ARCHIVÉ - Rapport final du président Utilisation d'une arme à impulsions à l'endroit de M. Frank Lasser

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Loi sur la Gendarmerie royale du Canada Paragraphe 45.42(2)

Le 26 mars 2009

No de dossier : PC-2008-1192

Traduction


Table des matières

Aperçu

M. Frank Lasser était un patient de 82 ans qui se trouvait au Royal Inland Hospital de Kamloops (Colombie-Britannique) le 3 mai 2008. Au petit matin, il était éveillé et se trouvait assis sur son lit quand une infirmière est entrée dans la chambre pour s'assurer que lui et l'autre patient qui partageait la chambre allaient bien. M. Lasser ne portait pas ses pinces nasales permettant l'administration de l'oxygène, et elle lui a demandé de les mettre. M. Lasser, qui semblait agité, a répondu en disant qu'il pensait que l'autre patient de la chambre était mort. L'infirmière a regardé le patient et a vu qu'il respirait toujours et semblait endormi. L'infirmière a remarqué que M. Lasser avait déposé un couteau sur la table de nuit et elle s'est approchée de la table pour le prendre. Cependant, avant qu'elle n'ait pu le faire, M. Lasser l'a saisi et l'a agité dans tous les sens.

L'infirmière a demandé l'aide de la sécurité, et quand le gardien de sécurité est arrivé, M. Lasser a menacé de « l'étriper ». Le gardien a tenté à plusieurs reprises, sans succès, de désarmer M. Lasser, qui réagissait en faisant des mouvements brusques dans sa direction, le couteau à la main. Il s'agissait d'un couteau de poche avec une lame de trois pouces qui était dépliée pendant tout l'incident. Le gardien de sécurité a été obligé de se retirer rapidement de la chambre d'hôpital et, à ce moment-là, il a demandé à une infirmière de composer le 911.

Peu de temps après, trois membres de la GRC sont arrivés, ont été informés de la situation et ont ensuite discuté de différentes façons de gérer la situation. Le premier a parlé à M. Lasser, mais n'a pas réussi à le convaincre de lâcher le couteau avec lequel il faisait des mouvements menaçants quand des membres de la GRC s'approchaient de lui. Ils ont envisagé la possibilité d'utiliser du gaz poivré, mais ont choisi de ne pas le faire, car le personnel de l'hôpital leur a dit que cela pourrait avoir des effets indésirables sur d'autres patients de l'hôpital si le gaz se retrouvait dans le système d'aération. Pour terminer, ils ont tenté de désarmer M. Lasser en poussant un chariot de distribution des repas de cinq pieds de haut dans sa direction lorsqu'il a posé le couteau sur le lit. Ils espéraient le coincer contre le lit et l'empêcher de reprendre le couteau ou le lui faire lâcher s'il arrivait à le prendre avant eux. En désarmant M. Lasser, les membres espéraient qu'ils pourraient contourner le chariot en toute sécurité et le maîtriser.

Cependant, M. Lasser a saisi le couteau avant que les membres ne se rendent jusqu'à lui. Pendant que le gendarme Mark Tugnum contournait le chariot, M. Lasser s'est tourné dans sa direction, maintenant le couteau au-dessus de sa tête, prêt à l'attaquer. À ce moment, en dernier recours et craignant pour la sécurité du gendarme Tugnum, le gendarme Jean Michaud a utilisé son arme à impulsionsNote de bas de page 1 contre M. Lasser. Celui-ci a été atteint par les deux sondes, et le choc lui a fait lâcher le couteau; les membres ont alors pu le maîtriserNote de bas de page 2.

En tant que président de la Commission, j'ai déposé une plainte (Annexe C) en vertu du paragraphe 45.37(1) de la Loi sur la GRC, le 9 mai 2008, pour faire suite aux préoccupations du public concernant l'utilisation de la force, et plus particulièrement l'utilisation de l'arme à impulsions dans de telles circonstances. J'ai soulevé deux questions : est-ce que les membres de la GRC impliqués dans l'incident du 3 mai 2008, pendant lequel M. Lasser aurait été maîtrisé à l'aide d'une arme à impulsions, se sont conformés à toutes les politiques, procédures, directives et exigences légales applicables? Deuxièmement, est-ce que les politiques, procédures et directives actuelles applicables à de tels incidents sont adéquates?

En conséquence, l'enquête sur la plainte a été réalisée par la GRC, conformément à la Loi sur la GRC (la Loi). En vertu de la Loi, une fois l'enquête terminée, le commissaire de la GRC (ou son délégué) doit envoyer au plaignant son rapport final résumant les résultats de l'enquête et toute mesure prise pour régler la plainte. Dans la présente affaire, le commissaire m'a informé, par son rapport final daté du 14 novembre 2008 (Annexe D), de ses conclusions : les membres de la GRC impliqués dans l'incident ont respecté les politiques, procédures, directives et exigences légales appropriées au moment de maîtriser M. Lasser à l'aide d'une arme à impulsions, et les politiques, procédures et directives en place étaient adéquates. Le rapport final cernait aussi des lacunes relatives à la prise de notes de certains des membres et a confirmé que les membres ont reçu des directives opérationnelles concernant la mise à jour rapide des carnets de notes, et précise qu'on a tenu des séances d'information dans les détachements pour renforcer le respect des politiques et directives.

En vertu du paragraphe 45.42(1) de la Loi sur la GRC, la Commission doit examiner toutes les plaintes déposées aux termes du paragraphe 45.37(1) de la Loi. Le présent rapport est mon examen de l'enquête de la GRC sur les questions soulevées par ma plainte, et les conclusions qui y sont associéesNote de bas de page 3. En ce qui concerne la question des actes des membres de la GRC et l'utilisation de la force, ma conclusion est la suivante :

Conclusion : Les actes des membres et leur utilisation de la force constituaient une réaction raisonnable à la menace posée par M. Lasser.

Examen de la plainte par la Commission

Il est important de mentionner que la Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission) est un organisme du gouvernement fédéral distinct et indépendant de la GRC. Au moment d'examiner une plainte présentée par le président, la Commission n'agit pas en tant que défenseur du plaignant ni des membres de la GRC. En tant que président de la Commission, mon rôle est d'en arriver à des conclusions après un examen objectif de la preuve et, s'il y a lieu, de faire des recommandations concernant principalement les mesures que la GRC peut prendre pour améliorer ou corriger le comportement de ses membres. De plus, l'un des principaux objectifs de la Commission est d'assurer l'impartialité et l'intégrité des enquêtes de la GRC concernant certains de ses membres.

Exposées en détail ci-dessous, mes conclusions sont fondées sur un examen minutieux des éléments suivants : le dossier opérationnel de la GRC, l'enquête de la GRC sur la plainte déposée par le président, y compris toutes les déclarationsNote de bas de page 4 et les rapports médicaux applicables, les transcriptions des appels au 911, le rapport final du commissaire de la GRC, de même que les lois et politiques à la GRC.

Il convient de mentionner que la GRC a fourni un libre accès à tous les documents contenus dans le dossier de l'enquête initiale et à tous les documents cernés comme faisant partie de l'enquête sur la plainte déposée par le président.

Première question : Dans le cadre des événements qui se sont produits à Kamloops (Colombie-Britannique) le 3 mai 2008, durant lesquels un homme de 82 ans, Frank Lasser, aurait été maîtrisé à l'aide d'une arme à impulsions, est-ce que les membres de la GRC impliqués ont respecté toutes les politiques, procédures, directives et exigences légales applicables?

La version des faits qui suit est fondée sur mon évaluation des éléments de preuve recueillis pendant l'enquête sur la plainte du public. Le travail de l'enquêteur, le sergent Glen Penner, sous-officier chargé de la Section des infractions commerciales de la Division E de Kelowna, était d'une très grande qualité et m'a été d'une grande aide pour mes délibérations. L'équipe d'enquête comptait deux autres enquêteurs principaux de la Section des infractions commerciales de la Division E de Vancouver, le sergent d'état-major Tim Windle et la caporale (aujourd'hui sergente) Angela Rodricks.

Au départ, le sergent Penner a cherché à identifier tous les membres impliqués pour s'assurer qu'il n'avait avec aucun d'entre eux des relations de travail ou des relations personnelles qui auraient pu entraîner un parti pris apparent ou réelNote de bas de page 5. Il a communiqué avec tous les témoins et les a interrogés. Les déclarations recueillies étaient approfondies, et les dossiers du sergent Penner étaient complets, incluant des observations liées au comportement et à la coopération des témoins civils et de la police. À la plupart des égards, les déclarations étaient cohérentes, à l'exception du souvenir que M. Lasser avait des événements; il a admis qu'il ne se souvenait pas bien de ce qui s'était passé, et il est probable que d'autres facteurs, principalement ses médicaments, en sont en partie responsables.

Évaluation des souvenirs de M. Lasser

En évaluant les déclarations de tous les témoins, je remarque l'uniformité générale des souvenirs des événements, à l'exception de ceux de M. Lasser. Il a déclaré qu'il ne se souvient pas de tout ce qui s'est passé. Ses souvenirs ont été largement contredits par les autres témoins et par l'enregistrement audio de l'appel au 911Note de bas de page 6, durant lequel on pouvait entendre ses commentaires et, en fond sonore, les commentaires des autres personnes présentes sur la scène. Je ne crois pas que ces contradictions étaient intentionnelles ou qu'elles se voulaient trompeuses. Au contraire, je crois que M. Lasser a donné sa version des faits au meilleur de ses souvenirs et que certains facteurs ont eu une incidence négative sur sa mémoire.

Les dossiers de l'hôpital ont révélé que, le 5 mai 2008, M. Lasser a subi une évaluation médicale en raison de préoccupations constantes au sujet de sa confusion et de son agressivité, après une altercation subséquente avec une infirmière durant laquelle il a endommagé les lunettes de celle-ci. Il était écrit dans le rapport médical qui a suivi que M. Lasser n'avait pas beaucoup de souvenirs des quatre jours précédents. De plus, il a admis avoir eu des hallucinations pendant cette période. À la suite de cette évaluation médicale, on a changé les médicaments de M. Lasser.

Pendant son entrevue, M. Lasser a admis volontiers qu'il n'avait que de « vagues » souvenirs des événements qui ont mené à l'utilisation de l'arme à impulsions. M. Lasser a mentionné qu'au moment de son admission à l'hôpital, on lui a prescrit un nouveau médicament qui, d'après ses dires, l'a déboussolé. Son fils, M. Keith Lasser, qui avait passé beaucoup de temps avec son père pendant son séjour à l'hôpital, a décrit son père en ces termes : « [...] il ne savait pas où il était; à l'hôpital, il était totalement déboussolé et n'avait aucune idée de ce qui se passait ». M. Keith Lasser a en outre déclaré que l'état de son père s'est amélioré après qu'on lui a prescrit un autre médicament.

M.  Lasser et le personnel infirmier ont fait allusion à une autre question qui a peut-être joué un rôle dans les actes de M. Lasser et dans ses souvenirs imprécis. Au moment de l'incident en cause, M. Lasser ne recevait pas d'oxygène, tel qu'on l'avait ordonné. Il a été mentionné que M. Lasser avait besoin d'oxygène à la maison et avait des besoins plus élevés en oxygène à l'hôpital parce qu'il avait une pneumonie qui avait une incidence négative sur sa respiration. Un grand nombre d'infirmières ont dit croire qu'il était possible que le manque d'oxygène soit à l'origine de la confusion et des actes de M. Lasser. Cette affirmation est soutenue par la rapidité avec laquelle il a recouvré ses facultés une fois l'apport d'oxygène rétabli.

Je suis convaincu que ces considérations médicales sont probablement la cause du comportement inhabituel de M. Lasser et de son incapacité de bien se souvenir des événements. Pour ces raisons, et le fait que ses souvenirs étaient, en grande partie, en contradiction avec ceux des autres témoins et avec les transcriptions de son appel au 911, j'estime que je ne peux pas me fier sur la version des faits de M. Lasser pour mes délibérations. En conséquence, lorsque ses souvenirs étaient différents de ceux des autres participants et témoins, je me suis fié sur les versions de ceux-ci.

Hospitalisation et traitement de M.  Lasser

Les exemples qui suivent de l'agressivité dont M. Lasser a fait preuve avant et après l'altercation avec la police sont donnés uniquement pour illustrer les difficultés qu'il a connues pendant son hospitalisation et pour donner une idée de ce à quoi le personnel de l'hôpital et les membres de la GRC ont été confrontés quand ils ont eu affaire à lui. Même si les membres n'étaient pas au courant de ces incidents, les déclarations des employés de l'hôpital ont révélé que M. Lasser était tantôt courtois et coopératif, tantôt belliqueux et physiquement agressif.

Au moment de l'incident faisant l'objet de l'examen, M. Lasser était hospitalisé au Royal Inland Hospital, où il était traité pour une pneumonie et recevait de l'oxygène à l'aide de pinces nasales. Il occupait une chambre semi-privée, qu'il partageait avec un autre patient. Son lit était celui situé près de la porte, qui donnait sur l'un des côtés du lit. De l'autre côté du lit, il y avait un rideau de séparation qui bloquait la vue; on ne voyait que le pied du lit de l'autre patientNote de bas de page 7.

Pour décrire le comportement de M. Lasser pendant les jours qui ont précédé l'incident, l'une des infirmières a dit qu'il était imprévisible et qu'il ressemblait « tantôt au Dr Jekyll, tantôt à M. Hyde ». La veille de l'incident, le 2 mai 2008, M. Lasser aurait eu une altercation avec une des infirmières pendant qu'elle lui faisait une piqûre. Il lui a saisi les bras et lui a violemment tordu un pouce, et ce n'est qu'après l'intervention d'une autre infirmière qu'il l'a relâchée. Il a été décrit comme étant belliqueux, peu coopératif et étonnamment fortNote de bas de page 8.

Plus tard ce jour-là, il a lancé un thermos rempli de café contre le mur, sans que l'on sache pourquoi.

Les dossiers de l'hôpital montrent que, après l'incident faisant l'objet de l'examen, M. Lasser a eu une altercation avec une infirmière et M. Joseph Larocque, le gardien de sécurité qui a répondu à l'appel d'urgence de l'infirmière, et que M. Lasser a endommagé les lunettes de l'infirmière pendant cette altercation. D'après les dossiers, M. Lasser a tenté de se lever à 4 h 45, le 4 mai 2008. L'infirmière et M. Larocque ont tenté de l'amadouer pour qu'il se recouche, mais il a saisi un bassin hygiénique et l'a lancé en direction de l'infirmière. Il l'a ensuite rempli d'eau et est allé dans le corridor. Quand un autre gardien de sécurité est arrivé, les deux gardiens ont pu maîtriser M. Lasser à l'aide d'une couverture et le ramener dans son lit.

Le 5 mai 2008, M. Lasser a appelé le 911 de l'hôpital, alléguant qu'il avait été enlevé par l'église.

Interactions avec le personnel de l'hôpital la nuit du 2 mai et le matin du 3 mai 2008

Le soir du 2 mai 2008, l'infirmière Lynn Bowers a commencé son quart de nuit à l'hôpital. L'un des patients dont elle avait la responsabilité était Frank Lasser, qui, à l'époque, avait 82 ans et était hospitalisé pour une pneumonie. Vers 5 h 30 le 3 mai 2008, l'infirmière Bowers est entrée dans la chambre de M. Lasser. D'après sa déclaration, elle l'a trouvé assis sur le côté du lit et a remarqué que ses tubes à oxygène avaient été retirés.

L'infirmière Bowers a demandé à M. Lasser de remettre ses tubes à oxygène en place. Au lieu de le faire, M. Lasser lui a dit ceci : « Vous feriez mieux d'aller voir le gars du lit d'à côté [...] je pense qu'il est mort ». L'infirmière Bowers a jeté un coup d'œil de l'autre côté du rideau séparant les lits et a constaté que l'autre patient respirait et semblait endormi. Quand elle s'est retournée face à M. Lasser, elle a remarqué qu'il tenait un couteau, qu'il a ensuite posé sur sa table de nuit. Elle s'est approchée de la table et a tenté de prendre le couteau, mais M. Lasser a vu ce qu'elle essayait de faire et a pris le couteau avant elle.

Il s'agissait d'un couteau de poche standard, avec un manche en bois et une lame de trois pouces. La lame était dépliée pendant tout l'incident. Je suis convaincu, après avoir vu les photographies du couteau (voir l'Annexe G), qu'il s'agit d'une arme qui aurait pu, si elle avait été utilisée, infliger de graves blessures ou même causer la mort.

L'infirmière Bowers a déclaré que, même si M. Lasser ne disait rien, elle se sentait menacée par ses mouvements et sa façon d'agiter le couteau. L'infirmière Bowers se souvenait d'avoir levé les mains devant elle et d'être sortie de la pièce à reculons pour pouvoir appeler la sécurité. Pendant qu'elle attendait le personnel de sécurité, elle est retournée dans la chambre et a tenté de convaincre M. Lasser de poser le couteau. Elle a fini par s'approcher de lui, et il a de nouveau agité le couteau devant elle, de sorte qu'elle a reculé.

M. Larocque, un gardien de sécurité travaillant pour le Royal Inland Hospital, se souvenait d'avoir reçu, vers 5 h 30, un appel urgent du standard téléphonique lui demandant de communiquer avec le poste de soins infirmiers de la section trois ouest. Il a immédiatement rappelé et a été informé du fait qu'un patient avait un couteau, refusait de s'en départir et s'en était servi pour menacer une infirmière.

M. Larocque s'est rendu au poste de soins infirmiers, et les infirmières lui ont dit que M. Lasser était désorienté, voulait rentrer chez lui et avait un couteau. M. Larocque a déclaré s'être rendu à la porte de la chambre de M. Lasser, s'être présenté et avoir demandé à ce dernier quel était le problème. D'après M. Larocque, M. Lasser s'est levé et a saisi le couteau. Il a tenté, sans succès, de calmer M. Lasser en discutant avec lui. M. Larocque se rappelait avoir entendu M. Lasser lui dire qu'il allait « l'étriper comme un poisson » tout en faisant un mouvement brusque dans sa directionNote de bas de page 9. M. Larocque a reculé et a demandé l'aide d'un autre gardien de sécurité, mais personne n'était disponible dans l'immédiat.

Il a remarqué que M. Lasser posait parfois le couteau sur la table de nuit et s'est dit que cela lui permettrait peut-être de le désarmer. Il a saisi une vadrouille et a attendu que M. Lasser pose le couteau et se penche pour prendre ses souliers avant d'essayer de faire tomber le couteau de la table. D'après M. Larocque, M. Lasser a réagi rapidement et a pris le couteau sur la table et l'a brandi pour le menacer. M. Lasser a fait un mouvement brusque en direction de M. Larocque, qui a fait un saut en arrière et a quitté la chambre. Il a demandé à l'infirmière Bowers d'appeler la police.

La version des faits de M. Larocque a été soutenue par celle de l'infirmière Cassandra Tremblay, qui a été témoin d'une partie des interactions entre le gardien de sécurité et les agents de police, d'une part, et M. Lasser, d'autre part, et qui a dit de ce dernier qu'il était « plutôt agile ». Elle a remarqué que M. Lasser était suffisamment agile pour éviter la vadrouille et qu'il avait réagi en brandissant brusquement le couteau devant M. Larocque, avant de faire quelques pas en direction de la porte. Elle a déclaré qu'il était ensuite retourné dans son lit, d'où elle l'a entendu proférer des obscénités au gardien. Même si l'infirmière Sheila (Teri) Gri ne pouvait voir M. Lasser pendant l'incident, elle l'a entendu et se rappelait qu'il était « très agressif et criait ».

L'infirmière Natalie Romaniuk était aussi présente quand M. Larocque a tenté de désarmer M. Lasser et se rappelait que M. Lasser avait fait un mouvement brusque en direction de M. Larocque et avait agité le couteau devant lui. Elle a déclaré qu'à son avis, M. Lasser essayait de faire du mal à M. Larocque.
L'infirmière Bowers a appelé le 911 et, à peu près au même moment, l'infirmière Romaniuk et M. Lasser ont fait la même chose. Les transcriptions de ces trois appels ont été mises à la disposition des enquêteurs, et la transcription de l'appel au 911 de M. Lasser m'a été particulièrement utile dans le cadre de mon examen.

Présence de la GRC

Après avoir reçu les appels au 911, la station de transmissions opérationnelles a affecté les gendarmes Daryl McDonald et Sadie Doer, qui était cadet à ce moment-là, à l'intervention relative à un appel de priorité un du Royal Inland Hospital. Les gendarmes Tugnum et Jean MichaudNote de bas de page 10 conduisaient des voitures de patrouille près de l'hôpital et ont indiqué qu'ils répondraient aussi à l'appel. Le gendarme James Prieur, cadet à ce moment-là, accompagnait le gendarme Michaud. Au total, cinq membres de la GRC ont fini par répondre à l'appel. Les premiers membres sont arrivés à l'entrée de la salle d'urgence et ont été dirigés vers la section trois ouest. À leur arrivée, ils ont remarqué qu'il y avait un certain nombre d'infirmières et un gardien de sécurité autour du poste de soins infirmiers qui se trouvait près de la chambre de M. Lasser, et on les a brièvement informés de la situation. Les membres ont regardé dans la chambre et ont vu M. Lasser, assis contre son lit d'hôpital, qui tenait un couteau d'une main et un cellulaire de l'autre. Il parlait au téléphone, et les membres ont appris plus tard qu'il discutait avec le téléphoniste du 911.

Le gendarme Michaud a dit qu'il avait pris en main la situation, car il était celui qui avait le plus d'expérience. Il s'est positionné près de la porte, à l'intérieur de la chambre, avec les gendarmes Tugnum et Prieur, qui bloquaient le chemin derrière lui. Le gendarme Michaud se rappelait avoir demandé à M. Lasser de poser le couteau, ce qu'il a refusé de faire. Les gendarmes Prieur et Tugnum ont aussi demandé à M. Lasser de poser le couteau. Tous les membres ont dit avoir entendu la voix au téléphone demander à M. Lasser de poser le couteau. M. Lasser a fait fi de ces demandes, et le gendarme Michaud a sorti son arme à impulsions et l'a pointée en direction du sol, le long de sa jambe.

Le gendarme Tugnum et M. Larocque ont déclaré avoir vu le gendarme Michaud pointer son arme à impulsions en direction de M. Lasser, avec le point lumineux au laser sur lui. La formation de la GRC sur l'utilisation de l'arme à impulsions met l'accent sur le fait que le simple pointage du point lumineux de l'arme à impulsions sur un suspect peut suffire à calmer la situationNote de bas de page 11. Même si la politique l'exigeNote de bas de page 12, le gendarme Michaud n'a donné aucun avertissement. Cependant, d'après les déclarations que M. Lasser a faites pendant l'incident, il est évident qu'il a reconnu l'arme.

Le fait de montrer l'arme à impulsions n'a pas eu l'effet désiré. La réaction de M. Lasser a été de demander au gendarme Michaud de jeter son arme à impulsions. L'enregistrement audio de son appel au 911 a confirmé que M. Lasser insistait pour que le gendarme Michaud jette son arme à impulsions. Le gendarme Michaud a pris l'arme à impulsions dans sa main gauche, que M. Lasser ne pouvait voir parce qu'elle était camouflée par le cadre de porte. Il a expliqué qu'il espérait que M. Lasser l'oublierait si l'arme était hors de sa vue. Cependant, d'après le commentaire sur l'enregistrement de l'appel au 911, il est évident que M. Lasser ne s'est pas laissé berner, puisqu'il a continué de demander au gendarme Michaud de poser l'arme à impulsions.

M. Larocque a expliqué aux membres qu'il avait tenté, sans succès, de désarmer M. Lasser à l'aide d'une vadrouille. Le gendarme Michaud a laissé entendre que le gaz poivré serait peut-être une bonne solution, mais le personnel de l'hôpital a soulevé des préoccupations quant à la possibilité que le gaz poivré se retrouve dans le système d'aération et cause du tort aux patients qui ont des problèmes respiratoires. À ce moment, quelqu'un a mentionné que M. Lasser avait dit que le patient du lit d'à côté était mort. Les déclarations des employés de l'hôpital ont montré que c'était une préoccupation constante pour eux tout au long de cet incident. L'inquiétude du gendarme Michaud à ce sujet était plus grande parce que le rideau ne leur permettait pas de voir l'autre patient, qui, d'après les dires de tous, n'avait fait aucun bruit depuis l'arrivée des membres de la GRC.

Le gendarme Michaud est entré dans la chambre avec l'intention de parler à M. Lasser. M. Lasser a réagi en se levant et en prenant le couteau, qu'il avait posé précédemment. Tous les membres se rappelaient avoir entendu M. Lasser menacer de leur lancer le couteau et leur dire qu'il le ferait avec adresse. Ces commentaires ont été captés par l'enregistrement de l'appel au 911. Les membres ont aussi déclaré que les gestes de M. Lasser ressemblaient à ceux de quelqu'un qui se prépare à lancer un couteau. Le gendarme Michaud a déclaré qu'il avait pensé à sortir de la chambre et à fermer la porte en attendant que M. Lasser se calme, mais il ne pouvait agir de la sorte parce qu'il était inquiet pour l'autre patient et estimait qu'il était évident que M. Lasser agissait de façon « totalement irrationnelle ».

Ayant conclu qu'ils se devaient d'agir, les membres ont discuté d'autres interventions possibles. Ils ont d'abord envisagé d'utiliser un couvercle de poubelle comme bouclier pour pouvoir s'approcher de M. Lasser et le désarmer. Cependant, ils n'ont pas pu trouver un couvercle en aluminium, et le couvercle de plastique qu'ils ont trouvé ne semblait pas assez solide. Ils ont convenu d'utiliser un chariot de distribution des repas, qui mesurait environ 5 pieds de haut et dans lequel il y avait de petites fentes pour tenir les plateaux. Ils ont estimé que les fentes étaient trop étroites pour que quelqu'un puisse passer le bras à travers. Les membres ont décidé que, au signal du gendarme Michaud, la prochaine fois que M. Lasser poserait le couteau, le gendarme Tugnum pousserait le chariot dans sa direction et tenterait de l'empêcher de prendre le couteau ou de l'obliger à le lâcher si M. Lasser le reprenait avant d'avoir été touché. C'est à peu près à ce moment-là que les gendarmes McDonald et Doer sont arrivés. Les deux membres ont regardé dans la chambre, mais n'y ont pas pénétré et n'ont pas non plus engagé la conversation avec M. Lasser avant qu'il n'ait été maîtrisé.

La transcription de l'appel au 911 a révélé que M. Lasser a demandé à plusieurs reprises au gendarme de poser son arme à impulsions et de sortir de la chambre. Au même moment, les membres et le répartiteur répétaient à M. Lasser de poser le couteau sur le sol. Le gendarme McDonald a entendu les membres ordonner à M. Lasser de poser le couteau et a dit d'eux qu'ils étaient calmes, fermes et maîtres d'eux.

M. Lasser a posé le couteau à côté de lui et, tout en continuant de tenir le téléphone, il a pris un verre d'eau en styromousse et l'a lancé aux membres. Le gendarme Tugnum, dont la vue était obstruée par le chariot, a vu de l'eau éclabousser le plancher au moment où le gendarme Michaud lui a donné le signal de pousser le chariot. Le gendarme Tugnum a poussé ce dernier en direction de M. Lasser, mais, avant que le chariot le frappe, M. Lasser a pu saisir le couteau et l'a conservé dans sa main même quand le chariot l'a frappé. Les gendarmes Tugnum et Michaud se sont placés à gauche de M. Lasser afin de le maîtriser pendant que le gendarme Prieur, qui n'était pas bien loin derrière lui, lui bloquait le passage du côté droit. Quand le gendarme Tugnum a fait le tour du chariot, il a contourné le pied du lit pour essayer d'empêcher M. Lasser d'aller de l'autre côté du lit. Il a estimé qu'il se trouvait à environ trois pieds de M. Lasser quand celui-ci a brandi le couteau au-dessus de sa tête et s'est tourné vers le gendarme Tugnum, comme s'il s'apprêtait à le poignarder. Le gendarme Tugnum s'apprêtait à sortir son arme à feu mais, avant qu'il n'ait eu le temps de le faire, le gendarme Michaud, qui se trouvait maintenant au pied du lit, a utilisé l'arme à impulsions en mode sondeNote de bas de page 13.

M. Lasser a lâché le couteau, et le gendarme Tugnum lui a saisi le bras gauche au moment où il tombait sur le lit. Le gendarme Prieur a pris le couteau, puis l'a donné à M. Larocque, et a ensuite pris le bras droit de M. Lasser. Le gendarme Michaud se rappelait qu'après avoir entendu le gendarme Prieur lui dire que M. Lasser avait lâché le couteau, il a arrêté l'impulsion de l'arme à impulsionsNote de bas de page 14. Les gendarmes Michaud et Doer et M. Larocque ont tous estimé que l'arme à impulsions avait été utilisée pendant environ deux secondesNote de bas de page 15.

Un examen du rapport d'utilisation de l'arme à impulsions révèle que la décharge a duré en fait cinq secondes. La divergence s'explique si l'on compare le rapport d'incident préparé par le gendarme Michaud le jour même à sa déclaration, qui a été faite six semaines après les événements en cause. Dans son rapport d'incident, le gendarme Michaud a mentionné que l'une des sondes était tombée après environ deux secondes. Quand l'une des sondes tombe, le circuit est rompu, ce qui signifie que le courant ne passe plus et que l'arme à impulsions perd son effet. Compte tenu de la preuve, je suis convaincu que la décharge a été écourtée de quelques secondes en raison de la chute d'une des sondes.

Événements qui se sont produits après l'utilisation de l'arme à impulsions

Le gendarme McDonald est entré dans la chambre et a aidé le gendarme Prieur à installer M. Lasser sur le lit. L'enregistrement de l'appel au 911 comprend une brève période suivant l'utilisation de l'arme à impulsions, et, pendant cette période, on a capté une voix d'homme non identifiée en train de rassurer M. Lasser et de lui dire que tout allait bien. Les rapports d'incident des membres confirment qu'il s'est calmé en quelques minutes; les membres ont dit de lui qu'il était beaucoup plus calme, coopératif et très aimable. Le gendarme McDonald a engagé une conversation avec M. Lasser en lui demandant comment il allait et a dit avoir essayé de l'aider à se détendre. Le gendarme Doer se souvenait de l'échange et a dit que le gendarme McDonald avait réconforté M. Lasser.

L'infirmière Joan Wilson a déclaré que les membres ont fait preuve de compassion et que, d'après elle, ils ne souhaitaient pas utiliser l'arme à impulsions et ne l'ont fait qu'en dernier recours.

Au sujet du comportement des membres après l'utilisation de l'arme à impulsions, l'infirmière Tremblay a dit ce qui suit : « [...] quand il était couché sur le lit, les membres, après lui avoir retiré l'arme des mains, lui ont parlé d'une façon aimable et, comment dire, attentionnée [...] ils essayaient simplement de le calmer, et ils étaient, ils semblaient préoccupés par son bien-être ».

Le gendarme McDonald a repéré le dispositif d'alimentation en oxygène de M. Lasser et a demandé qu'une infirmière le rétablisse. Les infirmières et les membres ont constaté que M. Lasser s'est rapidement calmé et est devenu plus cohérent, mais qu'il ne semblait pas bien se rappeler ce qui s'était passé.

Les membres ont aussi raconté que M. Lasser s'est fâché quand l'un des gardiens de sécurité est entré dans la chambre avec du matériel de contrainte. M. Lasser a crié et injurié le gardien, lui disant de s'en aller, et le gendarme McDonald a dit au gardien que le matériel de contrainte ne serait pas nécessaire. Le gardien a quitté la chambre, et le gendarme McDonald a rassuré M. Lasser, qui s'est de nouveau calmé.

Le personnel de l'hôpital s'est assuré que l'autre patient n'était pas blessé et s'est aperçu qu'il avait dormi pendant tout l'incident.

Analyse

Recours à la force

La question centrale en cause dans le présent examen est l'utilisation de l'arme à impulsions pour maîtriser M. Lasser. Le recours à l'arme à impulsions doit être conforme aux principes du Modèle d'intervention pour la gestion des incidents (MIGI)Note de bas de page 16. Dès leurs premiers jours de formation à titre de cadets, les membres sont exposés au MIGI. Ce modèle est conçu pour aider les membres à en arriver au moyen d'intervention le plus approprié en prenant en considération une série de facteurs pouvant être pertinents dans le cadre des interactions variées entre la police et le public, au quotidien. Une représentation graphique du MIGI se trouve à l'Annexe H.

L'élément clé du MIGI est le modèle de résolution de problèmes CAPRANote de bas de page 17. Le modèle CAPRA requiert de la part des membres qu'ils envisagent tous les facteurs pertinents à la situationNote de bas de page 18 au moment de déterminer quelles mesures prendre, y compris le recours à la force et, le cas échéant, le niveau de force à utiliser compte tenu des circonstances. Le gendarme s'appuie sur ces facteurs pour effectuer les évaluations préconisées par le MIGI. Les membres doivent évaluer les risques posés par un sujet pour ensuite déterminer quel est le niveau approprié d'intervention, qui peut comprendre le recours à la force.

En évaluant les intentions de M. Lasser, l'infirmière Bowers et M. Larocque ont tous deux eu l'impression que M. Lasser était prêt à utiliser son couteau contre eux. D'autres membres du personnel de l'hôpital qui ont vu M. Larocque tenter de maîtriser M. Lasser ont confirmé qu'à leur sens, ce dernier était prêt à utiliser son couteau.

Pour déterminer les mesures à prendre, les membres doivent évaluer le comportement du sujet. La MIGI s'assortit d'une liste de comportements observables chez le sujet, de « coopératif » jusqu'à « menace de mort ou de blessures graves », en passant par « non coopératif », « résistant » et « combatif ». À différentes occasions, au cours de leurs interactions, les membres sont arrivés à la conclusion que M. Lasser constituait une menace de blessures graves ou de mort. Le gendarme Prieur a déclaré qu'il avait conclu à la menace de blessures graves ou de mort lorsque M. Lasser a menacé de lancer son couteau sur les membres. Les gendarmes Michaud et Tugnum en sont arrivés à la même conclusion lorsque M. Lasser a levé le couteau au-dessus de sa tête et était prêt à poignarder le gendarme Tugnum.

Dans cette situation, les éléments clés de l'évaluation du risque, comme l'ont noté les membres, étaient le fait que M. Lasser était armé, qu'il était irrationnel, qu'il menaçait les membres et d'autres personnes avec une arme et qu'il y avait un autre patient dans la salle qui aurait pu avoir besoin de soins médicaux. Tous ces facteurs combinés ont augmenté le niveau de risque et le besoin d'intervenir rapidement.

En général, lorsqu'un membre a évalué le comportement du sujet et le risque qu'il pose, il doit choisir la mesure appropriée. Les options d'intervention rapide comprennent les suivantes : présence de l'agent, intervention verbale et contrôle physique. À mesure que la menace augmente, le membre peut passer à un niveau de force physique supérieure, à des armes intermédiaires (aérosol capsiqueNote de bas de page 19 ou arme à impulsions), à des armes à impact (bâton) et enfin, au recours à une force mortelle.

Les interventions verbales et le repositionnement tactique sont utilisés, peu importe le niveau de risque, pour aider le membre à garder le contrôle de la situation, à désamorcer toute confrontation et à s'assurer d'un maximum de sécurité pour toutes les personnes concernées. Cela est conforme aux principes du MIGI, qui mettent l'accent sur la sécurité du public et des membres et selon lesquels la meilleure stratégie consiste à intervenir le moins possible pour gérer le risque. De cette façon, la meilleure intervention cause le moins de dommage.

Après avoir tenté une intervention verbale sans succès, les membres se sont repositionnés derrière l'entrée et ont discuté des optionsNote de bas de page 20 possibles. Ils ont été mis au courant des préoccupations touchant l'autre patient et ont déterminé qu'il fallait intervenir d'urgence. Cela signifiait que le fait de continuer à parlementer avec M. Lasser et d'attendre qu'il sorte n'était pas l'approche appropriée. L'utilisation éventuelle de l'aérosol capsique avait été éliminée d'emblée par le personnel de l'hôpital, à cause du danger que cela pourrait représenter pour d'autres patients, et, à ce moment-là, les membres ne désiraient pas utiliser l'arme à impulsions parce qu'ils tentaient d'utiliser la force le moins possible. Ensuite, les membres ont discuté de la possibilité d'utiliser un bouclier pour tenter de s'approcher de M. Lasser, dans l'espoir de l'empêcher de prendre le couteau ou pour tenter de le lui faire échapper.

À ce stade de l'incident, le comportement de M. Lasser pouvait raisonnablement être qualifié de menace de blessures corporelles graves ou de mort. C'est seulement après la tentative ratée de maîtriser M. Lasser à l'aide du chariot de distribution de repas que les membres ont augmenté l'usage de la force. Lorsque M. Lasser a voulu s'en prendre au gendarme Tugnum, il y avait manifestement une menace de blessures corporelles graves ou de mort. À ce moment-là, le gendarme Tugnum a pris son arme de peur d'être poignardé, et le gendarme Michaud, qui a exprimé la même préoccupation pour le gendarme Tugnum, a fait usage de son arme à impulsions. Les gendarmes Michaud et Prieur ont été en mesure de décrire les faits qui les ont amenés à croire que M. Lasser était en mesure de mettre à exécution ses menaces, qu'il avait l'intention claire de blesser quelqu'un et qu'il avait un moyen pour y arriver, à savoir son couteau.

Les armes à impulsions sont actuellement classifiées comme étant des dispositifs intermédiaires. Au moment de l'incident, des armes de cette catégorie pouvaient être utilisées contre des sujets qui démontraient un comportement résistant ou menaçant (p. ex. se montrer combatif). Lorsque les membres font face à des situations où il y a risque de mort ou de blessures corporelles graves, ils sont entraînés pour utiliser l'arme à impulsions seulementNote de bas de page 21 si un autre membre peut exercer une force dominante pouvant être mortelleNote de bas de page 22. Cela signifie qu'au moins un autre membre doit avoir un pistolet prêt à faire feu dans l'éventualité où l'arme à impulsions est défectueuse ou s'avère inefficace, où la menace n'est pas neutralisée.

Dans les circonstances, à savoir que les membres faisaient face à un antagoniste armé qui avait déjà menacé le personnel de l'hôpital ainsi qu'eux-mêmes, que le suspect n'était pas rationnel et n'avait pas obéi aux ordres des gendarmes, et qu'il fallait d'urgence veiller à la santé et à la sécurité de l'autre patient, la politique de la GRC permettait l'utilisation d'une force massive dès le début de l'incident. Autrement dit, les membres auraient pu choisir, à un ou à plusieurs, de dégainer leur arme à feu et d'exercer une force dominante pouvant être mortelle, pendant que le gendarme Michaud utilisait son arme à impulsions, à distance. Si l'utilisation de l'arme à impulsions avait échoué et que M. Lasser avait attaqué quelqu'un avec son couteau, les membres auraient été en droit de faire feu, conformément à la politique et au Code criminel du Canada. Cependant, les membres ont exercé leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils ont tenté de causer le moins de dommages corporels possibles à M. Lasser, ce qui les a exposés à un risque pour eux-mêmes. En effet, ils ont fait usage de l'arme à impulsions en dernier recours, lorsque le gendarme Michaud a craint pour la sécurité de son collègue. En conséquence, je crois que l'utilisation de l'arme à impulsions était raisonnable et justifiéeNote de bas de page 23 dans les circonstances.

Conclusion : 1. Les mesures déployées par les membres et l'utilisation de la force constituaient une intervention raisonnable en fonction de la menace que constituait M. Lasser.

Prise de notes

Après avoir fait sa déclaration initiale dans le cadre de l'enquête sur la plainte déposée par le président, le gendarme Tugnum a été de nouveau interviewé concernant sa prise de notes portant sur l'incident. Appelé à préciser s'il avait pris des notes, le gendarme Tugnum a répondu ce qui suit :

Pas à ce moment-là. J'ai tiré une leçon de cet événement, compte tenu particulièrement de l'utilisation de la force, sur l'importance de prendre des notes. Le sous-officier responsable des opérations, le sergent d'état-major GOFFNER, a soulevé cette question et je me suis rendu compte de l'importance de la prise de notes, particulièrement dans une telle situation. En conséquence, je m'efforce de prendre des notes plus détaillées, particulièrement lorsqu'il y a usage de la force.

[...]

C'est ce que je me suis mis à faire dernièrement : je prends des notes détaillées dans mon calepin et dès que je reviens à ma voiture, je rédige immédiatement un rapport d'événement, sur les lieux, comportant des détails sur le recours à la forceNote de bas de page 24.

Le gendarme Prieur a aussi omis de prendre des notes sur l'incident et a considéré que son rapport d'événement, qu'il n'a préparé que le 8 mai 2008, tenait lieu de notes. Il a déclaré qu'en conséquence de son omission de prendre des notes, il a dû suivre un plan d'apprentissage aux fins de conformité, et ses notes ont été ensuite vérifiées par un superviseur qui les a jugées satisfaisantes.

La politique de la GRC traite de l'importance de la prise de notes complètes et en temps opportun par les enquêteursNote de bas de page 25. La politique décrit le calepin de notes du membre comme un « outil d'enquête fondamental » et insiste sur la nécessité de tenir un calepin de notes « complet et exact ». On ne saurait affirmer raisonnablement que les membres ont respecté les normes prescrites par la politique dans cette situation.

En l'espèce, le gendarme Michaud a fourni des notes succinctes concernant l'événement, qui ont été ensuite augmentées par un rapport d'événement rédigé plus tard ce jour-là et par un rapport sur le recours à l'arme à impulsions. Le calepin du gendarme Michaud comportait une description de deux pages avec les principaux détails de l'incident. Bien qu'aucune accusation n'ait été portée, il y a eu recours à la force, et, dans les circonstances de cette intervention, davantage de détails auraient dû être fournis dans les notes du gendarme Michaud.

Les mêmes lacunes étaient manifestes dans le premier rapport sur le recours à l'arme à impulsions rédigé par le gendarme Michaud. Conformément à la politique, ce document a été examiné par un superviseur, qui a conclu que la description n'était pas suffisamment détaillée. Le superviseur a demandé au gendarme Michaud de remanier son rapport. J'ai examiné ces deux documents et suis convaincu que les changements apportés au second document enrichissent le récit de l'événement se trouvant dans le document initial sans pour autant modifier sa teneur. De plus, les faits relatés sont compatibles avec les éléments de preuve invoqués au cours de l'enquête. La seconde version répond aux exigences en matière d'exhaustivité et de clarté et devrait servir de modèle au gendarme Michaud concernant la façon de correctement documenter de futurs incidents.

Je suis convaincu que les gendarmes Tugnum et Prieur ont reçu une orientation adéquate qui mettait l'accent sur l'importance de prendre des notes exhaustives et en temps opportun et qu'ils se sont engagés à respecter les exigences de la politique concernant la prise de notes. Je suis aussi d'avis que les modifications au rapport sur le recours à l'arme à impulsions du gendarme Michaud apportent une quantité raisonnable de détails et que l'exercice devrait servir de démonstration de l'importance de la tenue adéquate de dossier.

Dans son rapport final, le commissaire mentionne que le détachement de la GRC à Kamloops est allé plus loin et a tenu des séances d'information pour rappeler aux membres du détachement de respecter les politiques, les procédures et les lignes directrices concernant la prise de notes. Je suis convaincu que les mesures nécessaires ont été prises individuellement et à l'échelle du détachement pour combler les lacunes du point de vue de la tenue des dossiers, constatées dans ce dossier.

Conclusion : 2. Les gendarmes Michaud, Tugnum et Prieur ont négligé de prendre correctement des notes sur l'incident, cependant je crois que des mesures correctives adéquates ont été prises par la GRC pour combler ces lacunes.

Deuxième question  : Est-ce que les politiques, procédures et lignes directrices actuelles, applicables à de tels incidents sont adéquates?

Le second aspect de ma plainte consistait à évaluer le caractère adéquat des politiques, procédures et lignes directrices existantes. En ce qui a trait au recours à l'arme à impulsions, les faits énoncés ci-dessus ne suscitent pas de préoccupations concernant l'application de la politique. Il convient de noter que, depuis que j'ai déposé cette plainte, la GRC a modifié sa politique concernant le recours à l'arme à impulsions. La Commission a entamé un examen plus étendu du caractère adéquat de la politique, sous forme d'enquête d'intérêt public concernant la mort sous garde liée au recours à l'arme à impulsions, et cette enquête s'étendra jusqu'à l'évaluation du caractère adéquat des politiques, procédures et lignes directrices concernant le recours à l'arme à impulsionsNote de bas de page 26.

Conclusion : 3. Les circonstances entourant cette affaire ne donnent pas à penser qu'il faut remettre en question le caractère adéquat des politiques, procédures et lignes directrices applicables à de tels incidents.

Commentaires

Bien que le recours à l'arme à impulsions dans cette affaire n'ait pas soulevé de préoccupations concernant l'application de politiques relatives à son utilisation, d'autres préoccupations concernant la gestion de l'arme à impulsions et la présentation de rapports connexes méritent que l'on s'y arrête.

Registre de contrôle – Arme à impulsions

Selon la politique de la GRC, le commandant de détachement doit « tenir un registre de contrôle pour chaque arme à impulsions distribuée au service en enregistrant l'heure, la date, et le nom de chaque membre qui a reçu une arme à impulsionsNote de bas de page 27 ». Cependant, au moment où ce rapport a été rédigé, le détachement n'a pas été en mesure de trouver le registre de contrôle pour cet incident. L'incapacité de trouver le registre de contrôle n'a d'aucune façon nui à mon examen, puisque les faits normalement corroborés par ce registre ne sont pas ici remis en question. L'enquête a fourni suffisamment de preuves corroborées portant sur le contrôle et l'utilisation de l'arme à impulsions au cours de cet incident. Cependant, ce n'est pas la première fois qu'un registre de contrôle du détachement de KamloopsNote de bas de page 28 est perdu.

La politique relative aux registres de contrôle vise à établir des pratiques exemplaires. Sur ce point, il semble y avoir eu un défaut répété d'adhérer à la politique et aux pratiques exemplaires, c'est pourquoi je suggère que la GRC réexamine les pratiques en place au détachement de Kamloops pour s'assurer de la conformité avec les politiques concernant le registre de contrôle de l'arme à impulsions.

Rapport sur les données téléchargées – Arme à impulsions

Le rapport sur les données téléchargées de l'arme à impulsions, préparé par le sergent d'état-major S.A. Wade (aujourd'hui inspecteur), était complet et clairement rédigé. Ce rapport s'est avéré d'une qualité grandement supérieure à ceux qui sont souvent reçus par la Commission dans le cadre de ses examens. Le rapport présentait des détails sur le test de l'horloge interne et sur son rajustement, car elle retardait de 16 minutes 11 secondesNote de bas de page 29. À certaines occasions, ces rapports présentaient à peine plus d'information que les données brutes téléchargées, dont les dates, l'heure et la durée de l'utilisation. Dans certains cas, ces rapports ne contenaient aucun élément de preuve utile. Des normes nationales conçues pour s'assurer que ces rapports contiennent des renseignements uniformes, pertinents et fiables seraient des plus bénéfiques.

Je dépose mon rapport final conformément au paragraphe 45.42(2) de la Loi sur la GRC. Le mandat de la Commission concernant cette affaire est donc terminé.

Le président,
____________________________________
Paul E. Kennedy

Annexe A – Tableau chronologique des événements

3 mai 2008

Heure approximative Événements
5 h 30 L'infirmière Bowers entre dans la chambre de M. Lasser. Il lui dit que l'autre patient partageant sa chambre est décédé. L'infirmière Bowers fait appel à la sécurité après avoir vérifié l'état de l'autre patient et échoué dans sa tentative de s'emparer du couteau de M. Lasser.
5 h 35 Le garde de sécurité, M. Larocque, arrive. M. Lasser le menace avec un couteau. Les tentatives de s'emparer du couteau de M. Lasser sont vaines.
5 h 45 M. Lasser et le personnel infirmier téléphonent au 911.
5 h 55 Les gendarmes Michaud, Tugnum et Prieur arrivent à la section trois ouest. M. Lasser n'obéit pas aux instructions verbales de rendre son couteau et s'en sert pour menacer les membres. Les membres sont prévenus par le personnel de l'hôpital au sujet des préoccupations entourant l'autre patient occupant la chambre et envisagent des options pour maîtriser M. Lasser.
6 h  Les gendarmes McDonald et Doer arrivent ensuite, juste avant que le gendarme Tugnum fasse pression sur M. Lasser à l'aide d'un chariot de distribution des repas. Le gendarme Michaud maîtrise ensuite M. Lasser à l'aide d'une arme à impulsions.
6 h 15 Le dernier membre quitte les lieux et laisse M. Lasser et l'autre patient sous les soins du personnel de l'hôpital.

Annexe B – Membres de la GRC et personnes mêlées à l'incident ou prenant part à l'enquête (postes et grades à ce moment-là)

Membres de la GRC s'étant présentés au Royal Inland Hospital le 3 mai 2008

Personne Détachement Poste Années de service Rôle
Gend. Jean Michaud Kamloops Services généraux 6 ans A donné suite à l'appel au 911 et a utilisé son arme à impulsions sur M. Lasser.
Gend. James Prieur Kamloops Services généraux 3 mois A donné suite à l'appel au 911, a aidé à maîtriser M. Lasser.
Gend. Mark Tugnum Kamloops Services généraux 3 ans A donné suite à l'appel au 911, a aidé à maîtriser M. Lasser.
Gend. Daryl McDonald Kamloops Services généraux 2 ans A donné suite à l'appel au 911, est arrivé sur les lieux seulement après l'utilisation de l'arme à impulsions.
Gend. Sadie Doer Kamloops Services généraux 5 mois A donné suite à l'appel au 911, est arrivé sur les lieux seulement après l'utilisation de l'arme à impulsions.

Membres de la GRC ayant enquêté sur la plainte déposée par le président

Personne Affectation à l'époque Années de service Rôle
Serg. Glen Penner Sous-officier responsable de la Division E, Section des infractions commerciales de Kelowna 33 ans Enquêteur chargé de la plainte déposée par le président
S.é.-m. Tim Windle Sous-officier-conseil, Division E, Section des infractions commerciales de Vancouver 32 ans A contribué à l'interrogation des témoins
Cpl. (maintenant serg.) Angela Rodricks Division E, Section des infractions commerciales de Vancouver 17 ans A contribué à l'interrogation des témoins

Annexe E – Résumé des conclusions de la Commission

Première question : Dans le cadre des événements qui se sont produits à Kamloops (Colombie-Britannique) le 3 mai 2008, durant lesquels un homme de 82 ans, Frank Lasser, aurait été maîtrisé à l'aide d'une arme à impulsions, est-ce que les membres de la GRC impliqués ont respecté toutes les politiques, procédures, directives et exigences légales applicables?

Conclusion : 1. Les mesures déployées par les membres et l'utilisation de la force constituaient une intervention raisonnable en fonction de la menace que constituait M. Lasser.

Conclusion : 2. Les gendarmes Michaud, Tugnum et Prieur ont négligé de prendre correctement des notes sur l'incident, cependant je crois que des mesures correctives adéquates ont été prises par la GRC pour combler ces lacunes.

Deuxième question : Est-ce que les politiques, procédures et lignes directrices actuelles, applicables à de tels incidents sont adéquates?

Conclusion : 3. Les circonstances entourant cette affaire ne donnent pas à penser qu'il faut remettre en question le caractère adéquat des politiques, procédures et lignes directrices applicables à de tels incidents.

Annexe F – Diagramme de la chambre d'hôpital

(n'est pas à l'échelle)

Diagramme de la chambre d’hôpital de M. Lasser au Royal Inland Hospital.
Version textuelle

Diagram 1: Diagramme de la chambre d'hôpital de M. Lasser au Royal Inland Hospital à Kamloops, en Colombie-Britannique, qui illustre ce qui suit (de droite à gauche, dans le sens horaire) :

  • Évier
  • Couloir
  • Toilette
  • Table
  • Lit de M. Lasser
  • Rideau
  • Deuxième lit
  • Chariot
  • Chaise
  • Porte
Photographie de la chambre d'hôpital de M. Lasser au Royal Inland Hospital. Photographie de la chambre d'hôpital de M. Lasser au Royal Inland Hospital.

Annexe G – Photographies du couteau

Photographie du couteau brandi par M. Lasser, un couteau de poche standard, avec un manche en bois et une lame de trois pouces.



Annexe H – Représentation graphique du MIGI


Annexe I – Politique sur le calepin de l'enquêteur

25.2 Manuel des opérations de la GRC

...

2. Généralités

2.1. Le calepin du membre constitue un outil d'enquète fondamental. Il est essentiel que le calepin soit bien rempli, complet et exact afin qu'il aide à l'enquète, corrobore la preuve et rehausse la crédibilité du témoignage du membre devant les tribunaux. Des notes bien consignées peuvent également s'avérer très utiles pour corroborer de l'information plusieurs années après l'enquète.

2.2. On peut utiliser ses notes pour se rafraîchir la mémoire lors du procès si les notes ont été prises au moment de l'incident ou à peu près à ce moment-là.

2.3. Si on remplit des fonctions opérationnelles, utiliser et tenir un calepin à jour. Consigner la date de toute assistance opérationnelle dans son calepin.

2. 4. Dans les cas mineurs, les notes peuvent ètre consignées directement sur la formule 1624, Rapport de continuation.

3. Types d'inscriptions

3.1. Prendre des notes au fil des événements ou dès qu'on en a la chance. Écrire à l'encre noire ou foncée dans la mesure du possible et veiller à ce que ses notes soient propres, lisibles, concises, informatives et bien organisées. Bien que le contenu de ses notes dépende du type et de la complexité de l'enquète, elles devraient inclure ce qui suit :

  • 3. 1. 1. ses observations et les mesures prises;
  • 3. 1. 2. la collecte, l'identification et le traitement des éléments de preuve;
  • 3. 1. 3. les motifs de détention, d'arrestation ou de fouille;
  • 3. 1. 4. tout avertissement ou mise en garde et les détails pertinents des circonstances;
  • 3. 1. 5. les déclarations des suspects ou des témoins, mot à mot, si possible;
  • 3. 1. 6. le comportement, et l'état émotionnel et physique des personnes, en particulier lorsqu'elles font des déclarations;
  • 3. 1. 7. les renseignements personnels de toute personne impliquée dans l'enquète, sauf ceux des sources confidentielles.


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