été informés de ces plans; ils ont continué à négocier avec les manifestants, ignorant l'opération prévue le 17 octobre 2013.

[23] Dans la nuit du 16 octobre 2013, les membres de l'ENSC ont réussi à négocier la libération des membres du personnel d'ISL. Lorsque les négociations ont pris fin, les négociateurs de la GRC ont offert du tabac aux meneurs de la manifestation, un geste perçu de diverses façons comme une offrande de paix, une preuve de respect ou un symbole d'intention honorable. Ce n'est que lors de la séance d'information avec le commandant des interventions tenue le soir même que les négociateurs ont été informés de l'opération prévue qui devait avoir lieu le lendemain matin. Ils ont prié en vain le commandant des interventions de retarder l'opération, car ils pensaient avoir fait une percée importante et pouvoir obtenir la libération de l'équipement. Malgré ces plaidoyers, l'opération a eu lieu le lendemain matin. Elle a duré toute la journée et pourrait être décrite comme une démonstration de force à grande échelle contre des manifestants qui étaient devenus des émeutiers. Il est à noter que l'injonction provisoire obtenue par SWN le 3 octobre 2013 devait être traitée en cour le 18 octobre 2013, et les manifestants prévoyaient s'y opposer. Comme il fallait s'y attendre, tout cela a suscité beaucoup d'amertume chez les manifestants. À titre d'exemple, des bombes incendiaires ont frappé le Détachement de la GRC d'Elsipogtog. Mais SWN s'est retirée pendant plusieurs semaines.

[24] À la mi-novembre, SWN est revenue et a utilisé cette fois une installation à Moncton comme zone de rassemblement. Ses activités d'exploration étaient concentrées dans la zone adjacente à la route 11, au nord de Rexton. Les Warriors semblent être partis après le 17 octobre 2013, mais l'opération avait provoqué une certaine méfiance parmi les manifestants, d'où une relation plus conflictuelle entre eux et les membres de la GRC. À ce moment-là, une deuxième injonction était en place, et la GRC veillait à son exécution. De nombreuses arrestations ont eu lieu au cours des trois semaines pendant lesquelles SWN a travaillé afin d'achever son exploration. La plupart des arrestations concernaient des violations de l'injonction; certaines de ces arrestations étaient fondées sur une mauvaise interprétation apparente des dispositions de l'injonction. Le 6 décembre 2013, SWN a terminé ses travaux d'exploration et a quitté la région. Les autres conséquences avaient trait à un certain nombre de procédures judiciaires pour les accusés, bien que les procureurs de la Couronne aient retiré bon nombre des accusations initiales.

[25] Le mandat relatif à la plainte déposée par le président énumère un certain nombre de questions à examiner. Le reste du présent rapport portera sur ces questions et, le cas échéant, des conclusions et des recommandations seront formulées.

B. Pratiques et conditions de détention

[26] Tout au long des manifestations contre le gaz de schiste, les membres de la GRC semblent avoir agi conformément aux exigences de l'article 10 de la Charte et du Manuel des opérations national de la GRC. Il y avait des équipes d'arrestation désignées au sein des équipes anti-émeute, et les membres de ces équipes informaient systématiquement les personnes arrêtées du motif de l'arrestation, leur faisaient part de leur droit à l'assistance d'un avocat et effectuaient la première mise en garde de la police. Une fois arrêtées, les personnes se plaignant de blessures ont été traitées par des équipes médicales ou transportées à l'hôpital. Sinon, elles ont été confiées à d'autres membres chargés du transport des personnes appréhendées vers l'un des détachements locaux, où elles ont eu la possibilité de communiquer avec un avocat. Elles ont ensuite été placées dans une cellule et, peu après, ont été interrogées par un membre de l'équipe d'enquête. Avant de commencer les entrevues, l'intervieweur confirmait que les personnes avaient bénéficié de leurs droits garantis par l'article 10 de la Charte, et leur faisait part de la deuxième mise en garde de la police. La plupart des personnes arrêtées ont été mises en liberté quelques heures après leur arrestation, exception faite de celles faisant l'objet d'accusations en instance ou ayant un lourd casier judiciaire. L'ensemble du processus était conforme aux pratiques policières courantes.

[27] Un addenda au plan opérationnel tactique détaillant les procédures particulières de traitement des personnes arrêtées a été mis en place pour l'opération du 17 octobre 2013. Plusieurs autobus de transport de détenus des établissements correctionnels fédéraux de Springhill et de l'Atlantique (à Renous) ont été utilisés pour transporter les personnes arrêtées vers l'un des quatre détachements locaux. L'addenda comprenait une liste de vérification détaillée à suivre pour les arrestations. Cette liste comprenait des sections concernant le nom d'une personne, sa date de naissance, le droit à l'assistance d'un avocat, la première mise en garde, ainsi que les blessures à photographier et l'endroit indiqué. Il fournissait également un plan d'action complet qui exposait en détail ce qui suit :

[Traduction]
Les manifestants qui seront arrêtés sur le site par des membres de l'EIR seront amenés à pied à l'emplacement des autobus, près du point de contrôle Est à la sortie 53 qui se trouve à environ 200 pieds, après que le commandant des interventions aura donné le « feu vert » confirmant que le site est sous contrôle. Le membre de l'EIR qui procède à l'arrestation fournira alors au membre responsable de chaque autobus le formulaire d'arrestation contenant des renseignements sur la personne appréhendée, comme le nom, la raison de l'arrestation, le droit à l'assistance d'un avocat, la première mise en garde, avant que la personne puisse être placée à l'intérieur de l'autobus. Les membres de l'Équipe médicale d'intervention d'urgence (EMIU) seront à l'emplacement de l'autobus afin de fournir rapidement une assistance médicale aux personnes appréhendées, au besoin.

Une fois l'autobus arrivé au détachement, le membre responsable du transport des personnes appréhendées fournira au(x) membre(s) de l'équipe d'enquête tous les documents concernant l'arrestation, et le dossier sera ensuite traité par un membre du Groupe des crimes de rue. La personne appréhendée sera ensuite décontaminée (s'il y a lieu) puis soumise à une séance de photographie et de dactyloscopie; on procèdera à un entretien en vue de recueillir des éléments de preuve pour les poursuites à venir.

Les personnes appréhendées qui peuvent être mises en liberté le seront sous condition (à déterminer), et on s'occupera de celles appréhendées aux fins de comparution devant le tribunal.

[28] Plus de 40 manifestants ont été arrêtés le 17 octobre 2013, et malgré une surpopulation dans les cellules, le traitement des personnes appréhendées semble avoir été raisonnable.

[29] Des personnes ont toutefois déposé des plaintes et exprimé des préoccupations. Susan Hopkins McQuarrie a affirmé :

[Traduction]
Les autres femmes avec moi avaient des vêtements beaucoup plus minces que les miens. Je tremblais de froid, même avec le pull épais, et mes compagnes tremblaient aussi de froid. Une des femmes avec moi a demandé qu'on nous donne des couvertures. L'agent nous a dit que la femme au bureau ne nous en donnerait pas. Après peut-être une heure ou une heure et demie, on nous a donné de minces couvertures en coton qui étaient tout à fait insuffisantes pour nous empêcher de trembler de froid.

[30] Cependant, les vidéos des cellules montrent que ces femmes ont reçu des couvertures, conformément au Manuel des opérations national.

[31] L'époux de Mme Hopkins McQuarrie, Dallas McQuarrie, a dit que, lors de son arrestation, il était préoccupé par la durée de sa détention, car il est diabétique. Il a dit qu'on lui avait dit qu'il ne serait pas détenu très longtemps, mais il a fini par être détenu avant 8 h, jusqu'à environ 13 h ou 14 h. Cependant, le document Rapport sur le prisonnier montre qu'il a été arrêté à 7 h 21, placé dans une cellule à 8 h 39 et libéré sur promesse de comparaître à 10 h 30.

[32] M. McQuarrie s'est également plaint de ne pas avoir été nourri; cependant, il a reconnu qu'il avait déjeuné avant son arrestation et, comme il est indiqué ci-dessus, il a été mis en liberté à 10 h 30.

[33] Plusieurs manifestants arrêtés se sont plaints d'avoir été privés d'un appel téléphonique aux membres de leur famille. Toutefois, la police n'est pas tenue d'autoriser un adulte détenu à contacter qui que ce soit, à l'exception de son conseiller juridique. Dans certains cas examinés par la Commission, des membres ont néanmoins, à la demande des personnes arrêtées, veillé à ce que des membres de leur famille soient contactés.

[34] Un reportage en ligne a allégué qu'une manifestante nommée Gilogoetj Dedam avait été violemment poussée, s'était vu refuser l'accès à l'eau et aux toilettes et s'était vu refuser l'ajustement de ses menottes en plastique au point où celles-ci ont provoqué des contusions. Ce reportage a été réfuté par des fichiers vidéo montrant que la cellule dans laquelle se trouvait Mme Dedam, comme les autres cellules représentées dans les fichiers vidéo en question, avait une salle de bain et les installations pour l'eau à la disposition des personnes détenues. La Commission ne disposait d'aucun renseignement à l'appui des allégations selon lesquelles Mme Dedam avait été poussée ou que les membres avaient refusé d'ajuster ses menottes.

[35] Dans la plupart des cas, lors des manifestations contre le gaz de schiste, plusieurs personnes ont été arrêtées à peu près au même moment. En fait, le 17 octobre 2013, le nombre de personnes arrêtées a dépassé 40. Les membres de la GRC ayant participé aux procédures d'arrestation et de détention traitaient donc simultanément plusieurs personnes arrêtées. Selon l'examen, par la Commission, des renseignements disponibles, dans la mesure du possible, les membres de la GRC responsables de l'arrestation et de la détention se sont conformés aux dispositions du Manuel des opérations national de la GRC concernant le traitement et la gestion des personnes détenues après leur arrestationNote de bas de page 6.

Conclusion

  • 1) Dans l'ensemble, les membres de la GRC ont géré les procédures postérieures à l'arrestation et relatives à la détention de manière raisonnable et conformément à la politique.

C. Communication avec les manifestants et médiation

1. Approche modérée

Faits

[36] L'« approche modérée » est une philosophie de gestion de crise qui repose sur la communication, l'établissement de relations, la résolution de problèmes et l'élaboration de mesures créatives et particulières, progressivement durant la crise. Le rôle de la police est de réunir les intervenants pour travailler à la résolution du conflitNote de bas de page 7.

[37] Le plan opérationnel de la GRC concernant l'exploration du gaz de schiste, élaboré en avril 2012 et révisé en avril 2013, traite des conditions opérationnelles probables et comprend les éléments suivants :

[Traduction]
Tous les plans et toutes les interventions sont conformes à la politique nationale et à la politique de la Division « J ». De plus, ils se concentrent sur une approche modérée et un modèle non conflictuel en ce qui concerne :

  1. a. les actes de désobéissance civile qui sont dynamiques et nécessitent une intervention policière souple;
  2. b. la prémisse selon laquelle toute personne a droit à une dissidence légitime;
  3. c. un attroupement public, qu'il s'agisse d'activités légales ou illégales, peut nécessiter une intervention avec la présence de la police;
  4. d. les situations de foule ne supposent pas toutes la désobéissance civile;
  5. e. le commandant des interventions ou son délégué sera en mesure de décider objectivement à quel moment une manifestation ou un autre acte de désobéissance civile nécessite un niveau approprié d'intervention.

[38] Le Manuel des opérations national, chapitre 38.9., concerne la politique de maintien de l'ordre lors de manifestations et protestations autochtones. La politique décrit les facteurs à prendre en considération et les approches à adopter. Elle indique que le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou protestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi. Elle note en particulier que les droits des peuples autochtones du Canada sont reconnus à l'article 35 de la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982 et que la protestation pacifique, l'assemblée pacifique et la liberté d'expression sont des droits fondamentaux aux termes de la Charte.

[39] Selon l'article 2.3. du chapitre 38.9., la gestion des manifestations ou des protestations autochtones repose sur une intervention mesurée fondée sur des renseignements exacts et opportuns. La politique traite également de la restriction d'accès à une zone contestée. Elle précise qu'on peut empêcher le public d'accéder aux zones contestées si la zone contestée est dans une réserve ou sur une propriété privée. On peut empêcher l'accès à une propriété publique ou appartenant à l'État si le gouvernement provincial ou fédéral obtient une injonction au nom du public.

[40] Plus précisément, la politique ordonne aux membres de « [v]eiller à ce que toute intervention soit prudente, progressive et, autant que possible, non conflictuelle [et de] [t]enter de négocier le conflit avant de prendre des mesures coercitives ».

[41] Dans le Manuel des opérations tactiques, la politique sous-jacente contenue dans le chapitre 2. est l'adoption d'une intervention modérée intégrée, conformément au Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (« MIGI »). Le chapitre 1.1. décrit le rôle du commandant des interventions. Le commandant des interventions est l'officier breveté ou le sous-officier supérieur responsable de la gestion et de la coordination d'un incident critique ainsi que des interventions liées à cet incident. Un incident critique est un événement qui nécessite une intervention spécialisée et coordonnée.

[42] Le chapitre 3.1. contient les responsabilités en matière de négociation en situation de crise. Cette partie souligne de nouveau l'engagement à régler les situations potentiellement violentes en recourant le moins possible à la force. L'objectif principal de l'ENSC consiste à négocier sur place la libération en toute sécurité des victimes et la capitulation pacifique des contrevenants. Il est à noter que la description du rôle de l'ENSC au chapitre 3.1. du Manuel des opérations tactiques suppose des situations de prise d'otage, qui sont très différentes du scénario face auquel s'est retrouvée l'ENSC lors des manifestations contre le gaz de schiste.

[42] Le chapitre 5.4. porte sur le traitement et l'arrestation des manifestants. Il adopte les directives énoncées au chapitre 19. du Manuel des opérations et ordonne la mise en place d'une équipe chargée du traitement des personnes détenues qui doit être attentive à la santé et à la sécurité des personnes détenues.

[44] Le surintendant principal Wayne Gallant, officier responsable des opérations criminelles de la Division « J », a affirmé que l'opération de maintien de l'ordre lors des manifestations [traduction] « ne peut pas être une histoire de police ». Il a dit qu'il s'agissait d'une manifestation liée à des préoccupations légitimes, du genre de celles qui se produisent tout le temps dans les démocraties. L'intérêt de la GRC est toujours d'être neutre et impartiale et d'être prête à assurer la sécurité publique de toutes les personnes participant aux manifestations. L'objectif était d'agir de manière professionnelle, de maintenir la sécurité publique à tout moment, de respecter les manifestations pacifiques et de réduire au minimum les interventions actives de la police. Il a ajouté que ces thèmes étaient [traduction] « souvent répétés [...] dans les téléconférences que j'ai présidées ».

[45] Le commissaire adjoint Roger Brown, commandant, a expliqué :

[Traduction]

L'objectif était toujours de respecter les limites. Autrement dit, voici les limites de la police, les limites politiques et les limites des Premières Nations. Respectez les limites. Ma stratégie globale était de respecter nos limites, de ne pas tomber dans le monde politique, de ne pas glisser du côté de l'industrie et de pouvoir faire ce que je fais ici, d'expliquer en quoi consiste mon rôle, et c'est ce que j'ai fait.

[46] Le sergent d'état-major Jean-Marc Collin, qui était responsable de la liaison avec le gouvernement provincial, a dit avoir expliqué à sa personne-ressource au gouvernement que le mandat de la GRC n'incluait pas l'interdiction de manifestations pacifiques et que la GRC n'empêcherait pas les gens de participer à une manifestation pacifique.

[47] De nombreux membres interrogés par les enquêteurs de la Commission ont parlé de leur compréhension de la notion d'approche modérée. Le surintendant principal Gallant considérait que l'approche supposait [traduction] « le plus bas niveau d'intervention possible » et que, essentiellement, [traduction] « nous n'allons pas réagir de manière excessive ». Le sergent Harry Brown, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « J », a compris que l'approche était la suivante : [traduction] « Parler avec les manifestants et expliquer ce que nous ferons et de quelle façon nous respectons leur point de vue. Permettre aux gens de prendre une décision éclairée sur ce qu'ils voulaient faire. » Le surintendant Maillet, commandant des interventions, a décrit l'approche modérée comme une voie à suivre au moyen de la communication et de l'établissement de relations, par la négociation et la médiation. Le surintendant Maillet a également dit que cette notion était appliquée dans tous les rangs, du commandant divisionnaire jusqu'au dernier échelon.

[48] Selon le sergent d'état-major Jean-Marc Robichaud, qui agissait en tant que sous-officier responsable des opérations sur les sites des manifestations, l'approche modérée signifiait que [traduction] « nous ne réagissons qu'avec la force nécessaire pour résoudre le problème. Nous leur parlions, si cela suffisait. Nous réagissions selon les niveaux d'intervention nécessaires, rien de plus. Il s'agit d'une réponse modérée à une situation. »

[49] La sergente Lynn Couture, chef d'équipe pour l'ENSC de la Division « J », a dit qu'elle avait reçu l'instruction d'utiliser l'approche modérée. Elle considérait que son rôle était de maintenir la paix, de respecter les manifestants et de s'assurer qu'ils comprenaient qu'ils avaient le droit de manifester tant qu'ils le faisaient pacifiquement et qu'ils n'empêchaient pas les travailleurs d'accomplir leur travail.

[50] L'inspecteur Dennis Fraser, venu de l'Alberta en tant que négociateur, a dit qu'il convient de recourir à une [traduction] « approche modérée qui, à mon avis, consiste à ne pas en faire trop, comme ne pas recourir à une force excessive », combinée à la négociation.

Analyse

[51] Bien qu'il y ait eu de nombreuses descriptions de l'approche modérée, toutes les personnes en cause dans le maintien de l'ordre lors des manifestations qui ont été interrogées par la Commission ont compris la notion de base selon laquelle il fallait une approche non conflictuelle avec le moins d'intervention et un accent sur la négociation et la médiation. Il convient de noter que les personnes interrogées n'ont pas reçu les questions à l'avance et ont donc donné des explications « spontanées ».

[52] Il existe un certain nombre d'enregistrements vidéo qui montrent des membres de l'équipe anti-émeute essayant de dégager la route afin de permettre le passage des camions de SWN. Les membres ont fait preuve d'une grande patience en demandant la coopération des manifestants et en leur donnant la possibilité de manifester avant de se déplacer pour faire respecter les demandes. Cela se faisait souvent pendant que les camions de SWN attendaient sur la route. La vidéo 861 contient justement des exemples de manifestants bloquant une file de camions de SWN. Des membres de la GRC parlent au meneur présumé, mais la foule continue de circuler. Un homme est assis directement devant le camion de tête de SWN. L'un des membres se penche pour lui parler, essayant apparemment de le faire bouger, mais il reste où il est. Pendant ce temps, plusieurs femmes dirigent une cérémonie de tambours devant les camions. Finalement, la foule se conforme aux demandes de la GRC de se déplacer sur le côté de la route pour laisser passer la circulation régulière. La scène se poursuit dans la vidéo 862, avec le passage des véhicules réguliers. La cérémonie de tambours continue, et l'homme est toujours assis devant les camions. Le temps combiné des deux vidéos est d'environ 12 minutes. Ces deux vidéos montrent une grande tolérance de la part des membres de la GRC et illustrent l'application d'une approche modérée non conflictuelle.

[53] Un autre exemple se trouve dans la vidéo 870, qui montre un groupe de manifestants dirigés par des femmes jouant du tambour qui s'approchent d'une file de camions de SWN. Les membres de la GRC leur demandent de garder une voie libre pour la circulation régulière, et ils coopèrent en accédant à cette demande. Lorsque les manifestants atteignent les camions de SWN, ils se rassemblent devant eux et commencent à manifester. Cependant, ils respectent la demande de la police de laisser une voie ouverte pour la circulation régulière. Cette vidéo dure 14 minutes.

Conclusion

  • 2) De façon générale, les membres de la GRC ont compris et appliqué une approche modérée dans leurs relations avec les manifestants.

2. Équipe de négociation en situation de crise

Faits

[54] Le plan opérationnel tactique prévoyait une ENSC relevant du commandant des interventions tactiques. Cependant, comme l'a souligné la sergente Couture, membre responsable de l'équipe, il n'y a pas eu de règlement négocié parce que les deux parties étaient campées sur leurs positions. Les membres de l'ENSC n'étaient essentiellement là que pour parler aux manifestants et essayer de les aider à garder leur calme, jouant davantage le rôle de médiateurs. Leur approche consistait à tenter d'identifier les meneurs, en particulier parmi les manifestants autochtones, et d'établir un contact avec eux.

[55] Cette approche a connu un succès mitigé, car la direction des groupes de manifestants semblait quelque peu mouvante. Le chef et le conseil de bande d'Elsipogtog ont maintenu une approche sans intervention, ce qui a amené certains manifestants à croire qu'ils avaient conclu un accord avec SWN. Initialement, l'équipe a tenté d'établir un contact avec John Levi, dont on disait qu'il était le chef Warrior du groupe, et Amy Sock, avocate et membre respectée de la collectivité d'Elsipogtog. Cependant, on ne savait pas si l'un ou l'autre avait le soutien solide des manifestants autochtones. Plus tard, des membres de la Mi'kmaq Warriors Society de la Nouvelle-Écosse se sont joints aux manifestations et, comme il a été mentionné, ont apporté avec eux un style plus agressif et conflictuel.

[56] L'ENSC était à l'origine composée de la sergente Couture, du sergent Don Stenger et, plus tard, de la sergente d'état-major Denise Vautour, qui avait également agi comme sous-officière responsable du site. Le sergent Stenger est autochtone, mais pas Mi'kmaq. Le caporal Richard Girouard a ensuite été ajouté à l'équipe; il est Mi'kmaq, mais ne parle pas la langue. On a ensuite fait appel au gendarme Walter Denny et au caporal Jay Marshall, de la Division « H »; ils sont tous les deux Mi'kmaq et parlent la langue. Des membres de l'ENSC ont assisté à des séances d'information quotidiennes avec le commandant des interventions.

[57] Les négociateurs ont passé la majeure partie de leur temps à interagir avec des manifestants autochtones, qui semblaient jouer le rôle principal dans les manifestations. L'objectif des négociateurs de l'ENSC était d'encourager les gens à agir en toute légalité pendant les manifestations. L'ENSC a tenté de le faire en tendant la main aux manifestants individuels qui peuvent avoir une influence sur les autres et en obtenant leur soutien pour garantir des manifestations légales.

[58] Wendell Nicholas a été embauché par la Première Nation d'Elsipogtog pour diriger une équipe de « gardiens de la paix ». Selon le gendarme Denny, l'équipe de gardiens de la paix a rédigé un protocole pour gérer la situation; les membres de la GRC ont lu le protocole et ont interagi quotidiennement avec le groupe des gardiens de la paix. Les gardiens de la paix servaient d'intermédiaire afin qu'on puisse éviter les arrestations. Lorsque la manifestante A a effectué une cérémonie de tambours sur la route en juillet, le gendarme Denny a dit [traduction] : « Plutôt que ce soit à nous, les membres, de traiter avec [la manifestante A], ce sont les gardiens de la paix qui agissaient comme intermédiaires. Quand nous devions faire passer des voitures ou des camions, ils aidaient. » Cependant, les Warriors de la Nouvelle-Écosse avaient une approche différente des choses. Ils étaient prêts à exacerber les choses, c'est-à-dire menacer de recourir à la violence, et les membres de l'ENSC s'efforçaient de trouver un moyen de changer cela et de faire en sorte que le groupe des gardiens de la paix adopte une approche non violente et persuade les Warriors de faire de même.

[59] Le 13 octobre 2013, on a fait appel à l'inspecteur Fraser afin qu'il participe aux négociations. Il est autochtone et avait participé à la médiation de manifestations autochtones dans d'autres régions du pays. Dans la nuit du 16 octobre 2013, lui et le gendarme Denny ont réussi à négocier avec le groupe des Warriors pour la libération du personnel de sécurité qui avait été barricadé dans l'enceinte des véhicules de SWN, sur la route 134. L'importance de cette situation sera examinée plus en détail lors de l'évaluation des événements du 17 octobre 2013 et de ceux qui y ont conduit.

Analyse

[60] Compte tenu notamment de la difficulté d'identifier les meneurs des manifestations, l'ENST a déployé des efforts raisonnables, voire remarquables, pour mettre en œuvre une approche modérée dans la communication et la négociation avec les manifestants afin de garantir des manifestations pacifiques et légales et de régler tout conflit jusqu'aux événements du 17 octobre 2013. Ses efforts ont abouti à la libération négociée du personnel de sécurité retenu dans l'enceinte de SWN et à une percée fructueuse dans la communication avec le groupe des Warriors, qui avait pris le relais du rôle de meneur.

Conclusion

  • 3) Tout au long des manifestations jusqu'au 17 octobre 2013, l'équipe de commandement de la GRC et l'Équipe de négociation en situation de crise ont tout mis en œuvre pour réunir les intervenants afin de trouver une solution au conflit. Leurs efforts ont été contrecarrés, en partie, par la nature insoluble du différend et par l'absence de leadership clair de la part des manifestants.

D. Surveillance et fouilles

[61] Pendant l'opération policière lors des manifestations contre le gaz de schiste, la GRC a eu recours à des pratiques de surveillance et à des fouilles physiques, dont certaines n'étaient peut-être pas conformes aux droits qui sont garantis par la Charte, notamment la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

1. Opérations d'infiltration

Faits

[62] La GRC a entrepris une opération d'infiltration visant à accéder aux communications Facebook des manifestants. Le but de l'opération, comme il est indiqué dans le document de planification de l'enquête, était le suivant :

[Traduction]
L'agent d'infiltration sera utilisé dans le but de recueillir le plus de renseignements possible sur les réseaux sociaux. Nous demanderons à l'agent de créer une fausse identité afin d'avoir accès aux sites de médias sociaux que les principales cibles utilisent ainsi qu'à d'autres sites utilisés pour organiser des manifestations/barricades et des activités criminelles. Au moyen des communications en ligne, l'agent d'infiltration tentera de joindre des groupes de médias sociaux et, éventuellement, d'accéder à des clavardoirs et à des messages privés.

[63] Les objectifs de l'opération étaient les suivants :

[Traduction]

  1. Prévenir d'autres dommages à l'équipement d'exploration de gaz de schiste et tout tort causé aux employés travaillant à l'exploration de gaz de schiste.
  2. Enquêter sur les infractions antérieures et futures au Code criminel concernant des dommages matériels à l'équipement d'exploration de gaz de schiste et/ou d'autres infractions concernant des employés travaillant à l'exploration de gaz de schiste.
  3. Empêcher des manifestations illégales et maintenir l'ordre de façon stratégique.

[64] La demande initiale a été présentée le 4 juillet 2013 et approuvée peu de temps après. L'agent d'infiltration a pu surveiller activement les groupes Facebook suivants :

Shale Gas Alerts New Brunswick
Upriver Environment Watch
New Brunswick Is Not For Sale
Stop Shale Gas In New Brunswick
Wear White (groupe privé invité)

[65] Au cours de l'opération, l'agent d'infiltration a eu un contact direct sur Facebook avec deux cibles, qui étaient toutes deux des administrateurs du groupe Facebook Shale Gas Alerts New Brunswick. L'un des administrateurs a participé activement à l'organisation de manifestations et de protestations. Sur les réseaux sociaux, il demandait aux gens d'obtenir les noms des employés de SWN et de leurs sous-traitants, des renseignements sur leur lieu de résidence, de l'information sur ce qu'ils faisaient pendant leur temps libre, etc. L'agent d'infiltration a pu établir que des personnes sur les sites de médias sociaux avaient affiché le lieu des tests sismiques et encouragé à la fois les manifestations et les dommages matériels. L'agent d'infiltration a également vérifié que des réunions avaient lieu parmi les manifestants contre le gaz de schiste concernant la planification stratégique.

[66] Une demande de prolongation de l'opération a été déposée le 16 septembre 2013 et approuvée deux jours plus tard. La demande visait à ce que des analystes en criminalité surveillent les conversations de groupe privées au sein du groupe Facebook, y compris la connexion et la déconnexion du compte. La demande indiquait :

[Traduction]
Si une personne effectue une demande de contact, l'analyste en criminalité communiquera avec l'enquêteur, qui communiquera à son tour avec l'agent de couverture afin que cette tâche soit exécutée si elle est jugée nécessaire dans le cadre de l'enquête. Ce contact sera effectué par l'agent d'infiltration en service ou lors d'un rappel, en fonction des besoins de l'enquête.

Les enquêteurs estiment qu'une grande partie des renseignements relatifs à la planification et à l'élaboration de stratégies de manifestations illégales et d'activités interdites est diffusée sur les réseaux sociaux par des messages de groupe privés.

Analyse

[67] Bien que la demande relative à l'approbation de l'opération d'infiltration ait été faite selon la procédure établie, ni les demandeurs ni le commandant divisionnaire qui a approuvé l'opération ne semblent avoir considéré que l'objectif ultime (qui a été atteint) était d'obtenir l'accès à des communications électroniques privées.

[68] Dans des affaires tranchées plusieurs années après les manifestations contre le gaz de schiste, la Cour suprême du Canada, dans les arrêts R c MarakahNote de bas de page 8 et R c JonesNote de bas de page 9, a statué que des personnes avaient qualité pour faire valoir qu'une autorisation judiciaire est requise lorsque l'on veut obtenir des messages électroniques qui constituent des communications privées. Même avant la publication de ces décisions en 2017, les tribunaux avaient statué qu'il fallait obtenir un mandat pour effectuer une fouille des messages dans un téléphone cellulaireNote de bas de page 10, et, depuis plusieurs décennies, la partie VI du Code criminel requiert une autorisation judiciaire pour l'interception de communications électroniques privées. À l'article 183 du Code criminel, « intercepter » s'entend notamment du fait de « prendre volontairement connaissance d'une communication ».

[69] La partie VI du Code criminel s'applique aux communications pour lesquelles il est raisonnable de s'attendre au respect de la vie privée; l'article 183 du Code criminel définit une communication privée comme celle « qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elle ne soit pas interceptée par un tiers [...] ».

[70] Dans la présente affaire, d'après les renseignements dont dispose la Commission, il semble que l'agent d'infiltration (et, dans la deuxième opération, un analyste en criminalité, qui a surveillé les messages, mais n'était pas autorisé à entrer en contact avec des personnes) s'occupait de lire les messages affichés par d'autres personnes sur la page Web du groupe en plus de recevoir des messages de deux membres du groupe Facebook et de leur en envoyer directement (l'un de ces membres était une cible particulière de l'enquête).

[71] Les dossiers de la GRC indiquent que, lors de la première opération, l'agent d'infiltration [traduction] « a réussi à accéder à un clavardoir privé sur le site Facebook SHALE GAS ALERTS NEW BRUNSWICK et à prendre contact avec l'administrateur ». L'agent d'infiltration a également [traduction] « surveillé activement » d'autres groupes Facebook, comme il est indiqué ci-dessus. Les dossiers de la GRC indiquent que l'agent d'infiltration [traduction] « n'a eu un contact direct sur Facebook qu'avec deux cibles, [nom 1 caviardé par la Commission] et [nom 2 caviardé par la Commission], mais surtout [nom 2]. Tous les deux [...] sont administrateurs de Shale Gas Alerts New Brunswick ». La GRC a également noté que [traduction] « l'identité réelle de la deuxième personne n'avait pas été confirmée ».

[72] La loi continue de s'adapter à l'utilisation généralisée des médias sociaux, comme le font également les pratiques policières. Des questions demeurent quant à ce qui constitue des « communications privées » sur une plateforme comme Facebook, où certains « groupes » (au sein desquels des communications électroniques ont lieu) peuvent être consultés par quiconque possède un compte Facebook; l'appartenance à d'autres groupes est contrôlée par un administrateur de groupe.

[73] Dans l'arrêt Marakah, la majorité de la Cour suprême a déclaré que sa décision relative à la nature privée des messages textes (envoyés par téléphone cellulaire) en l'espèce ne voulait pas dire que les personnes ont forcément une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée dans toutes les communications électroniques, et ce sont les faits de chaque affaire qui sont déterminants. Voici ce qui a été déclaré dans l'arrêt rendu à la majorité : « Nous ne sommes pas en présence, par exemple, de messages publiés sur les médias sociaux, de conversations tenues dans des salons de cyberbavardage bondés ou de commentaires publiés sur des babillards en ligneNote de bas de page 11. »

[74] Dans une décision de 2018 (R v. Patterson), un juge de la Cour supérieure de l'Ontario a expressément rejeté l'allégation selon laquelle l'accusé dans cette affaire avait une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée dans les messages échangés dans un groupe Facebook, en déclarant : [traduction] « Aucune personne raisonnable ne s'attendrait à ce que les communications échangées entre des membres non identifiables qui peuvent être facilement copiées et diffusées à un public illimité restent privéesNote de bas de page 12. »

[75] Dans l'arrêt R v. MillsNote de bas de page 13, un policier de Terre-Neuve a créé une adresse électronique et un profil Facebook pour une adolescente fictive de 14 ans et a communiqué avec la personne faisant l'objet de l'enquête à l'aide d'un programme informatique pour prendre des saisies d'écran (images numériques) de leurs communications. L'agent d'infiltration de la police et l'accusé ont correspondu pendant environ deux mois, ce qui a mené à l'arrestation de l'accusé pour avoir communiqué avec une mineure à des fins sexuelles.

[76] Le juge du procès a conclu à l'atteinte aux droits garantis à M. Mills par l'article 8 de la Charte. La Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador n'était pas d'accord, concluant que les articles du Code criminel sur les exigences en matière d'autorisation judiciaire n'entraient pas en jeu en l'espèce parce qu'il n'y avait eu aucune « interception » de communications. Il en était ainsi puisque les interactions consistaient en des communications directes entre deux parties; on ne peut pas dire qu'un destinataire de l'information « l'intercepte ». C'était vrai, même si M. Mills ne savait pas qu'il parlait à un policier; en fait, les deux parties se leurraient mutuellementNote de bas de page 14.

[77] En ce qui concerne la question de savoir si l'attente de M. Mills en matière de vie privée était objectivement raisonnable, la Cour d'appel a conclu :

[Traduction]
M. Mills utilisait les médias sociaux électroniques pour communiquer et partager de l'information avec une personne qu'il ne connaissait pas et dont il ne pouvait confirmer l'identité. Selon une analyse objective, en tant qu'expéditeur de ces communications, M. Mills devait savoir qu'il avait perdu le contrôle à l'égard de toute attente en matière de confidentialité, et il semble avoir espéré que le destinataire des messages exercerait un tel contrôle. Il a pris un risque en communiquant volontairement avec une personne qu'il ne connaissait pas, une personne à qui il n'était pas en mesure de faire confiance. Toute attente subjective en matière de vie privée que M. Mills pouvait avoir n'était pas objectivement raisonnable. En l'absence d'une attente raisonnable en matière de vie privée, l'article 8 de la Charte n'entrait pas en jeuNote de bas de page 15. [Non souligné dans l'original.]Note de bas de page 16

[78] Il est raisonnable d'affirmer que les personnes qui affichent des messages dans un groupe en ligne ont une attente réduite en matière de respect de la vie privée dans ces messages en raison du forum dans lequel ils sont partagés. Il est vrai que les membres des groupes de médias sociaux sont dans de nombreux cas essentiellement « non identifiables », car les personnes peuvent utiliser un surnom, un pseudonyme ou un personnage entièrement fictif (comme c'était le cas avec l'agent d'infiltration dans la présente affaire). En fait, il convient de souligner que la GRC, en l'espèce, a eu de la difficulté à confirmer la véritable identité de l'une des personnes avec lesquelles l'agent d'infiltration communiquait par l'intermédiaire de l'un des groupes en ligne.

[79] Il est également vrai qu'une personne perd beaucoup de contrôle sur sa communication après qu'elle a été partagée avec les membres du groupe, car ce message pourrait être transmis ou autrement communiqué à n'importe qui, n'importe où. Des préoccupations ont été exprimées quant à la manière dont Facebook gère les communications des utilisateursNote de bas de page 17.

[80] En l'espèce, à plusieurs reprises, les documents de la GRC eux-mêmes faisaient référence à l'accès à des communications « privées ». Cependant, en ce qui concerne les renseignements mis à la disposition de la Commission, il n'est pas certain que les communications en question ont suscité une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée, comme le prévoit la jurisprudence.

[81] Il est évident que les parties qui communiquaient avec l'agent d'infiltration ou en sa présence (virtuelle) ne savaient pas qu'il était policier. Il existe une préoccupation légitime concernant un effet dissuasif sur l'expression pacifique de la liberté d'expression. Les tribunaux évaluent les actes de la police dans l'optique de « la nécessité d'établir un juste équilibre entre le droit de l'État de s'ingérer dans la vie privée de ses citoyens et le droit de ces derniers d'être laissés tranquillesNote de bas de page 18 ».

[82] Il est vrai également que les tribunaux ont reconnu la légitimité des opérations d'infiltration et que cela peut être fait d'une manière qui ne porte pas atteinte au droit à la vie privée. Dans l'arrêt Blais c. R., la Cour d'appel du Québec a statué que « [l]e fait que l'un des interlocuteurs est un agent de l'État sans que l'appelant ne le sache ne constitue pas, non plus, une "interception"Note de bas de page 19 ». Comme l'a dit la Cour d'appel de l'Alberta, [traduction] « la tromperie ne constitue pas une interceptionNote de bas de page 20 ». Dans l'arrêt Duarte, le juge La Forest a expliqué cette distinction :

[...] la Charte n'est pas destinée à nous protéger si nous choisissons mal nos amis. S'il s'avère que notre "ami" est un indicateur et que nous sommes reconnus coupables sur la foi de son témoignage, c'est peut-être malheureux pour nous. Mais la Charte a pour objet de garantir le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Une conversation avec un indicateur n'est pas une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de la Charte. Toutefois l'interception et l'enregistrement électroniques clandestins d'une communication privée en sontNote de bas de page 21.

[83] En l'espèce, il est difficile de savoir si les actions de l'agent d'infiltration équivalaient à une « interception », comme il est indiqué dans la jurisprudence. D'une part, on peut affirmer que l'agent a « pris volontairement connaissance » des renseignements par ses actions, et le comportement s'inscrit ainsi dans le contexte d'une interception. D'autre part, une interception nécessite une « interposition » de la police entre l'expéditeur et le destinataire des communicationsNote de bas de page 22. Comme il est décrit ci-dessus, la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador, dans l'arrêt Mills, a déclaré : [traduction] « Dans le cas où il y a une communication directe entre deux personnes, il ne peut être soutenu que le destinataire prévu a “intercepté” une communication qui lui était adresséeNote de bas de page 23. »

[84] Le droit évolue constamment dans ce domaine; il a connu, et connaît encore, des changements importants depuis cet incident survenu en 2013. Les renseignements dont dispose la Commission n'établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes avaient une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée en ce qui concerne leurs communications par l'intermédiaire des groupes Facebook, ni que l'agent d'infiltration de la GRC a « intercepté » ces communications, comme il est exposé dans la jurisprudence pertinente. Il ne fait cependant aucun doute que dans une société libre et démocratique, toute collecte de communications électroniques potentiellement « privées » par la GRC ne doit se faire que dans les limites du Code criminel, de la Charte et de la jurisprudence connexe.

Conclusions

  • 4) Les renseignements dont dispose la Commission n'établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes avaient une attente objectivement raisonnable en matière de respect de la vie privée en ce qui concerne leurs communications par l'intermédiaire des groupes Facebook, ni que l'agent d'infiltration de la GRC a « intercepté » ces communications, comme il est exposé dans la jurisprudence pertinente.
  • 5) Toute collecte de communications électroniques potentiellement « privées » par la GRC ne doit se faire que dans les limites du Code criminel, de la Charte et de la jurisprudence connexe.

2. Dossiers de sources ouvertes

Faits

[85] Avant le début des manifestations, la GRC a créé des dossiers sur certaines personnes soupçonnées de participer aux manifestations. Les dossiers contenaient des renseignements personnels, notamment la date de naissance, une description, l'adresse du domicile, l'emploi, le numéro de téléphone mobile et des photos provenant de Facebook.

[86] À titre d'exemple, mentionnons le dossier créé pour le manifestant B. Il y est indiqué qu'il [traduction] « n'a pas de casier judiciaire. Il est actuellement employé à titre [renseignement caviardé par la Commission] chez [---]. Au cours des huit dernières années, il a été associé à 44 cas dans le SIRP (Système d'incidents de rapports de police) [dossiers de police de la GRC]. Il a été inculpé une fois pour [---] et il figure sur la liste des suspects pouvant être inculpés ou faisant l'objet d'une plainte dans 10 cas. Il a été inscrit sur la liste des plaignants et des témoins dans 25 cas. » Il y est ensuite noté qu'il a fait l'objet de plaintes dans de nombreux cas liés à divers incidents avec une autre personne; le nom et la date de naissance de cette autre personne sont indiqués.

[87] Le dossier sur le manifestant D comprend les renseignements suivants :

[Traduction]
[Manifestant D] est né en [---]. Il a travaillé à titre de [---]. [Manifestant D] a vécu à [---], où il écrit actuellement une biographie.

Le nom de [manifestant D] est apparu en mai 2012 lorsqu'il a commencé à s'exprimer de façon assez forte en tant qu'opposant à l'exploration du gaz de schiste sur divers groupes Facebook. [Manifestant D] a publié un guide pour les manifestants ainsi que divers événements sur Facebook. [Manifestant D] semble être celui qui a créé la page Facebook Shale Gas Alerts et il se rendait également sur les différents sites qui sont publiés sur cette page. [Manifestant D], ainsi que [six autres noms], sont tous administrateurs de la page Facebook de SHALE GAS ALERTS IN NEW BRUNSWICK. Cette page a été créée pour signaler les observations liées à l'exploration des combustibles fossiles et est un centre d'échange pour des rapports et/ou photos de tests pour l'eau et l'air, de levés et de prospections sismiques.

[88] Il est à noter que le manifestant D est l'une des personnes visées dont les communications Facebook ont été ciblées avec succès dans l'opération d'infiltration évoquée ci-dessus. Il fait également l'objet d'une des feuilles de contrôle provenant des contrôles routiers, dont il est question plus loin dans le présent document.

[89] Un autre exemple est le dossier établi sur la manifestante E. Sous [traduction] « Renseignements de sources ouvertes », on peut lire :

[Traduction]
[Nom] ainsi que [nom], [nom] et [manifestante E] semblent être les meneurs les plus actifs dans la région du comté de Kent. [Manifestante E] serait extrêmement soucieuse de la sécurité. Des renseignements révèlent qu'elle a affirmé que son groupe de contacts communiquait par Skype et que des codes particuliers étaient utilisés lors des dialogues. (Source : ---) [Manifestante E] a participé activement à l'audience de la Commission sur les activités d'exploitation minière de PotashCorp à Penobsquis et a également encouragé d'autres personnes à y assister.

[90] Des dossiers similaires ont été établis sur environ 40 autres personnes. Beaucoup de ces personnes n'avaient pas de casier judiciaire, et le seul motif pour la création des dossiers semblait être que les personnes avaient participé à d'autres manifestations liées à l'environnement.

Analyse

[91] La police n'a pas le droit d'envahir la sphère de la vie privée d'une personne d'une manière qui va à l'encontre de ses droits garantis par la Charte. Dans l'arrêt R c Plant, le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada a écrit :

Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d'intégrité et d'autonomie qu'il consacre, il est normal que l'art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État. Il pourrait notamment s'agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individuNote de bas de page 24.

[92] Dans l'arrêt R. v. Ward, la Cour d'appel de l'Ontario a statué :

[Traduction]
Si l'État pouvait unilatéralement et sans restriction recueillir des renseignements pour identifier les personnes qui prennent part à des activités publiques d'intérêt pour l'État, la liberté individuelle et, avec celle-ci, une participation significative au processus démocratique seraient restreintes. Il n'est guère étonnant qu'une surveillance exagérée et constante par l'État de ceux qui sont engagés dans des activités publiques soit une caractéristique de nombreux romans dystopiquesNote de bas de page 25.

[93] Ces affaires portent sur l'intrusion à l'égard des « aspects informationnels » de la vie privée. Dans l'arrêt R c Tessling, la Cour suprême du Canada a adopté la définition suivante des aspects informationnels de la vie privée : « [L]e droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer eux-mêmes le moment, la manière et la mesure dans lesquels des renseignements les concernant sont communiquésNote de bas de page 26 ».

[94] Si une telle collecte de renseignements est faite à des fins légitimes d'application de la loi, comme un soupçon raisonnablement fondé que les personnes pourraient se retrouver impliquées dans des activités criminelles, la collecte peut être acceptable. Autrement, selon les propos de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Ward, la police peut [traduction] « unilatéralement et sans restriction, recueillir des renseignements pour identifier les personnes qui prennent part à des activités publiques d'intérêt pour l'État ». La recherche et la compilation de renseignements biographiques personnels sur des personnes exerçant leurs droits constitutionnels de réunion pacifique et de liberté d'expression qui se révèlent présenter un intérêt pour l'État peuvent aller trop loin et être considérées comme une atteinte à leur attente raisonnable en matière de vie privée.

[95] Toutefois, il convient également de noter que les renseignements en question ont été recueillis à partir de casiers judiciaires ou de sources ouvertes, dont les premiers sont bien entendu sous le contrôle de la police, et dont les dernières sont par définition accessibles au public. L'attente relative au respect de la vie privée à l'égard de ce matériel est inévitablement atténuée.

[96] Il est évident aussi que la police a le devoir d'assurer la sécurité publique, et la collecte de renseignements est un aspect de son rôle à cet égard. Même en l'absence d'indications d'activités criminelles ou d'un niveau de menace important, en ce qui concerne les manifestations et les protestations, la GRC et les autres forces de police sont régulièrement confrontées à des questions quant à l'ampleur des perturbations qu'une manifestation ou une protestation donnée peut causer, et s'il y aura des risques pour les participants, les témoins, la police et le grand public. En répondant à ces questions, la police agit non seulement en tant que force répressive, mais aussi en tant qu'instrument de collecte de renseignements.

[97] Dans les exemples décrits ci-dessus, il semble que les renseignements sur le manifestant B, le manifestant D et la manifestante E ont été obtenus à partir des dossiers de la police ou de sources ouvertes. Il y a nécessairement une attente réduite en matière de confidentialité à l'égard de ces renseignements. Il y avait également un objectif légitime d'application de la loi de procéder à une évaluation des risques concernant les activités de manifestation. Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que la collecte de renseignements de sources ouvertes dans les cas du manifestant B, du manifestant D et de la manifestante E n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

Conclusion

  • 6) Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que la collecte de renseignements de sources ouvertes dans les cas du manifestant B, du manifestant D et de la manifestante E n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

[98]Comme il a été décrit précédemment, cependant, la collecte de tels renseignements par la police doit se faire dans des limites raisonnables. La Commission souligne ce qui semblait être un manque d'orientation en matière de politique de la GRC dans ce domaine. Par exemple, au moment des manifestations contre le gaz de schiste, il semble que la politique de la GRC ne fournissait pas de directives claires quant au type de renseignements provenant des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes qui pourraient être recueillis, à la façon dont ils pourraient être utilisés et aux circonstances dans lesquelles ils seraient conservés, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

[99] La Commission a abondamment commenté des questions très similaires dans son rapport à la suite d'une enquête d'intérêt public concernant des allégations selon lesquelles la GRC aurait surveillé de manière abusive des personnes et des groupes cherchant à participer aux audiences de l'Office national de l'énergie et divulgué des renseignements à leur sujet (Report Following a Public Interest Investigation Regarding Allegations that the RCMP Improperly Monitored and Disclosed Information of Persons and Groups Seeking to Participate in National Energy Board Hearings)Note de bas de page 27. La Commission adopte et réitère les conclusions et recommandations générales formulées dans ce rapport relativement à la collecte de renseignements à partir de sources ouvertes et aux vérifications de personnes.

[100] En particulier, la Commission conclut que la politique de la GRC sur l'utilisation de sources ouvertes ne fournissait pas de directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

Conclusion

  • 7) La politique de la GRC sur l'utilisation de sources ouvertes ne fournissait pas de directives claires quant à la collecte, à l'utilisation et à la conservation de renseignements personnels obtenus à partir des médias sociaux ou d'autres sources ouvertes, en particulier dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

[101] À cette fin, la Commission recommande que la GRC fournisse des lignes directrices claires décrivant quels renseignements personnels peuvent être recueillis à partir des sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent en être faites; et quelles mesures devraient être prises pour garantir leur fiabilité. La Commission recommande également que la politique de la GRC exige la destruction des dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (comme des saisies d'écran de sites de médias sociaux) une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles concernant les renseignements. Enfin, la Commission recommande que la GRC élabore une politique prévoyant que, lorsque la GRC obtient des renseignements personnels jugés sans lien avec des activités criminelles, ces renseignements ne doivent pas être conservés.

Recommandations

  • 1) Que la GRC fournisse des lignes directrices claires décrivant quels renseignements personnels peuvent être recueillis à partir des sites de médias sociaux; les utilisations qui peuvent en être faites; et quelles mesures devraient être prises pour garantir leur fiabilité.
  • 2) Que la politique de la GRC exige la destruction des dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (comme des saisies d'écran de sites de médias sociaux) une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien avec des activités criminelles concernant les renseignements.
  • 3) Que la GRC élabore une politique prévoyant que, lorsque la GRC obtient des renseignements personnels jugés sans lien avec des activités criminelles, ces renseignements ne doivent pas être conservés.

3. Contrôles routiers

Faits

[102] Bien que l'inspecteur Warr ait déclaré que, à sa connaissance, il n'existait pas de stratégie pour effectuer des contrôles routiers à des fins de collecte de renseignements, la preuve établit que cela s'est produit. L'inspecteur Michael Payne, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « H », était présent lors des manifestations contre le gaz de schiste en octobre et novembre 2013. Dans son entretien avec les enquêteurs, il a déclaré que lorsque les membres de son équipe étaient positionnés à un point de contrôle, ils effectuaient des vérifications des véhicules qui s'approchaient des points de contrôle.

[103] La Commission a examiné un certain nombre de feuilles de contrôle remplies le 27 juillet 2013, ainsi que des vidéos et des photos des contrôles routiers. Chaque fois qu'il y avait des passagers dans les véhicules, il leur était demandé de s'identifier. On a pris des photos ou des enregistrements vidéo des plaques d'immatriculation, et une vidéo montre que les piétons doivent produire une pièce d'identité. Lorsque les véhicules étaient interceptés, la première chose que les membres demandaient était la présentation d'une pièce d'identité. On ne demandait pas de présenter le permis de conduire, le certificat d'immatriculation du véhicule et l'assurance, comme d'habitude. Il ressort clairement des vidéos et des renseignements contenus dans les feuilles de contrôle que le but des contrôles n'était pas conforme à la disposition de la Loi sur les véhicules à moteur qui autorise la police à intercepter les véhicules pour vérifier la sobriété du conducteur, le permis, l'assurance et le bon état mécanique des véhicules. Au total, la Commission a trouvé neuf feuilles de contrôle et 12 vidéos de contrôles routiers.

Analyse

[104] La législation provinciale autorise la police à intercepter les véhicules pour les raisons susmentionnées, mais il n'y a aucune autorisation légale d'exiger des passagers qu'ils présentent une pièce d'identité. Selon la jurisprudence, exiger que les passagers des véhicules interceptés s'identifient en l'absence de justification légale constitue une violation des droits garantis à la personne par l'article 8 de la CharteNote de bas de page 28. En 1992, la Cour suprême du Canada a statué que « [l]es programmes d'interpellation au hasard ne doivent pas permettre d'effectuer une enquête générale dénuée de tout fondement ou une fouille abusiveNote de bas de page 29 ». Un contrôle routier légal « ne constitue pas et ne saurait constituer un mandat de perquisition général permettant de fouiller les conducteurs à qui l'on demande de s'immobiliser, leur véhicule et les passagersNote de bas de page 30 ».

[105] Les passagers d'un véhicule sont bien entendu libres de coopérer avec la police en répondant à ses questions s'ils le souhaitent, à condition d'avoir volontairement donné leur consentement éclairé et de comprendre qu'ils ne sont pas tenus de répondre aux questions. La Cour suprême a expliqué : « Il est vrai qu'une personne détenue peut toujours consentir à répondre aux questions de la police. Toutefois, son consentement doit être éclairé et donné en parfaite connaissance de ses droitsNote de bas de page 31. »

[106] Dans le cas présent, Pamela Ross a décrit à la Commission comment elle et d'autres personnes dans une voiture ont été interceptées lorsqu'elles s'approchaient du site des manifestations sur Airport Road en juillet 2013 et qu'elles ont toutes dû présenter une pièce d'identité. Autre exemple : l'enregistrement vidéo 20130705121405 montre une membre de la GRC munie d'un bloc-notes qui demande à un homme de 16 ans, lequel était passager à l'arrière d'un véhicule, des renseignements d'identification. Tout en écrivant sur son bloc-notes, la membre précise l'orthographe du nom du passager et lui demande ensuite sa date de naissance, qu'il fournit. On ne sait pas exactement quand ni où cette interaction s'est produite, mais, selon la date figurant sur l'enregistrement vidéo, ce serait le 5 juillet 2013. Il semblait y avoir quatre autres passagers dans le véhicule, plus le conducteur.

[107] Les feuilles de contrôle examinées par la Commission comprenaient différents renseignements concernant le conducteur, notamment le nom, la date de naissance, l'adresse, le numéro du permis de conduire, la taille, le poids, les lunettes, les poils du visage, la race, la couleur des cheveux, d'autres caractéristiques distinctives et des renseignements sur le véhicule. Il y avait une section pour décrire où la personne avait été « vue ». Il y avait aussi une section pour indiquer si une vérification du casier judiciaire et/ou une vérification de la base de données de la police avaient été effectuées concernant le conducteur. De plus, il y avait une section pour des renseignements sur les passagers dans le véhicule.

[108] Il convient de souligner, encore, qu'il ne semble pas y avoir de préoccupation particulière concernant les occupants des véhicules interceptés. On pourrait soutenir que les occupants des véhicules ont fourni des renseignements à la GRC de leur propre gré, c'est-à-dire avec le consentement. Il est cependant loin d'être clair pour la Commission que les occupants étaient pleinement conscients de leur droit de ne pas répondre aux questions posées par la police dans les circonstances; cela s'avère particulièrement lorsque des renseignements sont obtenus auprès de mineurs, comme c'était le cas dans l'enregistrement vidéo dont il est question ci-dessus. Il semble probable que les occupants du véhicule estiment qu'ils n'avaient d'autre choix que de répondre aux questions des membres de la GRC s'ils souhaitaient poursuivre leur déplacement.

[109] Il semble que les membres de la GRC ne disposaient pas d'une autorisation judiciaire ou d'une autre autorisation légale pour effectuer des contrôles routiers aux fins de collecte de renseignements d'une manière qui constituait une « enquête générale » sur les occupants du véhicule. Cette pratique n'était pas conforme aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

[110] Les policiers ont le devoir, entre autres, de prévenir la criminalité et de mener des enquêtes; dans certaines limites, ils ont des pouvoirs accessoires en vertu de la common law pour exercer ces fonctions. Les tribunaux autorisent les policiers à établir des barrages routiers au hasard afin de prévenir le grave problème de la conduite avec facultés affaiblies et d'enquêter sur un tel cas (par exemple des programmes bien connus, comme R.I.D.E. [Reduce Impaired Driving Everywhere], dont l'objectif est de diminuer la conduite avec facultés affaiblies)Note de bas de page 32. Ils sont également autorisés à le faire, comme l'a décrit le juge David M. Paciocco, dans le cadre [traduction] « d'enquêtes criminelles urgentesNote de bas de page 33 », notamment en ce qui concerne un « risque particulier [...] lorsque la présence d'armes à feu a été signalée », où des personnes brandissant des armes quittaient le stationnement d'un clubNote de bas de page 34 ou bien l'arrestation de « dangereux criminels [qui] sont depuis peu en cavale », où des cambrioleurs de banque armés fuyaient les lieux du crimeNote de bas de page 35. Dans l'arrêt Clayton, le juge Binnie, dans ses motifs concordants, décrit plus en détail les scénarios éventuellement acceptables justifiant des barrages routiers d'urgence, dont la recherche d'un enfant kidnappé qui se trouverait dans le coffre d'un véhicule ou la recherche de détenus au lendemain d'une évasionNote de bas de page 36.

[111] Dans la présente affaire, malgré une préoccupation légitime concernant la sécurité publique, compte tenu des renseignements non confirmés qui circulaient au sujet des armes, cela ne donnait pas lieu, en soi, à une enquête criminelle urgente nécessitant un barrage routier.

[112] À ce titre, l'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière, sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave, n'était pas conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

Conclusions

  • 8) Il semble que les membres de la GRC ne disposaient pas d'une autorisation judiciaire ou d'une autre autorisation légale pour effectuer des contrôles routiers aux fins de collecte de renseignements d'une manière qui constituait une « enquête générale » sur les occupants du véhicule. Cette pratique n'était pas conforme aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.
  • 9) L'interception au hasard de véhicules à des fins autres que celles énoncées dans la législation provinciale sur la circulation routière, sans autorisation judiciaire et en l'absence d'enquête urgente sur un crime grave, n'était pas conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux droits garantis par la Charte aux occupants du véhicule.

4. Fouilles physiques

Faits

[113] Pendant le blocus de l'enceinte de SWN sur la route 134, des membres de la GRC ont régulièrement fouillé des véhicules et des personnes pénétrant sur le campement des manifestants. La sergente d'état-major Vautour a expliqué que cela avait été fait pour des raisons de sécurité à la fois du public et des agents compte tenu de la possibilité de faire entrer des armes à feu. Le surintendant principal Gallant a reconnu que de telles fouilles ne sont pas autorisées par la loi, mais il a souligné que peut-être, dans cette situation, les membres auraient pu avoir des renseignements ou observer quelque chose qui, sur le plan subjectif, justifieraient les fouilles.

[114] Bien qu'un fusil ait été braqué sur des membres de l'équipe anti-émeute et ait finalement été saisi le 17 octobre 2013, la preuve est claire : avant cet incident, il n'y avait aucun renseignement fiable et confirmé selon lequel l'un des manifestants était en possession d'armes à feu.

Analyse

[115] Encore une fois, il est bien établi en droit que la police n'a pas le pouvoir d'effectuer des fouilles physiques en l'absence d'une loi conforme à la Charte ou d'une autorisation judiciaire. Une fouille ou une perquisition sans mandat est présumée abusiveNote de bas de page 37. Les exceptions à cette règle comprennent l'existence d'une situation d'urgence ou d'une violation appréhendée de la paix, qui découlent de l'exercice des pouvoirs accessoires de la police, comme il est expliqué ci-dessous à propos de l'article 2 de la Charte. D'autres exceptions peuvent inclure une fouille accessoire à une arrestation; une « fouille de sécurité » (c.-à-d. par palpation) accessoire à une détention aux fins d'enquête, s'il existe des motifs raisonnables de croire que l'agent ou la sécurité publique est en danger; et des fouilles fondées sur le consentement.

[116] Il a été statué qu'il y a situation d'urgence s'il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu'ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardéeNote de bas de page 38 ». Bien qu'il y ait certainement lieu de s'inquiéter de la possibilité que des armes à feu et d'autres armes soient introduites dans le campement, et qu'il n'y ait pas de renseignements confirmés à cet effet, ces circonstances étaient insuffisantes pour justifier une fouille courante des véhicules et des personnes pénétrant sur le campementNote de bas de page 39. Le chapitre 21.4. du Manuel des opérations national de la GRC, qui traite des perquisitions sans mandat, explique correctement la notion de situation d'urgence : lorsque le délai nécessaire à l'obtention d'un mandat de perquisition risque de mettre en danger la vie ou la sécurité d'une personne ou d'entraîner la perte ou la destruction de l'objet en question.

[117] Pour qu'une violation appréhendée de la paix justifie l'interception et la fouille de personnes ou de véhicules, elle doit être imminente, et le risque qu'elle survienne doit être sérieux. La simple possibilité d'une violation non précisée à un moment inconnu ne suffira pasNote de bas de page 40. La procédure appropriée consisterait donc à demander un mandat général visant à autoriser une telle procédure s'il existait des motifs suffisants.

[118] Dans certaines situations, la police peut fermer entièrement une voie publique; la loi l'autorise souvent dans des situations impliquant, par exemple, une collision de véhicules ou de mauvaises conditions routières. La police peut également le faire en vertu de ses pouvoirs accessoires en common law liés à son devoir d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique; ces situations seront examinées plus loin dans la section « Zones tampons et détournement de la circulation ».

[119] En l'espèce, les personnes en cause n'avaient pas été arrêtées et ne faisaient pas l'objet d'une détention aux fins d'enquête. Il n'existait ni situation d'urgence ni violation appréhendée de la paix. En ce qui a trait aux demandes de renseignements d'identification des passagers des véhicules évoquées ci-dessus, on pourrait soutenir que les personnes interceptées et ayant fait l'objet d'une fouille ont donné leur consentement à ces fouilles. Encore une fois, il est difficile pour la Commission de conclure, cependant, que les personnes ont donné leur consentement pleinement éclairé et volontaire à ces fouilles dans les circonstances. Le consentement volontaire signifie que la personne a « réellement [le] choix »Note de bas de page 41. Il est fort probable que les personnes en cause se soient senties obligées de se soumettre aux fouilles si elles souhaitaient entrer dans le campementNote de bas de page 42.

[120] Comme il est mentionné ci-dessus, malgré une préoccupation légitime concernant la sécurité publique, compte tenu des renseignements non confirmés qui circulaient au sujet des armes, selon la prépondérance des probabilités, il semble que la pratique de fouiller les personnes entrant dans le campement était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Conclusion

  • 10) Selon la prépondérance des probabilités, il semble que la pratique de fouiller les personnes entrant dans le campement était, dans les circonstances, incompatible avec le droit des personnes à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Recommandation

  • 4) Qu'on donne aux membres participant aux opérations de maintien de l'ordre public un aperçu des lois et des politiques relatives aux fouilles, perquisitions et saisies, y compris l'obligation d'obtenir un mandat et les motifs juridiques établissant des exceptions pour les fouilles sans mandat.

E. Liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique

[121] La Charte garantit ce qui suit :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.

[122] Comme l'a déclaré la Cour d'appel de l'Ontario, [traduction] « le droit de protester contre l'action du gouvernement est au cœur même de la garantie de liberté d'expressionNote de bas de page 43 ».

Faits

[123] Même si le plan opérationnel tactique pour le maintien de l'ordre lors des manifestations décrivait l'accent mis sur une approche modérée/un modèle non conflictuel [traduction] « en ce qu'il s'applique à la prémisse selon laquelle toute personne a droit à une dissidence légitime », plusieurs incidents ou pratiques ont porté atteinte à des degrés divers aux droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique des manifestants.

[124] La pratique consistant à intercepter et à fouiller les véhicules et les personnes pénétrant sur le campement de la manifestation sur la route 134 a été analysée ci-dessus, mais cette pratique était également sans doute incompatible avec la liberté d'expression et de réunion des manifestants.

[125] D'autres incidents qui ont restreint le droit à la liberté de réunion pacifique des manifestants se sont produits dans une interprétation en apparence erronée des dispositions de la deuxième injonction, qui a mené à plusieurs arrestations juridiquement douteuses.

[126] À la suite de cette interprétation, des membres ont refusé aux manifestants le droit d'approcher tout équipement de SWN à moins de 20 mètres, même si le libellé de l'injonction semblait indiquer que la règle des 20 mètres ne s'appliquait qu'au fait de se trouver à côté des camions de SWN. Une partie de l'équipement de SWN ayant été installée le long de la route, l'interprétation apparente était que les manifestants n'étaient pas autorisés à se tenir à moins de 20 mètres de la route elle-même. Cette interprétation a mené à des situations problématiques, comme en témoigne la vidéo 20131130_0007, où un manifestant ne peut pas s'approcher de la route pour accéder à un site des manifestations et demande au membre de la GRC : [traduction] « Comment puis-je me rendre à 20 mètres à côté d'eux [les camions vibrosismiques] si vous ne nous laissez pas passer? Nous devons voler ou quoi? » La vidéo 6397 montre une autre occurrence de la même règle qui est appliquée. Les vidéos 6315 et 7364 documentent d'autres cas où des manifestants n'ont pas été autorisés à se tenir à moins de 20 mètres des camions vibrosismiques, comme le prévoit l'injonction. Dans la vidéo 7364, un manifestant est arrêté pour cette raison.

1. Arrestations au titre de l'injonction du 22 novembre 2013

[127] Le 29 novembre 2013, le manifestant Z a été observé sur la route 11 près de Richibucto, au Nouveau-Brunswick, et aurait été [traduction] « très près (moins de 20 mètres) des appareils d'analyse de gaz de schiste en marche ». Des membres lui ont dit qu'il était en état d'arrestation pour avoir violé l'injonction; le manifestant Z n'a pas obéi et a plutôt couru dans les bois, où il a été poursuivi, puis arrêté pour manquement à une ordonnance du tribunal et résistance à un policier.

[128] Un procureur de la Couronne a refusé de donner suite aux accusations, affirmant qu'aucun renseignement ne permettait de croire que le manifestant Z avait violé l'injonction puisque l'ordonnance ne contenait aucune condition limitant la distance d'une personne par rapport à l'équipement; il s'agissait plutôt de la distance par rapport aux camions seulement. De plus, le manifestant n'a pas dérangé le fonctionnement des véhicules, ni ne les a empêchés d'entrer sur les chantiers ou d'en sortir. L'accusation de résistance à l'arrestation n'a pas non plus été poursuivie, car le manifestant Z aurait probablement eu une défense valable étant donné les motifs problématiques de l'arrestation.

[129] De même, le 29 novembre 2013, le manifestant Y marchait sur le côté de la route 11 avec trois autres hommes lorsqu'il a été arrêté pour manquement à une ordonnance du tribunal parce qu'il se trouvait [traduction] « à l'intérieur de la zone de 250 mètres/20 mètres ». Les notes d'un des agents qui ont procédé à l'arrestation se lisent en partie ainsi : « Étant donné que ces cinq (5) individus étaient à moins de 250 mètres et à moins de 20 mètres de la route, la décision fut prise [...] de procéder à l'arrestation des 5 individus [...] » [Non souligné dans l'original.] Le manifestant Y a fui la police et a été appréhendé après une brève poursuite à pied. Par conséquent, il a été également accusé d'avoir résisté à un policier.

[130] Le procureur de la Couronne a refusé de donner suite aux accusations portées contre le manifestant Y pour les mêmes raisons que dans le cas du manifestant Z. Il a expliqué que, à son avis, le manifestant Y n'avait violé aucune des conditions de l'injonction et ne semblait pas avoir causé de nuisance. Le procureur de la Couronne ne croyait pas qu'il était dans l'intérêt public de donner suite à l'une ou l'autre des accusations.

Analyse

[131] Au moment d'évaluer la décision d'un membre de procéder à une arrestation, il est important de se rappeler que son rôle ne consiste pas à déterminer si le suspect est coupable ou innocent; le membre n'agit pas en tant que juge et jury. Le fait qu'un accusé soit arrêté, mais pas condamné ou que l'on ne donne pas suite aux accusations n'est pas déterminant quant au caractère approprié de l'arrestation. Le critère au procès est « hors de tout doute raisonnable » et, pour ce qui est de la poursuite, il s'agit d'une « probabilité raisonnable de condamnation », les deux créant un seuil plus élevé que celui des motifs raisonnables.

[132] Néanmoins, les membres de la GRC doivent veiller à interpréter les dispositions juridiques (en l'espèce, les dispositions d'une injonction) de manière raisonnable. La section pertinente de l'injonction, imposée par la Cour le 22 novembre 2013, est ainsi libellée :

[Traduction]

IL EST PAR LA PRÉSENTE ORDONNÉ que les intimés [et d'autres personnes] [...] soient par la présente empêchés [...] :

[...]

b) de gêner ou de tenter de gêner par la force, la menace de force, l'intimidation, la coercition, le blocage, la résistance ou par tout autre moyen illégal, l'utilisation des véhicules du demandeur le long de la route 11 et, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, en particulier à moins de 250 mètres de l'avant ou de l'arrière de l'un des véhicules du demandeur et à moins de 20 mètres des côtés de l'un des véhicules du demandeur.

[133] D'après les renseignements disponibles, il semble que des membres de la GRC ont procédé à plusieurs arrestations de manifestants sans avoir de motifs raisonnables, d'un point de vue objectif, de croire qu'ils avaient commis une infraction. Ces arrestations étaient apparemment fondées sur une mauvaise interprétation des conditions de l'injonction.

[134] La Commission recommande que la GRC fournisse aux membres intervenant dans le maintien de l'ordre lors de manifestations publiques ou le maintien de l'ordre public des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction ou des dispositions juridiques particulières qu'ils doivent appliquer, en obtenant des conseils juridiques, au besoin.

Conclusion

  • 11) Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que des membres de la GRC ont procédé à plusieurs arrestations de manifestants sans avoir de motifs raisonnables, d'un point de vue objectif, de croire qu'ils avaient commis une infraction. Ces arrestations étaient apparemment fondées sur une mauvaise interprétation des conditions de l'injonction.

Recommandation

  • 5) Que la GRC fournisse aux membres intervenant dans le maintien de l'ordre lors de manifestations publiques ou le maintien de l'ordre public des interprétations détaillées et exactes des conditions de toute injonction ou des dispositions juridiques particulières qu'ils doivent appliquer, en obtenant des conseils juridiques, au besoin.

2. Zones tampon et détournement de la circulation

[135] Un autre sujet de plainte des manifestants était le détournement prétendument inutile de la circulation loin des sites des manifestations. Mme Ross a raconté que, lors des manifestations sur la route 126, des membres de la GRC ont créé un détour alors que personne n'était sur la route pour arrêter la circulation :

[Traduction]
Des gens voulaient entrer là-bas, et ils ont dit – ils étaient à environ huit kilomètres plus loin, c'était le détour qu'il fallait prendre. Et ils ont dit que si nous voulions entrer, nous devions marcher. Et puis je dis que nous apportons des choses, nous apportons de la nourriture et de l'eau (inaudible). Non. Vous voulez entrer, vous devez marcher. Il n'y avait donc aucune raison pour qu'ils n'autorisent pas les gens à se rendre à la route 126. Il ne se passait rien d'illégal là-bas. [...] Alors j'ai descendu vers ce détour, et ils arrêtaient la circulation et disaient désolés, il y a un tas de gens sur la route, des manifestants sur la route là-bas, ils ont bloqué la route, vous devez donc faire un détour.

[136] Selon M. McQuarrie, il y a eu des moments où les détours ont empêché les médias de se rendre sur les sites des manifestations. Il a estimé que cela nuisait à la capacité des manifestants de diffuser leur message auprès du public. M. McQuarrie a dit :

[Traduction]
Ce qui m'a dérangé, c'est qu'il y avait toujours celui-là où ils s'alignaient des deux côtés pour ensuite s'éloigner sur la route et, par exemple, ils ne laissaient pas du tout entrer les médias. Eh bien, c'est notre pain et notre beurre quand nous essayons de communiquer que nous avons un problème ici, vous savez, et je ne comprends tout simplement pas comment ils pourraient empêcher quelqu'un qui veut emprunter une voie publique de l'emprunter, mais ils le faisaient systématiquement.
On appelait les médias pour leur dire que des choses vont probablement se passer ici, et ils étaient tenus à l'écart. Puis on entendait aux nouvelles, eh bien, que la police a fermé les routes et qu'ils ne pouvaient pas entrer ou ils disaient que les manifestants ont fermé les routes. [...] Ils ont fermé les routes, nous n'avons pas fermé la route. [...] Quand nous étions en train de manifester, nous avions nos superviseurs; oui, la circulation ralentissait pour nous contourner et autres choses du genre, mais nous n'avons jamais fermé une route une seule fois, nous n'avons jamais essayé de fermer une route.

Dispositions juridiques pertinentes

[137] L'affaire R c KnowltonNote de bas de page 44 est l'arrêt important concernant la légalité de l'intervention policière au moment de restreindre l'accès à des aires publiques dans le contexte d'un rassemblement public. Dans cette affaire, les agents de police avaient formé un cordon de policiers encerclant l'espace qui se trouvait à l'entrée d'un hôtel, y compris le trottoir, où un dignitaire étranger devait s'arrêter brièvement. L'appelant a dit à deux policiers qu'il voulait prendre des photographies et a demandé qu'il soit autorisé à passer par la partie du trottoir qui était ceinturée. Parce que l'appelant revendiquait son droit de pénétrer dans ce périmètre, il a été averti que s'il passait, il serait arrêté. Toutefois, l'appelant s'est frayé un chemin entre deux policiers et a été arrêté.

[138] La police ayant porté atteinte au droit de l'appelant de circuler librement sur une voie publique, la question en litige était le devoir de la police et l'exercice des pouvoirs reliés à ce devoir. La Cour devait déterminer :

  • (i)  si pareille conduite de la police entre dans le cadre général de quelque devoir imposé par la loi ou reconnu en common law ;
  • (ii) si pareille conduite, bien qu'elle entre dans le cadre général de ce devoir, comportait un exercice injustifié de pouvoirs reliés à ce devoirNote de bas de page 45.

[139] En vertu de la loi, les fonctions de la police municipale comprenaient le maintien de la paix et la prévention du crime. La Cour suprême a estimé que les autorités policières non seulement avaient le droit, mais étaient tenues de prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher une attaque criminelle contre le dignitaire en visite, en particulier compte tenu du fait que le même dignitaire avait subi une attaque quelques jours plus tôt :

Suivant les principes qui, pour le maintien de la paix et la prévention du crime, sont sous-jacents aux dispositions de l'art. 30, entre autres, du Code criminel, les autorités policières n'avaient pas seulement le droit, mais étaient tenues, en tant qu'agents de la paix, d'empêcher que pareille attaque criminelle sur la personne du Premier ministre Kosygin ne se répète au cours de sa visite officielle au Canada. A cet égard, ils avaient l'obligation précise de prendre des mesures convenables et raisonnables. La restriction au droit de libre accès du public aux voies publiques, au point stratégique susmentionné, constituait une mesure—non inusitée—que les autorités policières ont considérée et adoptée comme nécessaire pour atteindre ce but. A mon avis, pareille conduite de la police entrait clairement dans le cadre général des devoirs qui leur étaient imposésNote de bas de page 46. [Non souligné dans l'original.]

[140] Il convient toutefois de noter que les pouvoirs conférés à la police pour l'exercice de ses fonctions ne sont pas aussi vastes que les fonctions elles-mêmes :

[Traduction]
La loi impose de vastes fonctions générales aux policiers, mais elle ne leur confère que des pouvoirs limités pour exercer ces fonctions. Les fonctions de la police et son pouvoir d'agir dans l'exercice de ces fonctions ne se recoupent pas. La conduite de la police n'est pas rendue légale simplement parce qu'elle a aidé à l'exercice des fonctions qui lui sont attribuées. Lorsque le comportement de la police porte atteinte à la liberté de la personne, ce comportement ne sera légal que s'il est autorisé par la loiNote de bas de page 47. [Non souligné dans l'original.]

[141] Dans l'arrêt Knowlton, un fait important était que la conduite de la police était adaptée à la situation connue de la police.

[142] Dans l'arrêt Figueiras v. Toronto (Police Service Board)Note de bas de page 48, la Cour d'appel de l'Ontario a dû décider si la police avait agi dans le cadre de son pouvoir en vertu de la common law lorsque, lors du sommet du G20 de 2010 à Toronto, elle avait exigé des manifestants qui marchaient sur une voie publique de se soumettre à une fouille de leur sac s'ils voulaient accéder au site d'une manifestation. M. Figueiras a refusé de se soumettre à une telle fouille, et un policier lui a refusé le droit d'avancer vers le site de la manifestation. Le groupe d'agents en cause dans l'interaction avec M. Figueiras n'avait reçu aucune instruction pour effectuer ces fouilles.

[143] La plainte de M. Figueiras portait essentiellement sur le fait que des policiers l'avaient illégalement empêché d'emprunter une voie publique et de poursuivre sa manifestation pacifique à un endroit plus proche du site du sommetNote de bas de page 49.

[144] Dans l'après-midi du jour précédant l'interaction de M. Figueiras avec la police, la manifestation du G20 avait été violente, certains manifestants se livrant à des tactiques propres au « Black Bloc » : ils portaient des cagoules, des masques de ski, des lunettes de protection et des bandanas pour dissimuler leur identité tout en commettant des actes illégaux avant de se fondre dans la foule de manifestants pacifiques et de se changer dans des vêtements quelconquesNote de bas de page 50.

[145] Étant donné que les agents n'avaient aucun pouvoir légal, que ce soit en vertu du Code criminel ou autrement, d'exiger que M. Figueiras consente à une fouille de son sac comme condition préalable à la marche sur une voie publique dans la direction de son choix, la question était de savoir si les mesures des agents étaient autorisées en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires en common law.

[146] Même sans autorisation légale particulière, la police a le pouvoir de restreindre l'accès à certaines zones qui sont normalement ouvertes au public, mais ce n'est pas un pouvoir général; il est plutôt [traduction] « limité aux circonstances appropriées, comme les incendies, les inondations, les lieux d'accidents de voiture, etc.Note de bas de page 51 ». Il est reconnu en droit que la police a le pouvoir de créer des zones tampons [traduction] « à des fins appropriées afin de mener à bien ses fonctionsNote de bas de page 52 ».

[147] Lorsque la conduite d'un agent a entraîné, à première vue, une atteinte à la liberté d'une personne, les tribunaux appliquent un critère à deux voletsNote de bas de page 53 pour établir si la conduite de l'agent relève de ses pouvoirs accessoires en common law et se demandent :

[Traduction]

  • 1) La conduite de la police en cause entre-t-elle dans le cadre général de quelque devoir imposé par la loi ou reconnu en common law?
  • 2) Dans l'affirmative, vu les circonstances de l'espèce, la conduite de la police en cause comportait-elle un exercice injustifié des pouvoirs reliés à l'obligation d'origine législative ou en common law qui entrait en jeuNote de bas de page 54?

[148] Le deuxième volet du critère exige un juste équilibre entre les intérêts qui s'opposent, à savoir les devoirs des policiers et les droits à la liberté qui sont en jeu. Les facteurs à soupeser comprennent :

[Traduction]

  • 1) L'importance du devoir pour l'intérêt public;
  • 2) La nécessité de l'atteinte à la liberté pour l'accomplissement de ce devoir;
  • 3) L'ampleur de l'atteinte à la liberté. Pour appliquer ce volet du critère, il faut déterminer si une atteinte aux droits individuels est nécessaire à l'accomplissement du devoir des agents de la paix, et si elle est raisonnable, compte tenu des intérêts d'ordre public servis par, d'un côté, la répression efficace des agissements criminels, et de l'autre, le respect de la liberté et de la dignité fondamentale des individusNote de bas de page 55.

[149] Dans l'arrêt Figueiras, la Cour a conclu que la conduite des policiers consistant à intercepter M. Figueiras pendant qu'il marchait sur une voie publique et à l'empêcher de poursuivre sa manifestation pacifique faisait intervenir le droit en common law de M. Figueiras de circuler librement sur une voie publique, ainsi que son droit à la liberté d'expression garanti par la Charte, à l'alinéa 2b). Les parties ont convenu que la conduite des agents satisfaisait au premier volet du critère, à savoir qu'ils agissaient dans le cadre du devoir de la police de maintenir la paix. Par conséquent, la Cour n'a pas examiné ce point. En ce qui a trait au deuxième volet du critère, la Cour a en outre conclu que le prétendu pouvoir de la police dont il est question n'était pas fondé sur la loi ou la common law.

[150] La Cour a conclu que la conduite de la police, selon [traduction] « le délai de réaction, la délimitation géographique de l'intervention et les moyens employés, n'était pas adaptée à la situation alors connue des policiersNote de bas de page 56 ». Au bout du compte, la Cour a statué que, en interceptant M.  Figueiras et en exigeant qu'il soit fouillé, les policiers avaient violé son droit de circuler librement sur une voie publique, ainsi que son droit à la liberté d'expression garanti par la Charte.

Analyse

[151] En l'espèce, la justification des fermetures de routes était considérée comme une préoccupation pour la sécurité publique. Le surintendant principal Gallant a déclaré que la GRC avait tenté de garder les routes ouvertes autant que possible et a souligné que la route 134 avait été maintenue ouverte avec une seule voie pendant la majeure partie du blocus en octobre. La route avait été partiellement bloquée par des arbres abattus.

[152] De manière générale, les préoccupations exprimées au sujet des fermetures de routes n'étaient pas détaillées avec des dates précises; les parties ont expliqué que la police [traduction] « l'a fait souvent » ou que la GRC [traduction] « le faisait constamment ». Ce manque de détails présente des défis pour l'analyse de l'affaire par la Commission. Dans des cas précis, il peut y avoir eu des justifications raisonnables pour que la police établisse une « zone tampon ». Le caractère raisonnable d'une telle mesure dépendrait également, entre autres, de la taille de la zone, de qui était exclu et pourquoi, et de la durée de l'exclusion.

[153] Étant donné le manque d'information détaillée dans les allégations, la Commission ne disposait pas de renseignements suffisants pour conclure, de manière générale, que les fermetures de routes et le détournement de la circulation pendant les manifestations contre le gaz de schiste étaient déraisonnables. De même, les renseignements étaient insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle les médias s'étaient vu déraisonnablement refuser l'accès aux sites des manifestations.

Conclusion

  • 12) Étant donné le manque d'information détaillée dans les allégations, la Commission ne disposait pas de renseignements suffisants pour conclure, de manière générale, que les fermetures de routes et le détournement de la circulation pendant les manifestations contre le gaz de schiste étaient déraisonnables. De même, les renseignements étaient insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle les médias s'étaient vu déraisonnablement refuser l'accès aux sites des manifestations.

[154] Cela dit, la Commission a examiné en détail, dans une plainte individuelle, une allégation précise de ce type. Un rapport distinct sur cette question a été publié, et un résumé des questions y figurant sera présenté dans le présent rapport.

[155] La manifestante F a allégué que le caporal Guy Marquis et d'autres membres avaient violé son droit à la liberté de réunion pacifique en lui refusant indûment l'accès à un site des manifestations le 5 juin 2013. La plaignante a également affirmé qu'elle avait été menacée à tort d'être arrêtée pour méfait si elle s'approchait du site.

[156] La manifestante F avait brièvement quitté le site des manifestations et avait cherché à revenir, lorsqu'elle a été interceptée par un membre de la GRC qui a expliqué qu'elle ne pouvait pas rejoindre la manifestation, car certains manifestants avaient commencé à entraver le travail des employés de SWN de manière illégale, et le membre ne pouvait être assuré que la manifestante F ne participerait pas à cette activité illégale. Par conséquent, elle devrait rester à une certaine distance du site des manifestations ou faire face à la possibilité d'être arrêtée.

[157] Considéré isolément, le fait de restreindre la possibilité pour la plaignante de rejoindre la manifestation peut sembler déraisonnable. Cependant, des facteurs supplémentaires ont amené la Commission à conclure que la conduite des membres de la GRC n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

[158] Les renseignements tirés de l'enregistrement vidéo et des entrevues ont permis de conclure qu'il n'y avait pas de préoccupation légitime en ce qui concerne la violence pendant les événements. Rien n'indique qu'une violation de la paixNote de bas de page 57 était en cours ou était imminente dans la région. Quelques manifestants s'adonnaient à de la désobéissance civile et bloquaient la route, tandis que tous les autres se conformaient aux directives de la police. Un homme avait été arrêté peu de temps avant cet incident, et un jeune a été arrêté peu de temps après.

[159] La plaignante a été empêchée de retourner sur les lieux au motif qu'elle [traduction] « se joindrait au groupe ». Cependant, comme il est indiqué, la grande majorité du groupe se conformait aux directives de la police. Dans l'arrêt Brown, la Cour a déclaré : [traduction] « La violation appréhendée de la paix doit être imminente, et le risque qu'elle survienne doit être sérieux. La simple possibilité d'une violation non précisée à un moment inconnu ne suffira pasNote de bas de page 58. » Le risque que la plaignante passe devant les membres du groupe debout sur l'accotement de la route afin de rejoindre les trois manifestants se tenant au milieu de la route n'était pas évident, et les conséquences d'un tel événement n'étaient pas, dans les circonstances, susceptibles de causer un préjudice à quiconque, voire de gêner SWN au-delà de ce qui se produisait déjà (cependant, comme nous le décrirons ci-dessous, il convient de souligner que cela constituait en soi une infraction de méfait). Il ne semble pas que la plaignante était avec un grand groupe de manifestants qui cherchaient à entrer; les renseignements disponibles donnent à penser qu'elle était accompagnée de ses enfants et d'un homme adulte.

[160] De plus, les moyens choisis pour réduire la probabilité de matérialisation du risque cerné doivent être efficaces. Ici, les moyens choisis (entraver la liberté de circulation des « nouveaux venus ») n'auraient pas nécessairement été efficaces pour empêcher le risque de méfait de se matérialiser. Il n'y avait aucun moyen de savoir que la plaignante ou tout autre « nouveau venu » était plus susceptible de se tenir sur la route et de refuser de bouger que les quelque 80 manifestants déjà présents sur les lieux. Le critère exige que l'on établisse s'il doit y avoir atteinte aux droits individuels pour que les agents de la paix s'acquittent de leur devoir.

[161] Dans un sens strict, il était difficile de conclure qu'il était nécessaire de bloquer l'accès au site aux « nouveaux arrivants », comme il est décrit dans la jurisprudence, pour empêcher quiconque de bloquer la route. Une façon d'empêcher que la route soit bloquée était d'arrêter les manifestants qui ne se conformaient pas aux ordres de la police; comme il est indiqué ci-dessus, les membres le faisaient effectivement, au besoin.

[162] Toutefois, des questions plus larges ont également été soulevées. Les manifestations et la cérémonie auraient bloqué la chaussée, et le travail de SWN, pendant plus d'une heure et demie. La cérémonie aurait-elle dû être autorisée à cet endroit en premier lieu, étant donné qu'elle entravait illégalement le travail de SWN, ou s'agissait-il d'un recours raisonnable à l'approche modérée par la GRC? Après son lancement, à quel moment cela est-il devenu « trop long » pour pouvoir continuer dans les circonstances? Lorsque certaines personnes ont refusé de se conformer aux ordres d'y mettre fin, était-il raisonnable que la police restreigne l'accès au site à d'autres manifestants potentiels qui pourraient ou non se conformer?

[163] Ce jour-là, les manifestants avaient bloqué la circulation dans une certaine mesure. Certains d'entre eux avaient organisé une cérémonie pacifique, mais longue, devant les véhicules de SWN. Ces actes ne constituaient pas un attroupement illégal. Ces actes ne constituaient pas une violation de la paix. Ces actes constituaient toutefois un méfaitNote de bas de page 59, mais plutôt que d'arrêter immédiatement toutes les personnes qui se livraient à ces actes, les membres de la GRC ont fait preuve d'une grande tolérance en permettant aux manifestations de se poursuivre pendant une longue période. Finalement, il a été décidé que les manifestants devraient dégager la route. La plupart l'ont fait. Certains, non. Ces personnes ont été arrêtées.

Le degré d'atteinte à la liberté

[164] Lorsque l'on examine l'étendue de l'atteinte à la liberté d'une personne par la police, il faut tenir compte de l'effet cumulatif sur tous les intérêts de chacun en matière de liberté.

[165] En l'occurrence, les droits de la plaignante à la liberté d'expression, à la liberté de réunion et à la liberté reconnue en common law d'emprunter sans entrave une voie publique étaient limités en ce sens qu'elle n'était pas autorisée à rejoindre la manifestation à proximité des camions de SWN. Au cours de leur interaction, le caporal Marquis a mentionné une « solution de rechange » offerte à la plaignante par la police. On ne sait pas exactement quelle a pu être cette solution de rechange, mais, d'après les dossiers de la GRC, il semble que les manifestants ont été informés qu'ils pouvaient manifester plus loin sur la route.

L'exercice de mise en équilibre

[166] Il s'agit de mettre en équilibre des intérêts concurrents. D'un côté, il y a l'intérêt de l'État à l'égard du maintien de l'ordre efficace, notamment la prévention du crime (méfait). De l'autre côté, on tient compte de l'intérêt des citoyens à l'égard de la liberté, y compris de toutes leurs libertés civiles (droits reconnus en common law et droits garantis par la Charte)Note de bas de page 60. L'incidence globale de la conduite de la police sur les libertés civiles de la plaignante doit être prise en compte dans l'exercice de mise en équilibre.

[167] D'une part, les libertés en jeu étaient à la fois des libertés civiles fondamentales reconnues en common law et des libertés constitutionnelles fondamentales. D'autre part, la GRC cherchait à prévenir un préjudice particulier et identifiable : des manifestants avaient entravé le travail des employés de SWN, et certains avaient refusé de se conformer aux ordres de la police, d'où leur arrestation. Finalement, la GRC a décidé de ne permettre à aucune autre personne de se retrouver dans cette situation. Cet objectif était important. Cependant, l'atteinte aux droits individuels en jeu était également importante. C'était peut-être vrai quant au nombre d'atteintes — la plaignante et peut-être d'autres manifestants ont été traités de la même façon —, mais surtout en ce qui concerne la nature de l'infraction, puisque la plaignante n'a pas pu rejoindre la manifestation à cet endroit.

[168] La Commission a examiné si une atteinte aux droits individuels était nécessaire pour que les agents de la paix s'acquittent de leur devoir. En résumé, dans ce scénario, la GRC a permis à certains manifestants de se livrer à une désobéissance civile pacifique pendant une durée considérable (selon une estimation, la cérémonie devant les camions de SWN a duré plus d'une heure et demie). Les actes des manifestants ont empêché les employés de SWN d'exécuter leur travail; en fait, les activités n'ont pas repris du tout ce jour-là. En adoptant une approche modérée, la GRC a permis à cette manifestation de se produire malgré le fait que les personnes en cause avaient, sur le plan technique, commis un méfait.

[169] À un certain moment, la GRC a décidé que cette conduite ne devait pas se poursuivre et que les manifestants devaient cesser d'entraver l'accès à la voie publique ou être arrêtés; il s'agissait d'une décision raisonnable dans les circonstances. Comme il est décrit en détail ci-dessus, la plupart des manifestants se sont conformés, et certains ont refusé. Bien que la chronologie ne soit pas parfaitement claire, le rapport du sergent Mike Landry indique que les manifestants [traduction] « se sont dispersés assez rapidement » après les arrestations. Il est également noté que, dans la mise à jour quotidienne (Daily Update) de la GRC en date du 6 juin 2013, il est décrit que le chef Aaron Sock de la Première Nation d'Elsipogtog a publié un communiqué ce jour-là (le lendemain des incidents en question) [traduction] « demandant que les manifestations se déroulent d'une manière pacifique et licite ».

[170] Le moment où la plaignante se voit refuser l'accès est également important, et, malheureusement, d'après les renseignements disponibles, il est impossible de l'établir de façon concluante. L'enregistrement vidéo simultané de l'échange entre la plaignante et le caporal Marquis laisse fortement croire que les manifestants bloquaient toujours les camions à ce moment-là. Le caporal Marquis l'a mentionné à deux reprises, et la plaignante n'a pas contesté ces déclarations; elle a plutôt dit qu'elle allait non pas se joindre à ces personnes, mais se tenir à 50 pieds des camions.

[171] Les manifestations n'ont pas été violentes et n'ont pas constitué une réunion « tumultueuse », mais des arrestations ont été effectuées, dont une par la force. Si la GRC était clairement animée par l'impératif d'empêcher les gens d'entraver le travail de SWN, la sécurité publique a également été prise en considération au moment d'interdire à des personnes comme la plaignante et ses enfants d'accéder au site; le caporal Marquis a déclaré aux enquêteurs de la Commission que [traduction] « les membres ont fait tout leur possible pour veiller à ce que tout soit sûr pour tout le monde. C'était leur préoccupation principale, la sécurité publique ».

[172] Au bout du compte, était-il raisonnable que la GRC impose effectivement une « zone tampon » afin qu'elle puisse s'acquitter de son devoir d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique dans cette situation? Étant donné qu'un nombre non négligeable de manifestants se sont livrés à des méfaits (quoique de manière pacifique et donc avec l'assentiment de la GRC) pendant assez longtemps, interrompant ainsi le travail de SWN, et que certains ont refusé de se conformer aux ordres de la police, ce qui a mené à des arrestations, la Commission ne peut conclure que la décision de refuser à la plaignante la possibilité de rejoindre la manifestation était déraisonnable dans les circonstances.

[173] Essentiellement, il s'agissait d'une décision difficile, d'autant plus qu'il s'agissait de restreindre les droits fondamentaux de la plaignante et peut-être d'autres personnes dans sa position. La plaignante peut très bien avoir eu la ferme intention de manifester en respectant la loi. L'utilisation de l'expression « manifestation illégale » par certains membres était inexacte, car la manifestation n'était pas illégale à tout moment; de nombreux manifestants se sont conformés aux ordres de la police. Cela dit, si l'on considère la situation dans son ensemble, un nombre important de manifestants se sont livrés à des méfaits, interrompant le travail de SWN pour la journée, et certains ont désobéi aux ordres de la police de mettre fin à cette activité illégale. Dans son rapport sur la plainte de la manifestante F, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de restreindre l'accès de la plaignante au site des manifestations afin d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique n'était pas déraisonnable dans ces circonstances.

Conclusion

  • 13) Dans son rapport sur la plainte de la manifestante F, la Commission a estimé, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de restreindre l'accès de la plaignante au site des manifestations afin d'empêcher la criminalité et d'assurer la sécurité publique n'était pas déraisonnable dans ces circonstances.

[174] Néanmoins, la Commission souligne que, en particulier dans le cadre du maintien de l'ordre lors d'une manifestation publique, les membres doivent être conscients des limites de leurs pouvoirs, surtout pour ce qui est de limiter la capacité des manifestants de se réunir et de s'exprimer de manière légale.

[175] La Commission a conclu que la conduite de la GRC dans ce cas particulier n'était pas déraisonnable. Cela dit, d'autres cas de blocage de l'accès du public aux routes, en particulier lorsque de telles mesures ont pu, directement ou indirectement, entraver inutilement la capacité des médias de rendre compte des manifestations, peuvent avoir été déraisonnables. La Commission souligne que la police ne peut établir des « zones tampons » que conformément aux paramètres exposés en détail par les tribunaux dans la jurisprudence pertinente. Tout ce qui est en dehors de ces limites est interdit dans une société libre et démocratique.

[176] À ce titre, les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites publics ne doivent être prises qu'avec des justifications particulières et objectivement raisonnables en ce sens, et doivent être prises de façon à porter atteinte le moins possible aux droits des personnes; par exemple, il convient d'imposer une zone tampon aussi restreinte que possible et une exclusion aussi courte que possible.

Recommandations

  • 6) Que les décisions de restreindre l'accès aux voies publiques ou à d'autres sites publics ne doivent être prises qu'avec des justifications particulières et objectivement raisonnables en ce sens, et, si elles sont permises par la loi, elles doivent être prises de façon à porter atteinte le moins possible aux droits des personnes; par exemple, il convient d'imposer une zone tampon aussi restreinte que possible et une exclusion aussi courte que possible.
  • 7) Que, en particulier dans le cadre du maintien de l'ordre lors d'une manifestation publique, les membres doivent être conscients des limites de leurs pouvoirs, surtout pour ce qui est de limiter la capacité des manifestants de se réunir et de s'exprimer de manière légale.

F. Sensibilité à la culture, aux cérémonies et aux objets sacrés autochtones

1. Formation/Guide sur la spiritualité

Faits

[177] Bien qu'aucun chiffre précis ne soit disponible, il semble que la plupart des manifestants contre le gaz de schiste étaient autochtones. Le degré de connaissance et d'expérience des questions autochtones variait considérablement parmi les membres de la GRC chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations.

[178] Le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens est un document qui a pour but « d'aider les policiers à mieux connaître les cérémonies et les objets sacrés des nombreux peuples autochtones au Canada ». Il aborde divers sujets : le cercle de vie, la roue-médecine, les quatre lignes de force, les cérémonies, les anciens, les prières, le calumet, la cérémonie du calumet, le jeûne, la loge à sudation, les festins, les tambours et les objets spirituels.

[179] De nombreux membres de la GRC qui ont été interrogés n'avaient pas lu le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens, qui est affiché sur le site Web de la GRC, et beaucoup ignoraient même son existence. Cependant, certains membres en cause dans les manifestations qui avaient cours, en particulier ceux qui traitent directement avec les manifestants et ceux dans la structure de commandement des interventions, avaient reçu une formation spécialisée ou étaient eux-mêmes des Autochtones.

Analyse

[180] Lorsqu'on a demandé au surintendant principal Gallant, l'officier responsable des opérations criminelles de la Division « J », s'il pensait que les ressources de la Division « J » comprenaient vraiment bien la culture autochtone, « à tous les échelons », il a déclaré : [traduction] « Je pense que cela aurait pu être mieux. » Il a cependant souligné le roulement des ressources humaines à la GRC. Selon lui, les membres peuvent atteindre un certain niveau de compréhension, puis ils s'en vont. Il ne pensait pas que, en tant qu'officier responsable des opérations criminelles, il était doté des meilleurs outils. Il a reconnu qu'une formation efficace devrait être une priorité étant donné le nombre de collectivités autochtones dans la province du Nouveau-Brunswick et que le manque de sensibilité culturelle du personnel de la Division « J » l'a amené à chercher des ressources auprès d'autres divisions.

[181] Certains des commentaires des personnes ayant participé directement au maintien de l'ordre lors des manifestations sont instructifs :

  • Comme il est indiqué ci-dessus, le gendarme Denny, l'un des négociateurs autochtones, a offert une formation autochtone à environ 60 membres vers le 26 ou le 27 septembre 2013. Il s'agissait d'une version de deux heures d'un cours de cinq jours donné à Halifax.
  • Le caporal Marshall, qui est d'ascendance mi'kmaq et parle la langue, n'avait jamais vu le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC, mais il a aidé des membres de la GRC à comprendre l'importance culturelle de ce qu'ils s'apprêtaient à entreprendre relativement à la manière de traiter avec les Premières Nations.
  • Le caporal Girouard, un autre membre autochtone de la GRC, a dit qu'il connaissait le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC. En ce qui concerne les conversations sur la culture mi'kmaq et la façon de traiter les objets sacrés, il a dit que le Guide a fait l'objet de discussions, y compris la manière d'aborder les feux sacrés.
  • Avant le début des manifestations, la sergente d'état-major Vautour, une négociatrice non autochtone, a assisté à une séance donnée par le gendarme Denny. Elle estimait posséder une connaissance de base de la culture des Premières Nations. Elle a dit qu'elle n'avait vu aucun membre manquer de respect envers la collectivité des Premières Nations de quelque façon que ce soit.

Conclusion

  • 14) Au début de l'opération de maintien de l'ordre lors des manifestations contre le gaz de schiste, sauf quelques exceptions importantes, les membres affectés à l'opération n'avaient pas reçu une formation suffisante en matière de culture autochtone.

Recommandation

  • 8) Que la GRC exige que tous les membres examinent le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens de la GRC, et que tous les membres participant aux services de police autochtones, y compris les membres des équipes anti-émeute/groupes du maintien de l'ordre public chargés du maintien de l'ordre lors des manifestations des Autochtones, soient tenus de suivre un programme de formation qui vise expressément la compréhension des questions culturelles autochtones.

[182] Au moins trois cas précis de mauvaise manipulation présumée d'objets sacrés ont été mis en évidence lors des entrevues menées dans le cadre de l'enquête.

Faits

[182] Le 5 juin 2013, sur la route 126, dans un incident enregistré sur vidéo, la manifestante A prenait part à une cérémonie de tambours devant une file de camions de SWN. La vidéo de cet incident montre qu'un agent dans une voiture de police avec un mégaphone a annoncé que toute personne qui ne se déplacerait pas sur le côté de la route serait arrêtée. La manifestante A a continué de jouer du tambour au milieu de la route. Elle était accompagnée de sa fille et d'une autre femme. Après avoir attendu environ cinq minutes, plusieurs agents se sont approchés des trois femmes et leur ont parlé. La fille de la manifestante A et l'autre femme se sont déplacées sur le côté de la route, mais la manifestante A a refusé. Elle a été arrêtée tenant son tambour et un bâton en plumes d'aigle — deux objets sacrés. Lorsqu'elle a été amenée à la camionnette de police, sa fille a pu prendre le bâton, mais la manifestante A s'est accrochée au tambour. À bord de la camionnette, l'agent a semblé tenter de lui enlever le tambour, mais la manifestante A a résisté et, finalement, l'un des policiers a demandé à la fille de la manifestante A de prendre le tambour.

[184] Le 9 juin 2013, lors d'une manifestation sur la route 126 près de Birch Ridge, au Nouveau-Brunswick, une manifestante bloquait la route et empêchait les camions de SWN de poursuivre leur travail. La manifestante avait un paquet de tabac et a tenté d'offrir aux membres une petite quantité de ce tabac. Une fois l'offrande terminée, la femme a pris le tabac et a fait une ligne sur la chaussée devant les camions de SWN, puis elle a fait un cercle devant la ligne, s'est mise à genoux et a commencé à prier. Peu de temps après, la manifestante s'est assise au milieu de la voie en direction nord et a commencé à chanter. D'autres manifestants se sont approchés, mais ils sont restés sur l'accotement de la route et n'ont pas franchi la ligne médiane blanche. Il y avait deux ou trois autres femmes qui chantaient et faisaient de la musique avec des tambours. Lorsque les camions de SWN se sont approchés de l'emplacement, ils ont dû arrêter de travailler. La manifestante a été arrêtée et accusée de méfait.

[185] Le troisième incident a été décrit par M. McQuarrie, un manifestant non autochtone :

[Traduction]
Un homme malécite avait un calumet et quand ils l'ont arrêté, ils ont commencé à s'emparer du calumet. La clameur de la foule s'est intensifiée, et j'ai pensé oh là, c'est parti, mais un responsable a crié : « Ne touchez pas au calumet », et ils ont reculé et laissé le gars remettre le calumet à celui qui le lui avait donné puis il est parti.

[186] Cet incident semble avoir été capté dans la vidéo 6146, qui montre l'arrestation d'un homme avec un calumet sacré. Lors de son arrestation, un membre de la foule crie qu'il tient un calumet sacré. À 11 minutes 6 secondes, on aperçoit un Autochtone qui prend le calumet avant que le manifestant arrêté ne soit placé dans un véhicule de police.

[187] Un exemple de la façon dont les membres ont fait preuve de patience envers les pratiques autochtones est illustré dans un enregistrement vidéo (https://www.youtube.com/watch?v=fQmWYnm-QQk). Cette vidéo montre une manifestante autochtone qui s'était attachée à des sacs d'équipement de SWN, destinés au transport par hélicoptère. Cinq membres de la GRC arrivent sur les lieux; la manifestante donne à chaque membre des cendres et leur fait promettre de ne pas être violent avec son peuple. Les membres expliquent minutieusement à la femme qu'ils sont là pour maintenir la paix et qu'ils ne protègent pas SWN. Ils l'assurent qu'ils ne lui feront aucun mal. La manifestante accepte finalement de se détacher de l'équipement.

[188] Dans une autre vidéo (https://www.youtube.com/watch?v=iY-YM5Glv7k/) datée du 6 juin 2013, on voit une femme autochtone qui joue du tambour et prie devant une file de camions vibrateurs. Deux membres de la GRC l'approchent et lui demandent de se déplacer. Bien que l'audio soit médiocre, il semble qu'elle explique aux membres qu'elle doit terminer sa cérémonie. Les membres se tiennent en retrait et la laissent continuer sans interruption pendant environ six minutes jusqu'à ce qu'elle ait terminé. Ils lui permettent ensuite de récupérer son tambour et d'autres objets et ils marchent avec elle en s'éloignant pendant que les camions commencent leurs opérations.

[189] Dans une vidéo intitulée « Elsipogtog – RCMP move in on peaceful protesters 17 October », enregistrée par un manifestant le 17 octobre 2013, la manifestante G est agenouillée au sol à une distance d'environ deux ou trois mètres d'un cordon de policiers; elle tient un tambour. Une femme est agenouillée à environ deux mètres à droite de la manifestante G. Elle tient une plume d'aigle en l'air. Pendant que le cordon de policiers avance, on lui ordonne de se déplacer. Elle ne bouge pas. Elle disparaît derrière le cordon avec l'autre femme pendant que les autres manifestants battent en retraite. La Commission n'a pu trouver aucune preuve vidéo documentant l'arrestation elle-même. Lors de son entrevue, la manifestante G a déclaré que, quand elle a été arrêtée, elle s'est levée, ayant l'intention de mettre son tambour dans son sac à tambour, car le tambour est sacré, et il est interdit à quiconque portant une arme à feu de le toucher. Un des policiers qui ont procédé à l'arrestation a toutefois tenté d'enlever le tambour des mains de la manifestante G. La manifestante G a résisté, expliquant que le membre n'était pas autorisé à toucher le tambour et lui demandant de la laisser le mettre dans le sac. Le membre a continué de tirer sur le tambour. Finalement, elle a pu mettre le tambour dans son sac, et il a été donné à un tiers.

Analyse

[190] La liberté de religion garantie par la Charte s'entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d'entretenir des croyances ayant un lien avec une religionNote de bas de page 61 :

[...] Une religion s'entend typiquement d'un système particulier et complet de dogmes et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l'existence d'une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la religion s'entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l'individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s'épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l'individu de communiquer avec l'être divin ou avec le sujet ou l'objet de cette foi spirituelleNote de bas de page 62.

[191] Dans le contexte d'une analyse fondée sur la Charte, une personne doit démontrer qu'elle « exerce ou manifeste sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieuxNote de bas de page 63 ».

[192] Cela signifie que la croyance doit être sincère, mais que les tribunaux ne procéderont pas à une analyse de la validité de la croyance en ce qui concerne le dogme religieux officiel. L'évaluation de la sincérité est une question de fait, et des critères comprenant la crédibilité du témoignage d'une personne ainsi qu'une analyse de la conformité de la prétendue croyance avec les autres pratiques religieuses actuelles de la personne seront évalués.

[193] Toutefois, une croyance religieuse ne devient pas absolue parce qu'elle est sincère. Dès que la liberté de religion entre en jeu, le tribunal doit déterminer si l'exercice de ce droit a fait l'objet d'une entrave non négligeable ou non insignifiante constituant une atteinte à la liberté de religionNote de bas de page 64. Même là, il peut être raisonnable, dans le contexte de notre société démocratique, de porter atteinte à ce droit ou de le restreindre dans certaines circonstances. L'article premier de la Charte est ainsi libellé :

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[194] En somme, « [a]ucun droit — y compris la liberté de religion — n'est absoluNote de bas de page 65 ». Si un droit ne peut s'exercer en harmonie avec les droits et libertés d'autrui et le bien-être général, l'atteinte pourra être jugée licite, et la violation du droit à la liberté de religion n'aura pas eu lieuNote de bas de page 66.

[195] Dans le cas de la manifestante G, comme l'a déclaré en entrevue le membre qui a procédé à l'arrestation, il était préoccupé par la sécurité quand il a choisi de tirer sur le tambour de la manifestante G. Les membres de la GRC sont formés pour veiller à ce qu'aucune personne arrêtée ne soit autorisée à monter dans un véhicule de transport de la police munie de quelque chose qui pourrait être utilisé pour s'infliger des blessures ou endommager le véhicule.

[196] Cependant, comme l'a déclaré la manifestante G, cet objet était d'une importance spirituelle pour elle, et il n'y a aucune raison pour la Commission de conclure que cette croyance n'était pas sincère. Le fait de lui enlever l'objet sacré ne constituait pas une restriction futile des droits de la manifestante G, mais, selon la prépondérance des probabilités, elle était justifiée, vu le contexte. L'arrestation a été effectuée dans le contexte d'événements qui seraient décrits avec précision comme une émeute, et étant donné que le bâton de tambour (et, dans une moindre mesure, le tambour) constituait une menace pour la sécurité, la tentative de saisir le tambour aurait probablement été jugée légitime par un tribunal, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être général des citoyens. Les tribunaux ont jugé, dans des contextes similaires, que le droit à la liberté religieuse n'était pas entré en jeu. En effet, comme nous le verrons plus loin, si une cérémonie religieuse est organisée pour exprimer une opinion politique, elle ne peut pas être pratiquée comme une croyance religieuse sincère, et l'article 2 de la Charte ne peut pas du tout intervenir. À titre d'exemple, dans la décision ColfordNote de bas de page 67, la Cour a décrété :

J'accepte le témoignage de Harry LaPorte à propos de l'importance spirituelle du tambour de cérémonie ainsi que de la prescription religieuse voulant qu'il soit placé au centre de ce qui se passe. J'accepte en outre son témoignage portant que lorsqu'un chant accompagné du tambour de cérémonie est commencé, il doit être achevé sans interruption. Sans vouloir, de quelque manière que ce soit, porter atteinte à leur importance spirituelle dans la culture malécite, il n'existe aucun droit ou apparence de droit conférant à la bande de Kingsclear (ou à qui que ce soit) le pouvoir d'organiser des cérémonies religieuses sur une route publique. Faire un tel choix équivaut à choisir de violer la loi. [Non souligné dans l'original.]

[197] Cependant, en mettant de côté la question de la Charte, et comme on peut facilement le voir dans la tournure des événements en l'espèce, un accommodement raisonnable peut souvent être fourni, et il a effectivement été fourni dans le cas de la manifestante G lorsqu'un tiers a été autorisé à prendre sous sa garde les objets sacrés avant que la manifestante G ne soit placée dans un véhicule de transport de la police.

[198] La preuve vidéo montre que les membres travaillant sur les lieux des manifestations semblaient généralement conscients de la nécessité de respecter les cérémonies et les objets sacrés. Malgré cela, des conflits ont éclaté. Des manifestants autochtones ont parfois tenu leurs cérémonies au milieu des routes, bloquant effectivement les camions de SWN, et ont insisté pour ne pas être interrompus jusqu'à la fin des cérémonies. Parfois, ils ont continué pendant des heures, puis les participants ont finalement été expulsés de force. Comme le caporal Marshall, lui-même autochtone, l'a dit : [traduction] « Quand cela se passe sur une route, ce n'est plus une cérémonie, c'est un blocus, et vous serez arrêté. »

[199] La sergente d'état-major Vautour a noté : [traduction] « Ils utilisaient les cérémonies et les objets sacrés comme tactique de blocage... Un jour, ils ont bloqué la route, se disant oui, ils vont l'ouvrir; ils vont juste faire une sorte de cérémonie... Nous avons donc adopté l'approche modérée... Allez-y, faites votre cérémonie. Combien de temps cela va-t-il durer? Eh bien, cela pourrait durer quatre heures ou quatre jours. Nous ne savons pas, les Aînés décideront. »

[200] De nombreux agents de la GRC se sont dits d'avis que, lorsqu'un objet sacré est utilisé avec l'intention indirecte sous-jacente de commettre un méfait ou de faire obstacle, les policiers ne devraient pas faire preuve de déférence à l'égard du caractère sacré de l'objet. Ce raisonnement peut être légitime ou non selon le contexte et selon qu'il existe une intention indirecte, par opposition à une croyance sincère. Par exemple, au cours des deux semaines et demie qui ont suivi le 29 septembre 2013, le jour où les manifestants ont bloqué l'enceinte de SWN en garant une camionnette devant son entrée, un feu sacré a été allumé et entretenu au milieu de l'entrée de l'enceinte. Ce feu sacré et les personnes qui s'en occupaient, en plus des autres objets placés devant l'entrée de l'enceinte, ont effectivement empêché les véhicules de SWN de quitter l'enceinte.

[201] Le 17 octobre 2013, les membres qui ont fait une descente dans l'enceinte ont dû rapidement sécuriser la zone et démanteler le petit campement bloquant l'entrée, y compris le feu sacré. Ils ont agi ainsi pour des raisons de sécurité, et, de l'avis de la Commission, on ne peut raisonnablement affirmer que le feu sacré n'avait pas été utilisé comme moyen d'accomplir quelque chose qui, au cours du mois, était clairement devenu illégal. Compte tenu du contexte, il est raisonnable de conclure que les mesures prises par la GRC pour sécuriser la zone étaient raisonnables dans cette situation.

[202] Il convient également de noter que, lorsque les circonstances le permettaient, la GRC s'est montrée très sensible à la culture et à la spiritualité autochtones. Par exemple, une fois la zone sécurisée, avant de démonter le tipi qui avait été érigé dans le campement des Warriors, la GRC a demandé l'expertise d'un Aîné de la collectivité pour que les cérémonies appropriées aient lieu avant le démontage.

Conclusion

  • 15) D'après les renseignements disponibles, les membres de la GRC n'auraient pas, délibérément ou involontairement, entravé inutilement les cérémonies autochtones ou touché inutilement les objets sacrés.

2. Protocole relatif aux objets sacrés lors de l'arrestation

[203] Dans le Manuel des opérations national, au chapitre 38.9., « Manifestations ou protestations autochtones », il est indiqué : « Le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou protestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi », et on rappelle aux membres que les droits des peuples autochtones sont reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Les membres doivent « [v]eiller à ce que toute intervention soit prudente, progressive et, autant que possible, non conflictuelle [...] ». Il y est de plus indiqué qu'il faut tenter de négocier le conflit avant de prendre des mesures coercitives. La politique précise également ce qui suit :

4. Superviseur ou chef de détachement

[...]

4.4. Communiquer avec les Services divisionnaires de police autochtones afin de déterminer si un élément culturel ou historique constitue un facteur. Dans de telles situations, il peut être utile de recourir aux traditions juridiques autochtones, s'il y en a, ou à d'autres mécanismes jugés pertinents par le chef autochtone de la tribu ou de la province ou du territoire.

[204] La politique ne contient aucune autre orientation concernant la sensibilité culturelle ni aucune orientation pratique concernant la manipulation d'objets sacrés ou l'entrave à des cérémonies spirituelles dans le contexte d'une manifestation.

[205] La partie 19 du Manuel des opérations national porte sur les prisonniers, et, plus précisément, le chapitre 19.3. est intitulé « Garde des prisonniers et de leurs effets personnels ». Voici ce que prévoit l'article 3.2.2.3. :

[Avant de mettre un prisonnier dans une cellule, lui prendre les articles suivants :] tout objet important du point de vue culturel ou religieux en sa possession (p. ex. une amulette indienne, un livre de prière). Voir à ce que les articles soient respectueusement manipulés et conservés pour leur protection. [Non souligné dans l'original.]

[206] Il n'y a aucune indication sur la façon dont un membre devrait procéder afin de « [v]oir à ce que les articles soient respectueusement manipulés et conservés pour leur protection ».

[207] La partie du Manuel des opérations intitulée « Escorte de prisonniers » ne fournit aucune directive à ce sujet.

[208] Comme il a été mentionné précédemment, le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens aborde différents sujets : le cercle de vie, la roue-médecine, les quatre lignes de force, les cérémonies, les anciens, les prières, le calumet, la cérémonie du calumet, le jeûne, la loge à sudation, les festins, les tambours et les objets spirituels. Le Guide contient également une section intitulée « Le traitement des sacs-médecine par les représentants de la loi », dans laquelle on encourage les agents de la GRC, lors des fouilles, à demander à la personne qui porte un sac-médecine de l'ouvrir elle-même, car « [l]a spiritualité du paquet n'est violée que s'il est touché ou ouvert sans la permission du porteur ». Outre ces indications, le Guide sur la spiritualité chez les Amérindiens ne contient pas de directive particulière indiquant comment et quand ces objets devraient être saisis et manipulés lors de l'arrestation d'une personne.

[209] Au cours de son entrevue avec les enquêteurs de la Commission, le sergent Brown a exprimé ce qui semblait être son point de vue personnel sur la saisie et la manipulation dans de tels cas :

[Traduction]
Dès le début, nous étions — dans mon esprit, si nous allions saisir des objets de cérémonie [...] une fois arrivé au point où nous avons dû saisir l'article, nous ne pouvions pas les laisser monter dans une voiture de police avec [cet objet], mais nous devions les informer de ce que nous allions faire, soit leur demander de le placer dans le coffre de la voiture ou dans un sac. C'était la façon dont nous traiterions, vous savez, toutes les plumes d'aigle ou les tambours ou tous les articles de cérémonie. [Non souligné dans l'original.]

[210] Mis à part ce point de vue personnel, il ne semblait pas y avoir de procédure officielle précisant comment et quand les objets sacrés devaient être saisis et comment ils devaient être manipulés.

[211] Il ne fait aucun doute que la manipulation des objets sacrés est une question complexe étant donné les droits et intérêts concurrents en jeu. D'une part, la GRC est tenue d'assurer la sécurité de ses membres ainsi que celle des membres du public, de maintenir l'ordre public et de respecter les droits des manifestants garantis par la Charte. Pour des raisons de sécurité, la GRC ne peut pas permettre à une personne arrêtée de transporter un bâton ou un bâton de tambour dans le véhicule de police à la suite d'une arrestation. La situation peut toutefois être différente si l'objet et le contexte ne constituent clairement aucune menace pour la sécurité de l'agent ou de la personne arrêtée. À cet égard, tout au long des manifestations, les membres de la GRC ont fait preuve de sensibilité et de souplesse en ce qui concerne les objets sacrés, comme le montre cette photographie d'une personne en état d'arrestation, mais portant néanmoins une plume d'aigle :

[212] De l'avis de la Commission, la GRC doit mener une réflexion en vue d'adopter une politique officielle fournissant des conseils pratiques aux membres de la GRC concernant la saisie et la manipulation des objets sacrés. Cette politique devrait fournir des conseils pratiques pour permettre aux agents de prendre des décisions rapides et efficaces concernant la saisie et la manipulation des objets sacrés tout en restant suffisamment souples pour s'abstenir de restreindre inutilement les droits de la personne arrêtée qui sont garantis par la Charte, dans la mesure où ces droits sont susceptibles d'être exercés. Les membres devraient également rester ouverts à la possibilité de fournir un accommodement raisonnable conforme à la législation pertinente en matière de droits de la personne.

[213] Il est raisonnable de conclure que saisir un objet sacré et le mettre dans le coffre d'un véhicule de police ou dans un sac, comme l'a laissé entendre le sergent Brown, peut désacraliser l'objet ou ne pas respecter son caractère sacré, ce qui peut ne pas constituer une restriction futile des droits du manifestant. Or, la sécurité de l'agent et du public doit être assurée. Qui plus est, même si rien n'indique que cela s'est produit dans cette situation, il convient de souligner que les manifestants ne peuvent pas être autorisés à utiliser leur objet sacré comme méthode de blocage pour ralentir leur arrestation ou le traitement des personnes détenues, en particulier lors d'un événement public comme une grande manifestation. Cela irait à l'encontre des conclusions de la Cour suprême dans l'arrêt Amselem, qui exigent que la pratique religieuse soit sincère.

[214] La Commission conclut que la GRC devrait prendre des mesures pour régler ces problèmes en élaborant une procédure relative à la manipulation des objets sacrés à la suite d'une arrestation, surtout dans les cas où de grands rassemblements publics ont lieu. Il se peut que, dans certains cas, les problèmes de sécurité soient tels que l'article sera enlevé de force au manifestant. Dans d'autres cas, des approches plus souples peuvent être acceptables. Par exemple, la personne peut être autorisée à porter l'article sacré dans la zone de transport des personnes appréhendées, où un Aîné ou une autre personne désignée sera responsable de la garde de l'objet. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit dans le cas de la manifestante G, mais pas avant que l'agent chargé de l'arrestation ait tenté de lui retirer de force l'objet sacré de ses mains.

Recommandation

  • 9) Que la GRC entame une collaboration avec divers intervenants autochtones en vue d'élaborer une procédure pratique, axée sur le contexte, qui fournit des conseils aux membres concernant la manipulation des objets sacrés dans divers contextes.

G. Allégation de partialité dans les interactions avec les manifestants autochtones

Faits

[215] Un certain nombre de manifestants ont affirmé que la GRC avait traité les manifestants autochtones plus durement que les manifestants non autochtones. En particulier, ils ont eu l'impression que plus de manifestants autochtones que non autochtones ont été arrêtés et inculpés. Selon des témoins, lorsque des non-Autochtones ont été arrêtés, ils ont été mis en liberté sans inculpation, tandis que les manifestants autochtones qui ont été arrêtés ont été placés en détention, inculpés et soumis à des conditions de mise en liberté restrictives.

[216] Jason « OK » Augustine, l'un des Warriors, a affirmé que, le 21 juin 2013, seuls des Autochtones avaient été arrêtés. Il a dit qu'il y avait là aussi des manifestants non autochtones qui se tenaient avec les manifestants autochtones, mais la police n'a arrêté que les Autochtones et a [traduction] « repoussé les non-Autochtones sur la ligne ».

[217] James Emberger, un manifestant non autochtone, a décrit un incident sur la route 126 où une femme non autochtone, qui était assise au milieu de la route bloquant les camions de SWN, a été physiquement déplacée par la police vers l'endroit où M. Emberger et son épouse se trouvaient au bord de la route et y a été retenue pendant que des manifestants autochtones étaient arrêtés. Il a identifié la femme non autochtone comme étant Pamela Ross.

[218] Mme Ross a affirmé que, le 21 juin 2013, alors qu'elle et une amie étaient les seules non-Autochtones sur le site des manifestations, tous les manifestants autochtones ont été arrêtés, mais elle et son amie ne l'ont pas été. Elle a ajouté que son amie a finalement [traduction] « dû faire tout son possible pour être arrêtée ». Il s'agit peut-être du même incident que celui auquel M. Emberger a fait référence.

[219] Un manifestant autochtone, Brian Milliea, a prétendu que, lors d'une des manifestations sur la route 126, des membres de la GRC ont séparé les manifestants autochtones et non autochtones, puis ont attaqué les Autochtones. Il a dit avoir observé un jeune Autochtone forcé de quitter la route par un véhicule de SWN. Il s'est plaint à la GRC, mais M. Milliea a dit qu'ils refusaient d'enquêter sur la plainte. (En fait, la plainte a fait l'objet d'une enquête : dossier 2013-741512 du SIRP de la GRC). M. Milliea croyait que la GRC avait deux ensembles de règles pour intervenir lors des manifestations contre le gaz de schiste : un ensemble de règles pour les manifestants non autochtones et un autre pour les manifestants autochtones.

[220] Patty Musgrave a raconté avoir vu des membres de la GRC traiter les manifestants non autochtones « différemment » des manifestants autochtones et arrêter proportionnellement plus de manifestants autochtones que de manifestants non autochtones. Elle a également prétendu que les membres de la GRC ont traité de [traduction] « manière très brutale » les Autochtones en état d'arrestation. Elle n'a fait référence à aucune date ni à aucun événement précis.

[221] Tous les membres de la GRC qui ont été invités à commenter les allégations de traitement différent des manifestants autochtones par rapport aux autres manifestants ont nié l'existence d'une telle stratégie. Le surintendant principal Gallant a dit que son message était assez clair et que c'était probablement le contraire qui se passait, c'est-à-dire redoubler de prudence lorsque vous traitez avec des manifestants autochtones. L'inspecteur Warr a catégoriquement nié que les manifestants autochtones avaient été traités différemment. Il a déclaré que, lorsque des manifestants ont été arrêtés, c'était parce qu'il n'y avait pas d'autre choix, compte tenu de ce qu'ils faisaient. Il n'y avait pas de stratégie. La sergente d'état-major Vautour a souscrit à cette affirmation : [traduction] « On a demandé à tout le monde la même chose, qu'il s'agisse des membres des Premières Nations, des personnes de race blanche ou de qui que ce soit. On a demandé à tout le monde la même chose. Les gens n'ont pas tous écouté ce qu'on leur a demandé. »

[222] Le caporal Anthony Egeilegh, membre de l'équipe anti-émeute de la Division « J », a noté que les manifestants autochtones étaient plus souvent arrêtés parce qu'ils étaient les [traduction] « gens à l'avant ». Aucune instruction ne lui a été donnée [traduction] « d'aller chercher des Autochtones ».

[223] La sergente Couture a convenu que les Autochtones étaient arrêtés plus fréquemment. Cependant, cela aurait été dû au fait que la plupart des manifestants non autochtones sont restés en retrait, laissant aux manifestants autochtones le soin de faire valoir leur point de vue. La sergente Couture a fait remarquer que laisser les femmes autochtones se faire arrêter semblait être une tactique [traduction] « parce que cela nuit à l'image de la GRC dans les médias ». La vidéo 10223, enregistrée le 17 octobre 2013, montre que l'équipe anti-émeute qui dégage la route 134 est confrontée à une ligne de manifestantes autochtones.

[224] Le sergent Stenger de l'ENSC a formulé des observations similaires. Il a dit que la plupart des manifestants non autochtones ne se tenaient pas sur la route; ils se tenaient sur le côté, sur l'accotement. Les manifestants autochtones ont plus souvent tenu tête quand on leur disait de quitter la route, tandis que les manifestants non autochtones ont généralement respecté les instructions données par les membres de la GRC. Le sergent Stenger avait l'impression que de nombreux manifestants autochtones souhaitaient se faire arrêter; ils ont donc intentionnellement fait fi des efforts des membres pour négocier ou trouver des solutions au moyen de la médiation afin d'éviter les conflits. Le caporal Marquis a fait des commentaires similaires au sujet de certains manifestants autochtones qui voulaient se faire arrêter. Le sergent Stenger a déclaré que les membres de la GRC présents sur la ligne de front des manifestations ont fait preuve d'une grande retenue dans leurs relations avec les manifestants, dont beaucoup ont été verbalement violents envers les policiers.

Analyse

[225] Outre la façon différente de manifester, plusieurs facteurs peuvent avoir contribué aux allégations de partialité. Certains des groupes de manifestation non autochtones avaient suivi une formation sur la manière de mener des manifestations pacifiques et avaient des « superviseurs » pour les organiser. Edna Thompson a dit : [traduction] « Il y a eu une formation, comment se comporter sans violence, et nous devions écouter les gens qui assuraient l'ordre dans nos rangs. » Elle a précisé qu'il s'agissait de membres de son propre groupe et que [traduction] « pour autant que je sache, tout le monde faisait cela ». Par ailleurs, le sergent Dustin Ward, commandant du Détachement d'Elsipogtog, a déclaré que certaines personnes fortement convaincues qui assistaient aux manifestations étaient disposées à se faire arrêter ou à faire des choses pour attirer l'attention des médias. Il ressort, à la fois des entrevues avec des témoins et des enregistrements vidéo, que les manifestants autochtones étaient plus déterminés que les manifestants non autochtones à arrêter le projet d'exploration de gaz de schiste. Cela a également été démontré par les membres du groupe autochtone qui a installé des camps sur les sites de manifestation où ils ont allumé des feux sacrés et tenu d'autres cérémonies et campé littéralement sur place tandis que, comme l'a fait remarquer Mme Ross, la plupart des groupes non autochtones sont rentrés chez eux pour la nuit.

Conclusion

  • 16) D'après les éléments de preuve disponibles, la Commission est convaincue que les membres de la GRC n'ont pas fait de distinction entre les manifestants autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont procédé à des arrestations et n'ont pas fait preuve de parti pris contre les manifestants autochtones en général.

H. GRC et SWN Resources Canada

Faits

[226] La GRC ne voulait pas être perçue comme s'occupant de la sécurité de SWN. Néanmoins, il était nécessaire de dialoguer avec les responsables de SWN pour savoir quels étaient leurs plans, par exemple, où et quand l'entreprise prévoyait exercer ses activités, afin que la GRC puisse planifier ses propres opérations. L'inspecteur Warr était le principal agent de liaison. En plus de rester informé des intentions de SWN, il a parfois tenté de sensibiliser l'entreprise à certaines réalités. Le surintendant principal Gallant était d'avis que les responsables de SWN n'étaient guère au courant de l'environnement dans lequel l'entreprise évoluait. Il l'a exprimé ainsi :

[Traduction]

Ils ne connaissaient pas l'histoire des manifestations des Premières Nations au pays et ne comprenaient pas que la police ne réagirait pas immédiatement aux manifestations qui sont peut-être à la limite de manifestations pacifiques et qui tendent davantage vers le militantisme.

Ils s'attendaient à ce que cela ne se produise pas, à ce que la force policière compétente gère la situation, et la gérer dans leur esprit signifiait, vous savez, dégager la voie afin qu'ils puissent faire leur travail.

Nous avons essayé de les sensibiliser. Nous leur avons parlé de l'approche modérée, nous avons parlé de l'histoire des conflits au Nouveau-Brunswick et au Canada, de l'histoire des Premières Nations, vous savez. Nous avons donc essayé de les sensibiliser dans la mesure du possible et d'expliquer que ce n'est pas ainsi que nous faisons des affaires ici. Et vous savez, ce n'est pas ce à quoi ils peuvent s'attendre, et ils devraient investir davantage au préalable du point de vue des consultations et de la préparation.

[227] Le sergent d'état-major Collin et Mme Levi-Peters ont organisé une réunion entre des représentants de SWN et des membres de la bande d'Elsipogtog, mais il ne semble pas que cela ait permis aux parties de mieux se comprendre, étant donné les positions diamétralement opposées des manifestants et de SWN.

[228] Malgré les tentatives de la GRC de trouver un juste équilibre entre les droits de tous les intervenants, de nombreux manifestants ont accusé à des degrés divers la GRC de s'occuper de la sécurité privée de SWN. Un membre des Warriors a dit :

[Traduction]
Les membres de la GRC avaient déclaré la guerre à notre peuple [...] Compte tenu du fait qu'ils travaillaient avec SWN. Ils ne travaillaient pas avec nous. Ils ne se tenaient pas et n'étaient pas à nos côtés, pour nous, comme ils l'ont toujours fait. Ils ont choisi l'entreprise.

[229] Un autre membre des Warriors a fait remarquer :

[Traduction]
Un membre de la GRC a admis qu'ils ont été embauchés par SWN et ISL. Je sais qu'ils s'occupaient de la sécurité de SWN.

[230] D'autres manifestants ont fait des commentaires plus mesurés :

[Traduction]
Et la police a dit à chaque fois qu'elle était ici pour la sécurité publique. Et nous avons dit non, vous n'êtes pas ici pour ça. Vous savez... et puis quand SWN partait, quand les camions faisaient demi-tour et partaient, les policiers faisaient demi-tour et partaient. Et puis nous disions, eh, attendez une minute, nous sommes encore 150 ici. Ne devriez-vous pas rester ici pour la sécurité publique? N'est-ce pas? Oh, ce n'est plus un problème puisque que SWN n'est pas là. Alors, c'était seulement — il était vraiment évident que la GRC était utilisée, vous savez, comme une police d'entreprise. Ses membres étaient là pour l'entreprise et non pour les gens. Et cela a vraiment offensé beaucoup de gens.

Analyse

[231] Aucun renseignement disponible examiné par la Commission n'a étayé les deux premières allégations. La troisième allégation découle d'une erreur de raisonnement, la GRC étant présente pour maintenir la paix entre deux groupes opposés. Une fois qu'un groupe est parti, il n'était clairement plus nécessaire de maintenir la paix. Les manifestants ne constituaient pas un danger pour eux-mêmes.

[232] Le plan opérationnel concernant l'exploration du gaz de schiste (Operational Plan for Shale Gas Exploration) indiquait : [traduction] « La principale préoccupation de la police est la protection et la sécurité des citoyens et de leurs biens; il faut qu'elle soit préparée à faire face à d'éventuelles interruptions et/ou à des appels accrus de service en raison de l'exploration du gaz de schiste au Nouveau-Brunswick. »

[233] La Commission a examiné le plan confidentiel des mesures de sécurité et d'urgence (Confidential Security and Emergency Plan) de SWN. Le plan définit le rôle et les responsabilités de l'organisation de sécurité privée dont SWN a retenu les services. Le rôle du personnel de sécurité privé à l'égard de la GRC ne se limite qu'à assurer la liaison et la communication avec les membres de la GRC. Le plan contient un organigramme détaillé montrant que la GRC est une entité distincte de l'entreprise de sécurité privée.

[234] Tout au long des entrevues avec des officiers supérieurs en cause dans le maintien de l'ordre lors des manifestations, ils ont dit ne pas vouloir être « les acteurs principaux ». La perception selon laquelle la GRC s'efforçait de faciliter le travail de SWN est peut-être attribuable au fait que les mesures prises pour faire respecter la loi, y compris les injonctions ordonnées par les tribunaux, ont pu avoir pour effet de permettre à SWN de mener à bien son travail, mais ce n'était pas l'intention sous-jacente de la force de police. Les allégations selon lesquelles la GRC s'occupait de la « sécurité privée » de SWN ne sont pas fondées et peuvent découler d'une mauvaise compréhension du rôle de la GRC dans le maintien de la paix et l'application de la loi.

Conclusion

  • 17) La GRC ne s'est pas occupée de la sécurité privée de SWN. Son rôle était de maintenir la paix et d'assurer la sécurité publique tout en respectant le droit des manifestants de manifester. D'après les renseignements disponibles, les interactions de la GRC avec SWN Resources Canada étaient raisonnables dans les circonstances.

I. Opération tactique du 17 Octobre 2013

[235] Tôt le matin du 17 octobre 2013, plus de 200 membres de la GRC ont été déployés pour vider le campement des manifestations et dégager le blocus de l'enceinte des véhicules de SWN sur la route 134. La décision de le faire et le moment de l'opération ont suscité une vive controverse.

[236] La présente section du rapport est divisée en trois parties. La première partie porte sur un examen des événements ayant mené à la mise en œuvre de l'opération tactique et présente une analyse détaillée du contexte factuel, de la planification, des événements de la nuit du 16 octobre 2013 et de la décision de mettre en œuvre l'opération. La deuxième se concentre sur l'opération elle-même, et la troisième, sur l'évaluation des conséquences de l'opération, y compris ses effets sur les relations entre la GRC et la collectivité locale.

1. Période précédant l'opération

a) Contexte

[237] Le 29 septembre 2013, SWN est retournée dans la région de Rexton après avoir suspendu ses activités fin juillet. Les camions vibrateurs étaient garés dans une enceinte sur le côté nord de la route 134 en face de sa jonction avec le chemin Hannay. L'enceinte était protégée par une clôture à mailles de chaîne. Il n'y avait qu'une seule sortie pour les véhicules. Quelques heures après que les véhicules ont été garés dans l'enceinte, une camionnette appartenant à l'un des manifestants a été conduite à l'entrée de l'enceinte et y a été garée. Les manifestants ont bloqué les tentatives de faire venir une dépanneuse pour enlever la camionnette. Au cours des deux semaines et demie qui ont suivi, des articles supplémentaires ont été placés devant l'entrée, et un feu sacré a été allumé et entretenu, ce qui a effectivement empêché les véhicules de SWN de quitter l'enceinte. De plus, un campement a été établi sur une propriété privée (apparemment avec la permission du propriétaire) au coin du chemin Hannay et de la route 134, en face de l'enceinte, et des arbres ont été abattus à l'est et à l'ouest de l'enceinte, bloquant partiellement la route 134. Exacerbant les tensions, le groupe des Warriors était revenu et avait attiré un certain nombre de jeunes de la collectivité d'Elsipogtog qui devenaient de plus en plus agressifs. Finalement, des membres de premier plan de ce groupe sont devenus les chefs du campement.

[238] SWN avait passé un contrat avec ISL, la succursale des services en uniforme d'Irving Security, pour assurer la sécurité de ses activités. Pendant le blocus, des employés d'ISL étaient en poste à l'intérieur de l'enceinte pour protéger les véhicules de SWN. Au début, ces employés ont été autorisés à effectuer des changements de quart de travail, mais dans la nuit du 15 au 16 octobre 2013, un incident s'est produit lorsqu'un employé d'ISL est sorti de l'enceinte muni d'un bâton et a empiété sur le feu sacré. On lui a dit de se débarrasser de son bâton, car les personnes ne sont pas autorisées à porter des armes autour du feu sacré. L'incident a mené à une confrontation physique avec l'un des jeunes Warriors, et les employés d'ISL se sont retrouvés confinés à l'intérieur de l'enceinte. Les employés d'ISL ont affirmé que les manifestants avaient proféré des menaces à l'endroit des employés, soit des menaces de mort et des menaces de viol contre des membres de leur famille. Des enregistrements vidéo montrent des employés subissant les moqueries de jeunes hommes en tenue de camouflage.

[239] Le surintendant Maillet a soutenu que les agents de première ligne de la GRC recevaient des menaces similaires. Il raconte : [traduction] « C'est une chose de se faire insulter. C'est une chose de se faire dire que je vais trouver où tu vis et je vais violer ta femme. C'est différent... Les médias sociaux donnaient les noms de nos membres... et diffusaient des messages qui n'étaient pas vrais. Et ils mettaient nos agents et leur famille en danger. » Par la suite, les membres ont cessé de porter des insignes nominatifs.

[240] Tout au long du blocus, l'ENSC a continué de dialoguer avec tous les manifestants, mais en particulier avec les groupes autochtones. L'inspecteur Fraser, un membre autochtone ayant une expérience de la négociation avec des manifestants autochtones dans d'autres provinces, a été appelé pour aider l'ENSC. Il est arrivé le 13 octobre 2013.

b) Injonction provisoire

[241] Le 3 octobre, SWN a présenté à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick une demande d'injonction ex parte restreignant les activités des manifestants. La demande a été introduite contre Lorraine Clair, James « Jim » Pictou, Peter « Seven » Bernard, Jason « OK » Augustine, Greg Cook, Wilhelmina « Willi » Nolan, Melanie Elward, Anne Pohl, Rachel Daigle, Suzanne Patles, John Doe et Jane Doe. La demande a été accueillie, et l'ordonnance du tribunal interdisait aux intimés :

[Traduction]
a) de gêner ou de tenter de gêner par la force, la menace de force, l'intimidation, la coercition, le blocage, la résistance ou par tout autre moyen illégal, le passage pacifique et légal de toute personne, y compris le demandeur et ses employés, mandataires, entrepreneurs, fournisseurs et tout autre représentant du demandeur, à destination et en provenance de la zone de rassemblement et de l'installation d'entreposage du demandeur situées sur la route 134, à Rexton, comté de Kent, PID [probabilité d'identification] 25277062, ou dans les environs dans un rayon de un kilomètre;
b) de gêner ou de tenter de gêner par la force, la menace de force, l'intimidation, la coercition, le blocage, la résistance ou par tout autre moyen illégal, toute personne, y compris le demandeur et ses employés, mandataires, entrepreneurs, fournisseurs et tout autre représentant du demandeur, le long de la route 134, de la route 11 ou de tout chemin public, y compris de gêner l'une des activités liées au programme d'essais sismiques, y compris les véhicules, l'équipement ou les personnes qui exercent ces activités du demandeur;
c) d'entraver, de gêner ou d'empêcher l'accès à la zone de rassemblement et à l'installation d'entreposage du demandeur, en ce qui concerne un véhicule de tout type;
d) de conduire ou de placer un véhicule, une personne ou un objet dans la zone de rassemblement et de l'installation d'entreposage du demandeur, à côté ou à proximité, de manière à empêcher ou à entraver la circulation;
e) de gêner ou de tenter de gêner toute personne ou tout bien du demandeur et de ses employés, mandataires, entrepreneurs, fournisseurs et tout autre représentant du demandeur;
f) d'occasionner une nuisance à l'équipement du demandeur, et à côté ou à proximité de cet équipement, ainsi qu'à ses employés, mandataires, entrepreneurs, fournisseurs et tout autre représentant du demandeur, y compris aux activités liées au programme d'essais sismiques le long de la route 134, de la route 11, de toute voie publique ou zone de rassemblement et installation d'entreposage, en particulier, les comportements susceptibles d'empêcher les personnes ayant un but pacifique d'approcher du site, d'y entrer ou d'en sortir et d'importuner, de menacer, d'agresser ou d'intimider le demandeur et ses employés, mandataires, entrepreneurs, fournisseurs et tout autre représentant du demandeur;
g) d'ordonner ou de conseiller, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, à toute personne de commettre l'un des actes interdits par la présente, de l'aider, de la soutenir ou de l'encourager en ce sens.

[242] L'ordonnance autorisait également les policiers à [traduction] « arrêter, emmener et placer en détention provisoire » toute personne dont ils avaient des motifs raisonnables de croire qu'elle contrevenait ou avait contrevenu à l'injonction. L'ordonnance devait rester en vigueur jusqu'à minuit le 12 octobre 2013.

[243[ Toutefois, l'ordonnance n'a pas été signifiée aux manifestants, et l'affaire a de nouveau été portée devant le tribunal le 11 octobre 2013. À ce moment-là, la Cour a entendu des arguments au nom de SWN en vue de l'obtention d'une ordonnance enjoignant à la GRC d'exécuter l'ordonnance. La Cour a refusé d'accorder une telle ordonnance, mais a plutôt ordonné une signification indirecte par voie de publication dans un journal local et a prolongé l'injonction jusqu'au 18 octobre 2013. L'instance a été ajournée au 18 octobre 2013. À l'audience du 11 octobre 2013, le conseil a comparu et a informé la Cour qu'il s'attendait à ce qu'il soit retenu pour représenter le chef et le conseil d'Elsipogtog lors de l'audience du 18 octobre 2013.

c) Plan opérationnel tactique

[244] Quelques jours après le blocus, le sergent d'état-major Rick Bernard, chef local de l'équipe anti-émeute, et le sergent Brown, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « J », ont élaboré un premier plan opérationnel tactique visant à dégager le site des manifestations et à obtenir la libération des équipements et du personnel de SWN et d'ISL. Le plan a été révisé le 3 octobre 2013 et le 9 octobre 2013; la version définitive est datée du 13 octobre 2013. Le plan prévoyait le déploiement d'équipes anti-émeuteNote de bas de page 68 et de groupes tactiques d'interventionNote de bas de page 69 (« GTI ») de la Division « H » (Nouvelle-Écosse) (une équipe combinée avec la Division L – Île-du-Prince-Édouard), de la Division « C » (Québec) et de la Division « J », et a divisé l'opération en quatre phases :

  1. Avant l'opération
  2. Déploiement d'équipes anti-émeute
  3. Après l'opération
  4. Désescalade

[245] Le plan fournissait des détails sur les séances d'information, le transport, les mouvements des équipes, les équipes d'arrestation, le transport des personnes appréhendées, le retrait de l'équipement de SWN et la fourniture d'une escorte dans une nouvelle zone de rassemblement. Le plan prévoyait qu'un préavis de 48 heures serait nécessaire pour mobiliser les équipes de la Division « C » et de la Division « H ».

d) Facteurs pris en considération

Faits

[246] L'inspecteur Payne, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « H », a dit que lui et les autres chefs d'équipe anti-émeute ont travaillé aux plans définitifs à compter du 15 octobre 2013. Il a expliqué que les facteurs appuyant la nécessité d'agir étaient les suivants :

  • intimidation, menaces et violence à l'endroit du personnel de l'entreprise de sécurité à l'intérieur de l'enceinte;
  • la menace de présence d'armes à feu;
  • le fait que l'équipement de SWN avait été endommagé par des cocktails Molotov sur un chantier précédent;
  • le fait que l'équipement de SWN était bloqué dans l'enceinte depuis près de trois semaines; rien n'indiquait que cela prendrait fin, et des indices laissaient croire que ce blocus n'allait pas se régler.

[247] L'inspecteur Payne était d'avis que les manifestations légitimes avaient été détournées par un élément criminel qui avait pris le contrôle du campement des manifestations.

[248] Le surintendant Maillet a ajouté :

[Traduction]

On pouvait voir que ça devenait un point chaud. Ça a été un environnement difficile pendant... des jours et des jours. Vous pouviez voir la tension monter. Les membres des Warriors, c'est ça? Ils étaient en tenue de camouflage et voulaient être identifiés comme des Warriors... et puis ils dissimulaient leur visage. Ils nommaient différents grades : voici le général, et ainsi de suite, essayant de se donner une structure.

[249] Les jours précédant le 17 octobre 2013, le surintendant principal Gallant a présidé des téléconférences périodiques, et des membres du groupe de commandement des interventions, y compris le surintendant Maillet et d'autres officiers supérieurs, y participaient. De plus, des rapports de renseignement périodiques ont été fournis au commandant des interventions. La plupart des rapports de renseignement étaient fondés sur de l'information provenant de sources à l'intérieur du campement. Les rapports indiquaient que le groupe des Warriors, dirigé par James Pictou, était responsable du campement et du blocus. Ces sources ont également fourni des commentaires continus sur l'atmosphère au sein du campement. Les occupants du campement semblaient avoir prévu que la police effectuerait une descente dans le but de mettre fin au blocus. Il y avait des renseignements selon lesquels les Warriors utilisaient un réseau de sentiers à travers les bois pour faciliter l'entrée dans le campement et faire passer clandestinement des personnes et des armes. D'après certains renseignements, il y aurait eu des armes d'épaule et des armes de poing dans les tentes et dans les bois, cachées, devant servir en cas de menaces. Cependant, aucune arme n'a été observée directement par la source. Le mot [traduction] « guerre » était utilisé si la police devait [traduction] « attaquer ».

[250] D'autres rapports ont indiqué que M. Pictou entraînait les jeunes à des tactiques d'autodéfense et les formait à devenir un Warrior [traduction] « d'une manière négative ». Il a été décrit comme [traduction] « un homme très en colère et violent ». Le 8 octobre 2013, une personne portant des couleurs de Bacchus (une bande de motards criminalisée) a été vue au campement. Le 10 octobre 2013, trois autres de ces personnes étaient présentes. Ces personnes ont rencontré certains des Warriors, et l'un des manifestants a dit qu'elles étaient là pour les aider. Le 11 octobre 2013, il a été signalé que les Warriors du comté de Kent étaient soutenus par la Mohawk Warriors Society et les Hells Angels et que les Warriors et leurs partisans ne quitteraient pas la région avant que les employés de SWN ne quittent le Nouveau-Brunswick. Le 14 octobre 2013, on a signalé que les Warriors attendaient l'expiration de l'injonction pour l'intervention policière et demandaient de l'aide [traduction] « de partout ». Il n'y a cependant toujours pas eu de signalement fiable d'armes à feu au campement. Le 15 octobre 2013, les occupants du campement auraient cru que la police effectuerait une descente le 18 octobre 2013.

[251] Au cours de la téléconférence du 16 octobre 2013, la seule mention de menaces était : [traduction] « Vers 16 h 12, nous avons été informés que deux hommes en tenue de camouflage (dont un lié à l'incident de la nuit dernière) se sont rendus à l'enceinte; l'un d'eux avait un couteau à la ceinture et il aurait fait quelques commentaires selon lesquels “il allait passer un mauvais quart d'heure au changement de quart de travail”. » Les notes de la téléconférence font état des progrès réalisés par l'ENSC, mais indiquent également que les manifestants ont annoncé qu'ils n'autoriseraient aucun changement de quart à ISL [traduction] « à partir de ce moment ». L'inspecteur Warr a évoqué l'inquiétude d'un responsable d'ISL pour la sécurité de son personnel après l'incident avec le manifestant en tenue de camouflage muni d'un couteau. Au cours de la téléconférence, l'inspecteur Don Allen a déclaré que, d'après les renseignements qu'il avait reçus, on pensait qu'il n'y avait pas d'armes à feu sur le site [traduction] « à l'heure actuelle ».

[252] Le sergent Brown a dit que la décision de mener l'opération le 17 octobre 2013 avait été prise le 15 octobre 2013 à 14 h 22. Il a assisté à une réunion avec le surintendant Maillet, commandant des interventions, le sergent d'état-major Bernard, le sergent d'état-major Robichaud et le sergent d'état-major Jean-Guy Richard, un commandant des interventions de la Division « H ». Le sergent d'état-major Robichaud a confirmé que la décision d'activer le plan avait été prise par le surintendant Maillet lors de cette réunion, et, à partir de ce moment-là, ils ont commencé à rassembler les ressources nécessaires à l'exécution du plan.

[253] Plusieurs des membres interrogés par les enquêteurs de la Commission ont évoqué la possibilité qu'il y ait des armes à feu dans le campement :

[Traduction]

  • Surintendant Gilles Maillet : Nous obtenons plus de renseignements; la possibilité d'armes à feu. Rien n'a été confirmé, rien n'a été vu, aucune observation, mais on disait qu'il pouvait y avoir des armes à feu sur les lieux.
  • Surintendant principal Wayne Gallant : Il y a les menaces de violence et des trucs du genre, et les renseignements qui nous reviennent, que c'est à l'intérieur, derrière, à partir du 15; c'est ce que le commandant a également entendu, des discussions sur des armes à feu qui arrivent et des choses comme ça... Je peux vous dire qu'il y avait des renseignements qui arrivaient... c'était constant tout au long, cette possibilité. Personne ne les a réellement vues. Vous obtenez donc des renseignements dont la crédibilité est variable. Mais en provenance de plusieurs sources, en effet, qui disent : oui, il semble que des armes à feu entrent dans le campement.
  • Inspecteur Michael Payne : Des menaces ont été proférées, et on a mentionné des armes à feu. Et à des chantiers précédents de SWN, il y avait eu des dégâts matériels avec des cocktails Molotov et ce genre de choses.
  • Inspecteur John Warr : Danger imminent. On savait qu'il y avait des armes à feu dans le campement, que le niveau de menace avait augmenté, que la vie des gens était menacée.
  • Caporal Jeremy Tomlinson : Je n'avais aucun informateur qui avait vu des armes à feu. On parlait beaucoup d'armes à feu... les gens parlaient d'apporter des armes à feu pour avoir accès à des armes à feu. J'avais vraiment certains renseignements précis... on parlait précisément de l'arrivée d'armes à feu... Selon les plus récents renseignements dont je disposais, le groupe avait accès à des armes à feu quelque part à proximité, je ne sais pas où.

[254] Le sergent d'état-major Bernard a toutefois expliqué que, comme il n'y avait pas de renseignement direct sur la présence d'armes à feu, juste avant le début de l'opération, la décision a été prise de poursuivre l'opération suivant le principe selon lequel les manifestants n'avaient pas d'armes à feu. Lors de la séance d'information de l'équipe anti-émeute le matin du 17 octobre 2013, les membres ont été informés que l'on pensait que les manifestants n'avaient pas d'armes à feu. En conséquence, les équipes anti-émeute ont été initialement déployées avec l'équipement de « niveau 2 » (casquettes souples, pantalons de combat et vestes).

[255] Il convient de noter que la GRC espérait que le déploiement avec l'équipement de niveau 2 permettrait d'éviter l'affrontement. Comme l'a dit le sergent Brown, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « J » : [traduction] « Nous ne voulons pas arriver en tenue complète d'équipement anti-émeute. D'après mon expérience, dès que les manifestants voient un tel équipement, leur niveau d'anxiété augmente, et nous ne voulions pas adopter cette approche. » Il a décrit cette stratégie comme étant en phase avec l'approche modérée.

Analyse

[256] Les renseignements dont disposaient le commandant des interventions et l'officier responsable des opérations criminelles présentaient clairement des préoccupations qui ont motivé un examen sérieux de la mise en œuvre du plan opérationnel tactique. Les facteurs suivants étaient importants :

  • La prise de contrôle apparente du site des manifestations par le groupe des Warriors;
  • La présence de membres de bandes de motards criminalisées;
  • Les menaces à l'endroit des employés d'ISL et l'utilisation d'un couteau;
  • Le comportement menaçant des « jeunes Warriors »;
  • L'information selon laquelle les Warriors ne partiraient pas avant que SWN ne quitte la province;
  • Les nombreux signalements non confirmés selon lesquels les manifestants avaient accès à des armes à feu.

[257] Le surintendant Maillet disposait de suffisamment de renseignements fiables pour justifier la décision de mettre en œuvre le plan opérationnel tactique dans un proche avenir.

e. Négociations

Faits

[258] Comme on le mentionne plus haut, l'ENSC a poursuivi les négociations avec les manifestants autochtones pendant le blocus. L'équipe avait été augmentée avec l'ajout du caporal Girouard, du gendarme Denny et du caporal Marshall, tous des membres autochtones, et le 13 octobre 2013, l'inspecteur Fraser s'est joint à l'équipe. L'objectif principal des négociations pendant le blocus était de négocier son règlement et de permettre le retrait des véhicules de SWN. Après que les employés d'ISL ont été confinés dans l'enceinte le 16 octobre 2013 et ont fait l'objet de menaces, la préoccupation la plus immédiate a été leur libération en toute sécurité. Pendant toute la durée du blocus, les membres de l'ENSC ont intentionnellement été tenus dans l'ignorance des plans de l'opération tactique visant à mettre fin au blocus. On voulait ainsi leur permettre de continuer à dialoguer avec les manifestants sans craindre une éventuelle descente dans le campement et l'enceinte.

[259] Le campement et le blocus semblaient être contrôlés par le groupe des Warriors, dirigé par James (« Jim ») Pictou, Jason (« OK ») Augustine et Peter (« Seven ») Bernard. Le soir du 16 octobre 2013, l'inspecteur Fraser et le gendarme Denny ont assisté à une réunion avec des membres de la collectivité d'Elsipogtog au bureau de la bande. Les intervenants ont dit que les Warriors ne représentaient pas la collectivité, mais les membres de la collectivité avaient peur de leur dire de partir. Ce qui s'est passé ensuite est décrit par l'inspecteur Fraser :

[Traduction]
Il y avait une grande agitation à l'extérieur, puis des gens ont fait irruption. Ils étaient probablement trois ou quatre; ils étaient en tenue de camouflage et ne voulaient pas parler ou quoi que ce soit, ils restaient près de la porte. Et ils avaient un porte-parole qui était une femme. Elle était la porte-parole. C'est elle qui a parlé. Et on a finalement su que son nom était Mlle Clair. Je crois qu'elle se prénommait Annie. Et j'ai commencé à parler à Annie, et, vous savez, elle a demandé pourquoi rencontrez-vous ces gens et pas nous là-bas? J'ai répondu invitez-moi dans votre communauté. Invitez-moi à votre campement. Et c'est ce qu'ils ont fait.

[260] L'inspecteur Fraser et le gendarme Denny se sont ensuite rendus au campement et ont rencontré M. Pictou, le porte-parole principal des Warriors, et après quelques négociations, les membres ont pu organiser la libération des employés d'ISL et leur remplacement par des membres de la GRC pour protéger l'enceinte. Après cela, l'inspecteur Fraser et le gendarme Denny ont donné du tabac à M. Pictou. L'inspecteur Fraser l'a assuré de son honnêteté.

Analyse

[261] Les personnes interrogées par les enquêteurs de la Commission ont exprimé plusieurs opinions sur la signification et l'importance d'offrir du tabac dans les cultures autochtones. Selon le gendarme Denny, c'est une preuve de respect et non une offrande de paix. L'inspecteur Fraser y a vu à la fois une offrande de paix et une preuve de respect. Le sergent d'état-major Richard croyait qu'il s'agissait d'une offrande de paix. M. Augustine, l'un des Warriors présents ce soir-là, a décrit le tabac donné par l'inspecteur Fraser comme étant enveloppé dans du tissu rouge. Il a compris que cela signifiait que, [traduction] « à partir de maintenant, ça va être pacifique, plus de combat »; c'est pour [traduction] « le respect et la paix ».

[262] La Commission a obtenu un avis de Mme Bonita Lawrence, une Mi'kmaq, qui est présidente du département des études sur l'équité et coordonnatrice du programme en études autochtones à l'Université York. Mme Lawrence a écrit :

[Traduction]
Quand il y a eu un conflit entre les gens, offrir du tabac enveloppé de tissu rouge est une profonde déclaration de paix. Le fait que l'autre partie accepte le tabac signifie sa volonté de faire la paix. Dans certains contextes, donner et recevoir du tabac signifie la fin du conflit. Dans des contextes plus complexes, donner ou recevoir du tabac est un moyen de démontrer que les deux parties agissent désormais de façon absolument honnête et avec les meilleures intentions, afin qu'un dialogue productif entre les parties puisse désormais avoir lieu.

[263] Comme il a été décrit précédemment, les interprétations diffèrent quant à la signification particulière du don de tabac en l'espèce.

[264] Ni l'inspecteur Fraser ni le gendarme Denny n'ont eu connaissance de l'opération prévue, qui devait commencer le lendemain matin, avant la séance d'information avec le commandant des interventions à 23 h 30, le 16 octobre 2013. À ce moment-là, ils ont demandé plus de temps afin de poursuivre leurs négociations, lesquelles, selon eux, pourraient aboutir au retrait pacifique de l'équipement de SWN.

[265] Que le don de tabac ait été perçu comme une offrande de paix, une preuve de respect ou un symbole d'intention honorable, lorsque les manifestants autochtones du campement se sont réveillés le lendemain matin pour constater que des équipes anti-émeute étaient sur le point « d'envahir » leur campement, ils ont considéré qu'il s'agissait là d'un acte de trahison grave.

[266] L'ENSC, principalement l'inspecteur Fraser et le gendarme Denny, avaient réussi à négocier la libération des employés bloqués d'ISL et pensaient pouvoir organiser la libération pacifique des véhicules de SWN si on leur donnait plus de temps.

Conclusion

  • 18) La décision de tenir à l'écart les membres de l'ENSC au sujet de la planification opérationnelle, si bien intentionnée soit-elle, a indirectement mené à la situation fâcheuse et regrettable de l'opération tactique survenue peu de temps après que les négociateurs de la GRC ont offert du tabac aux meneurs des manifestations sur les lieux du campement.

Recommandation

  • 10) Malgré des motifs raisonnables de maintenir une séparation entre les négociateurs et les planificateurs opérationnels, la GRC devrait envisager d'informer davantage les membres de l'ENSC de la stratégie globale mise en œuvre afin d'éviter des malentendus regrettables, qui peuvent nuire aux relations entre la GRC et les membres du public.

[267] Comme il est indiqué ci-dessus, la description du rôle de l'ENSC au chapitre 3.1. du Manuel des opérations tactiques suppose des situations de prise d'otage, qui sont très différentes du scénario face auquel s'est retrouvée l'ENSC pendant les manifestations contre le gaz de schiste. La Commission recommande à la GRC d'envisager l'élaboration d'une politique spécialement adaptée au rôle de l'ENSC dans les situations de maintien de l'ordre public.

Recommandation

  • 11) La GRC devrait envisager d'élaborer une politique spécialement adaptée au rôle de l'ENSC dans les situations de maintien de l'ordre public.

2. Décision de mettre en œuvre le plan opérationnel tactique le 17 octobre 2013

Faits

[268] Le sergent Brown, un coauteur du plan opérationnel tactique, a énuméré les objectifs du plan :

[Traduction]

  1. a) Assurer la sécurité des manifestants et du public, de SWN, d'ISL et de la police.
  2. b) Expulser les manifestants du campement.
  3. c) Rouvrir la route 134.
  4. d) Protéger l'équipement de SWN contre les dommages.
  5. e) Obtenir une sortie sûre pour le personnel d'ISL et de SWN.
  6. f) Arrêter les personnes qui commettent des actes illégaux et celles qui avaient déjà commis des infractions.

[269] La décision de lancer l'opération tactique le 17 octobre 2013 a été prise par le surintendant Maillet, commandant des interventions, bien qu'elle ait été approuvée par le commissaire adjoint Brown, commandant de la Division « J », et le surintendant principal Gallant. Selon le surintendant Maillet, la décision a été prise le soir du 16 octobre 2013. Cependant, comme il a déjà été mentionné, le plan opérationnel tactique lui-même avait été parachevé le 13 octobre 2013, car les équipes anti-émeute des Divisions C et H avaient besoin d'un préavis de 48 heures avant le déploiement.

[270] Selon le surintendant Maillet, la décision était justifiée principalement en raison des tensions croissantes causées par les Warriors. Il l'a décrit dans les termes suivants :

[Traduction]
Pourquoi? À cause de l'état de la situation à ce moment-là. La tension, le risque de lésions corporelles. Comme je l'ai mentionné plus tôt, ISL, les menaces de mort envers les employés; le langage des principaux manifestants militants, qui étaient les types en tenue de camouflage, le langage de ces gens; les couteaux, ce couteau-là; le gaz poivré; le langage qu'ils utilisaient contre ISL. Les employés d'ISL ont estimé qu'ils devaient se retirer, sinon quelqu'un allait se faire tuer. Et j'ai obtenu ces renseignements d'ISL. Et à ce moment-là, je me suis dit, vous savez quoi, nous sommes au stade où, si nous n'agissons pas, quelque chose va se passer. N'est-ce-pas? Vous pouviez donc voir cela, la tension qui augmentait. Je veux dire, on pouvait réellement la voir. J'ai donc dit que nous devions faire quelque chose.

[271] Le surintendant Maillet a reconnu que l'inspecteur Fraser et le gendarme Denny lui avaient demandé plus de temps lorsqu'ils ont été mis au courant de l'opération à la séance d'information de 23 h 30 le 16 octobre 2013. C'était après qu'ils avaient négocié la libération des employés d'ISL et après le don de tabac plus tôt dans la soirée. Ils estimaient qu'ils étaient sur le point d'en arriver à un règlement pacifique menant à la levée du blocus, mais le surintendant Maillet ne changeait pas d'avis. Il a estimé que les membres de la GRC qui ont remplacé les travailleurs d'ISL étaient également en danger, même s'ils étaient armés. Il a dit qu'il ne pouvait pas les laisser là [traduction] « pendant des jours et des jours. Parce que quelque chose aurait pu arriver. C'est pourquoi nous avons agi ce jour-là [...] La menace, même si vous êtes armé, est toujours une menace. Vous vous lancez dans une fusillade, quelqu'un va se faire tuer. »

[272] Le surintendant principal Gallant a rappelé que l'injonction était un facteur dans la décision, mais il a dit que [traduction] « la goutte d'eau qui a fait déborder le vase » était la nécessité de faire sortir les travailleurs d'ISL de l'enceinte. Cet objectif avait cependant déjà été atteint grâce à la négociation.

Analyse

[273] D'après son examen approfondi des renseignements disponibles, la Commission est d'avis que la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances, mais il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération.

[274] Les officiers supérieurs de la GRC ont dû faire face à une décision difficile. La tension s'était exacerbée. De nombreuses menaces avaient été proférées à la fois contre des employés d'ISL et des membres de la GRC. Un blocus avait été imposé, dont le maintien pouvait raisonnablement être interprété comme un méfait et une violation des dispositions de l'injonction. Des rumeurs circulaient concernant la présence d'armes à feu et d'explosifs. L'objectif principal de la GRC devait être la sécurité de toutes les parties.

[275] En ce qui concerne la présence possible d'armes sur le site des manifestations, dans une section intitulée « Dangers pour la sécurité des agents » (Officer Safety Hazards), le plan opérationnel tactique prévoyait ce qui suit :

[Traduction]

Il y a [...] des renseignements selon lesquels des armes à feu sont facilement accessibles à certaines personnes sur le site des manifestations. Jusqu'à présent, il n'y a aucune observation confirmée d'armes à feu sur le site des manifestations. [...] Nous serons informés si des armes à feu sont vues sur le site des manifestations.

[276] Malgré l'absence de preuve confirmée de la présence d'armes à feu au campement, il y aurait eu une quantité importante de renseignements à ce sujet. Cette information a été mentionnée à plusieurs reprises par des membres lors des discussions sur le bien-fondé de l'opération. Le surintendant principal Gallant a noté qu'ils recevaient constamment des renseignements de [traduction] « sources multiples », crédibles à des degrés divers, concernant les armes introduites dans le campement. Le caporal Tomlinson a déclaré qu'il avait [traduction] « vraiment certains renseignements précis » sur les armes et que [traduction] « le groupe avait accès à des armes à feu quelque part à proximité, je ne sais pas où ». Ce renseignement s'est révélé exact; bien que la GRC n'ait pas confirmé l'existence d'armes au moment où la décision de commencer l'opération tactique a été prise, il est néanmoins noté qu'un fusil a finalement été braqué sur des membres, que deux autres fusils ont été découverts, que des cocktails Molotov ont été lancés pendant l'opération et que d'autres articles qui semblaient être des engins explosifs improvisés ont été trouvés.

[277] Des renseignements avaient indiqué que les tensions montaient au sein du campement. Les Warriors agressifs avaient manifestement pris le contrôle du campement. La présence de membres de bandes de motards criminalisées a naturellement exacerbé les inquiétudes de la GRC, de même que la rumeur selon laquelle les manifestants demandaient de l'aide auprès de toutes les sources possibles. La situation a considérablement empiré lorsque le personnel d'ISL a été empêché de quitter son installation. Cela représentait sans aucun doute une intensification des tactiques des manifestants. Il n'était pas souhaitable de laisser la situation se détériorer davantage.

[278] Le surintendant Maillet l'a formulé ainsi : [traduction] « Tout ce que je savais à l'époque, c'était que la tension, le niveau des... les propos des manifestants et des militants étaient au point où ils étaient inacceptables... Je n'allais plus supporter ça. Ça devait s'arrêter. N'est-ce pas? Parce que nous étions à un niveau où quelqu'un allait être blessé. » Le commissaire adjoint Brown, commandant, a expliqué : [traduction] « Je savais, dans mon for intérieur, qu'à un moment donné, ne prendre aucune décision allait être la mauvaise décision parce que les choses chauffaient et arrivaient à un point où, même si nous ne faisions pas quelque chose, on craignait et comprenait que ça allait empirer. »

[279] Il est vrai que la crise immédiate a été atténuée, dans une certaine mesure, grâce aux négociations entre la GRC et des manifestants, ce qui a mené à la libération des employés d'ISL, qui ont été remplacés par des membres de la GRC. Cependant, la situation était toujours instable, et les problèmes suscitant des préoccupations légitimes importantes persistaient. Compte tenu des tensions croissantes, ne pas procéder à l'opération aurait pu entraîner un affrontement plus explosif et dangereux à une date ultérieure. Compte tenu des dispositions de l'injonction, la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.

Conclusion

  • 19) Compte tenu des dispositions de l'injonction, la GRC avait le pouvoir légal de mener l'opération, et, selon la prépondérance des probabilités, cela constituait un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire de le faire dans toutes les circonstances.

[280] Selon la Commission, toutefois, il est également vrai qu'il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération. La décision d'aller de l'avant avec le plan opérationnel tactique a eu des conséquences importantes. Il est évident que la mobilisation des équipes de la Division « C » et de la Division « H » (qui ont exigé – et avaient déjà reçu – un préavis de 48 heures pour se mobiliser) a été un élément clé dans le moment choisi pour l'opération, mais cela n'aurait pas dû être un facteur décisif. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'ENSC avaient déjà porté leurs fruits.

Conclusion

  • 20) Il aurait été prudent de prévoir plus de temps pour les négociations et la révision de l'injonction devant les tribunaux avant de procéder à l'opération. Dans les circonstances, il aurait été raisonnable et souhaitable d'accorder plus de temps aux négociations, en particulier après que les négociations de l'ENSC avaient déjà porté leurs fruits.

J. Recours à la force et arrestations

[281] Plusieurs des manifestants se sont plaints du recours excessif à la force par des membres de la GRC pour procéder à des arrestations et généralement dans les rapports avec des manifestants. Certains ont déposé des plaintes individuelles.

[282] La Commission a examiné les enregistrements vidéo de nombreuses arrestations survenues au cours du printemps et de l'été 2013. Les vidéos examinées montrent que, de façon générale, les membres de la GRC ont procédé aux arrestations de manière raisonnable. Les arrestations étaient généralement provoquées par la pratique d'une forme de désobéissance civile : des manifestants se positionnaient au milieu de la route pour empêcher les camions de SWN de passer et refusaient de se déplacer à la demande de la GRC. Il s'agissait parfois de cérémonies sacrées tenues sur la chaussée, et les participants insistaient pour les mener à bien avant de se déplacer. Plusieurs des personnes qui ont finalement été arrêtées ont continué de résister passivement et ont dû être déplacées de force.

[283] Les événements du 17 octobre 2013 étaient de nature beaucoup plus dynamique et conflictuelle et ont donc entraîné des arrestations plus « musclées ». Dans certains cas, à la suite de cette opération, les tensions sont restées élevées, et d'autres arrestations ont régulièrement eu lieu.

[284] La Commission examinera plusieurs exemples d'allégations formulées par les manifestants qui se sont présentés pour être interrogés par les enquêteurs de la Commission. Comme il est mentionné ci-dessus, plusieurs manifestants ont déposé des plaintes individuelles, et ces plaintes ont été examinées et évaluées. Les plaignants individuels recevront des rapports contenant l'analyse complète et les conclusions de la Commission à leur sujet.

Loi et politique concernant l'arrestation et le recours à la force

[285] Les policiers doivent établir qu'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction criminelle avant de l'arrêter. De plus, les motifs doivent être justifiables d'un point de vue objectif; une personne raisonnable qui se trouve dans la position de l'agent doit être en mesure de conclure qu'il y avait effectivement des motifs d'arrestation raisonnablesNote de bas de page 70

[286] Au moment d'évaluer la décision d'un membre de procéder à une arrestation, il est important de se rappeler que son rôle ne consiste pas à déterminer si le suspect est coupable ou innocent; le membre n'agit pas en tant que juge et jury. Le fait qu'un accusé soit arrêté, mais pas condamné ou que l'on ne donne pas suite aux accusations n'est pas déterminant quant au caractère approprié de l'arrestation. Le critère au procès est « hors de tout doute raisonnable » et, pour ce qui est de la poursuite, il s'agit d'une « probabilité raisonnable de condamnation », les deux créant un seuil plus élevé que celui des motifs raisonnables.

[287] L'article 495 du Code criminel prévoit qu'un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qu'il trouve en train de commettre une infraction criminelle et s'il a des motifs raisonnables de croire que l'arrestation est nécessaire pour empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète et/ou pour identifier la personne.

[288] Selon l'article 129 du Code criminel, se rend coupable d'entrave toute personne qui « volontairement entrave un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l'exécution de ses fonctions ou toute personne prêtant légalement main-forte à un tel fonctionnaire ou agent, ou lui résiste en pareil cas ». L'article 430 du Code criminel prévoit qu'une personne qui « empêche, interrompt ou gêne l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien » ou « empêche, interrompt ou gêne une personne dans l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien » commet un méfait. La participation à un attroupement illégal ou à une émeute est également un crime.

[289] Pour s'acquitter de leurs fonctions, les policiers peuvent être tenus de recourir à la force. Toutefois, le paragraphe 25(1) du Code criminel restreint le pouvoir de recourir à la force :

Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi [...] b) soit à titre d'agent de la paix ou de fonctionnaire public [...] est, s'il agit en s'appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu'il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

[290] La politique et la formation de la GRC complètent l'article 25 du Code criminel en expliquant les obligations des membres en matière de recours à la force. La politique et la formation de la GRC sont conformes à l'exigence selon laquelle le recours à la force doit être raisonnable en toutes circonstances.

[291] Le chapitre 18.1. du Manuel des opérations national de la GRC, intitulé « Arrestation et détention », précise que, lorsqu'il y a arrestation, « [l]e modèle d'intervention pour la gestion d'incidents [MIGI] doit toujours être appliqué dans le contexte d'une évaluation minutieuse des risquesNote de bas de page 71  ». Selon le MIGI, le principal objectif de toute intervention est la sécurité des agents de la force publique et du publicNote de bas de page 72 . Il reconnaît que, bien qu'une intervention par la force soit parfois nécessaire, bon nombre d'incidents peuvent être résolus par le dialogue.

[292] Le MIGI de la GRC est utilisé pour former et guider les membres en fonction des éléments de la situation afin de déterminer si le recours à la force est nécessaire dans les circonstances ainsi que le type et le degré de force nécessaire. Les membres doivent évaluer le risque que pose un sujet et déterminer le niveau d'intervention approprié, qui peut comprendre le recours à la force. Le MIGI évoque le concept de proportionnalité entre le comportement d'une personne et l'intervention policière, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

1. Arrestations

a) Exemples sélectionnés d'arrestations lors des manifestations contre le gaz de schiste

Faits

Déclaration de Susan Levi-Peters

[293] Susan Levi-Peters a déclaré qu'elle craignait que des femmes autochtones soient arrêtées par la police et placées dans des fourgons cellulaires. Elle considérait les arrestations comme des attaques de la police perpétrées contre les femmes. Mme Levi-Peters n'a désigné aucun incident en fonction de la date, et aucun élément de preuve n'a été trouvé pour étayer cette affirmation.

[294] Dans l'examen de la Commission, il a été noté que les manifestantes étaient généralement au premier plan des affrontements avec la police. Il se peut que Mme Levi-Peters ait fait référence à l'arrestation de la manifestante ANote de bas de page 73 .

Déclaration d'Anne Pohl

[295] Anne Pohl estimait qu'il y avait trop de policiers et que certains d'entre eux avaient eu une conduite excessive, notamment vu la façon dont deux personnes ont été arrêtées, toutes deux des Autochtones. Une femme autochtone qui a été arrêtée et un jeune homme d'origine autochtone et afro-canadienne ont tous deux été traités durement. L'un d'eux, a-t-elle dit, a été blessé. Elle a fait des remarques sur le nombre d'agents, disant qu'il était scandaleux que tant d'agents soient nécessaires pour 12 personnes debout au milieu de la route. Elle a décrit cette réalité comme une démonstration de force de nature militaire dans une petite collectivité rurale où les moyens de subsistance des gens et la valeur de leurs biens sont potentiellement menacés par la fracturation hydraulique. Elle décrit les événements du 21 juin, Journée nationale des Autochtones (maintenant connue sous le nom de Journée nationale des peuples autochtones), comme une [traduction] « arrestation massive et violente d'Autochtones ».

[296] La Commission a visionné l'enregistrement d'une arrestation vigoureuse du 21 juin 2013, dans laquelle un homme avait percé les cordons de policiers et s'était jeté sous un camion de SWN en mouvement. Plusieurs membres de la GRC se sont immédiatement précipités pour attraper l'homme et le retirer, puis l'ont arrêté. Deux autres hommes ont suivi et ont également été arrêtés de force. Dans les circonstances, la force utilisée était raisonnable.

[297] Mme Pohl a également décrit l'arrestation de la manifestante A le 5 juin 2013 comme étant [traduction] « horrible » et a dit que, [traduction] « pour les quelques personnes qui ont été directement touchées ce jour-là, c'était une chose horrible ». Cette arrestation sera analysée ci-dessous.

Arrestation de la manifestante A le 5 juin 2013 et le 14 novembre 2013

[298] Le 5 juin 2013, sur la route 126, dans un incident enregistré sur vidéo, la manifestante A prenait part à une cérémonie de tambours devant une file de camions de SWN. La vidéo de cet incident montre qu'un membre dans une voiture de police avec un mégaphone a annoncé que toute personne qui ne se déplacerait pas vers le côté de la route serait arrêtée. La manifestante A a continué de jouer du tambour au milieu de la route. Elle était accompagnée de sa fille et d'une autre femme. Après avoir attendu environ cinq minutes, plusieurs membres se sont approchés des trois femmes et leur ont parlé. La fille de la manifestante A et l'autre femme se sont dirigées vers le côté de la route, mais la manifestante A a refusé. Elle a été arrêtée tenant son tambour et un bâton en plumes d'aigle — deux objets sacrés. Lorsqu'elle a été amenée à la camionnette de police, sa fille a pu prendre le bâton, mais la manifestante A s'est accrochée au tambour. Arrivés à la camionnette, les membres ont tenté de lui enlever le tambour, mais la manifestante A a résisté et, finalement, l'un des policiers a demandé à la fille de la manifestante A de prendre le tambour.

[299] Il ressort clairement des déclarations de la manifestante A aux enquêteurs de la Commission qu'elle savait qu'elle devait quitter la route ou risquait l'arrestation si elle ne se conformait pas. De plus, la preuve vidéo décrite ci-dessus montre clairement que la manifestante A a été avertie plusieurs fois avant que les membres ne procèdent à son arrestation.

[300] La preuve vidéo, les déclarations des membres et les explications de la manifestante A elle-même révèlent que, lorsqu'elle a été arrêtée, la manifestante A dirigeait une cérémonie spirituelle devant les camions vibrosismiques. Elle a été avertie à plusieurs reprises et a eu de nombreuses occasions de quitter la route avant d'être arrêtée. Les membres avaient donc des motifs raisonnables de conclure que la manifestante A commettait un méfait et, par conséquent, il était raisonnable pour eux de l'arrêter.

[301] L'enregistrement vidéo de l'arrestation de la manifestante A montre qu'elle s'est d'abord assise par terre puis est devenue molle quand on l'a amenée vers un véhicule de police, mais a ensuite semblé résister activement aux membres. Ses genoux étaient pliés à un angle de 90 degrés, et elle semblait tirer en arrière de tout son poids. Alors qu'elle s'approchait du véhicule de police, elle a placé les deux pieds à l'entrée pour empêcher d'être placée dans le véhicule et a poussé avec force. Un membre se débattait avec la manifestante A pour s'emparer du tambour tandis que les deux autres tentaient de la placer à l'intérieur du véhicule. Une conversation entre la manifestante A et un membre s'est ensuivie. La manifestante A et le membre tenaient tous les deux le tambour. Le membre s'est ensuite retourné et a demandé à voir la fille de la manifestante A, qui est montrée dans l'angle de vue de la caméra, tenant toujours le bâton à exploits. Après une longue discussion, elle a pris la garde du tambour.

[302] On peut situer et examiner les actes de la manifestante A dans le contexte plus large de sa participation à une cérémonie et du fait qu'elle avait en sa possession des articles qui revêtent une signification spirituelle. Cependant, quoi qu'il en soit, la manifestante A a résisté à l'arrestation en luttant avec les membres de la GRC, en essayant de résister et en s'accrochant, plaçant les pieds au bas de la porte du véhicule de transport de la police, pour éviter d'être placée à l'intérieur. Cet incident a été enregistré sur vidéo. Rien n'indique que les membres aient employé plus que la force nécessaire pour procéder à l'arrestation.

[303] La manifestante A a également été arrêtée le 14 novembre 2013. Dans ce cas, au moins deux personnes ont vu la manifestante A entraver l'utilisation de l'équipement de SWN. Le dossier contient au moins un rapport de témoin à ce sujet. Un appel à la police au sujet de sa conduite était audible dans un enregistrement vidéo examiné par la Commission. La manifestante A était aussi visible sur cet enregistrement vidéo. Il convient également de souligner que, lors de ses entrevues avec les enquêteurs de la Commission, la manifestante A a admis avoir débranché un fil dans un géophone parce que cela [traduction] « arrêterait toute l'opérationNote de bas de page 74  ». Il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle avait commis l'infraction de méfait et, par conséquent, il était raisonnable pour les membres de l'arrêter pour cette infraction.

[304] En plus de leurs déclarations à la Commission, les deux agents ayant procédé à l'arrestation ont noté dans leurs rapports respectifs que la manifestante A avait résisté à l'arrestation. Un membre qui a procédé à l'arrestation a déclaré qu'elle avait résisté en croisant les bras et en les plaçant près de son corps. Un autre membre ayant procédé à l'arrestation a écrit : [traduction] « La femme a immédiatement croisé les bras devant la poitrine et tenait la main aussi serré que possible près du corps. » Les deux policiers ont déclaré qu'ils avaient dû la plaquer au sol de manière contrôlée pour procéder à l'arrestation. De plus, le premier membre qui a procédé à l'arrestation a déclaré que la manifestante A l'avait mordu pendant qu'il tentait de maîtriser ses bras.

[305] Bien qu'elle n'ait pas admis avoir résisté à l'arrestation, la manifestante A a reconnu avoir mis ses mains sous elle et avoir mordu le doigt d'un membre. Elle a expliqué pourquoi elle s'était comportée ainsi, mais à ce moment-là, les membres ont dû réagir au comportement qu'elle affichait. Objectivement, la manifestante A a adopté un comportement de résistance et d'agression, et les membres ont donc dû recourir à la force.

[306] Le deuxième membre ayant procédé à l'arrestation a reconnu avoir placé un genou sur le côté de la manifestante A, mais cela semblait compatible avec la force nécessaire pour la maîtriser, compte tenu des circonstances.

[307] Après avoir examiné le dossier détaillé, la Commission n'a trouvé aucun élément de preuve étayant l'allégation selon laquelle une force inutile ou excessive avait été employée lors de l'arrestation.

Déclaration de James Emberger

[308] M. Emberger, un manifestant non autochtone, a dit qu'il avait observé plusieurs manifestants qui avaient [traduction] « affiché leurs opinions » et tendu les mains en sachant qu'ils seraient arrêtés; ils ont été plaqués durement au sol, face contre terre, leur visage heurtant la chaussée, perdant leur lunettes. Il a déclaré : [traduction] « Tout cela semblait bien inutile puisque les gens n'opposaient aucune résistance et tentaient en fait d'aider les agents à procéder à l'arrestation. » M. Emberger n'a identifié aucun des membres, et la Commission n'a examiné aucune preuve vidéo pouvant étayer cette affirmation.

Déclaration de Jason « OK » Augustine

[309] M. Augustine, l'un des Warriors, a affirmé que, lors de la Journée nationale des Autochtones, une femme s'est levée et a commencé à bloquer une voiture; environ quatre agents de la GRC ont alors accouru et l'ont [traduction] « jetée par terre », et deux d'entre eux l'ont frappée. Elle était par terre et pleine de sang. Les membres n'ont pas été identifiés et n'ont donc pas pu être interrogés.

[310] Il ne semble pas y avoir de vidéo d'un tel événement, mais il y a une vidéo dans laquelle on peut entendre des manifestants crier qu'une femme vient d'être frappée par des policiers. Cette vidéo YouTube est datée du 7 juillet 2013. Cependant, M. Augustine fait référence à l'incident qu'il a observé lors de la Journée nationale des Autochtones, le 21 juin. Il est possible qu'il s'agisse du même incident que celui auquel fait allusion un plaignant qui a déclaré qu'une Aînée avait été frappée au visage le 21 juin 2013.

[311] Si tel est le cas, comme il est décrit ci-dessus, il n'y a aucune preuve de force excessive dans la vidéo de cette arrestation. Il y a plutôt un enregistrement vidéo d'une femme qui court en direction du cordon de policiers et entre en collision avec un membre; la tête de la femme a semblé entrer en contact avec l'épaule du membre au moment où elle l'a heurté. Les déclarations des membres confirment que la manifestante a foncé sur le cordon de policiers. La manifestante a été arrêtée, et peu de temps après, on a observé qu'elle avait du sang près de la bouche.

[312] Les renseignements sont insuffisants pour que l'on puisse établir de manière concluante comment la manifestante a subi une blessure à la lèvre ou à la bouche. Toutefois, d'après les renseignements disponibles, la manifestante aurait été blessée lorsqu'elle a tenté de traverser de force le cordon de policiers et que son visage est entré en contact avec l'épaule d'un membre. La Commission ne dispose d'aucun renseignement indiquant que la manifestante a été frappée au visage par un membre. La manifestante n'a pas porté plainte, et il est possible que cette allégation ait été fondée sur un commentaire hors caméra fait par une personne inconnue dans un enregistrement vidéo de la manifestation.

[313] Il est difficile d'évaluer la crédibilité de cette allégation parce que plusieurs manifestants prétendent que la GRC a eu recours à des formes de force excessive, mais reconnaissent qu'ils n'ont pas vu ce qui s'est passé. Leur connaissance vient de ce qu'ils ont entendu d'autres personnes qui ont décrit l'incident.

Déclaration de Peter Bernard

[314] M. Bernard, l'un des Warriors, a dit que la raison pour laquelle il s'est joint à la manifestation était qu'il avait vu une vidéo de plusieurs Aînés se faire bousculer. Des membres de la GRC ont [traduction] « poussé à terre et maintenu dans la boue » un Aîné.

[315] Encore une fois, aucun membre n'a été identifié, et un examen des enregistrements vidéo ne permet pas de repérer l'incident. Aucun moment n'est précisé, si ce n'est qu'il s'est vraisemblablement produit avant l'arrivée des Warriors sur les lieux. Selon le procès-verbal de la téléconférence de la GRC, c'était le 25 juin 2013. Il y a une vidéo du 21 juin 2013 montrant des manifestants qui courent au milieu de la route et se couchent devant un camion de SWN en mouvement. Les membres de la GRC sont intervenus sur-le-champ et les ont ramenés sur le bord de la route et les ont arrêtés de force. Compte tenu des actes des manifestants, les arrestations n'ont pas constitué une force excessive. Il se pourrait bien que les membres aient évité des blessures graves aux manifestants arrêtés.

Déclaration de Miles Howe

[316] M. Howe, un autre manifestant non autochtone, a souligné que le 21 juin 2013, lorsque des gens se tenaient devant les camions, la GRC a [traduction] « pacifiquement » arrêté ceux qui se tenaient là et refusaient de bouger. Il y avait un cordon de policiers et une ligne de manifestants. La confrontation a duré une heure avant que la GRC n'agisse contre les manifestants. Il a dit que les camions ont commencé à s'éloigner et que trois ou quatre personnes ont franchi le cordon de policiers. Un homme s'est jeté sous un camion, et une femme âgée repoussait les policiers parce qu'elle ne pouvait pas voir ce qui était arrivé à l'homme qui venait de se jeter sous un camion. M. Howe a affirmé que les policiers avaient ensanglanté son visage pendant son arrestation. Il ne les a pas vus frapper la femme au visage, mais il a été témoin d'une scène chaotique pendant un moment.

[317] La vidéo 211 semble capter cet événement. Elle montre un homme franchissant le cordon de policiers et plongeant sous un camion de SWN qui commençait juste à se déplacer. Des policiers se précipitent pour l'arrêter tandis que deux autres manifestants le suivent et sont également arrêtés. Après cela, à 3 h 2 dans la vidéo, on peut voir une femme portant un haut noir et un pantalon jaune sur le côté de la route où des policiers dans le cordon parlent à un agent. À 3 h 21, la même femme se trouve de l'autre côté de la route, en train d'être appréhendée. Il n'y a aucune indication de blessure, et l'arrestation s'effectue dans le calme. Le motif de l'arrestation n'est pas clair dans la vidéo.

Déclaration de Pamela Ross

[318] Mme Ross, une résidente locale et une manifestante non autochtone, a dit que, au tout début, c'était en fait assez poli entre la GRC et les manifestants. Il y avait des membres connus de la GRC provenant de petites collectivités du comté de Kent. Finalement, ils ont semblé retirer les membres locaux de la GRC et ont fait venir des membres du Québec. L'ambiance a changé. Ils sont devenus beaucoup plus violents et agressifs. Mme Ross a trouvé troublantes les scènes d'agents marchant en force avec les véhicules de SWN et portant des fusils à balles souples. Elle a dit : [traduction] « Au bout du compte, ils ont été militarisés... ils ne faisaient plus partie de la GRC, ils n'étaient pas là pour servir et protéger. »

[319] Cette plainte remet essentiellement en question les opérations des équipes anti-émeute. Cette question sera abordée plus loin dans le présent rapport.

Arrestation le 9 juin 2013

[320] Le 9 juin 2013, lors d'une manifestation sur la route 126 près de Birch Ridge, au Nouveau-Brunswick, une manifestante bloquait la route et empêchait les camions de SWN de poursuivre leur travail. La manifestante avait un paquet de tabac et a tenté d'offrir aux membres une petite quantité de ce tabac. Une fois l'offrande terminée, la femme a pris le tabac et a fait une ligne sur la chaussée devant les camions de SWN, puis elle a fait un cercle devant la ligne, s'est mise à genoux et a commencé à prier. Peu de temps après, la manifestante s'est assise au milieu de la voie en direction nord et a commencé à chanter. D'autres manifestants se sont approchés, mais ils sont restés sur l'accotement de la route et n'ont pas franchi la ligne médiane blanche. Il y avait deux ou trois autres femmes qui chantaient et faisaient de la musique avec des tambours. Lorsque les camions de SWN se sont approchés de l'emplacement, ils ont dû arrêter de travailler. La manifestante a été arrêtée et accusée de méfait. Ce plan d'action était raisonnable dans les circonstances.

Arrestations le 17 octobre 2013

[321] De nombreuses arrestations ont également eu lieu pendant l'opération le 17 octobre 2013. Voici des exemples d'arrestations survenues ce jour-là, sous forme de résumé.

Arrestation du manifestant B

[322] Le manifestant B a été arrêté pour méfait et a ensuite été accusé de méfait, de profération de menaces et de voies de fait. Dans la vidéo 10223, les manifestants affrontent le cordon de policiers et tentent de le franchir physiquement. Les membres réagissent en utilisant du gaz poivré et des balles-chaussettesNote de bas de page 75 (dont on peut entendre le bruit dans l'enregistrement vidéo). À 5 h 8, le manifestant B est clairement visible, et on peut l'entendre crier [traduction] « prenez les pierres! » deux fois. À 5 h 39, il lance avec force une pierre vers le cordon de policiers.

[323] À un autre moment de la journée, plusieurs manifestants criaient et raillaient les membres. Le manifestant B était l'un d'eux. Il marchait rapidement d'un côté à l'autre de la foule, galvanisant la foule. Il s'est positionné devant un membre et, avec des gestes de la main comme s'il chargeait une arme à feu, il a dit que ce serait comme « Full Metal Jacket », faisant référence à un film sur la guerre et la violence.

[324] Il y avait des motifs raisonnables de croire que le manifestant B avait commis et commettait diverses infractions criminelles, et il était donc raisonnable pour les membres de procéder à son arrestation.

[325] On a eu recours à la force pour appréhender le manifestant B. Le membre procédant à l'arrestation a attrapé la main du manifestant B et a utilisé une technique appelée clé de bras pour l'amener au sol. Le membre qui a procédé à l'arrestation a déclaré que le manifestant B avait initialement résisté à l'arrestation en tentant d'échapper au membre lorsque son bras a été saisi, mais il n'a [traduction] « pas résisté du tout » une fois sur le sol. Le membre ayant procédé à l'arrestation a tenu la tête du manifestant B en plaçant un bras autour de son cou tandis que plusieurs membres lui ont passé les menottes.

[326] Dans les circonstances, le manifestant B ayant agi de manière violente, provocante et menaçante envers les membres avant son arrestation, il était raisonnable de conclure qu'il pouvait présenter un danger lors de son arrestation. Ainsi, il était raisonnable de recourir à la force pour le maîtriser pendant son arrestation, et le degré et le type de force n'étaient pas déraisonnables dans les circonstances. Il est également noté que la force a été employée pendant une courte durée, et le manifestant B n'a signalé aucune blessure à la suite de l'arrestation.

Arrestation de la manifestante C

[327] Les événements qui se sont déroulés au campement à la suite de l'exécution de l'injonction ont été violents. Des cocktails Molotov ont été lancés. Un manifestant a exhibé une arme à feu au cours de l'intervention policière. Il est évident que cette partie de la manifestation constituait une « émeute », selon le Code criminel. La GRC était donc fondée à établir des zones d'accès restreint pour empêcher les membres du public de s'approcher du secteur où se produisait une émeute.

[328] Après avoir été alerté par diverses méthodes de communication, notamment les médias sociaux, que le campement des manifestants faisait l'objet d'une [traduction] « descente », un certain nombre de membres de la collectivité ont tenté d'accéder au site des manifestations pour diverses raisons. Dans le cas de la manifestante C, elle a déclaré l'avoir fait pour aider à désamorcer la situation.

[329] Cependant, les membres de la GRC avaient formé un cordon, et il était clair pour tous les observateurs qu'ils interdisaient aux membres du public d'accéder au secteur. En outre, selon le rapport rédigé par le membre qui a procédé à l'arrestation, les membres disaient à la foule de [traduction] « rester en retrait » et que l'accès public au secteur était bloqué. Selon le membre, la scène était [traduction] « chaotique », et il y avait des gens qui [traduction] « hurlaient, criaient et essayaient de franchir le cordon ».

[330] Il ressort de l'entrevue de la manifestante C qu'elle a compris qu'il lui était interdit de franchir le cordon de policiers, même si ce cordon s'était momentanément fractionné. Le fait qu'elle ait commencé à courir indique clairement qu'elle savait que les membres de la GRC n'avaient pas l'intention de la laisser passer.

[331] Quoi qu'il en soit, les membres de la GRC n'ont pas eu besoin de vérifier les véritables intentions de la manifestante C quand elle a franchi le cordon et a commencé à courir.

[332] Il est raisonnable de conclure que les actes de la manifestante C en traversant le cordon de policiers et en commençant à courir vers le secteur auquel les membres avaient clairement l'intention de bloquer l'accès constituaient, au minimum, l'infraction d'entrave. L'agent ayant procédé à l'arrestation a été témoin de ce comportement. Par conséquent, la Commission conclut qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que la manifestante C causait une entrave et qu'il était nécessaire de l'arrêter sans mandat pour empêcher que l'infraction se poursuive.

[333] La Commission ne dispose pas de renseignements suffisants pour établir si la manifestante C a été projetée par terre par un membre ou si elle est tombée sans intervention policière. Il est clair, cependant, qu'elle s'est activement rendue coupable d'entrave en passant devant le cordon de policiers lors de ce qui pourrait être décrit comme une émeute, et le membre qui a procédé à l'arrestation était autorisé à recourir à une force raisonnable pour l'arrêter.

[334] De plus, il était raisonnable que le membre procédant à l'arrestation frappe l'avant-bras de la manifestante C une fois pour qu'elle cesse de résister activement en s'accrochant à un appareil d'éclairage et afin qu'il puisse terminer l'arrestation. Il ne précise pas qu'il lui a ordonné de cesser de résister avant de la frapper, même si on peut supposer qu'il l'a fait étant donné qu'il a signalé que la manifestante C [traduction] « ne voulait pas lâcher prise ». Dans d'autres circonstances, il aurait peut-être été raisonnable de donner d'abord un avertissement, mais la situation était chaotique, de nombreux manifestants courant vers un secteur dangereux. De plus, la foule devenait de plus en plus agitée.

[335] Il a fallu recourir à la force pour mener à bien l'arrestation de la manifestante C, et la force utilisée était proportionnelle aux circonstances.

[336] La Commission a examiné de nombreuses séquences vidéo d'arrestations le 17 octobre 2013. La Commission n'a vu aucune preuve de recours à une force excessive pour procéder à des arrestations. Dans plusieurs cas, les personnes arrêtées résistaient activement à l'arrestation ou n'étaient pas coopératives au point de devoir être soulevées et transportées vers les véhicules de la police.

[337] Bien que la Commission n'ait pas pu procéder à une évaluation approfondie de chaque arrestation effectuée le 17 octobre 2013, elle est convaincue, à la lumière des renseignements disponibles, en particulier des éléments de preuve vidéo, que les membres n'ont pas fait usage d'une force excessive lors des arrestations le 17 octobre 2013Note de bas de page 76 .

Arrestation de la manifestante D le 2 décembre 2013

[338] Le 2 décembre 2013, la manifestante D se tenait au milieu de la route. Elle a refusé de s'en éloigner bien que la police le lui ait demandé à plusieurs reprises. Elle se tenait debout devant les membres qui avançaient pour forcer les manifestants à s'en aller sur l'accotement. Compte tenu de toutes les circonstances, il y avait des motifs raisonnables de croire que la manifestante D commettait un méfait et se rendait coupable d'entrave et qu'il était donc raisonnable de l'arrêter.

[339] La force employée pour arrêter la manifestante D s'est intensifiée, en grande partie, parce que d'autres manifestants ont saisi le bras de la manifestante D et l'ont tirée dans le but d'empêcher son arrestation. La force a probablement augmenté également en partie parce que la manifestante D a déplacé son poids vers l'arrière et a crié [traduction] « lâchez-moi! » quand les agents l'ont saisie. Elle a affirmé que c'était parce qu'elle avait peur et ne comprenait pas pourquoi elle se faisait tirer. On aurait pu éviter que cela se produise, dans l'esprit du MIGI, en l'avertissant de son arrestation imminente. Toutefois, comme on l'explique plus loin, les circonstances ne permettaient pas un tel avertissement.

[340] D'après les renseignements disponibles, y compris l'enregistrement vidéo, la Commission conclut : que ce soit l'effet de surprise ou parce qu'elle a délibérément résisté à l'arrestation, la manifestante D a fait porter son poids vers l'arrière et a crié « lâchez-moi! » À ce moment-là, un autre manifestant l'a tirée par le bras, et le membre procédant à l'arrestation a interprété ces actes comme de la résistance. La manifestante D a donc été rapidement projetée au sol, et, au même moment, un membre non identifié a trébuché sur ses pieds et est tombé sur elle.

[341] La Commission conclut que, dans cette situation, une directive générale avait été donnée à tous les manifestants, et peut-être à la manifestante D personnellement, de quitter la route. La manifestante D n'a pas tenu compte de cette directive et lorsqu'elle a été arrêtée, elle a crié [traduction] « lâchez-moi! » et a semblé déplacer son poids vers l'arrière, peut-être dans un effort pour résister au membre qui la tenait. À ce moment-là, un jeune manifestant qui s'était rapidement approché de la scène a semblé saisir et tirer le bras de la manifestante D. D'autres membres sont intervenus, et finalement, au moins six personnes ont été en cause dans l'interaction. Bien que la manifestante D ait soutenu que son geste consistant à déplacer son poids pour s'éloigner du membre était dû à l'effet de surprise et non une tentative délibérée de résister à l'arrestation, un membre doit réagir au comportement auquel il fait face à ce moment-là. Ce geste, combiné au fait que le jeune manifestant s'est approché rapidement de la scène et a saisi la manifestante D dans le but de perturber l'arrestation, a nécessité le recours à la force lors de l'arrestation de la manifestante D. En outre, les renseignements disponibles ne donnent pas à penser pas que l'on a employé plus que la force nécessaire.

Déclarations des membres de la GRC

[342] Le surintendant principal Gallant, officier responsable des opérations criminelles de la Division « J », a souligné que des photographes du Service de l'identité judiciaireNote de bas de page 77 ont été affectés à l'enregistrement vidéo des activités dans la plupart des situations où des arrestations ont eu lieu. Il a dit :

[Traduction]
Les interventions que j'ai vues en ce qui concerne les arrestations semblaient proportionnelles à la situation. Il y a certainement eu une arrestation brutale lorsque ce fusil est apparu le 17 octobre 2013, et ce type a de la chance d'être en vie, je dirais, à cause de la retenue dont a fait preuve notre Groupe tactique d'intervention ce jour-là en ce qui concerne lui, ainsi que les gens qui l'entouraient.

Et cela a provoqué beaucoup de chaos, tout comme les arrestations, et nos agents ont essayé de contrôler la situation. Il ne fait aucun doute que des gens ont probablement été traités sans ménagements ce jour-là, mais je dirais que les interventions étaient proportionnelles à la situation.

[343] L'inspecteur Payne, commandant des équipes anti-émeute combinées des Divisions H et L, a affirmé que la situation n'était pas différente de toute autre situation de maintien de l'ordre. Dès leur premier jour de formation les membres apprennent que, au moment de procéder à une arrestation légale, ils ne doivent employer que la force nécessaire pour amener sûrement la personne en détention. Il a dit : [traduction] « Si certaines personnes ont estimé que leur arrestation était brutale, c'est parce qu'elles n'obéissaient pas ou ne se conformaient pas aux demandes de coopération. » L'inspecteur Warr a fait remarquer à juste titre qu'être pacifique peut également supposer d'enfreindre la loi. Vous pouvez bloquer pacifiquement la route, mais cela peut constituer une infraction de méfait, et lorsque les manifestants refusent de se déplacer, ils sont passibles d'arrestation; s'ils résistent, les agents sont fondés, au titre du paragraphe 25(1) du Code criminel, à employer la force nécessaire pour procéder aux arrestations.

[344] Le sergent Brown, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « J », a dit que la méthode utilisée pour gérer les manifestants qui résistaient passivement et bloquaient la route ou qui faisaient entrave à la police consistait à déplacer le cordon de policiers autour de ces personnes, et quand ces manifestants étaient derrière le cordon, ils étaient arrêtés. Il a souligné que des menaces avaient été proférées à l'endroit des membres et contre lui en particulier et qu'ils n'y avaient pas donné suite. Il a également mentionné qu'il y avait eu des remarques indécentes laissant croire qu'on trouverait les femmes et les enfants des membres et qu'on allait les violer. Il a estimé que cela dépassait les limites : [traduction] « Nous avons laissé passer beaucoup de choses. S'il s'était agi d'une soirée normale, ils auraient été arrêtés et seraient passés devant le juge. Nous ne voulions pas aggraver la situation et mettre tout le monde en danger. »

Analyse

[345] La Commission n'a pas été en mesure d'examiner chaque arrestation qui a eu lieu au cours des mois de manifestations contre le gaz de schiste. Cependant, elle a examiné un grand nombre de dossiers de la GRC, d'enregistrements vidéo et de déclarations de témoins documentant de nombreuses arrestations. Les plaignants individuels qui ont été arrêtés et qui ont déposé des plaintes recevront des rapports contenant une analyse complète de leurs allégations.

[346] Dans certaines circonstances, les personnes arrêtées n'ont pas été inculpées par la suite, ou elles l'ont été, mais les accusations n'ont pas été poursuivies pour diverses raisons. Ces résultats n'amoindrissent pas nécessairement le caractère légal ou raisonnable des arrestations. Comme cela a été expliqué ci-dessus, au moment d'évaluer la décision d'un membre de procéder à une arrestation, il est important de se rappeler que son rôle ne consiste pas à déterminer si le suspect est coupable ou innocent; le membre n'agit pas en tant que juge et jury. La norme pour procéder à une arrestation est différente de celle pour engager une poursuite ou déterminer la culpabilité dans un procès criminel.

[347] Les renseignements disponibles portent à croire que les membres de la GRC ont généralement tenté de mettre en œuvre une approche modérée pour le maintien de l'ordre lors des manifestations et ont souvent fait preuve d'une grande tolérance en permettant aux manifestations de se poursuivre pendant une longue période, malgré le fait que les manifestants enfreignaient parfois la loi. Les événements du 17 octobre 2013 étaient de nature beaucoup plus dynamique et conflictuelle et ont donc entraîné des arrestations plus « musclées », mais cela était généralement justifié compte tenu de la conduite violente, résistante et provocante de certains manifestants.

[348] De façon générale et à quelques exceptions près (arrestations effectuées en vertu de l'injonction du 22 novembre 2013), la Commission conclut que les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables de croire que des personnes avaient commis ou commettaient diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave; qu'il était donc raisonnable d'arrêter ces personnes; et que la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances.

Conclusion

  • 21) De façon générale et à quelques exceptions près (arrestations effectuées en vertu de l'injonction du 22 novembre 2013), la Commission conclut que, pendant les manifestations contre le gaz de schiste, les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables d'arrêter des personnes pour diverses infractions, notamment méfait et/ou entrave, et que, de façon générale, la force employée pour procéder aux arrestations était nécessaire et proportionnelle dans les circonstances.

b) Tension des menottes en plastique

[349] La Commission a toutefois cerné des préoccupations concernant la tension des menottes en plastique appliquées aux manifestants, notamment la manifestante C et le manifestant D. Les personnes arrêtées dans le cadre des manifestations contre le gaz de schiste l'ont souvent affirmé et elles ont déposé une plainte officielle.

[350] Dans le cas de la manifestante C, les photos qu'elle a présentées montrent des ecchymoses aux deux poignets. Il est difficile pour la Commission d'établir quand ou comment ces ecchymoses ont été causées. Dans ses interactions avec la police ce jour-là, la manifestante C s'est livrée à une grande résistance, essentiellement passive, qui a nécessité un degré élevé d'intervention physique de la part des membres de la GRC. Les menottes sont, bien entendu, destinées à maîtriser une personne et à en assurer la garde et doivent être suffisamment serrées pour le permettre; lorsqu'une personne arrêtée résiste, notamment au point de nécessiter une intervention physique des membres, le mouvement des menottes peut provoquer des rougeurs et/ou des ecchymoses.

[351] En ce qui a trait spécialement à la manifestante C, cependant, la Commission fait observer qu'un membre présent sur les lieux a décrit que, lorsqu'un membre supérieur a ordonné à un autre membre de lui retirer ses menottes, le membre avait de la difficulté à couper les menottes parce qu'elles étaient [traduction] « trop près du poignet de la manifestante C ». Après une tentative, afin d'éviter de la blesser, le membre a obtenu des ciseaux auprès des ambulanciers paramédicaux et a réussi à lui retirer les menottes.

[352] Il est raisonnable de conclure que les menottes qui étaient difficiles à retirer en toute sécurité étaient probablement trop serrées lorsqu'elles ont été appliquées initialement à la manifestante C.

[353] De même, dans le cas du manifestant D, la vidéo documentant son arrestation montre qu'un membre a dit [traduction] « serrez, serrez! Serrez un peu plus! Ce n'est pas assez serré » pendant l'arrestation. Contrairement à l'affirmation du manifestant D, rien ne prouve cependant que cela faisait suite à une demande du manifestant D de desserrer les menottes. En effet, le manifestant D était complètement silencieux pendant qu'on le maîtrisait.

[354] La vidéo 5623 montre également le manifestant D qui est rapidement escorté vers la zone des véhicules de transport de la police, et il est vu de dos. Il ne semble pas que l'un des membres qui l'escorte resserre les menottes. La Commission n'a trouvé aucun signe selon lequel un membre de la GRC a intentionnellement et malicieusement serré les menottes après que le manifestant D a demandé qu'elles soient desserrées.

[355] La Commission constate que, dans sa déclaration à la police enregistrée sur bande vidéo, datée du 18 octobre 2013, le manifestant D fait souvent des gestes avec les mains pour illustrer son point de vue. Sa main gauche ne semble ni blessée ni contusionnée.

[356] La photo du manifestant D avec les mains retenues, combinée à ses déclarations sur la tension des menottes, laisse penser que les menottes appliquées au manifestant D étaient probablement plus serrées qu'il n'était nécessaire pour le maîtriser.

[357] Des menottes en plastique ont été appliquées à la manifestante C, au manifestant D et à d'autres personnes arrêtées lors des manifestations contre le gaz de schiste. Elles sont attachées différemment des menottes habituellement utilisées par les membres de la GRC aux services généraux. La Commission rappelle aux membres que, dans des situations comme le maintien de l'ordre public, lorsqu'ils sont tenus d'arrêter des personnes en utilisant des menottes en plastique, celles-ci ne doivent être appliquées qu'avec la force nécessaire pour maîtriser en toute sécurité la personne arrêtée.

Conclusion

  • 22) Les menottes initialement appliquées à la manifestante C et au manifestant D étaient probablement plus serrées qu'il n'était nécessaire pour les maîtriser.

Recommandation

  • 12) Que, dans des situations comme le maintien de l'ordre public, lorsque les membres de la GRC peuvent être tenus d'arrêter des personnes en utilisant des menottes en plastique, celles-ci ne doivent être appliquées qu'avec la force nécessaire pour maîtriser en toute sécurité la personne arrêtée.

c) Arrestations au campement

[358] Plusieurs plaignants ont remis en cause les arrestations effectuées pendant l'opération au campement du chemin Hannay, étant donné que, à leur avis, les manifestants du campement ne commettaient visiblement aucune infraction criminelle. Le campement a été installé sur une propriété privée, apparemment avec la permission du propriétaire. À l'exception bien sûr de personnes lançant des cocktails Molotov et de la personne braquant un fusil sur des membres de la GRC (ces incidents seront décrits plus en détail ci-dessous), personne d'autre ne semblait porter une arme, bien que plus tard, pendant la confrontation, on a vu l'un des jeunes membres du groupe brandir ce qui semble être un bâton de baseball. Il y a eu de nombreux commentaires et gestes provocateurs de la part des Warriors, mais rien de ce que l'on peut entendre dans les vidéos n'équivaudrait nécessairement à un comportement criminel.

[359] Pour justifier une arrestation sans mandat en vertu de l'article 495 du Code criminel, les policiers doivent avoir des motifs raisonnables de croire que la personne arrêtée a commis un acte criminel. Dans la définition de l'infraction de méfait à l'article 430 du Code criminel, il est interdit aux personnes de gêner l'emploi ou l'exploitation légitime d'un bien.

[360] En ce qui concerne les personnes qui ne commettent pas directement une infraction, il est bien établi que la simple présence sur les lieux d'un crime n'est pas suffisante pour conclure à la responsabilitéNote de bas de page 78, mais suivant l'alinéa 21(1)b) du Code criminel, encourager ou aider les auteurs principaux est un délit. De manière significative, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que [traduction] « [l]a force du nombre peut parfois être une source importante d'encouragementNote de bas de page 79 ».

[361] Rappelons que, le 27 septembre 2013, la zone de rassemblement de SWN et d'ISL a été transférée dans une enceinte clôturée à Rexton. SWN a communiqué à la GRC ses plans logistiques et de sécurité, et la GRC a fait part à SWN de ses préoccupations concernant la sécurité du site. Le 29 septembre 2013, un groupe de manifestants a envahi l'entrée menant à l'enceinte de SWN et d'ISL, empêchant ainsi SWN de commencer ses travaux comme prévu. C'était le début du blocus de l'enceinte. Des membres des Warriors se sont déplacés vers le site, et un campement a été installé. Lors d'un procès ultérieur, le tribunal a précisé que les manifestants avaient [traduction] « bloqué l'accès à l'enceinte dans laquelle étaient entreposées les machines utilisées pour l'exploration, refusant à la fois que l'on puisse entrer dans l'enceinte et en sortir », et a expliqué que le campement se trouvait [traduction] « à l'intersection du chemin Hannay et de la route 134 et avait bloqué ou gêné la circulation sur cette portion de la route 134 entre le village de Rexton et la route 11Note de bas de page 80 ».

[362] Comme cela a été décrit précédemment, pendant le blocus, des employés d'ISL étaient en poste à l'intérieur de l'enceinte pour protéger les véhicules de SWN. Au début, ces employés ont été autorisés à effectuer des changements de quart de travail, mais dans la nuit du 15 au 16 octobre 2013, un incident s'est produit mettant en cause un employé d'ISL et des manifestants, ce qui a mené à une confrontation physique avec l'un des jeunes Warriors, et les employés d'ISL se sont retrouvés confinés à l'intérieur de l'enceinte. Les employés d'ISL ont affirmé que les manifestants avaient proféré des menaces à l'endroit des employés, soit des menaces de mort et des menaces de viol contre des membres de leur famille. Des enregistrements vidéo montrent des employés subissant les moqueries de jeunes hommes en tenue de camouflage. Les négociations entre la GRC et les manifestants ont abouti à la libération des employés d'ISL, qui ont été remplacés dans l'enceinte par des membres de la GRC.

[363] Au cours des 18 jours du blocus, la GRC avait formulé les observations suivantes :

  • Des membres du groupe des Warriors menaient le blocus.
  • Le campement a été aménagé comme base d'opérations pour les personnes directement en cause dans le maintien du blocus.
  • D'autres personnes au campement étaient présentes dans le but de soutenir le blocus.

[364] Compte tenu de ces faits, il est raisonnable de conclure que les personnes qui maintenaient le blocus commettaient un méfait selon l'article 430 du Code criminel, en ce sens qu'elles gênaient la capacité de SWN d'utiliser son équipement, et d'autres personnes au campement, qui n'étaient pas nécessairement des participants actifs du blocus, étaient parties à l'infraction de méfait. Surtout, comme il est exposé en détail ci-dessus, l'ordonnance d'injonction interdisait expressément aux personnes, entre autres choses, d'empêcher, d'entraver ou de tenter d'empêcher le travail de SWN à l'enceinte, ou de bloquer l'accès à l'équipement, et autorisait les policiers à arrêter des personnes dont ils avaient des motifs raisonnables de croire qu'elles violaient les dispositions de l'injonction. Ainsi, les arrestations de personnes au campement étaient raisonnables dans les circonstances.

Conclusion

  • 23) Il est raisonnable de conclure que les personnes qui maintenaient le blocus commettaient un méfait, en ce sens qu'elles gênaient la capacité de SWN d'utiliser son équipement, et d'autres personnes au campement, qui n'étaient pas nécessairement des participants actifs du blocus, étaient parties à l'infraction de méfait. En outre, l'ordonnance d'injonction interdisait expressément aux personnes d'empêcher le travail de SWN à l'enceinte et autorisait les policiers à arrêter les personnes qui violaient les dispositions de l'injonction. Ainsi, les arrestations de personnes au campement étaient raisonnables dans les circonstances.

d) Arrestations du chef et des membres du conseil

[365] Peu de temps après l'évacuation du campement et le déplacement des manifestants vers l'ouest, le chef Aaron Sock et des membres de son conseil sont arrivés sur les lieux et ont demandé à être autorisés à traverser le cordon de policiers pour visiter le campement afin de s'assurer qu'aucune personne blessée n'y avait été laissée. À la suite de discussions avec l'inspecteur Fraser et le sergent d'état-major Jeff Johnston, le surintendant Maillet, le commandant des interventions, a accepté qu'on leur fasse traverser le cordon jusqu'au campement pour leur montrer que tout était sous contrôle là-bas et qu'aucune personne de leur collectivité n'avait été blessée.

[366] Selon le sergent d'état-major Johnston, l'entente avec le chef Sock était qu'une fois qu'ils pourraient voir le campement et confirmer qu'aucun des leurs n'était blessé ou retenu contre son gré, ils partiraient et retourneraient à la barricade ouest. Cependant, le chef et le conseil se sont alors assis sur des chaises devant l'enceinte de SWN et ont déclaré qu'ils ne partiraient pas. Ils ont déclaré qu'ils voulaient être arrêtés. On leur a rappelé qu'ils avaient conclu une entente avec le commandant des interventions, mais ils ont refusé de partir.

[367] Avant qu'il soit décidé d'arrêter le chef et les membres du conseil, plusieurs d'entre eux ont utilisé leur téléphone pour envoyer des photos aux membres de la collectivité à la barricade, ce qui a provoqué une augmentation de la foule et l'intensification des tensions entre les manifestants et les membres de la GRC. Étant donné que l'équipement de SWN se trouvait toujours dans l'enceinte et vu le niveau de tension à la barricade et leur souhait clairement exprimé d'être arrêtés, la décision a été prise d'arrêter le chef et les membres du conseil pour l'infraction de méfait et de les éloigner de l'enceinte pour les envoyer vers un emplacement sur le chemin Hannay jusqu'à ce que l'équipement puisse être déplacé.

[368] Pendant leur arrestation, les membres du groupe ont pleinement collaboré; cependant, plusieurs d'entre eux ont pris des photos d'eux-mêmes menottés et les ont affichées sur Facebook ou les ont envoyées par message texte à des gens. Cela a entraîné une nouvelle escalade importante du niveau d'affrontement et de violence entre les membres de la GRC et les manifestants de la barricade ouest. Le sergent d'état-major Johnston a expliqué que la situation avait rendu la foule furieuse, ce qui a précipité les arrestations et l'extrême violence qui a suivi, notamment l'incendie des véhicules de police.

[369] Le chef et les membres du conseil n'ont pas été placés dans des cellules après leur arrestation; ils ont été détenus dans des véhicules de police sur le chemin Hannay jusqu'à plus tard dans l'après-midi, puis ils ont été libérés. Lorsqu'ils ont été libérés, le sergent d'état-major Johnston a été invité à les escorter jusqu'à la ligne de front à l'extrémité ouest, où les voitures de police avaient été brûlées et où les affrontements tumultueux s'étaient produits, puis à les relâcher. Il a demandé au chef et aux membres du conseil de parler à certaines personnes afin de calmer les choses. Ils ont accepté de le faire.

[370] Dans un geste conforme à l'approche modérée, les membres de la GRC ont fourni un accommodement au chef Sock et aux membres du conseil en leur permettant d'entrer sur les lieux du campement une fois que celui-ci avait été évacué. Il était raisonnable que les membres de la GRC arrêtent le chef Sock et les membres du conseil pour l'infraction de méfait lorsqu'ils se sont assis par la suite devant l'enceinte de SWN et ont refusé de partir.

Conclusion

  • 24) Il était raisonnable que les membres de la GRC arrêtent le chef Sock et les membres du conseil pour l'infraction de méfait lorsqu'ils se sont assis par la suite devant l'enceinte de SWN et ont refusé de partir.

2. Recours à la force

[371] La Commission a reçu de nombreuses plaintes de nature générale concernant le recours à la force par la GRC lors des manifestations contre le gaz de schiste (différentes des plaintes concernant le recours à la force lors d'arrestations en particulier). Les plaignants, dont beaucoup n'avaient pas de lien direct avec les événements, mais ont plutôt été témoins de la couverture d'incidents par les médias, ont affirmé, entre autres, que des membres de la GRC avaient eu recours à une force inutile et excessive contre des manifestants lors de manifestations pacifiques; utilisé de façon abusive des armes à feu pour traiter avec des manifestants; tiré inutilement des balles-chaussettes sur les manifestants; et utilisé de façon abusive des chiens de police contre des manifestants.

a) Allégation selon laquelle des membres non identifiés de la GRC ont eu recours à une force excessive lorsqu'ils ont traité avec des manifestants pacifiques

Faits

[372] Au cours de leur intervention le 17 octobre 2013, des membres de la GRC ont utilisé un mégaphone pour informer les manifestants que l'injonction était appliquée, ordonnant aux manifestants de se disperser et les avisant qu'ils seraient arrêtés s'ils ne se conformaient pas à l'injonction.

[373] Face aux manifestants qui tentaient d'accéder au campement, les membres de la GRC ont formé une ligne perpendiculaire à la route et ont avancé dans un mouvement de balayage, ordonnant à plusieurs reprises aux manifestants de [traduction] « bouger, bouger, bouger » tout en avançant.

[374] Certains manifestants n'ont opposé qu'une résistance passive. Ils se sont agenouillés, ont prié ou ont joué du tambour devant le cordon de policiers.

[375] Le sergent Brown, chef de l'équipe anti-émeute de la Division « J », a expliqué que la méthode utilisée pour gérer les manifestants qui résistaient passivement consistait à déplacer le cordon de policiers autour de ces personnes et à les arrêter une fois qu'elles se trouvaient derrière le cordon. Les policiers ont été formés pour éviter les confrontations physiques avec les manifestants dans cette situation. Cela a permis de procéder à l'arrestation non violente des manifestants qui se sont livrés à la désobéissance civile.

[376] Comme il est expliqué ci-dessus, d'autres manifestants ont réagi violemment à l'opération de la GRC. Par exemple, dans son entrevue, le sergent Brown a expliqué que, tôt le matin du 17 octobre 2013, les nouveaux agents de la GRC ont été immédiatement accueillis par des cocktails Molotov lancés par les manifestants et ont dû utiliser des balles-chaussettes pour disperser les personnes responsables. Le sergent Audoux, qui était en charge du GTI de la Division « J » et qui a ordonné l'utilisation des balles-chaussettes, a confirmé ceci :

[Traduction]

Donc, parce qu'il faisait noir, il était évident que des cocktails Molotov étaient lancés, et il est également venu (inaudible). Donc, quand j'ai vu cela, je savais que j'avais un gars là avec une option de recours à la force à létalité réduite, et sachant que mes gars n'avaient pas d'uniformes ignifuges parce qu'ils portaient un équipement de camouflage, j'ai donné la directive à Eric Jean, qui était muni de balles-chaussettes, de s'occuper du lanceur des cocktails Molotov.

[377] Quelques minutes plus tard, l'équipe anti-émeute de la Division « C » est confrontée à un manifestant muni d'un fusil qui servait à menacer les membres. Au procès, en jugeant le manifestant coupable d'avoir braqué une arme à feu, le tribunal a conclu qu'il avait adopté une [traduction] « attitude agressive » tout en tenant un fusil de chasse, équipé d'une lunette de visée, à un angle de 45 degrés, le canon tourné vers quatre membres de la GRCNote de bas de page 81. Une confrontation de deux heures entre les manifestants maintenant une position défensive dans le campement et la GRC s'ensuit. Lors du procès, un membre de la GRC a déclaré que, à deux reprises, il pensait qu'il allait devoir tirer sur la personne qui tenait l'arme, mais comme le fusil était tenu à un angle de 45 degrés, il ne l'a pas faitNote de bas de page 82.

[378] Finalement, le fusil a été placé à l'intérieur d'une camionnette, et des membres de la GRC sont intervenus pour arrêter le manifestant. Le membre ayant procédé à l'arrestation a décrit dans son rapport que le manifestant était allongé sur un matelas à l'arrière de la camionnette, la main droite sur un fusil équipé d'une lunette de visée. Les membres du GTI ont cassé les vitres de la camionnette, criant au manifestant de [traduction] « se rendre ». Le membre qui a procédé à l'arrestation a ouvert une portière et a saisi le manifestant par le collet, en braquant son arme sur le manifestant et en le sortant du véhicule. Il a dit au manifestant qu'il était en état d'arrestation pour entrave et pour avoir braqué une arme à feu; le manifestant a résisté, et trois autres membres ont aidé à le maîtriser physiquement.

[379] La plupart des autres participants se trouvant dans le campement ont également été arrêtés. Les manifestants ont résisté, et les enregistrements vidéo des arrestations montrent ce qui pourrait être décrit comme des arrestations musclées, bien que, dans les circonstances où les membres se sont heurtés à une résistance importante, la méthode des arrestations, y compris le recours à la force, semble être justifiée. Les notes et les entrevues des membres de la GRC, ainsi que les éléments de preuve vidéo, indiquent que des balles-chaussettes ont été tirées dans le cadre de ces arrestations.

[380] Après les arrestations, trois fusils ont été saisis, dont deux dans le coffre d'une voiture, et l'autre sur le siège arrière d'une camionnette garée sur le chemin Hannay et qui semble être celui qui avait été braqué sur les agents, plus tôt. Plusieurs objets qui semblaient être des engins explosifs improvisés ont également été récupérés.

[381] Les équipes anti-émeute de la Division « J » ont ensuite ratissé les bois des deux côtés de la route 134, se déplaçant vers l'ouest en direction du point de contrôle Ouest sur la route 134.

[382] Pendant ce temps, l'équipe tactique de la Division « H » (Nouvelle-Écosse) sécurisait le point de contrôle Ouest. La nouvelle de l'opération tactique s'est répandue, et un grand nombre de manifestants se sont rassemblés sur la route 134. Les témoins ont estimé qu'environ 80 manifestants étaient sur les lieux. Les équipes anti-émeute ont commencé à les disperser en formant une ligne avec les membres du GTI qui couvraient les flancs. Tandis qu'ils tentaient d'avancer vers l'ouest, ils se sont heurtés à des manifestants en colère. Certains manifestants ont tenté d'arrêter l'avancée du cordon de policiers en s'agenouillant et en priant devant les membres. Finalement, certains des manifestants ont commencé à lancer des pierres, des bouteilles d'eau et d'autres objets aux policiers. Les policiers ont riposté avec du gaz poivré et des balles-chaussettes.

[383] Le gendarme Mathieu Gallienne, qui maintenait le cordon de policiers sur la route 134, note :

[Traduction]

[...] Pendant environ une heure, un groupe de femmes a formé une chaîne devant les membres de la GRC, en se tenant par les coudes. À un moment donné, le gendarme Gallienne a entendu les manifestants de sexe masculin dire aux femmes de revenir, qu'ils prenaient le relais. À ce moment-là, un groupe d'hommes a foncé sur les membres de la GRC. Le gendarme Gallienne a observé un homme devant lui portant une veste verte, les poings fermés, comme s'il allait frapper le gendarme Gallienne ou tout autre agent de la GRC sur la ligne. Le gendarme Gallienne a repoussé la foule, a pris son aérosol capsique et a aspergé la foule. L'intervention a été efficace puisque les manifestants ont reculé. Le gendarme Gallienne a aussi été contaminé par d'autres agents qui ont utilisé leur aérosol capsique. Le gendarme Gallienne a entendu l'option de recours à la force à létalité réduite qui était utilisé également. Les agents de la GRC ont ensuite repoussé les manifestants plus loin. Le gendarme Gallienne a également dû mettre les bras et les mains devant son visage à plusieurs reprises parce que les manifestants lançaient des pierres et des bouteilles sur les agents en première ligne. Le gendarme Gallienne a attrapé une pierre qui avait été lancée et lui arrivait droit au visage.

[384] À ce moment-là, plusieurs manifestants ont été vus courant vers les véhicules de police qui avaient été laissés plus loin sur la route plus tôt dans la matinée. Le gendarme Gallienne pouvait voir de la fumée s'échapper de deux véhicules de police. L'un des véhicules a explosé.

[385] Dans la vidéo 10223, les manifestants affrontent le cordon de policiers et tentent de le traverser. Certains manifestants lancent des pierres et d'autres projectiles sur le cordon de policiers. Les membres réagissent en utilisant du gaz poivré et des balles-chaussettes (dont on peut entendre le bruit sur l'enregistrement vidéo).

Analyse

[386] En ce qui concerne le recours à la force physique comme pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré pour contrôler les manifestants, la Commission a procédé à un examen approfondi de la preuve vidéo et de la preuve documentaire se rapportant aux événements qui se sont déroulés le 17 octobre 2013. La Commission constate que ces méthodes de contrôle ont été utilisées après que les manifestants ont physiquement tenté de traverser le cordon de policiers et ont effectivement participé à une émeute. La Commission conclut que, compte tenu des risques posés par les manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique, notamment pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré, était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel au comportement auquel faisaient face les membres.

Conclusion

  • 25) La force physique, comme pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré pour contrôler les manifestants, a été employée après que les manifestants ont physiquement tenté de traverser le cordon de policiers et ont effectivement participé à une émeute. Compte tenu des risques posés par les manifestants et des préoccupations raisonnables pour la sécurité des membres de la GRC et du public, le recours à la force physique, notamment pousser, frapper ou utiliser du gaz poivré, était nécessaire dans les circonstances et était proportionnel au comportement auquel faisaient face les membres.

b) Allégation selon laquelle, le 17 octobre 2013, des membres non identifiés de la GRC ont utilisé de façon abusive des armes à feu lorsqu'ils ont traité avec des manifestants pacifiques

Faits

[387] Le 17 octobre 2013, la GRC a utilisé 24 balles-chaussettes.

[388] Aucune munition chargée, outre les balles-chaussettes, n'a été utilisée le 17 octobre 2013.

[389] Au chapitre 17.5. du Manuel des opérations national, il est prévu que le « sac de plombs à stabilisateur (balle-chaussette) » est autorisé pour distraire les individus qui présentent un danger pour eux, pour les policiers ou pour le grand public. La politique précise également que l'on a recours aux balles-chaussettes lorsque toute autre méthode d'intervention quasi létale s'est avérée infructueuse ou inopportune.

[390] D'après son examen approfondi des éléments de preuve relatifs à l'opération de la GRC menée le 17 octobre 2013, la Commission comprend que les membres ont pointé des armes à feu (chargées de balles réelles) et ont pointé et utilisé des armes à feu chargées de balles-chaussettes contre les manifestants dans les contextes suivants :

  1. Pendant la confrontation au chemin Hannay;
  2. Pendant le ratissage des bois des deux côtés de la route 134 (se déplaçant vers l'ouest en direction du point de contrôle Ouest sur la route 134);
  3. Pendant le dégagement de la route 134, lorsque les membres ont été accueillis par des manifestants en émeute.

[391] La Commission traitera chacun de ces cas séparément.

La confrontation au chemin Hannay

[392] Les circonstances de cette confrontation ont été résumées ci-dessus.

[393] Les photos prises par le Service de l'identité judiciaire de la GRC illustrent la situation où les agents se sont approchés et se sont allongés sur le sol. Ils sont représentés allongés ou accroupis dans les hautes herbes à côté du chemin Hannay tandis que, comme le montrent les vidéos, des manifestants se promènent avec désinvolture sur la route, en menaçant et en insultant généralement les équipes anti-émeute et les membres du GTI.

Intersection de la route 134 et du chemin Hannay, montrant le campement (gauche) et l'enceinte de SWN (au centre, à droite)

[394] Plusieurs des occupants du campement ont décrit la scène tôt le matin de leur point de vue. Voici ce que M. Augustine a expliqué aux enquêteurs de la Commission :

[Traduction]

Je suis resté une nuit, et le lendemain matin, c'était la pagaille. Je suis descendu... J'étais juste sur la 134, où se trouvent les pylônes, debout avec ma lampe de poche. J'ai ensuite reçu un message texte indiquant que quatre autobus s'en venaient, remplis de membres de la GRC. Je me suis retourné et je leur ai dit, soyez prudents les gars, je ne sais pas ce qui se passe... je reçois des textes bizarres.

Ils étaient déjà comme ça sur moi. J'ai regardé autour, comme ça. Quelle arme? Je n'ai pas d'arme, j'ai une lampe de poche. Ils m'ont dit à nouveau de laisser tomber cette arme. Je ne savais pas qu'ils pointaient le pistolet vers moi la première fois. Je n'ai pas d'arme. C'est une lampe de poche. J'ai fait – j'ai fait ça. Et quand j'ai fait ça, ma lampe de poche s'est allumée, et j'ai vu trois membres de la GRC comme ça sur moi. Et c'était un Beretta de neuf millimètres. Je ne suis pas stupide. Je connais mes armes. Et quand ce Beretta de neuf millimètres est – il est chargé d'une balle de neuf millimètres. Et je n'avais pas d'arme. J'avais une lampe de poche. Et c'est au moment où le soleil commençait à peine à se lever. Et j'étais – là où il montait, j'ai vu des autobus. Je n'ai même pas – je n'ai pas vu l'autobus parce que la première fois, il faisait noir. Et quand le soleil s'est levé, Bon Dieu, j'ai vu les membres de la GRC, et j'ai regardé par là, et je ne vois rien d'autre que des membres de la GRC encore. Bon Dieu! Et puis Seven s'est approché. Seven ne les a même pas vus. Qu'est-ce qui se passe? Je pense que nous sommes – il se passe quelque chose, mon vieux, regarde tous ces membres de la GRC. Regarde là-bas. Bon Dieu! Et puis – et puis il – et c'est à ce moment-là que l'enfer s'est déchaîné.

[...] Il m'a dit de m'allonger sur le sol... Ils voulaient que je m'allonge sur le sol, mais je n'allais pas m'allonger sur le sol. Ils avaient des fusils pointés vers moi. J'ai reculé... Je suis retourné sur le chemin de terre. Mais en arrière – lorsque je suis retourné sur le chemin de terre, je voyais déjà, je dirais, des centaines de – des centaines de membres de la GRC qui se déplaçaient dans l'herbe. D'accord, alors je suis retourné sur le chemin de terre. Et j'ai continué – j'ai commencé à parler aux gars. D'accord – D'accord, les gars, vous devez rester pacifiques.

[395] Pendant son entrevue, M. Pictou a formulé les commentaires suivants :

[Traduction]

Je vois tous ces policiers. Ils sont tout autour de nous, un à l'arrière. Bonjour les gars. Que faites-vous tous ici ce matin? Un autre parlait, personne ne disait rien. Nous allions devant. Je vais aux tentes, tout le monde est parti. Nous ne sommes plus que 12, 12 membres pour 500 policiers. Est-ce que ce n'est pas un peu exagéré?

Je vais voir le policier et je lui dis, voyez-vous quelque chose qui se passe ici? Pourquoi ne venez-vous pas chercher les véhicules? Je vais le dire à Seven. Vous prenez les véhicules, et nous pouvons tous rentrer chez nous. Il a dit non, c'est trop tard. Quand je me suis retourné, j'ai vu quelqu'un attraper Jason, lui arracher sa chemise, et tout a commencé à partir de ce moment-là. C'est comme ça que tout a commencé...

Ils sont juste arrivés. J'ai reçu une balle dans le dos. Mon épaule était sortie ici. Même quand je suis sorti, j'ai dû aller chez le physio pour qu'il me remette mon épaule en place. J'ai été agressé par six policiers. Je vois Seven se faire tirer une balle dans la jambe. Je vois Aaron se faire tirer une balle dans l'épaule. Il tombe par terre. Nous sommes tous par terre. Ils étaient tous sur Seven, sur Jason, sur mon fils.

[396] M. Howe était un manifestant qui était resté au campement la nuit précédente. Voici ce qu'il a raconté :

[Traduction]

Je me réveille. Il y a des policiers qui crient, qui arrivent du bois. Je suis ici, l'enceinte est là. Je suis dans les bois juste à côté. Les policiers arrivent par ici. Il y a environ quatre tentes... Il y a environ 20 agents du côté nord de la route 134, et ils ont dégainé leur pistolet.

Il y a environ 35 agents qui traversent le champ en direction ouest avec des fusils d'assaut, un ou deux chiens. C'est très effrayant. Ils ratissent ce champ vers le campement des Warriors...

[...] Ils ratissent en traversant le champ, les chassent de leurs tentes, les conduisent sur le chemin de terre, et ça ne suffit même pas. Ils doivent venir vers eux de toutes les directions et les plaquer, leur tirer dans les jambes, me plaquer au sol. Ça n'a aucun sens, sauf si vous voulez prouver quelque chose, c'est-à-dire les frapper. Tout ce qui se passe ce matin-là part de ce moment-là.

[397] Le sergent d'état-major Johnston a été appelé pour aider à titre de négociateur le matin du 17 octobre 2013; cependant, il n'est arrivé qu'après le début de la confrontation. Il a reçu l'appel du caporal Girouard, un autre membre de l'ENSC, pour l'informer que la police et les manifestants étaient engagés dans une confrontation après que la police a fait face à des cocktails Molotov et à un fusil. Lorsqu'il est arrivé sur place, il a été présenté à plusieurs membres du groupe des Warriors (dont M. Pictou, M. Augustine et Stephen Breau) par le caporal Rick Tessier, qui avait parlé avec eux avant son arrivée. Il a déclaré que M. Augustine était agité et criait contre les membres de la GRC qui étaient accroupis dans le fossé pour se protéger. M. Augustine proférait des insultes et des menaces, en jurant et en hurlant. À un moment donné, comme on peut le voir dans la vidéo 5613, il s'est délibérément placé dans la ligne de mire, entre le manifestant tenant le fusil et les membres qui visaient le manifestant armé, criant aux membres de la GRC : [traduction] « Tuez-moi! »

[398] Dans la vidéo 6763, une manifestante est debout sur le chemin Hannay, à côté de trois Warriors engagés dans une altercation verbale avec les membres qui sont allongés dans l'herbe et visent le manifestant armé. La femme commence à marcher dans le champ vers les tentes en criant : [traduction] « C'est une caméra. C'est une caméra, c'est une caméra. Arrêtez de pointer votre fusil sur moi. » Pendant qu'elle continue de marcher dans le champ, elle crie : [traduction] « Eh bien, il y a des enfants ici aussi. Hé! C'est un téléphone. Arrêtez de pointer votre fusil sur moi, c'est un téléphone. Je n'ai pas d'arme, c'est un téléphone. » Elle répète : [traduction] « Posez votre arme, c'est un téléphone », tandis qu'elle marche à travers le champ et atteint le groupe de tentes.

[399] Finalement, le GTI et les équipes anti-émeute se dirigent vers les manifestants et arrêtent la plupart des principaux participants. Plusieurs balles-chaussettes sont tirées. Les manifestants résistent, et les enregistrements vidéo des arrestations montrent ce qui pourrait être décrit comme des arrestations musclées, bien que, dans les circonstances où les membres se sont heurtés à une résistance importante, la méthode des arrestations semble justifier le recours à la force.

Analyse

  • [400] Au moment d'évaluer un incident suivant le MIGI, il importe de tenir compte :
  • des éléments de la situation;
  • du comportement du sujet;
  • de la perception de l'agent de la paix;
  • des considérations tactiquesNote de bas de page 83.

[401] Comme cela a été expliqué précédemment, au chapitre 17.5. (« Recours à la force non meurtrière ») du Manuel des opérations national de la GRC, il est indiqué que la balle-chaussette est autorisée à des fins opérationnelles de la GRC pour distraire les individus qui présentent un danger pour eux, pour les policiers ou pour le grand public. On y a recours lorsque toute autre méthode d'intervention quasi létale s'est avérée infructueuse ou inopportune. La politique précise également que, avant d'utiliser la balle-chaussette, un membre doit envisager d'autres moyens d'intervention.

[402] Comme il a été exposé ci-dessus, des armes à feu chargées de balles-chaussettes ont été pointées (et, dans certains cas, déchargées) sur des manifestants pendant la confrontation et pendant ce qui pourrait être décrit comme des « arrestations musclées » dans le contexte de la confrontation. Il est évident que, lors de la confrontation, une approche moins dynamique de la GRC aurait probablement entraîné encore plus de résistance et de violence.

[403] Compte tenu de la résistance importante à laquelle les membres de la GRC se sont heurtés le matin du 17 octobre 2013, notamment le lancement de cocktails Molotov et une rencontre avec un manifestant armé d'un fusil, la Commission conclut que le dégainage et/ou le fait de pointer des armes à feu, ainsi que le tir de balles-chaussettes ne constituaient pas une force excessive dans les circonstances. Le recours à la force était nécessaire et proportionnel au comportement auquel les membres ont dû faire face.

Conclusion

  • 26) Dans le contexte de la confrontation, il était nécessaire que les membres aient recours à la force (notamment les balles-chaussettes et le dégainage et/ou le fait de pointer des armes à feu), et le type et le degré de force utilisés étaient proportionnels au comportement auquel les membres ont dû faire face.

Ratissage des bois, des deux côtés de la route 134

[404] L'équipe anti-émeute de la Division « J » a ensuite ratissé les bois des deux côtés de la route 134, se déplaçant vers l'ouest en direction du point de contrôle Ouest sur la route 134.

[405] Le plan opérationnel tactique du 17 octobre 2013 contient peu de détails concernant cette chaîne des événements. Il ne décrit que les mesures de surveillance mises en place pour garantir qu'aucun manifestant ne reste dans les bois avant et pendant l'opération :

[Traduction]
5) L'avion de surveillance à haute altitude (H.A.S.P.) est sur les lieux afin d'effectuer la surveillance à 5 h le jour de l'opération et de transmettre au commandant des interventions les images vidéo et les résultats de l'imagerie thermique en cours visant à détecter toute personne se trouvant dans les bois avant et pendant l'opération.

[406] Le plan indiquait également :

[Traduction]
À partir de ce moment, après la séance de la matinée au poste de Bouctouche, tous les déploiements de l'équipe anti-émeute, de l'EIR, du service cynophile et de l'équipe d'enlèvement des obstacles (EEO) relèveront du chef local de l'équipe anti-émeute et du GTI. Toutes les EIR peuvent être redéployées à la discrétion du chef de l'équipe anti-émeute.

Le rôle du GTI

[407] Au moment de son entrevue avec la Commission, le caporal François Ducros était maître-chien à la Division « C » (Québec). Il a expliqué le rôle du GTI en tant que rôle de soutien [traduction] « au cas où la situation deviendrait une intervention relative à une arme à feu » ou, en d'autres termes, assurant une position de [traduction] « force dominante pouvant être mortelle » :

[Traduction]
Essentiellement, l'indication officielle alors pour l'équipe anti-émeute est « ordre public ». Il s'agissait d'un déploiement pour le maintien de l'ordre public, mais le GTI est toujours déployé également dans un rôle de soutien au cas où la situation deviendrait une intervention relative à une arme à feu, car selon le niveau – l'équipe chargée de l'ordre public, la tenue que portent les membres, en ce moment, il s'agit du niveau 2 puisqu'ils avaient leur arme courte; toutefois, s'ils avaient eu leur casque et leur bouclier et toute leur protection, ils n'auraient pas d'arme courte. Les membres du GTI sont donc déployés avec une force mortelle au cas où l'équipe chargée de l'ordre public serait confrontée à une force mortelle.

[...] En ce qui concerne le GTI, nous retrouvons toujours un peu la même chose. Il s'agit essentiellement de savoir s'il s'agit d'un champ, d'un bâtiment. Évidemment, si nous sommes confrontés à une menace mortelle, nous répondrons par une menace mortelle, mais nous sommes toujours prêts. Lorsque le GTI est déployé, ses membres ont leur fusil d'assaut. Lorsque vous êtes déployé, et surtout dans les bois, vous êtes déployé avec votre fusil d'assaut M16, ce qui n'est pas différent de toute autre intervention. Ce n'est pas parce qu'il s'agissait de manifestations des Premières Nations. Ce n'est pas parce que – pour tout déploiement du GTI, c'est l'équipement que nous portons. [Non souligné dans l'original.]

[408] Au cours de son entrevue le 17 octobre 2013, le sergent Audoux a déclaré que le GTI a été déployé comme soutien aux membres des équipes anti-émeute afin d'exercer une force dominante pouvant être mortelle au cas où les équipes anti-émeute seraient confrontées à des personnes armées pendant l'application de l'ordonnance d'injonction. Les membres du GTI portaient leur équipement de camouflage. Les équipes anti-émeute portaient un uniforme bleu.

[409] Dans le Manuel des opérations tactiques national de la GRC en vigueur en 2013, le rôle du GTI est ainsi décrit :

1. Politique
1.1. La GRC s'est engagée à résoudre les incidents potentiellement violents en adoptant une approche d'intervention modérée intégrée conformément au Modèle d'intervention pour la gestion d'incident de la GRC et au Code criminel tout en veillant à ce que les droits des Canadiens soient respectés.
2. Définitions
[...]
2.2 « membre d'une équipe d'assaut » Membre GTI qui a terminé avec succès le cours de formation du Groupe tactique d'intervention (BM3526).
2.3 « incident critique » Événement ou série d'événements qui, du fait de sa nature et de son envergure, nécessite une intervention spécialisée et coordonnée.
[...]
2.6. « Groupe tactique d'intervention (GTI) » Groupe composé d'une équipe d'assaut et de tireurs d'élite-observateurs qui ont reçu une formation spécialisée en matière de tir et de procédures tactiques.
[...]
3. Généralités
3.1 L'officier responsable des enquêtes criminelles (OREC) ou son représentant peut mettre sur pied un GTI pour assurer un soutien armé tactique, sous la direction d'un commandant des interventions, notamment pour :
[...]
3.1.6 assister une équipe anti-émeute. Lorsque le GTI assiste une équipe anti-émeute, les ressources GTI sont déployées par le chef de l'équipe anti-émeute. Le chef du GTI doit également être déployé dans la mesure du possibleNote de bas de page 84. [Non souligné dans l'original.]

[410] Le GTI est devenu responsable du ratissage des bois, car la GRC soupçonnait que les Warriors utilisaient un réseau de sentiers à travers les bois pour faciliter l'entrée dans le campement et faire passer clandestinement des personnes et des armes. Les membres de la GRC craignaient que des manifestants armés ou des manifestants équipés d'engins explosifs ne se cachent dans les bois.

[411] En somme, les membres du GTI étaient dans les bois afin de fournir aux équipes anti-émeute une force dominante pouvant être mortelle.

[412] La preuve divulguée, notamment les éléments de preuve vidéo, mène à la conclusion raisonnable selon laquelle les membres du GTI participant au [traduction] « ratissage » des bois ont effectivement rencontré des manifestants. Le caporal Ducros a déclaré que des membres du GTI et des maîtres-chiens ont affronté les manifestants qui sont entrés dans les bois le 17 octobre 2013 :

[Traduction]
Oui, nous étions donc quelque part ici, et les manifestants essayaient de nous contourner par le flanc, des deux côtés. À l'évidence, nous n'avions pas assez de monde. Les membres de l'équipe anti-émeute étaient occupés à bloquer la route, donc chaque fois que des membres des Premières Nations, les manifestants essayaient de nous contourner par le flanc, nous allions dans les bois avec le GTI et un maître-chien. Le chien est utilisé comme moyen de dissuasion afin d'empêcher, avec un peu de chance, les gens de nous dominer par les flancs, en nous contournant, ou de l'arrière et, s'il le faut, on peut utiliser le chien pour se protéger et comme méthode d'appréhension des criminels. [Non souligné dans l'original.]

[413] À 1 heure 56 minutes 12 secondes de la vidéo 5623, un manifestant est debout dans les bois (mais toujours visible depuis la route) face à environ 10 membres de l'équipe anti-émeute. L'enregistrement vidéo montre qu'un manifestant a dit à un membre dans les bois : [traduction] « Éloignez ce pistolet de ma [juron] poitrine. » À divers moments de cette rencontre, ses deux mains sont visiblement vides, bien qu'elles ne soient pas en l'air. Quelques minutes plus tard, on entend un membre de la GRC dire : [traduction] « Gardez les mains en l'air les gars, gardez les mains vides. »

[414] Il se peut qu'une arme à feu ait été pointée vers le manifestant à ce moment-là. La Commission ne connaît pas l'identité du membre qui aurait pu pointer l'arme à feu et n'a pas pu retrouver ses notes. À partir de cet échange enregistré, et compte tenu du contexte général (le fait que le GTI assurait une force dominante pouvant être mortelle et soupçonnait que les manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs), la Commission conclut qu'il est plus probable que le contraire qu'une arme à feu ait été pointée vers le groupe de manifestants qui étaient entrés dans les bois et que c'est la raison pour laquelle un membre non identifié se trouvant dans les bois a dit : [traduction] « Gardez les mains en l'air les gars, gardez les mains vides. » La Commission conclut également qu'il est plus probable que le contraire que, lorsqu'un manifestant a dit [traduction] « Éloignez ce pistolet de ma foutue poitrine » à un membre non identifié se trouvant dans les bois, ce membre pointait une arme à feu vers les manifestants.

[415] Compte tenu de ce qui précède, il est raisonnable de conclure qu'un membre du GTI a pointé une arme à feu vers les manifestants qui étaient entrés dans les bois.

[416] Comme il a été indiqué précédemment, le MIGI précise que le principal objectif de toute intervention est la sécurité des agents de la force publique et du publicNote de bas de page 85. Les membres doivent évaluer le risque que pose un sujet et déterminer le niveau d'intervention approprié, qui peut comprendre le recours à la force. Le MIGI évoque le concept de proportionnalité entre le comportement d'une personne et l'intervention policière, compte tenu de l'ensemble des circonstances. Au moment d'évaluer un incident suivant le MIGI, il importe de tenir compte des divers facteurs énumérés plus haut.

[417] Dans la situation présente, le fait qu'une arme à feu a été prétendument pointée s'est produit lorsque des manifestants, des membres du GTI et un maître-chien se sont rencontrés dans les bois. Comme il est décrit ci-dessus, il y avait eu une confrontation entre un manifestant armé et des membres plus tôt dans la matinée. Des manifestants inconnus cachés dans les bois avaient également lancé des cocktails Molotov sur des membres qui s'approchaient du campement. Dans ces circonstances, les membres avaient des motifs raisonnables de soupçonner que d'autres manifestants pourraient être armés ou déplacer des armes à feu ou des engins explosifs à travers les bois.

Conclusions

  • 27) Les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs en raison de la confrontation avec un manifestant armé qui s'était produite plus tôt dans la journée et parce que des manifestants non identifiés avaient lancé des cocktails Molotov depuis les bois, plus tôt ce jour-là.
  • 28) Étant donné que les membres du Groupe tactique d'intervention avaient des motifs raisonnables de soupçonner que des manifestants dans les bois pourraient transporter des armes à feu ou des engins explosifs, d'après les éléments de preuve dont elle disposait, la Commission conclut que le fait de pointer une arme à feu ne constituait pas un recours déraisonnable à la force dans les circonstances.

Dégagement de la route 134

[418] Comme il est décrit précédemment, pendant ce temps, l'équipe anti-émeute de la Division « H » protégeait le point de contrôle Ouest. La nouvelle de l'opération tactique s'est répandue, et un grand nombre de manifestants se sont rassemblés sur la route 134. Des témoins ont estimé qu'environ 80 manifestants étaient sur les lieux. Les équipes anti-émeute ont commencé à les disperser en formant une ligne avec les membres du GTI qui couvraient les flancs. Tandis qu'ils tentaient d'avancer vers l'ouest, ils se sont heurtés à des manifestants. Des membres ont formé une ligne perpendiculaire à la route et ont avancé dans un mouvement de balayage, ordonnant à plusieurs reprises aux manifestants de [traduction] « bouger, bouger, bouger » tout en avançant.

[419] Certains manifestants n'ont opposé qu'une résistance passive. Ils se sont agenouillés, ont prié ou ont joué du tambour devant le cordon de policiers, tandis que d'autres manifestants ont réagi avec violence à l'opération de la GRC. La vidéo 6772 en offre un bon exemple. Dans cet enregistrement vidéo, les manifestants se sont bagarrés avec les membres de la GRC qui maintiennent la ligne jusqu'à ce qu'ils soient dispersés à l'aide de l'aérosol capsique (poivre).

[420] Tout au long de l'intervention sur la route 134, les membres de la GRC ont dégainé leur arme à feu à divers moments, mais celle-ci était le plus souvent pointée vers le sol.

[421] Dans la vidéo 6337, on voit un membre du GTI (en tenue de camouflage) agenouillé devant le cordon de policiers et pointant un fusil directement vers la foule avant de retourner à sa position, sur le côté du cordon de policiers. La qualité de l'enregistrement vidéo est médiocre. On entend une femme crier : [traduction] « Nous n'avons pas de foutues armes, c'est tout ce que nous avons, nous n'avons pas d'armes. Baissez votre arme. » Quelques secondes plus tard, une femme tenant une plume d'aigle s'agenouille devant le cordon de policiers. La femme qui filme la vidéo répète à quelques reprises : [traduction] « Baissez votre arme! » La foule crie à plusieurs reprises : [traduction] « Lâchez l'arme », mais il n'est pas possible de voir si un membre pointe en fait une arme à feu : la caméra se déplace latéralement le long du cordon de policiers, et aucun membre ne semble pointer d'arme à feu. À ce stade, toutes les parties se taisent, et la femme agenouillée au sol et tenant une plume d'aigle reste immobile.

[422] Une deuxième vidéo (5624) montre ce qui semble être le même incident, sous un angle différent. Cette vidéo a été filmée par le Service de l'identité judiciaire de la GRC, et la qualité de l'image est considérablement meilleure que dans la vidéo 6337. À 02:01:55, le cordon de policiers avance. La foule est agitée et hurle. Un manifestant jette une tasse de café sur les membres. On voit les membres baisser la tête à plusieurs reprises, mais il n'est pas possible de discerner ce qui leur est lancé. Une balle-chaussette est tirée, et d'autres projectiles sont lancés sur le cordon de policiers. À 02:02:17, le cordon de policiers recommence à avancer. Les manifestants reculent. Cependant, des projectiles continuent d'être lancés sur le cordon de policiers. Cela continue pendant un certain temps. Le cordon de policiers avance rapidement. Une autre balle-chaussette est tirée. À 02:04:38, on entend la voix féminine de la vidéo 6337 qui prononce exactement les mêmes paroles. On voit alors le membre du GTI observé dans la vidéo 6337 revenir à sa position, sur le côté de l'équipe anti-émeute. Il porte des vêtements de camouflage avec un chapeau mou, et une écharpe couvre une partie de son visage. Il tient un long fusil clairement étiqueté avec un autocollant orange fluorescent, indiquant que l'arme à feu qu'il tient est chargée de balles-chaussettes. Il baisse le fusil, et lorsqu'il se tourne pour faire face à la foule, il devient évident que le membre du GTI est également muni d'une autre arme à feu, celle-ci sans étiquette orange. Cette deuxième arme à feu pend le long du membre pendant qu'il tient l'arme à feu portant l'étiquette orange. La foule crie [traduction] « lâchez l'arme » et semble adresser ce commentaire à un autre membre qui n'est pas visible à la caméra.

[423] Comme il a été indiqué précédemment, selon le chapitre 17.5. du Manuel des opérations national, intitulé « Recours à la force non meurtrière », l'utilisation de balles-chaussettes est autorisée dans certaines circonstances. Les éléments de preuve vidéo confirment que la foule tentait de franchir physiquement le cordon de policiers. Certains manifestants donnaient des coups de pied et des coups de poing aux membres formant le cordon. D'autres lançaient des projectiles. Les policiers ont réagi face à la foule en émeute en utilisant du gaz poivré et des balles-chaussettes. La Commission conclut que ces moyens constituaient une force raisonnable dans les circonstances.

[424] Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, la Commission conclut que pointer/décharger des armes à feu chargées de balles-chaussettes équivalait à une réaction mesurée au comportement de personnes dont les actes présentaient un danger pour elles-mêmes, les policiers ou le grand public, dans un contexte où d'autres méthodes d'intervention auraient été inopportunes.

Conclusion

  • 29) Pointer/décharger des armes à feu chargées de balles-chaussettes équivalait à une réaction mesurée au comportement de personnes dont les actes présentaient un danger pour elles-mêmes, les policiers ou le grand public, dans un contexte où d'autres méthodes d'intervention auraient été inopportunes.

c) Allégation selon laquelle, le 17 octobre 2013, la GRC a eu recours de façon inappropriée à des chiens de police lorsqu'elle a traité avec des manifestants pacifiques

[425] D'après son examen approfondi des éléments de preuve relatifs à l'opération de la GRC menée le 17 octobre 2013, la Commission comprend que des équipes cynophiles, comprenant chacune un maître-chien et un chien de police, ont été déployées dans les contextes suivants :

  1. Pendant la confrontation au chemin Hannay;
  2. Pendant le ratissage des bois des deux côtés de la route 134 (se déplaçant vers l'ouest en direction du point de contrôle Ouest sur la route 134 );
  3. Pendant le dégagement de la route 134, lorsque des membres ont été accueillis par des manifestants en émeute.

[426] Au moment de son entrevue avec la Commission, le caporal François Ducros était maître-chien à la Division « C » (Québec). Le caporal Ducros a expliqué que les chiens étaient utilisés comme moyen de dissuasion :

[Traduction]
Oui, nous étions donc quelque part ici, et les manifestants essayaient de nous contourner par le flanc, des deux côtés. À l'évidence, nous n'avions pas assez de monde. Les membres de l'équipe anti-émeute étaient occupés à bloquer la route, donc chaque fois que des membres des Premières Nations, les manifestants essayaient de nous contourner par le flanc, nous allions dans les bois avec le GTI et un maître-chien. Le chien est utilisé comme moyen de dissuasion afin d'empêcher, avec un peu de chance, les gens de nous dominer par les flancs, en nous contournant, ou de l'arrière et, s'il le faut, on peut utiliser le chien pour se protéger et comme méthode d'appréhension des criminels. [...] [Non souligné dans l'original.]

[427] Le chapitre 33.1. du Manuel des opérations national est intitulé « Chiens de police et chiens spécialisés ». La politique indique que les chiens de police assurent un service de soutien spécialisé, entre autres, pour « prêter main-forte aux équipes anti-émeute et aux groupes tactiques d'intervention ». La politique précise également que 1) les chiens de police doivent toujours être maîtrisés par leur maître; 2) les maîtres de chiens de police de la GRC sont responsables des actions de leur chien de police; et 3) avant le recours à un chien de police comme méthode d'intervention, le maître-chien doit s'assurer que toute autre mesure d'intervention raisonnable a été envisagée, conformément au MIGI.

[428] Le chapitre 7.E du Manuel des opérations tactiques, intitulé « Service cynophile », prévoit que le chef principal des équipes cynophiles et le chef de l'équipe anti-émeute déterminent s'il faut recourir à une équipe cynophile. Chaque équipe cynophile est formée d'un chien dressé et de son maître et « peut servir à décourager et à » :

1. disperser et contrôler des manifestants turbulents;
2. éviter des blessures et prévenir des dommages à la propriété;
3. aider les cordons de policiers;
[...]
7. aider à l'arrestation des individus; [...].

[429] Dans la politique, il est également précisé que l'équipe cynophile déployée avec une équipe anti-émeute ne doit remplir qu'un rôle défensif et que « [l]ors d'une émeute, d'un rassemblement ou d'une manifestation, les chiens ne doivent être en contact direct avec les manifestants que dans des circonstances exceptionnelles ».

[430] Le maître-chien remplit la formule C-227B après chaque déploiement en précisant où et comment l'équipe a été déployée. La Commission a trouvé trois de ces rapports (« rapports de cas ») dans les documents communiqués par la GRC, mais ces documents ne se rapportaient pas aux événements qui se sont déroulés le 17 octobre 2013.

[431] La Commission a également visionné divers enregistrements vidéo se rapportant au 17 octobre 2013, où l'on peut voir des chiens de police.

Pendant la confrontation au chemin Hannay

[432] Les chiens de police et les maîtres-chiens ont accompagné le GTI pendant la confrontation. Une équipe cynophile particulière est vue debout dans le champ près de la route où se trouvent des Warriors. Le chien de police aboie et tire sur sa laisse de manière agressive. Une équipe cynophile était également présente lorsque les membres se sont déplacés pour arrêter les manifestants occupant une position défensive dans le campement. La Commission n'a trouvé aucun élément de preuve selon lequel les chiens étaient utilisés pour entrer en contact direct avec un manifestant.

Pendant le ratissage des bois des deux côtés de la route 134 (se déplaçant vers l'ouest en direction du point de contrôle Ouest sur la route 134)

[433] Comme il a été décrit précédemment, des équipes cynophiles ont été déployées dans les bois avec des membres du GTI. Le caporal Ducros a expliqué que les chiens étaient utilisés comme moyen de dissuasion. La Commission n'a trouvé aucun élément de preuve selon lequel les chiens étaient utilisés pour entrer en contact direct avec un manifestant.

Pendant le dégagement de la route 134, lorsque les membres ont été accueillis par des manifestants en émeute

[434] Les nombreux éléments de preuve vidéo examinés par la Commission indiquent que des équipes cynophiles ont été déployées dans le cadre du dégagement de la route 134. Toutefois, d'après ce que la Commission peut tirer des éléments de preuve vidéo, elles sont toujours restées derrière le cordon de policiers ou sur son flanc, comme moyen de dissuasion.

[435] La saisie d'écran ci-dessous, tirée de la vidéo 4770, illustre la position prise par les équipes cynophiles lors du dégagement de la route 134 : tous les chiens de police et les maîtres-chiens restent bien derrière le cordon de policiers ou sur ses flancs pendant que les membres de l'équipe anti-émeute affrontent les manifestants :

[436] Un autre exemple de la position adoptée se trouve dans la vidéo 6772, où une bagarre éclate entre la foule et des membres qui maintiennent le cordon de policiers. Le gaz poivré est utilisé, et un maître-chien s'approche de la foule, debout dans l'herbe entre les bois et la route. Le chien de police aboie bruyamment, mais n'interagit jamais directement avec les manifestants belliqueux. En effet, à un moment donné, le rôle décrit par le caporal Ducros est illustré : un manifestant masculin, rejoint peu après par une manifestante, se précipite soudainement dans le fossé, sur le [traduction] « flanc » du cordon de policiers et commence à crier après un maître-chien et un membre du GTI qui tient un fusil. Le maître-chien et le chien de police reculent de quelques pas. Un instant plus tard, les membres obtiennent les renforts de trois membres de l'équipe anti-émeute. Les manifestants ne franchissent pas le cordon de police.

[437] La Commission n'a trouvé aucune preuve de contact physique direct des chiens de police avec les manifestants.

[438] Suivant le chapitre 7.E du Manuel des opérations tactiques, intitulé « Service cynophile)Note de bas de page 86, les équipes cynophiles peuvent servir à décourager afin d'aider à disperser des manifestants turbulents. Les équipes cynophiles doivent remplir un rôle défensif. Les chiens ne doivent être en contact direct avec les manifestants que dans des circonstances exceptionnelles.

[439] Dans son examen des éléments de preuve, la Commission n'a rien trouvé indiquant que les chiens de police ont été utilisés directement contre les manifestants, plutôt que pour décourager uniquement. Par conséquent, l'utilisation des chiens de police était conforme à la politique de la GRC et au MIGI. La Commission fait cependant remarquer qu'elle n'a pas été en mesure de trouver les documents pertinents du rapport de cas C-227B qui doivent être remplis conformément à la politique de la GRC.

Conclusion

  • 30) La Commission n'a trouvé aucune preuve de contact physique direct entre les chiens de police et les manifestants. Les éléments de preuve montrent que les chiens de police ont été utilisés uniquement comme moyen de dissuasion psychologique. Par conséquent, l'utilisation des chiens de police était conforme à la politique de la GRC et au MIGI. La Commission fait cependant remarquer qu'elle n'a pas été en mesure de trouver les documents pertinents du rapport de cas C-227B qui doivent être remplis conformément à la politique de la GRC.

K. Équipement, plan d'urgence et véhicules de la police incendiés

[440] Certains plaignants ont prétendu que la GRC n'avait pas fourni d'équipement de protection adéquat aux membres en cause dans l'exécution de l'ordonnance d'injonction en première ligne, dans l'espoir que certains des membres de la GRC seraient blessés afin que les manifestants soient dénigrés; avait permis, intentionnellement ou par négligence, que des voitures soient incendiées et détruites; et avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC, armées, pour l'exécution de l'ordonnance d'injonction et/ou avait fait appel à des membres de la GRC comme agents provocateurs pour infiltrer la foule de manifestants et provoquer ouvertement la violence.

[441] Après avoir procédé à un examen approfondi des documents qui lui ont été communiqués, et après avoir examiné les entrevues des membres hauts gradés responsables de l'opération le 17 octobre 2013, la Commission n'a rien trouvé indiquant que les membres de la GRC étaient [traduction] « mal équipés, de sorte que certains pourraient subir des dommages physiques qui entraîneraient le dénigrement des manifestants ».

Conclusion

  • 31) Les éléments de preuve présentés à la Commission n'étayent pas l'allégation selon laquelle, le 17 octobre 2013, les membres de la GRC étaient [traduction] « mal équipés, de sorte que certains pourraient subir des dommages physiques qui entraîneraient le dénigrement des manifestants ».

[442] La Commission fait observer que, en ce qui concerne la possibilité que des armes soient présentes sur le site des manifestations, dans une section intitulée « Dangers pour la sécurité des officiers » (Officer Safety Hazards), il est énoncé ce qui suit dans le plan opérationnel tactique :

[Traduction]

Il y a [...] des renseignements selon lesquels des armes à feu sont facilement accessibles à certaines personnes sur le site des manifestations. Jusqu'à présent, il n'y a aucune observation confirmée d'armes à feu sur le site des manifestations. [...] Nous serons informés si des armes à feu sont vues sur le site des manifestations.

[443] Il était également souligné ce qui suit dans le plan :

[Traduction]

REMARQUE : À la discrétion des chefs des équipes anti-émeute, du commandant des interventions et selon les procédures opérationnelles réglementaires (POR), les décisions seront prises quant à la meilleure façon de faire face à toute menace ou résistance rencontrée (voir la matrice de prise de décisions tactiques).

[444] Permettre la discrétion et la souplesse dans la prise de décisions est essentiel dans toute opération dynamique. Cela dit, malgré l'absence de preuve confirmée de la présence d'armes à feu au campement, il y aurait eu une quantité importante de renseignements à ce sujet. Ces renseignements ont été mentionnés à plusieurs reprises par des membres lors des discussions sur le bien-fondé de l'opération. Il aurait donc été raisonnable que le plan opérationnel tactique prévoie un plan d'urgence concernant la présence possible d'armes à feu et d'explosifs au campement.

Conclusion

  • 32) Bien qu'il n'y ait pas eu de renseignements fiables sur la présence d'armes à feu au campement, plusieurs rumeurs ont circulé à cet effet. Il aurait donc été raisonnable que le plan opérationnel tactique prévoie un plan d'urgence concernant la présence possible d'armes à feu et d'explosifs au campement.

[445] En ce qui concerne l'équipement que devaient porter les membres de l'équipe anti-émeute, les officiers supérieurs de la GRC devaient tenir compte de nombreux facteurs. Comme il a été décrit précédemment, la tension avait augmenté; de nombreuses menaces avaient été proférées; un blocus avait été imposé; et des rumeurs d'armes à feu et d'explosifs circulaient. Lorsqu'on se lance dans une opération dans de telles circonstances, la sécurité doit être une priorité.

[446] À mesure que les événements se déroulaient et que la situation se détériorait, il devenait évident que des membres devraient être déployés en équipement anti-émeute complet (niveau 4). La question se pose : si la situation avait été mieux contrôlée et s'il y avait eu moins de retards, les membres auraient-ils porté de l'équipement de niveau 4 depuis le début de l'opération?

[447] Néanmoins, il y avait des raisons impérieuses pour les équipes anti-émeute d'utiliser de l'équipement de niveau 2. Aucun renseignement n'a été confirmé concernant la présence d'armes à feu ou d'explosifs. En outre, le fait qu'un large contingent de membres s'approche du blocus et du campement en équipement anti-émeute complet, une présence sans doute intimidante, pourrait très bien avoir inutilement enflammé une situation déjà instable. En fait, le sergent Brown a exprimé cette préoccupation aux enquêteurs de la Commission. De plus, certaines des équipes anti-émeute devaient s'approcher de la scène par les bois; comme l'a expliqué le sergent d'état-major Bernard, le port de l'équipement volumineux de niveau 4 aurait rendu cette approche plus difficile, et le fait de porter l'équipement de niveau 2 permettrait sans doute aux membres d'être plus agiles dans leur réaction aux menaces, en pouvant utiliser les deux mains, d'accéder rapidement aux options d'intervention ou de se coucher au sol face à une menace.

[448] La Commission conclut que, dans les circonstances et conformément à l'approche modérée, il n'était pas déraisonnable de demander initialement aux équipes anti-émeute de porter l'équipement de niveau 2 le 17 octobre 2013.

Conclusion

  • 33) Dans les circonstances et conformément à l'approche modérée, il n'était pas déraisonnable de demander initialement aux équipes anti-émeute de porter l'équipement de niveau 2.

[449] La détérioration de la situation au point de contrôle Ouest a été décrite ci-dessus.

[450] Pendant que cela se produisait, quelqu'un a commencé à incendier des voitures de la GRC qui étaient garées à l'ouest du poste de contrôle Ouest. Plusieurs vidéos du secteur montrent qu'il s'agissait effectivement d'une scène d'émeute à ce stade.

[451] Comme il est décrit plus en détail ci-dessous, il n'y avait pas de plan d'urgence pour faire face à une telle situation, et les membres ont dû improviser.

[452] Le plan opérationnel tactique du 17 octobre 2013 prévoyait que trois véhicules de police banalisés devaient être en place au poste de contrôle Ouest avant l'opération. Le plan prévoyait que 24 membres [traduction] « sont affectés à chaque point de contrôle de manière égale ». De plus, le plan comprenait les mesures suivantes :

[Traduction]

L'équipe anti-émeute de la Division « H », l'EIR 1 de la Division « J », une équipe cynophile, l'EEO et le Groupe des interventions médicales d'urgence (GIMU) de la Division « J » se dirigent vers la bretelle d'accès en direction nord de la sortie 53, descendent des autobus et continuent en direction ouest sur la route 134 par le point de contrôle Est avec pour tâche de dégager le site du chemin Hannay et de déplacer les manifestants vers l'ouest sur la route 134 jusqu'à un point à déterminer par l'équipe anti-émeute.

a) L'équipe anti-émeute de la Division « H » sera accompagnée de deux véhicules de police identifiés, chargés de former un barrage physique pour l'équipe au besoin et à la discrétion du chef de l'équipe anti-émeute.
b) L'EIR 1 de la Division « J » et une équipe cynophile restent au point de contrôle Est pour aider les membres déjà à ce poste.
c) L'EEO et le GIMU de la Division « J » sont en place au point de contrôle Est pour aider les équipes anti-émeute des Divisions C, H ou L.

[453] Deux véhicules de police banalisés devaient être positionnés pour bloquer physiquement la route 134 au point de contrôle Ouest :

[Traduction]

a) Le point de contrôle Ouest est déplacé (avec tous les membres) de l'emplacement actuel à l'intersection de la route 134 et de la rue Beattie; du côté ouest de la route 505 (cela fournira une voie d'évacuation aux manifestants).
b) L'EIR 4 de la Division « J » ainsi que l'EIR 5 et l'équipe cynophile se rendent au point de contrôle Ouest afin d'aider les membres déjà à ce poste. Des véhicules de police non banalisés seront positionnés pour bloquer physiquement la route 134.

[454] Le plan ne prévoyait pas que les véhicules de police seraient laissés sans surveillance. Cependant, la séquence des événements ne s'est pas déroulée comme prévu.

[455] La Commission a examiné plusieurs vidéos montrant les véhicules de police en flammes. Aucun membre n'est vu à proximité des véhicules en feu. Dans la vidéo 6327, le cordon de policiers est composé de nombreux membres, immobiles, munis de boucliers. Six manifestants sont dispersés plus loin sur la route devant le cordon. Lorsque la personne qui enregistre la scène se retourne, on peut voir plus de manifestants sur la route et, plus loin derrière eux, une fumée noire qui monte. En somme, il semble que les voitures de police en flammes et les membres de la GRC soient séparés par les manifestants.

[456] Interrogé au sujet des véhicules de police incendiés le 17 octobre 2013, le gendarme Jonathan Greer a expliqué que deux des véhicules brûlés sur la route 134 y étaient stratégiquement placés pour restreindre l'accès des véhicules civils à la zone où les équipes anti-émeute étaient déployées. Il a déclaré que, lorsque la manifestation est devenue violente, ces véhicules de police ont été incendiés et poussés ultérieurement hors de la route par des camions conduits par des manifestants pour menacer davantage les policiers :

[Traduction]

Enquêteur : Ces véhicules de police, quand ils – quand vous avez dit qu'ils utilisaient un chasse-neige ou autre chose, qu'ils ont poussé au bulldozer les voitures sur le côté, avant cela, est-ce que – est-ce que ces véhicules de police étaient placés là comme...

Gendarme Jonathan Greer : Comme un barrage.

Enquêteur : Comme un barrage?

Gendarme Jonathan Greer : Sur la route pour que les véhicules soient – je suppose pour ralentir les gens à pied ou pour empêcher les véhicules de...

[457] Il a expliqué que, compte tenu de la tournure des événements, ces véhicules de police ont dû être abandonnés à un moment donné :

[Traduction]

Gendarme Jonathan Greer : Durant notre opération... Ces voitures ont été abandonnées à un moment donné parce que – les membres qui étaient là sont devenus débordés, je pense, à cause du nombre de personnes qui venaient de l'ouest.

Enquêteur : D'accord, mais ces voitures ont été mises là comme – elles étaient là comme un barrage, pour protéger les membres de la GRC qui étaient...

Gendarme Jonathan Greer : C'est ce que je crois comprendre, c'est ce que je crois comprendre.

Enquêteur : ... au – au barrage routier. Je veux dire...

Gendarme Jonathan Greer : Pour empêcher le trafic de passer.

[458] Le gendarme Greer a également émis l'hypothèse (mais n'était pas certain) que la GRC n'a pas tenté de protéger les véhicules restants une fois les premiers incendiés, car cela aurait été trop dangereux :

[Traduction]

Enquêteur : D'accord, est-ce que votre chef de l'équipe anti-émeute a pris des mesures, une fois que l'on a constaté qu'un premier véhicule était en flammes, afin de protéger les autres véhicules ou...

Gendarme Jonathan Greer : Je n'ai pas pris part à la planification. Je ne peux donc pas dire ce qu'ils étaient – vous savez, ce que nos gestionnaires ou commandants pensaient ou disaient. Je pense que notre propre point de vue était qu'il aurait été trop dangereux de tenter de protéger les autres voitures. Je veux dire, une voiture est une voiture. Je veux dire – il y avait des munitions à l'intérieur, et le réservoir d'essence. Les risques, je pense, pour aller protéger ces véhicules auraient été trop élevés et, en plus, de nombreux manifestants étaient là autour de ces voitures de police, donc cela aurait – je pense que nous étions plus en sécurité là où nous étions, juste en restant en retrait. [Non souligné dans l'original.]

[459] Le commandant des interventions, le surintendant Maillet, a décrit comment les membres ont été appelés afin de renforcer le cordon de policiers compte tenu de la violence croissante démontrée par les manifestants et comment, au moment où sont arrivés les renforts, les membres ont fini par garer des véhicules de police à divers endroits et à les laisser sans surveillance :

[Traduction]
Surintendant Gilles Maillet : Je ne peux pas me prononcer à ce sujet, mais après que les gens ont commencé à se présenter ici, Harry Brown m'a dit, Gilles, réunis huit gars et va aider les membres à la barrière ouest. Nous avons pris nos véhicules et nous les avons apportés ici parce que j'ai dit Harry, tu veux que nous marchions. Il a dit non, prenez vos véhicules.

Nous avons garé nos véhicules. À ce moment-là, c'était très intense, et des gens commençaient à pousser les membres et essayaient de franchir la barrière ouest afin d'aller aider les gens qui étaient là. Je suis probablement arrivé vers 9 h 30. Je pense que c'est à 9 h 45 à la barrière ouest. Après cela, nous avons formé un cordon, nous avons renforcé le cordon, barrière ouest, pour aider les membres qui étaient déjà là, juste pour nous assurer que d'autres personnes n'y aient pas accès. [Non souligné dans l'original.]

[460] Le caporal André Royer a décrit une scène similaire :

[Traduction]
Caporal André Royer : À ce moment-là, la notion d'équipe n'existe plus vraiment en raison du traitement des personnes appréhendées, de l'enceinte et d'une situation ailleurs. Et pendant que je remets ma personne appréhendée à Ayotte – pas ma personne appréhendée, mais les personnes appréhendées que nous avons escortées jusqu'à Ayotte, nous avons entendu à la radio qu'on prenait le contrôle de la barrière ouest et que beaucoup de gens venaient du village, et qu'ils avaient besoin de renforts là-bas pour renforcer le cordon, pour contrôler la foule... J'étais donc avec le sergent d'état-major Gilles Maillet à ce moment-là... Donc, il y a – il y a quelques membres, et je ne sais pas combien nous étions, je veux dire six ou huit, au moins, un groupe qui a quitté le sentier de VTT et l'enceinte pour offrir un soutien à la barrière ouest. Nous sommes montés dans une voiture de police et avons roulé depuis le sentier de VTT sur la route 11 et avons traversé Rexton et garé les voitures – en fait, les voitures qui ont été incendiées étaient celles que nous avions utilisées pour nous rendre là-bas.

[...]

André Royer : [...] Donc, à 9 h 45, c'est à ce moment-là que je me dirige vers la barrière ouest. Et là, j'ai 9 h 52, nous étions – nous arrivions, nous avons garé nos voitures et avons ensuite offert notre soutien aux membres parce que, à ce moment-là, tout ce que nous – tout ce que nous entendons à la radio, c'est nous avons besoin de plus de gens ici nous avons besoin de renforts, c'est fou...

Enquêteur : D'accord. Donc 9 h 52, vous êtes à la barrière ouest. À ce moment-là, lorsque vous êtes arrivé, vous auriez passé devant les deux véhicules de police qui étaient garés sur la route?

André Royer : Oui, mais ils n'étaient pas incendiés à ce stade. Ils étaient garés là, un peu comme des obstacles – oui, oui. Ce n'était pas une situation idéale pour nous parce que nous devions traverser la foule, puis nous rendre à l'arrière du cordon de policiers, donc ce n'est pas comme ça que les choses se font habituellement, mais – [Non souligné dans l'original.]

[461] L'enquêteur de la Commission a demandé au sergent d'état-major Brian Byrne de présenter le détail du plan de protection des véhicules de police à l'intérieur de ce qu'il a appelé la [traduction] « zone sensible ». Le sergent d'état-major Byrne a expliqué que les choses ne se passaient pas comme prévu et que les membres devaient improviser :

[Traduction]
Sergent d'état-major Brian Byrne : Mais je ne savais même pas qu'il y avait – qu'il y avait une sorte d'obstruction là-bas ou des véhicules de police. Je ne savais pas. Je ne sais pas si c'était improvisé ou non, alors j'ai – ma tâche était censée se terminer ici quand, vous savez, je déplaçais des gens sur la route 134. Donc le plan n'était pas que je – je me précipite sur la route 134, et, vous savez, comme je vous l'ai dit, ça ne se passe jamais comme prévu. Alors, j'ai été appelé pour soutenir les membres qui étaient déjà là, puis pour contrôler la situation, vous savez, pour essayer de limiter l'accès aux personnes à l'intérieur et contrôler la situation. Et nous devions bouger – nous remontons un peu pour bloquer les sentiers, comme je vous l'ai dit. Il y avait des gens dans –dans le bois, comme je – il y avait des sentiers. Et la – la situation a changé quand nous pointions des armes à feu et ensuite quand ils ont trouvé des explosifs dans – sous certaines tentes et tout ça. J'étais donc un peu – nous étions, vous savez, en train d'obtenir un peu plus de renseignements et tout ça, donc – mais cela a pris du temps. Et ce n'était pas dans les cinq premières minutes et tout ça. Mais vous savez, quand nous avons vu les cocktails Molotov lancés sur nos membres – c'était la Division « J », je pense, qui venait de cette direction de l'enceinte où se trouvaient les camions, et donc nous étions en quelque sorte – beaucoup d'improvisations à ce moment-là, vous savez. Cela ne s'est pas passé – ne s'est pas déroulé comme prévu. Alors – et puis j'ai vu les voitures de police là-bas, j'ai dit qu'est-ce qu'elles font là-bas? Et puis tout d'un coup, j'ai vu un membre... il s'est précipité vers le cordon, a traversé le cordon, pour nous rejoindre. Alors j'ai dit qu'est-ce qui se passe? Ah, dit-il, nous avons cinq, six voitures, des camions, un Suburban – un Suburban, et différents types de véhicules, des véhicules de police... incendiés et tout ça.

Mais je pense que la menace à ce moment-là – j'ai dit que ces gens étaient totalement inconscients. Ils brûlent – ces véhicules explosaient. Et les enfants et, vous savez, les écoles, ils étaient près de l'école et tout – c'est un – [Non souligné dans l'original.]

[462] Le commandant des interventions, le surintendant Maillet, a expliqué que les voitures avaient été utilisées comme barrage physique :

[Traduction]
Surintendant Gilles Maillet : Oui. Oui, oui, oui. (Inaudible) [...] J'ai en quelque sorte été critiqué pour ça, non? Pour – je suppose l'histoire des voitures, parce que je me souviens que j'étais à Fredericton quand la nouvelle est sortie, ou quelqu'un a appelé la station de Fredericton (inaudible – bruit) et a dit qui diable dirigeait ce poste de commandement, bla-bla-bla, comment ont-ils pu laisser partir la police – six voitures de police ont été incendiées, la-ta-ta-ta-ta. Et je disais ouf! n'est-ce pas? Donc – donc ce sont les vrais faits au sujet des voitures de police, n'est-ce pas? Est-ce que c'était prévu? Non, ce n'était pas prévu que – que – c'est vrai, que nous ayons déplacé six voitures de police. Cependant, j'étais d'accord pour déplacer six voitures de police, n'est-ce pas?

Donc, ce qui s'est passé, c'est que nous – nous avons dû avoir des barrages. Nous devions pouvoir bloquer, n'est-ce pas, avec des barrages. L'option était donc des barrages rigides, des barrages souples. Avec un barrage rigide – si quelque chose se produit, vous êtes coincé avec un barrage rigide. Si vous devez partir pour la sécurité de vos agents, comment pouvons-nous – comment prenez-vous – vos – si ce sont des barrages rigides, vous ne pouvez pas partir. Alors, le barrage souple est le meilleur moyen, n'est-ce pas? Donc voilà. Nous avons donc de la chance que ces deux – les deux premières voitures qui ont été incendiées étaient deux vieilles voitures, n'est-ce pas? Et elles ont juste été incendiées. [Non souligné dans l'original.]

[463] Il a en outre expliqué que, à un moment donné de la journée, la GRC s'est rendu compte que les véhicules de police étaient en danger, mais que les voitures étaient [traduction] « coincées » parce qu'on ne pouvait pas retrouver les clés. De plus, il laisse entendre qu'il aurait été trop dangereux de tenter de déplacer les véhicules vu le nombre de manifestants et l'instabilité de la situation :

[Traduction]
Surintendant Gilles Maillet : [...] Mais je me souviens quand cela s'est produit, n'est-ce pas? Les gens disaient – sont venus au poste de commandement, et j'oublie quelle heure de la journée c'était, mais de toute façon, ils ont dit Gilles, nous avons des voitures qui sont coincées là-bas, et il y a un risque pour les voitures. Et alors nous devrons récupérer les clés. Ils ont dit nous ne savons pas qui a les clés. Eh bien, j'ai dit – et j'ai donc utilisé un gros mot. J'ai dit trouvez juste les foutues – trouvez les clés. Il doit y avoir quelqu'un qui a accès à ces clés. Bref, quand vous avez plusieurs centaines de personnes – plus de manifestants arrivaient, vous savez, comme ça, nous avons perdu six voitures. Alors, c'est une déception, mais nous avons perdu six voitures. Mais ça fait toujours mal de voir ça quand on voit ça brûler.

Enquêteur : D'accord.

Surintendant Gilles Maillet : À la télévision nationale, vous voyez des voitures de police brûler, et pas – ce n'est pas (inaudible) mais qu'est-ce que vous – que voulez-vous faire? Donc voilà. Mais non, ce n'était pas – nous n'avions pas prévu de perdre des voitures de police. Non. Non. [Non souligné dans l'original.]

[464] Les déclarations ci-dessus révèlent que, bien que la GRC ait prévu que des membres de la collectivité puissent converger vers le site des manifestations pendant l'opération, elle n'avait pas préparé de plan d'urgence pour cette éventualité. Les membres qui ont participé à l'opération ce jour-là ont fait de leur mieux pour réagir face à la situation en constante évolution et ont fourni un renforcement partout où cela était nécessaire. En conséquence, certains véhicules de police ont été laissés sans surveillance, et quelqu'un les a incendiés.

[465] Il était raisonnable que la GRC ait décidé d'utiliser des véhicules de police comme barrage [traduction] « mobile ». Il était prévu que le point de contrôle en question soit doté d'un nombre de membres que l'on considérait comme suffisant compte tenu des ressources disponibles. Cependant, la situation sur le terrain a considérablement chamboulé les plans.

[466] Les opérations au blocus et au campement ont pris beaucoup plus de temps que prévu et ont occupé un grand nombre de membres. Au fil du temps, le [traduction] « flanc » ouest était confronté à un nombre croissant de manifestants agressifs et en colère qui se sont rassemblés, en grande partie, en réponse aux messages sur l'opération diffusés sur les médias sociaux. Les ressources ont été redirigées de façon improvisée. Quelques erreurs ont suivi.

[467] Au bout du compte, la mêlée a été maîtrisée sans perte de personnes ni blessure grave. Une fois que la situation s'était détériorée, dans les circonstances, il était raisonnable pour les membres d'accorder la priorité à la sécurité de toutes les parties et au maintien de l'ordre plutôt que de tenter de préserver les véhicules de police. Finalement, l'incendie des véhicules incombait à la ou aux personnes qui les avaient illégalement incendiés.

[468] Cela dit, la Commission conclut que, dans l'ensemble des circonstances, il aurait été raisonnable pour la GRC d'avoir un plan d'urgence prévoyant la possibilité d'un grand nombre de manifestants agressifs sur la route 134.

Conclusions

  • 34) Il était raisonnable que la GRC ait décidé d'utiliser des véhicules de police comme barrage [traduction] « mobile ». Une fois que la situation s'était détériorée, dans les circonstances, il était raisonnable pour les membres de la GRC d'accorder la priorité à la sécurité de toutes les parties et au maintien de l'ordre plutôt que de tenter de préserver les véhicules de police. Finalement, l'incendie des véhicules incombait à la ou aux personnes qui les avaient illégalement incendiés.
  • 35) Dans l'ensemble des circonstances, il aurait été raisonnable pour la GRC d'avoir un plan d'urgence prévoyant la possibilité d'un grand nombre de manifestants agressifs sur la route 134.

Fermeture des écoles

Faits

[469] Le plan opérationnel tactique prévoyait la notification des deux écoles situées à proximité immédiate du blocus, dans l'espoir qu'elles fermeraient avant le début de l'opération. À la dernière minute, le surintendant Maillet a décidé de modifier ce plan. La justification de ce changement a été expliquée par le surintendant Maillet dans son entrevue avec les enquêteurs de la Commission :

[Traduction]
Si nous avons informé l'école à l'avance de ne pas ouvrir – de ne pas ouvrir ce matin, qu'est-ce que cela signifie? Sommes-nous – mettons-nous plus de personnes en danger en montrant ce que nous faisons? Premièrement. Deuxièmement, si les enfants ne sont pas à l'école, où vont-ils être? Vont-ils manifester avec les parents? Vont-ils être sur le site? Hein? C'était une autre chose que nous devions envisager, non? Parce qu'alors ils pourraient tous venir librement sur le site, aux manifestations, dans les bois, etc., et être plus à risque. Non? C'est pourquoi il a été décidé qu'ils étaient probablement plus en sécurité à l'école. Lorsque ce plan sera mis en place, nous veillerons à ce qu'ils restent à l'école... Mais nous en avons débattu en tant que groupe pour voir ce qui a plus de sens, ce qui est plus sûr pour tout le monde. N'est-ce-pas? Et à la fin, j'ai pris la décision que non, nous n'allons pas leur donner un avertissement.

[470] Cependant, le plan de circulation annexé au plan opérationnel tactique prévoyait la fermeture des bretelles de sortie de la route 11 à la route 134 en direction ouest, ce qui a empêché les autobus scolaires de se rendre aux écoles et ils se sont retrouvés coincés sur le côté de la route pendant plusieurs heures.

Analyse

[471] La décision du surintendant Maillet de ne pas informer les écoles était raisonnable. Il était logique de conclure que le fait de donner un préavis aux écoles pourrait avoir pour effet de divulguer les plans de la GRC et de [traduction] « prévenir » les manifestants qu'une opération était imminente. La préoccupation que des enfants soient exposés à l'opération tactique était également valable.

[472] La décision simultanée de fermer certaines parties des routes environnantes a mené à la situation malheureuse où certains enfants se sont retrouvés coincés dans des autobus pendant des périodes relativement longues. Il aurait donc été prudent que la décision concernant la notification ait été prise plus tôt et que le plan opérationnel tactique ait été modifié pour garantir que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération.

Conclusion

  • 36) La décision de ne pas informer les écoles au sujet de l'opération imminente était raisonnable, même s'il aurait été prudent que le plan opérationnel tactique ait été modifié pour garantir que les enfants puissent se rendre à l'école avant le début de l'opération.

L. Recours allégué à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC et/ou à des agents provocateurs

Faits

[473] Plusieurs manifestants interrogés par les enquêteurs de la Commission ont laissé entendre que l'incendie des véhicules de la GRC avait été fait par des personnes déguisées en manifestants, mais en fait agissant comme des agents provocateurs de la GRC. Cette théorie a vu le jour à la suite de plusieurs facteurs mentionnés par des témoins.

[474] Deux manifestants interrogés par les enquêteurs ont dit que les voitures qui avaient été incendiées semblaient avoir été vidées et n'étaient pas en état de rouler, et n'étaient donc que des accessoires. D'autres manifestants ont remarqué que les membres de la GRC qui gardaient les voitures sont tous partis soudainement et que les auteurs du délit se sont présentés. Ils étaient masqués et ne semblaient faire partie d'aucun des groupes de manifestation habituels. La théorie a également été encouragée par la diffusion sur Internet d'affiches censées identifier l'auteur de l'infraction comme informateur de la GRC et de la CIA.

[475] Cependant, une manifestante a dit aux enquêteurs de la Commission qu'elle avait rencontré une femme âgée d'Elsipogtog qui avait été aspergée de poivre, et cette dernière a dit à son fils de [traduction] « brûler les voitures de la GRC ». La manifestante n'a pas voulu donner le nom de la femme aînée.

[476] Le surintendant principal Gallant, officier responsable des opérations criminelles de la Division « J », a nié catégoriquement cette théorie. Il a dit : [traduction] « Que des gens insinuent même que nous brûlerions nos propres voitures dépasse ma compréhension, que des citoyens dans ce pays puissent croire que la police ferait cela... Non, nous n'avons certainement brûlé aucune de nos voitures et, non, pour ce qui est de la provocation active, nous ne nous y sommes pas engagés du tout, et je ne m'attendrais pas non plus à ce qu'aucun aspect de notre organisation se livre à une telle activité. »

Analyse

[477] La question du recours à des agents provocateurs a été posée aux membres supérieurs responsables de l'opération du 17 octobre 2013 par les enquêteurs de la Commission. Tous ont nié que des agents provocateurs ont été utilisés ce jour-là ou que la GRC a joué un rôle actif dans la promotion de cet événement. De plus, la Commission a procédé à un examen approfondi des documents relatifs à l'opération du 17 octobre 2013 et n'a trouvé aucune preuve étayant l'allégation selon laquelle la GRC aurait pu contribuer au fait que les véhicules de police soient incendiés ou autrement le permettre.

Conclusion

  • 37) Il n'y a aucune preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle la GRC a eu recours à des agents provocateurs le 17 octobre 2013.

[478] Tel que mentionné précédemment, certains plaignants ont prétendu que la GRC avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC, qui étaient armées, pour l'exécution de l'ordonnance d'injonction.

Faits

[479] Cette croyance peut provenir du fait que certains membres de la GRC portaient des uniformes que le grand public ne voit pas souvent, comme en témoignent les photographies suivantes prises le 17 octobre 2013 :

[480] Sur certaines de ces photos, le logo de la GRC est clairement visible, et sur d'autres, il ne l'est pas. La partie 2 du Manuel des opérations tactiques est intitulée [traduction] « Groupe tactique d'intervention », et le chapitre 2.2., intitulé « Équipement, armes à feu et formation », fournit des renseignements concernant l'équipement du GTI. Il traite brièvement des exigences relatives à l'habillement à l'article 1.6. : « Le membre GTI doit porter l'uniforme du GTI lorsqu'il remplit des fonctions GTI ou qu'il suit la formation GTI. » Il n'y a pas d'autres renseignements concernant les différents codes vestimentaires en vigueur.

Analyse

[481] Dans son examen des documents divulgués par la GRC, la Commission n'a trouvé aucune preuve établissant que la GRC avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC dans le cadre de l'opération du 17 octobre 2013. Entre autres choses, la Commission a examiné les documents suivants :

  • Le plan opérationnel tactique relatif au 17 octobre 2013. Aucune personne qui n'est pas membre de la GRC n'a pris part à l'exécution de l'injonction conformément au plan opérationnel tactique.
  • Politiques de la GRC. Selon la partie 2 du Manuel des opérations tactiques, intitulée [traduction] « Groupe tactique d'intervention », tous les membres du GTI doivent avoir terminé avec succès le cours de formation applicable de la GRC (voir l'article 2.2.10.). Des critères de sélection rigoureux sont également décrits à l'article 2.1., notamment : [traduction] « Un candidat GTI retenu doit [...] être un membre régulier volontaire de la GRC, avec un minimum de deux ans d'expérience des tâches policières opérationnelles, à moins de circonstances exceptionnelles au niveau de la division. » [Non souligné dans l'original.]
  • Plan confidentiel des mesures de sécurité et d'urgence (Confidential Security and Emergency Plan) de SWN. Le plan définit le rôle et les responsabilités de l'organisation de sécurité privée dont SWN a retenu les services. Le rôle du personnel de sécurité privé à l'égard de la GRC ne se limite qu'à assurer la liaison et la communication avec les membres de la GRC. Le plan contient un organigramme détaillé montrant que la GRC est une entité distincte de l'entreprise de sécurité privée.

[482] Plus précisément en ce qui concerne les membres portant un équipement de camouflage, ces personnes étaient membres du GTI. Comme l'a expliqué le sergent Audoux, coordonnateur des équipes anti-émeute pour le GTI de la Division « J », ainsi que divers autres membres de la GRC, les membres du GTI déployés le 17 octobre 2013 portaient des vêtements de camouflage.

[483] La Commission n'a trouvé aucune preuve établissant qu'on avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC pendant l'opération le 17 octobre 2013.

Conclusion

  • 38) La Commission n'a trouvé aucune preuve établissant qu'on avait fait appel à des personnes qui ne sont pas membres de la GRC pendant l'opération le 17 octobre 2013.

M. Les suites du 17 Octobre 2013

[484] Avant les manifestations, le Détachement d'Elsipogtog de la GRC avait établi une relation étroite avec la collectivité. Cette relation s'est poursuivie pendant les manifestations jusqu'au 17 octobre 2013, principalement parce que les membres du détachement ont maintenu leurs fonctions habituelles et n'ont pas participé aux lignes de front sur les sites des manifestations ni à aucune des arrestations effectuées pendant les manifestations. La décision de garder les membres du détachement à l'écart des services de police de première ligne a été approuvée par la direction du district et l'officier responsable des enquêtes criminelles. Après le 17 octobre 2013, les choses ont changé.

[485] Le caporal Tomlinson, membre autochtone, avait été au Détachement d'Elsipogtog de la GRC depuis dix ans et demi avant d'être muté à Montréal. Il a été rappelé lors des manifestations contre le gaz de schiste en raison de ses liens avec la collectivité d'Elsipogtog. Le caporal Tomlinson a dit que [traduction] « [a]près le 17 octobre, nous entendions beaucoup d'histoires de méfiance à l'égard de la GRC... à ce moment-là, la relation entre la GRC et la collectivité d'Elsipogtog s'est rapidement détériorée ». La nuit suivant la descente, le détachement a été la cible de bombes incendiaires. Le détachement a été contraint de déménager loin de la réserve.

[486] Le sergent Ward, commandant du Détachement d'Elsipogtog, a dit que, après le 17 octobre 2013, il s'agissait évidemment d'une [traduction] « phase difficile compte tenu de l'incident qui était survenu à Rexton, pour réintégrer la collectivité et tenter de reconstruire et de réparer certaines de ces relations qui ont été endommagées ». Le surintendant principal Gallant a dit que l'opération [traduction] « a détruit tout ce que nous avions construit ici depuis des années, comme les résultats du travail de plusieurs commandants et officiers responsables des enquêtes criminelles et d'officiers individuels. Vous savez, seulement un événement, vous avez détruit tout cela maintenant. Cela va nous prendre des années pour nous en remettre ».

[487] Le caporal Yanick Soucy, membre du GTI de la Division « J » qui était en poste au Détachement de Richibucto, a affirmé qu'un segment relativement petit de la collectivité d'Elsipogtog soutenait les manifestations contre le gaz de schiste. Il a affirmé que les autres appuyaient la GRC pendant les manifestations. Le caporal Soucy a raconté que les membres de la collectivité apportaient de la nourriture — du café et des beignes — aux membres du détachement. Toutefois, ils n'étaient pas heureux des fermetures de routes. L'entrevue du caporal Soucy ne montre pas clairement si la collectivité en général a blâmé la GRC ou les manifestants pour les fermetures. Interrogé sur l'humeur de la collectivité au sujet du gaz de schiste au moment de son entrevue (5 novembre 2015), il a répondu : [traduction] « Nous n'en entendons plus beaucoup parler. »

[488] Après les manifestations, il y a eu une certaine réconciliation. Des négociations ont eu lieu entre le commandant du détachement, le sergent Ward, et le chef d'Elsipogtog pour un retour progressif au maintien de l'ordre normal. Cela a été approuvé. Le sergent Ward a commencé à tenir des séances de liaison quotidiennes avec des membres clés de la collectivité et des Aînés. Le caporal Tomlinson a décrit une cérémonie de guérison qui a eu lieu au détachement, menée par l'une des Aînées. Plusieurs autres Aînés et la plupart des membres du détachement y ont assisté. Après la cérémonie, ils ont discuté d'un certain nombre de questions, puis ont fait venir un psychologue et ont organisé une table ronde sur les tensions entre les peuples autochtones et la police. Le sergent Ward a expliqué avoir suivi la formation sur les perceptions autochtones. Il s'agissait d'un cours de cinq jours à l'échelle communautaire, organisé localement avec des Aînés de la collectivité et des membres de la GRC ainsi que des partenaires du ministère de la Justice. Enfin, un protocole a été établi pour permettre la communication et le dialogue dans les futures situations de conflit concernant les questions autochtones. La Commission soutient et encourage ces efforts de réconciliation.

Décision

[489] Ayant examiné la plainte, la Commission soumet par la présente son rapport intérimaire à la suite d'une enquête d'intérêt public, conformément au paragraphe 45.76(1) de la Loi sur la GRC.

La présidente,
Michelaine Lahaie

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