Sommaire : Rapport suivant une plainte déposée par le président relativement à la mort sous garde de M. Raymond Silverfox
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Sommaire
Les faits
La nuit du 1er décembre 2008, M. Raymond Silverfox, de Carmacks, au Yukon, célébrait son 43e anniversaire de naissance. Sa petite amie et lui ont trouvé quelqu'un pour les conduire jusqu'à Whitehorse, qui est à deux heures et demie en voiture de Carmacks. À leur arrivée à Whitehorse, au petit matin du 2 décembre 2008, ils ont trouvé une place au refuge de l'Armée du Salut. Une fois au refuge, M. Silverfox a commencé à vomir. Le personnel du refuge a appelé les services médicaux d'urgence (SMU), puisqu'il savait que la GRC ne mettrait pas M. Silverfox sous garde si son bon état de santé n'était pas d'abord confirmé. Le personnel des SMU a examiné M. Silverfox et confirmé son bon état de santé après avoir déterminé que ses réactions et ses signes vitaux étaient normaux malgré son ivresse. Toutefois, M. Silverfox ne pouvait pas rester au refuge en raison de ses vomissements. Le personnel des SMU a donc téléphoné à la GRC dans l'espoir que M. Silverfox puisse être incarcéré pour la nuit, car il faisait extrêmement froid dehors.
Les gendarmes Len Van Marck et Daniel Bulford se sont rendus au refuge. M. Silverfox a été mis en état d'arrestation pour ivresse sur la voie publique et placé en cellule peu après 5 h. M. Silverfox est resté dans une cellule de la GRC pendant toute la journée, et il a été malade pendant tout ce temps. Certains de ses vomissements ont été notés par les gardiens/surveillantes et membres présents dans le poste de garde, mais la plupart n'ont pas été consignés. Cependant, la cellule de M. Silverfox est devenue de plus en plus contaminée par ses liquides organiques. Dans l'enregistrement audio du poste de garde de ce jourlà, on peut entendre les membres et les gardiens parler de l'état de M. Silverfox. On a réalisé peu de vérifications physiques à l'égard de M. Silverfox, même si on a continué de le surveiller à l'aide du système vidéo en circuit fermé.
Vers 18 h 34, la caporale MacLeod, chef de veille, est allée voir M. Silverfox et a remarqué qu'il ne semblait pas respirer. Ne constatant pas de signes vitaux chez M. Silverfox, la caporale MacLeod a ordonné que l'on appelle une ambulance. Le personnel des SMU est arrivé dans le bloc cellulaire aux alentours de 18 h 47 et a pris en charge M. Silverfox, qui a été transporté à l'Hôpital général de Whitehorse peu de temps après. Même si les ambulanciers ont réussi brièvement à faire rebattre son cœur, leurs efforts pour réanimer M. Silverfox ont été vains, et sa mort a été déclarée à 21 h 15. L'autopsie pratiquée ultérieurement a révélé qu'une sepsie et une pneumonie aiguë étaient les causes de sa mort et, selon les conclusions de l'autopsie, il s'agissait peut-être d'une pneumonie de déglutition.
L'enquête sur la mort de M. Silverfox a été menée par le Groupe des crimes graves du district Nord de la Division E. La Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission) a envoyé l'un de ses observateurs indépendants réaliser une évaluation de l'impartialité, et aucune préoccupation importante n'en est ressortie. Les résultats de l'enquête criminelle ont été renvoyés au procureur de la Couronne, qui a déterminé qu'il n'y avait pas lieu de porter des accusations.
Une enquête administrative sur l'incident a ultérieurement été réalisée, et un certain nombre de recommandations ont été formulées dans le rapport daté du 26 mai 2009. Le 16 juin 2009, l'inspecteur Mark Wharton, commandant du détachement de la GRC de Whitehorse, a réagi à ces recommandations et apporté quelques changements aux politiques et aux pratiques.
Peu de temps avant l'enquête du coroner sur la mort sous garde de M. Silverfox, qui a été réalisée du 15 au 23 avril 2010, on s'est rendu compte du fait que la bande sonore du poste de garde du bloc cellulaire n'avait pas été transcrite. Sur cette bande sonore, on peut entendre des membres, des gardiens et des surveillantes faire des commentaires sur M. Silverfox, sur l'état de sa cellule et sur le fait qu'il était malade. Deux semaines après la conclusion de l'enquête sur cette affaire, la GRC annonçait la tenue d'une enquête relative au code de déontologie.
La plainte
Le 12 décembre 2008, le président de la Commission de l'époque a présenté une plainte relative à la mort sous garde de M. Raymond Silverfox pour déterminer :
- si les membres de la GRC ou toute autre personne nommée ou employée en vertu de la Loi sur la GRC en cause dans les événements survenus le 2 décembre 2008, soit du premier contact avec M. Silverfox et de son arrestation jusqu'à sa détention et à sa mort, ont agi conformément à la formation, aux politiques, aux procédures, aux lignes directrices et aux exigences législatives appropriées en ce qui concerne le traitement de personnes détenues par la GRC et, plus particulièrement, de l'accès à des soins de santé;
- si les membres du détachement de la GRC de Whitehorse ont assuré une supervision et une direction adéquates du gardien ou des gardiens qui devaient s'occuper des personnes sous la garde du détachement de la GRC de Whitehorse au moment de la mise sous garde et de la mort subséquente de M. Silverfox;
- si les politiques, procédures et lignes directrices de la GRC à l'échelon national et aux échelons de la division et du détachement concernant la prestation de soins de santé aux personnes sous la garde de la GRC, en particulier dans les cas où la consommation d'alcool est en jeu, sont suffisantes pour veiller au bien-être et à la sécurité de ces personnes.
Principales questions abordées dans la rapport intérimaire du président
1. Premier contact avec M. Silverfox et arrestation de ce dernier
Les gendarmes Van Marck et Bulford, après avoir déterminé que les SMU avaient confirmé le bon état de santé de M. Silverfox et permis son incarcération et que le personnel de l'Armée du Salut ne voulait pas le garder au refuge, ont procédé à son arrestation pour trouble de la paix et ivresse publique. Cette décision était raisonnable et conforme aux lois et aux politiques. M. Silverfox s'est rendu sans aide jusqu'au véhicule des policiers et s'est assis sur le siège arrière; il a été reconduit au détachement. Cette arrestation était principalement fondée sur le désir du personnel des SMU et des membres de ne pas laisser M. Silverfox à l'extérieur, en raison du très grand froid, et la décision des membres de la GRC était, dans les circonstances, raisonnable.
Conclusion : L'arrestation sans mandat de M. Silverfox était raisonnable et conforme au Code criminel.
2. Mise en détention dans une cellule
Les membres ont placé M. Silverfox en détention dans une cellule, sans incident. Cependant, ils ne l'ont pas soumis à l'alcootest comme l'exigeait la politique du détachement. Ils ont dit croire que cela n'était pas nécessaire, puisque les SMU avaient confirmé son bon état de santé avant son incarcération. Toutefois, la politique est prescriptive quand il s'agit de l'alcootest; elle ne prévoit aucune exception pour les cas où l'individu aurait été examiné par les services médicaux. En outre, les membres ne disposaient d'aucune information selon laquelle les employés des SMU avaient mesuré l'alcoolémie de M. Silverfox.
Le gendarme Bulford a évalué les réactions de M. Silverfox, comme l'exige la politique, et il est évident, dans la vidéo du bloc cellulaire, que M. Silverfox répondait aux questions et réagissait aux directives données par le membre pendant le processus de mise en détention.
Conclusion : Les gendarmes Van Marck et Bulford n'ont pas suivi la politique du détachement, selon laquelle il faut demander aux prisonniers en état d'ébriété de fournir un échantillon d'haleine avant leur incarcération.
Conclusion : Le gendarme Bulford a évalué les réactions de M. Silverfox de manière adéquate au moment de la mise en détention et a rempli la section pertinente du rapport sur le prisonnier, conformément aux exigences.
Recommandation : Que les membres du détachement de la GRC de Whitehorse, ainsi que tous les gardiens et toutes les surveillantes qui travaillent dans les cellules de la GRC, à Whitehorse, reçoivent une formation plus poussée sur les signes et les symptômes de l'ébriété et sur les problèmes de santé qui peuvent en découler.
3. Quart du premier gardien
Après l'entrée de M. Silverfox dans sa cellule, le gardien de service, Craig MacLellan, a noté que le détenu avait des « hautlecœur ». Vers 8 h, la caporale Gale, officier supérieur, s'est rendue dans la salle de veille tout comme la caporale Calista MacLeod, chef de veille. Ni l'une ni l'autre n'a contrôlé l'état de santé de M. Silverfox, et la caporale MacLeod, bien qu'elle ait examiné les rapports sur le prisonnier, n'a pas posé de questions sur l'absence de données concernant un alcootest. Toutefois, ni le gardien ni aucun autre membre n'ont fourni à la caporale MacLeod des informations touchant l'état de santé de M. Silverfox. En fait, rien n'indique que les membres qui ont incarcéré M. Silverfox ou Craig MacLellan comprenaient l'importance de fournir des informations sur les personnes détenues par la GRC.
Craig MacLellan a pris des notes concernant M. Silverfox à intervalles irréguliers et à une fréquence acceptable, conformément aux politiques, mais les notes n'indiquent pas si les vérifications ont été effectuées en personne ou au moyen du système vidéo. La vidéo du bloc cellulaire montre qu'il n'y a eu qu'une seule vérification en personne. Or, la politique de la GRC précise qu'une vérification par vidéo n'est pas assimilable à une vérification en personne de l'état d'un prisonnier. En conséquence, on peut conclure que, pendant le quart de travail du premier gardien, les vérifications en personne de M. Silverfox n'ont pas été en nombre suffisant.
Bien que les vérifications en personne puissent sembler un processus fastidieux et souvent inutile, en raison de la présence du système vidéo, les membres et les gardiens doivent reconnaître qu'elles sont essentielles à l'évaluation des réactions d'un prisonnier et à la prise de notes quant à son apparence et à son comportement. Bien que les nouvelles technologies de contrôle aient leur utilité, elles doivent, comme l'indique la politique, ne servir qu'à compléter une observation directe, non pas à la remplacer.
Conclusion : Le caporal Gale n'a pas évalué l'état de M. Silverfox à la fin de son quart.
Conclusion : La caporale MacLeod n'a pas effectué de vérification physique de M. Silverfox ni évalué l'état de ce dernier au début de son quart en tant que chef de veille.
Conclusion : Même si la caporale MacLeod a examiné le rapport sur le prisonnier de M. Silverfox, elle ne s'est pas questionnée sur l'absence de mesure de son taux d'alcoolémie.
Conclusion : Les renseignements relatifs à M. Silverfox n'ont pas été communiqués de manière complète à Craig MacLellan, ni par le gendarme Bulford ni par le gendarme Van Marck.
Conclusion : Comme la politique divisionnaire stipule clairement que les vérifications effectuées doivent être des vérifications physiques, le nombre de vérifications effectuées auprès de M. Silverfox durant le quart du gardien Craig MacLellan était insuffisant.
Recommandation : Que le commandant du détachement effectue régulièrement des vérifications ponctuelles des registres des prisonniers pour s'assurer que les chefs de veille évaluent les prisonniers au début, à la fin et tout au long de leur quart, tel que l'exige la politique de la GRC.
Recommandation : Que les chefs de veille examinent les rapports sur les prisonniers au début et à la fin de leur quart, et qu'ils constatent et corrigent toute omission, ou en ordonnent la correction.
Recommandation : Que les chefs de veille examinent les registres des prisonniers par intermittence tout au long de leur quart et à la fin de ce dernier pour assurer la conformité avec la politique de la GRC en ce qui concerne la vérification et la surveillance des prisonniers, ainsi que la consignation des renseignements à cet égard.
4. Quart du second gardien
Heather Balfour, gardienne pour le second quart, a procédé à une évaluation en personne de M. Silverfox au début de son quart, vers 7 h 40. Mme Balfour a également pris des notes à des intervalles respectant les délais acceptés et de manière irrégulière, comme l'exige la politique, mais n'a pas elle non plus indiqué si les vérifications avaient été faites en personne. La vidéo du bloc cellulaire montre qu'elle a effectué sept évaluations en personne pendant son quart de travail d'environ huit heures.
Mme Balfour a noté pendant son quart que M. Silverfox avait vomi à cinq reprises et qu'il avait eu des hautlecœur à six occasions. De 11 à 13 incidents de vomissements ou de hautlecœur n'ont pas été constatés ou n'ont pas été notés dans le seul compte rendu disponible sur le prisonnier. Pendant tout ce temps, il est évident que la cellule devenait de plus en plus contaminée. La vidéo du bloc cellulaire montre clairement une quantité de plus en plus importante de liquide sur le plancher de la cellule. Mme Balfour a remarqué ce fait et, en infraction à la politique de la GRC, a dit à M. Silverfox qu'il allait devoir nettoyer sa cellule. Cette menace n'a pas été mise à exécution.
Le gendarme Jeffrey Kalles, qui était présent dans le poste de garde à divers moments durant l'incarcération de M. Silverfox, a indiqué que Mme Balfour lui avait dit, vers 15 h, que M. Silverfox avait uriné, déféqué et vomi, et qu'il était toujours en état d'ébriété après avoir été dans la cellule pendant dix heures. La gendarme Heather Kaytor, autre membre qui a été présente de manière intermittente dans le poste de garde, a déclaré qu'il était évident que M. Silverfox vomissait, mais qu'elle imputait simplement cela à son ébriété.
Conclusion : Comme la politique divisionnaire prévoit clairement que les vérifications effectuées doivent être des vérifications physiques, le nombre de vérifications effectuées auprès de M. Silverfox durant le quart de la gardienne Heather Balfour était insuffisant.
Conclusion : La déclaration de Mme Balfour à M. Silverfox, selon laquelle il était tenu de nettoyer sa cellule, n'était pas conforme à la politique de la GRC à cet égard.
5. Quart du troisième gardien
Hector MacLellan a remplacé Mme Balfour juste avant 15 h 30. Il ne se rappelle pas avoir vu M. Silverfox vomir pendant son quart de travail. En fait, il semble que M. Silverfox ait vomi trois fois pendant le quart de ce gardien. Hector MacLellan a inscrit des notes au sujet de M. Silverfox dans le registre des prisonniers à des intervalles d'exactement 15 minutes – ce qui est contraire à la politique de la GRC qui exige que les intervalles ne soient pas réguliers – de 15 h 30 à 18 h 1. Il n'a pas fait d'autre vérification en personne après la première vérification. À ce momentlà, M. Silverfox faisait l'objet d'une surveillance tout à fait inadéquate.
Les gendarmes Kaytor, Connelly et Kalles, de même que les gendarmes Geoff Corbett et Shirley Telep, ont été présents dans le poste de garde à divers moments pendant l'incarcération de M. Silverfox. Le gendarme Corbett a mentionné que M. Silverfox avait uriné et déféqué dans son pantalon; il lui a parlé à 15 h 49, refusant de lui fournir le matelas qu'il demandait. Ni le gendarme Corbett ni les autres membres n'ont remarqué quoi que ce soit d'inhabituel dans l'état physique de M. Silverfox.
La caporale MacLeod, chef de veille, ne s'est pas rendue dans le poste de garde ni dans le bloc cellulaire de façon intermittente pendant son quart de travail, comme l'exige la politique. Elle a déclaré pendant l'enquête du coroner qu'elle comptait sur les gardiens de service pour qu'ils l'informent de tout problème concernant les prisonniers. Les chefs de veille ne devraient pas être surpris lorsqu'ils prennent connaissance d'un incident qui se prépare depuis quelque huit heures. La caporale MacLeod n'a pas pris les mesures nécessaires pour se tenir au courant des problèmes pouvant se présenter dans le bloc cellulaire, en grande partie parce qu'elle ne s'est pas informée périodiquement de l'état de M. Silverfox, comme l'exige la politique de la GRC.
Conclusion : Même si, conformément aux politiques opérationnelles de la GRC, Hector MacLellan a inscrit, dans le registre des prisonniers, qu'il avait mené des vérifications à des intervalles d'exactement 15 minutes pendant son quart de travail, ces intervalles n'étaient pas irréguliers, ce qui contrevient aux politiques de la GRC pour ce qui est de la surveillance des prisonniers.
Conclusion : Pendant son quart de gardien, Hector MacLellan a procédé à un nombre insuffisant de vérifications auprès de M. Silverfox.
Conclusion : La caporale MacLeod n'a pas procédé à des vérifications périodiques de M. Silverfox pendant son quart de chef de veille.
6. Décès de M. Silverfox
À 18 h 34, Hector MacLellan a informé la caporale MacLeod du fait que M. Silverfox avait été malade toute la journée, et elle est allée le voir à 18 h 41. La caporale MacLeod ne voyait pas M. Silverfox respirer et elle l'a interpellé, comme l'avait fait Hector MacLellan. M. Silverfox n'a pas répondu.
Hector MacLellan a ouvert la porte de la cellule à 18 h 43. M. Silverfox ne montrait plus aucun signe de vie. Après avoir constaté que M. Silverfox ne réagissait plus, la caporale MacLeod a immédiatement ordonné que l'on appelle une ambulance, conformément à la politique de la GRC qui s'applique à de telles situations.
La caporale MacLeod a commencé à administrer des compressions thoraciques à M. Silverfox, avec la collaboration des gendarmes Kendra Hannigan, Benjamin Douglas et Chris Pratte. Les SMU sont arrivés à 18 h 47 et ont pris en charge M. Silverfox. Il a été transporté à l'hôpital et est arrivé à la salle d'urgence à 19 h 16. Les tentatives de réanimation se sont poursuivies. Le décès de M. Silverfox a été prononcé à 21 h 15. Les analyses toxicologiques n'ont pas révélé un taux d'alcool élevé ni la présence de drogues dans son sang. L'autopsie réalisée ultérieurement a révélé que M. Silverfox avait succombé de sepsie et d'une pneumonie aiguë. Le rapport souligne également que [traduction] « plusieurs bactéries ont été observées dans les cultures prélevées après la mort, ce qui donne à penser qu'il s'agissait d'une pneumonie de déglutition ». En outre, il y est indiqué que la mort de M. Silverfox est probablement attribuable à une « infection généralisée » et que son alcoolisme chronique avait probablement contribué à son état.
Conclusion : On a demandé immédiatement des soins médicaux après avoir déterminé que M. Silverfox était inanimé.
7. Obligation de diligence de la GRC
L'obligation de diligence générale de la GRC suppose qu'elle fournisse des soins médicaux aux personnes dont elle a la garde et qu'elle prête attention aux conditions d'incarcération des prisonniers. Ces deux aspects sont très importants dans le cas de M. Silverfox.
M. Silverfox se trouvait dans une cellule du détachement de Whitehorse de la GRC depuis environ 13 heures au moment de sa mort. Il avait été malade pratiquement pendant tout ce temps. Toutefois, comme le montre la vidéo du bloc cellulaire, il a été laissé à lui-même, pendant qu'un certain nombre de personnes — des membres, des gardiens et des civils — se sont trouvées à un moment ou un autre dans le poste de garde du détachement de Whitehorse de la GRC. Cependant, bon nombre de ces personnes ont déclaré ne pas avoir pensé à demander une aide médicale pour M. Silverfox, qui, à leur avis, était tout simplement en train de « dégriser » ou était toujours en état d'ébriété. Quoi qu'il en soit, la politique de la GRC ne prévoit pas d'exception à l'égard du besoin de fournir des soins médicaux aux prisonniers malades lorsque ces prisonniers sont en état d'ébriété ou soupçonnés de l'être.
M. Silverfox a vomi plus de 20 fois en 13 heures. Il a continué de vomir à des intervalles réguliers, et la fréquence et la gravité de ses vomissements n'ont pas diminué pendant sa détention. Malgré tous ces signes, personne n'a demandé des soins médicaux à l'intention de M. Silverfox avant de constater qu'il ne respirait plus. Il est manifeste que les membres et les gardiens en service n'ont pas cherché à obtenir des soins médicaux pour M. Silverfox, qui continuait d'être malade.
Conclusion : Les membres et les gardiens en service pendant l'incarcération de M. Silverfox n'ont pas cherché à obtenir des soins médicaux.
Recommandation : Que le commandant du détachement de la GRC de Whitehorse établisse un système de suivi et de surveillance des interventions des membres et des gardiens dans les cas d'incidents mettant en cause des personnes en état d'ébriété avancé.
Recommandation : Que la GRC travaille en collaboration avec la Commission pour organiser la tenue d'un examen annuel des dossiers concernant de tels incidents; cet examen annuel serait mené par le personnel de la Commission, et ce, pendant au moins les trois années suivant la publication du présent rapport.
En ce qui concerne les conditions de détention de M. Silverfox, il est évident, dans la vidéo du bloc cellulaire, que l'état de la cellule de M. Silverfox s'est rapidement détérioré au cours de la journée, puisqu'il continuait à être malade. Toutefois, aucune mesure n'a été prise, malgré le fait que M. Silverfox était incarcéré dans des conditions on ne peut plus déplorables.
La politique de la GRC n'accepte aucun écart par rapport à la norme minimale de sécurité et de salubrité des cellules. Lorsque, comme dans le cas de M. Silverfox, une personne est malade au point où elle contamine sa cellule et où il est difficile d'y trouver un espace propre pour s'asseoir ou s'étendre, la cellule n'est ni sécuritaire ni habitable, et il faut intervenir en conformité avec la politique. Les membres comme les gardiens ont la responsabilité d'assurer l'entretien approprié des cellules, conformément à cette exigence mais, au bout du compte, le principal responsable de l'état des cellules du bloc cellulaire est le supérieur hiérarchique de service, en l'occurrence, la chef de veille, la caporale MacLeod.
Conclusion : La caporale MacLeod ne s'est pas assurée que la cellule de M. Silverfox était sécuritaire et habitable.
Conclusion : Les membres présents dans le bloc cellulaire et les gardiens et les surveillantes responsables de M. Silverfox pendant son incarcération ne se sont pas assurés que sa cellule était sécuritaire et habitable.
8. Orientation et supervision des gardiens
Il est clair que les gardiens et les surveillantes en service n'ont pas fait des vérifications adéquates auprès de M. Silverfox, comme l'exige la politique de la GRC. Néanmoins, cette politique a été expliquée en détail dans le cadre du programme de formation des gardiens qui a d'ailleurs été suivi par chaque gardien et surveillante dans les délais prescrits. Malgré le fait qu'il y a eu des lacunes quant à l'application de la politique, les gardiens et les surveillantes avaient reçu des directives adéquates.
On pourrait avancer que le principal élément de la surveillance est d'assurer la conformité avec les lignes directrices, les directives et les politiques pertinentes. Il ne fait aucun doute que les gardiens et les surveillantes en service n'ont pas respecté la politique concernant la vérification des prisonniers et que cette situation n'a pas été relevée ni corrigée par aucun membre de la GRC, y compris le membre supérieur de service. Par conséquent, les gardiens et les surveillantes en service n'ont pas fait l'objet d'une supervision adéquate.
Conclusion : Les gardiens et les surveillantes responsables des prisonniers, y compris M. Silverfox, ont reçu une orientation adéquate concernant leurs responsabilités.
Conclusion : Les gardiens et les surveillantes de service pendant la détention de M. Silverfox n'ont pas fait l'objet d'une supervision adéquate.
Recommandation : Que le commandant du détachement revoie avec tous les membres et tous les gardiens l'importance et la nécessité de communiquer, de manière rigoureuse et cohérente, les renseignements relatifs aux personnes sous garde au détachement de la GRC de Whitehorse.
9. Fourniture de soins médicaux
Plusieurs des politiques existantes de la GRC mentionnent l'obligation d'obtenir des soins médicaux pour les prisonniers soupçonnés d'être malades. Les politiques n'ont pas été respectées, sauf au moment où les membres ont immédiatement fait appel aux services médicaux d'urgence après avoir constaté que le prisonnier était inanimé.
Les politiques existantes sont difficiles à appliquer, car elles requièrent l'évaluation subjective de l'état d'un prisonnier. De l'avis de la Commission, il est inapproprié que la décision de procurer des soins médicaux à un prisonnier repose uniquement sur une évaluation subjective de son état de santé.
Un groupe consultatif communautaire (formé entre autres d'intervenants du milieu médical) qui, entre autres choses, examinerait les questions touchant l'ivresse publique et les soins médicaux à apporter aux personnes en état d'ébriété à Whitehorse a déjà été établi. Cependant, la GRC aurait avantage à créer un tel groupe à l'échelle nationale.
Enfin, le public ne s'attend pas à ce que les agents de police aient la même expertise qu'un professionnel de la santé en ce qui concerne la reconnaissance des symptômes et des problèmes d'ordre médical. Toutefois, il serait utile d'offrir, en plus du cours de premiers soins, une formation sur les problèmes de santé qui peuvent résulter de certains comportements présents dans nos collectivités, plus particulièrement la consommation d'alcool et de drogues.
Conclusion : La politique de la GRC concernant l'obtention de soins médicaux pour un prisonnier est inappropriée dans la mesure où la décision à cet égard repose sur l'évaluation subjective de l'état de santé du prisonnier en question.
Recommandation : Que le commandant du détachement, en consultation avec des professionnels de la santé, précise la politique exigeant la fourniture de soins médicaux lorsque le prisonnier vomit de façon excessive afin qu'elle comprenne une norme objective et mesurable à ce chapitre.
Recommandation : Que la GRC mette sur pied un groupe consultatif formé entre autres de professionnels de la santé en vue de renforcer la politique opérationnelle nationale concernant la prestation d'une aide médicale aux personnes sous la garde de la GRC.
Recommandation : Que la GRC organise, à l'intention des membres nouvellement installés dans la collectivité de Whitehorse, une séance de formation pendant laquelle des professionnels de la santé de la localité traiteraient des problèmes de santé pouvant résulter de la consommation d'alcool ou de drogues. Les membres travaillant déjà dans la région devraient aussi participer régulièrement à une formation semblable.
10. Enregistrement audio du poste de garde
Parmi les caméras qui enregistrent les événements à l'intérieur et autour du bloc cellulaire, la seule qui soit équipée d'une fonction d'enregistrement sonore est celle qui filme une partie du poste de garde. Les enregistrements n'ont pas été mis à la disposition des responsables de l'examen administratif ni n'ont été cités pendant l'enquête criminelle. Rien ne prouve que cela était délibéré. Toutefois, les raisons pour lesquelles on semblait ignorer avoir caché leur existence ne sont pas claires.
L'enregistrement audio du poste de garde montre clairement que, à certains moments, les membres, les gardiens et les surveillantes font preuve d'indifférence à l'égard de la maladie de M. Silverfox et, dans le cas le plus grave, qu'ils se moquent ouvertement de son état. Les politiques opérationnelles nationales de la GRC précisent que toute personne sous la garde de la GRC doit être traitée convenablement. De plus, les normes de base qui doivent être respectées par tous les membres et qui sont énoncées dans la Loi sur la GRC obligent les membres à se conduire d'une façon courtoise, respectueuse et honorable et à maintenir l'honneur de la GRC. En effet, les valeurs fondamentales de la GRC comprennent le professionnalisme, la compassion et le respect. On peut donc conclure que les membres impliqués ont affiché une conduite qui était très loin de celle qu'on attend d'un membre du service de police national du Canada.
L'attitude de ces personnes a teinté chacune de leurs interactions avec M. Silverfox, de sorte que sa maladie n'a pas été prise au sérieux et a été considérée comme la conséquence naturelle de son état d'ébriété. Il est très dangereux de ne pas reconnaître que chaque personne sous garde doit être traitée comme une personne et non simplement comme la représentante d'une certaine catégorie de personnes. Le cas de M. Silverfox témoigne du danger de cataloguer un individu comme étant « juste un autre soûlon ».
Conclusion : Les gendarmes Corbett, Kalles, Kaytor et Telep n'ont pas agi en conformité avec les exigences de la Loi sur la GRC et avec les valeurs fondamentales de la GRC lorsqu'ils sont intervenus auprès de M. Silverfox.
Recommandation : Que la GRC désigne un enquêteur indépendant pour qu'il examine les circonstances entourant la divulgation tardive ou la non-divulgation de l'enregistrement audio de la salle de veille et qu'il transmette les conclusions de son examen au commissaire et à la Commission.
Recommandation : Que tous les membres du détachement de la GRC de Whitehorse, de même que tous les gardiens et toutes les surveillantes employés par le détachement, reçoivent une formation sur la façon de créer un environnement respectueux et d'interagir en conformité avec les valeurs fondamentales de la GRC, et ce, tant à l'intérieur du détachement que dans la collectivité.
11. Enquête sur le décès de M. Silverfox
L'impartialité de l'enquête criminelle sur le décès sous garde de M. Silverfox ne soulève aucune préoccupation.
Conclusion : L'enquête criminelle menée sur la mort en détention de M. Silverfox était impartiale, rigoureuse et bien documentée, et, même si les enquêteurs désignés étaient affiliés à la GRC, les mesures prises pour assurer leur indépendance étaient appropriées dans les circonstances.
Par ailleurs, un membre supérieur de la GRC a mené un examen administratif de l'enquête. Il était chargé de déterminer si les personnes impliquées dans les événements entourant la mort de M. Silverfox s'étaient conformées à certains aspects de politiques de la GRC. Il a recensé un certain nombre de lacunes dans l'application des politiques nationales, divisionnaires et propres au détachement en ce qui a trait aux activités dans le bloc cellulaire au moment de la mort de M. Silverfox. L'inspecteur Wharton, commandant du détachement de Whitehorse, a donné suite à ces recommandations en prenant des mesures pour combler les lacunes recensées. L'examen administratif, tout comme l'enquête criminelle, était rigoureux et bien documenté.
Pour finir, l'enquête sur la plainte du public menée en réaction à la plainte déposée par le président de la Commission a été confiée à un enquêteur chevronné faisant partie d'une équipe spécialisée d'une division distincte. Il est clair que la nécessité de désigner un enquêteur jouissant du degré d'indépendance le plus élevé possible a été prise en compte. L'enquête sur la plainte du public a donné suite à la plainte du président.
Conclusion : L'examen administratif de l'enquête criminelle et des activités dans le bloc cellulaire était rigoureux et bien documenté.
Conclusion : L'enquêteur sur la plainte du public a pris toutes les mesures d'enquête raisonnable dans les circonstances.
L'avis du commissaire
Dans sa réponse au rapport intérimaire de la Commission, le commissaire de la GRC accepte l'ensemble des conclusions et recommandations de la Commission. En outre, il décrit un certain nombre de mesures positives prises par la Gendarmerie, à la suite de cet incident, pour améliorer les pratiques et les politiques.
Conclusion
Les membres de la GRC ont un devoir de diligence à l'égard des collectivités qu'ils servent. Les membres des services de police des collectivités du Nord, à l'instar de leurs collègues, doivent souvent accomplir un travail difficile. Ils peuvent en effet être appelés à remplir un certain nombre de rôles qui ne correspondent pas à ceux des forces de l'ordre classiques. Cependant, comme il a été mentionné dans le rapport final relatif à un examen des services de police du Yukon qui a été mené conjointement par le gouvernement du Yukon, le Conseil des Premières nations du Yukon et la GRC : « Les policiers gagnent la confiance du public grâce aux relations qu'ils tissent jour après jour avec les citoyens dans le cadre de leurs fonctionsNote de bas de page 1. » Les agents de police doivent toujours demeurer conscients de leurs engagements envers le public et du rôle crucial que joue la confiance du public dans l'accomplissement de leur mandat. Ils doivent également maintenir des normes fondamentales en matière de dignité humaine, même dans des situations difficiles.
Dans l'affaire entourant la mort tragique de M. Silverfox, ces normes ont fait défaut. Bien que ce soit la compassion qui ait motivé la décision initiale d'emprisonner M. Silverfox, son incarcération au détachement de Whitehorse a ensuite été marquée par la négligence et la dureté des membres chargés de sa surveillance. Le surintendant en chef Peter Clark, commandant de la GRC au Yukon, a fait la déclaration suivante au sujet de l'incident :
[traduction]
Comme bien des membres de la GRC, je suis outré et déçu du traitement empreint d'insensibilité et de dureté qu'a subi M. Silverfox sous notre garde. Nous avons failli à notre devoir envers vous et envers nous-mêmes [...]. M. Silverfox méritait un bien meilleur traitement de notre part, et il est évident que nous n'avons pas été à la hauteur de la situation [...]. Nous n'avons pas répondu à vos attentes ni respecté les normes que nous nous sommes fixées [...] et nous nous en excusons.
Tant les commentaires de M. Clark que la réaction de la GRC au rapport intérimaire de la Commission indiquent une reconnaissance du fait que le décès de M. Silverfox en pareilles circonstances a eu des répercussions uniques et servi de catalyseur, suscitant énormément de préoccupations au sein du public. Je suis grandement encouragé par les mesures fermes et positives prises par la GRC et par l'engagement de cette dernière à améliorer ses politiques et ses pratiques locales et nationales. En outre, je constate avec plaisir que la GRC collabore à la mise sur pied du nouveau centre d'évaluation sous garde à Whitehorse. La réaction de la GRC témoigne d'efforts continus pour améliorer les services de police du Yukon et devrait servir de modèle pour d'autres administrations. Selon moi, c'est cette amélioration, et non les circonstances tragiques de sa mort, que va léguer M. Silverfox à la postérité.
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