ARCHIVÉ - Résumé - Rapport de l'enquête Kingsclear
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1. Introduction
En 2004, la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) a reçu une série d'allégations contre la GRC à la suite de la conclusion de l'enquête pluriannuelle de la GRC sur des allégations d'agressions sexuelles survenues à l'École de formation du Nouveau-Brunswick de Kingsclear, au Nouveau-Brunswick. En tout, sept plaignants ont déposé onze accusations (dont deux étaient identiques), selon lesquelles :
- les enquêtes de la GRC concernant les allégations d'abus à l'ÉFNB étaient insuffisantes;
- il y avait dissimulation par la GRC concernant des activités criminelles présumées qui se seraient produites à l'ÉFNB;
- les enquêtes de la GRC concernant les allégations contre le sergent d'état-major Clifford McCann étaient insuffisantes;
- il y avait dissimulation délibérée de la part de la GRC concernant des actes répréhensibles présumés commis par le sergent d'état-major McCann.
Après un examen des allégations, la CPP a jugé qu'il serait dans l'intérêt de la population, des plaignants, des victimes et de leurs familles qu'elle mène une enquête sur les circonstances entourant les allégations. La CPP a donc lancé la plus importante enquête d'intérêt public de son histoire de manière à recueillir tous les éléments de preuve pertinents. Les conclusions et les recommandations contenues dans le présent document et dans le Rapport d'enquête Kingsclear traitent des questions relatives à la participation des officiers supérieurs aux enquêtes de la GRC en ce qui concerne la responsabilité, les ressources en personnel, les procédures d'entrevues et la prise de notes, et la communication avec la population.
Avec un budget de 3,1 millions de dollars et une équipe composée de 19 enquêteurs et de membres de personnel de soutien, la CPP a passé au peigne fin plus de 50 000 pages de documents et procédé à 150 entrevues. En 2007, la CPP a finalisé l'enquête d'intérêt public Kingsclear à partir d'une série d'enquêtes criminelles menées par la GRC de 1990 à 2003. Le résultat final est le Rapport d'enquête Kingsclear. Ce qui suit est un sommaire du rapport rédigé par la CPP.
1.1 Contexte
Pendant des décennies, l'ÉFNB a été le lieu d'agressions sexuelles et physiques sur des jeunes délinquants et sans abri qui lui étaient confiés. De 1992 à 1994, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a mené une enquête publique et a établi un programme d'indemnisation pour les victimes. La Commission d'enquête (qui est connue sous le nom d'enquête Miller) a été mise sur pied à la suite de la condamnation et de la détermination de la peine d'un ancien gardien de l'ÉFNB pour agression sexuelle en décembre 1992. L'objectif de l'enquête Miller était d'examiner la réponse de certains membres du gouvernement provincial aux plaintes pour agressions physiques et sexuelles.
L'école a ouvert ses portes en 1962 et était administrée par le ministère du Procureur général. Il s'agissait d'un établissement de redressement pour les jeunes contrevenants et un refuge sécuritaire pour les enfants ayant besoin de protection. Au moment oû l'école a finalement fermé ses portes en 1998, elle est devenue tristement célèbre pour les mauvais traitements subis par un grand nombre de ses pensionnaires. Bon nombre d'entre eux qui ont été agressés sexuellement ou physiquement souffrent de cicatrices émotionnelles ou sont dépendants de l'alcool ou de drogues.
Les premiers signes de mauvais traitements ont fait surface en 1985 lorsqu'un conseiller auprès des jeunes a rapporté à ses supérieurs, la Force policière de Fredericton (FPF) et les représentants du ministère du Solliciteur général, qu'un collègue de travail avait agressé trois garçons. Ces allégations n'ont mené à rien et quatre ans plus tard, il a rapporté de nouveau ces faits et a finalement attiré l'attention d'un journaliste principal de la CBC et du procureur général de la province.
La GRC a été mise au courant de l'enquête de la FPF sur l'ÉFNB le 7 février 1990 après que le procureur général a demandé à la GRC d'enquêter sur les allégations du conseiller auprès des jeunes concernant l'enquête de la Force policière de Fredericton, de certains membres du ministère du Solliciteur général, et en particulier de Karl Toft. À la demande du procureur général en juillet 1990, la GRC a mené une enquête et fait un rapport. Mais ce n'est qu'en octobre 1990, lorsque la GRC a reçu des renseignements du directeur exécutif des services de police de la province, qu'elle a débuté ses enquêtes sur l'ÉFNB. Ces enquêtes sur les allégations d'agressions sexuelles et physiques ont d'abord porté sur M. Toft, puis finalement sur plusieurs anciens employés de l'ÉFNB et sur le sergent d'état-major McCann de la GRC.
Même si l'enquête de la GRC a duré pendant presque 15 ans et que des centaines d'heures ont été consacrées aux entrevues d'anciens pensionnaires, à l'examen des dossiers d'enquête et à la constitution d'une liste de suspects potentiels d'environ 50 personnes, seulement trois personnes ont été accusées et uniquement deux d'entre elles ont été déclarées coupables. M. Toft a plaidé coupable à 34 chefs d'accusation en 1992, qui comprenaient des accusations portées par la GRC et la FPF, et a été condamné à 13 ans d'emprisonnement (qu'il a purgés en totalité), tandis que l'ancien préposé à l'entretien et aux réparations Hector Duguay a été reconnu coupable de quatre des cinq accusations portées contre lui en 1993 et a purgé une peine concurrente de cinq mois.
Trois anciens pensionnaires de l'ÉFNB, mécontents des résultats des enquêtes de la GRC, ont porté plainte auprès de la CPP en février 2004. Le 27 mai 2004, la CPP a annoncé le début de l'enquête d'intérêt public Kingsclear. En novembre 2004, quatre autres hommes avaient porté plainte auprès de la CPP en rapport avec l'enquête de la GRC.
1.2 Planification de l'enquête d'intérêt public
Dans l'intérêt de la gestion efficace de l'enquête d'intérêt public, la CPP a affecté deux équipes à l'examen de la série d'enquêtes criminelles de la GRC comme si elles étaient divisées en deux : une sur les personnes impliquées de l'ÉFNB et une autre sur le sergent d'état-major McCann. Les faits et les conclusions présentés dans le Rapport d'enquête Kingsclear et le présent Résumé sont rédigés en respectant ces deux volets.
2. Au sujet des enquêtes de la GRC
De 1990 à 2003, la GRC a mené à terme une série d'enquêtes criminelles qui ont été rouvertes et qui portaient sur des personnes impliquées à l'ÉFNB, notamment Karl Toft et d'autres membres du personnel de l'École, de même que sur l'ancien sergent d'état-major Clifford McCann, dont le nom a été cité par d'anciens pensionnaires lorsqu'ils ont été interrogés. Certains des officiers qui ont fait enquête sur les anciens employés de l'ÉFNB sont les mêmes que ceux qui ont mené l'enquête sur les allégations contre le sergent d'état-major McCann dans le cadre de l'enquête sur l'ÉFNB.
2.1 Sommaire des enquêtes sur l'ÉFNB
En 1985, le conseiller auprès des jeunes David Forbes a porté plainte auprès de la Force policière de Fredericton (FPF) au sujet de M. Toft, un gardien de l'école. Il aurait agressé sexuellement trois jeunes garçons pensionnaires à l'ÉFNB. Ce n'est que le 7 février 1990 que la GRC a entendu parler de M. Forbes, au moment oû le procureur général a demandé à celle-ci de mener une enquête.
Cette enquête a pris fin en juillet 1990 sans que des accusations aient été portées parce que les trois garçons que M. Forbes a identifiés comme étant des victimes ont refusé de témoigner devant le tribunal. Une quatrième victime dont a fait mention M. Forbes n'a pas été contactée étant donné que les trois premières victimes originales étaient peu enclines à poursuive l'affaire. Le directeur exécutif des services policiers de la province s'est demandé pourquoi le quatrième garçon n'avait pas été interrogé et a fourni à la GRC le nom d'une nouvelle victime potentielle, ce qui a amené la GRC à débuter une enquête en octobre 1990 sur ces deux personnes et le comportement de M. Toft envers eux. En juin 1991, la FPF a débuté sa seconde enquête sur l'ÉFNB après qu'un ancien pensionnaire a porté des accusations contre M. Toft.
Dans le cadre de son enquête, la GRC a appris que des plaintes d'agressions sexuelles potentielles avaient été déposées contre d'autres employés de l'ÉFNB. Finalement, la GRC a préparé des dossiers d'information concernant les inculpations criminelles déposées contre M. Toft, Weldon (Bud) Raymond, Hector Duguay et d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, pour que la Couronne puisse les examiner. La GRC et la FPF ont déposé des accusations criminelles contre M. Toft qui a plaidé coupable et a été condamné à 13 ans d'emprisonnement en 1992.
La GRC a tenté de déposer de nouvelles accusations contre M. Toft. Après en avoir discuté avec l'avocat de la Couronne, la GRC a déposé 15 chefs d'accusation concernant 13 victimes le 22 octobre 1993. Cependant, une semaine plus tard, le procureur général a décidé de surseoir aux chefs d'accusation en affirmant que l'intérêt public serait mieux servi s'il permettait à l'enquête Miller de se dérouler, plutôt que d'imposer la suspension des inculpations contre Karl Toft.
L'enquête a pris fin en 1995 lorsque le procureur général a confirmé qu'il ne lèverait pas la suspension des procédures qu'il avait imposées concernant les nouvelles accusations contre M. Toft. En 1999, à la suite de nouvelles plaintes formulées concernant l'ÉFNB, la GRC a demandé et obtenu des éclaircissements sur la position du procureur général relative à M. Toft. Le bureau du procureur général a expliqué que même s'il ne retenait pas les chefs d'accusation contre M. Toft analogues à ceux pour lesquels il avait déjà été reconnu coupable, les enquêtes sur les plaintes pour les crimes commis par d'autres membres de l'ÉFNB devraient se poursuivre. Après avoir mieux compris la position du procureur général, la GRC a démarré l'enquête de ces nouvelles allégations.
Au départ, l'enquête était sporadique et ne concernait qu'un petit nombre d'anciens pensionnaires. En février 2000, elle a pris une plus grande envergure après qu'une victime qui s'était manifestée d'elle-même, insatisfaite des résultats d'une plainte qu'elle avait déposée en 1998 contre le sergent d'état-major à la retraite Clifford McCann, a exprimé ses craintes à l'officier de la Police criminelle à la Division J de la GRC à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Par conséquent, la GRC a examiné les dossiers pertinents et a décidé de créer une équipe d'enquête en 2000. Des problèmes de ressources humaines et financières ont retardé la composition de l'équipe jusqu'en mai 2001. En 2002, la GRC avait informé quatre plaignants qu'après en avoir discuté avec l'avocat de la Couronne, elle jugeait que leurs affaires respectives contre M. Toft et Raymond ne satisfaisaient pas au critère de la perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité-au Nouveau-Brunswick, c'est de cette manière que l'on décide ou non de déposer des accusations-et que, par conséquent, leurs dossiers avaient été fermés.
2.2 Sommaire des enquêtes sur le sergent d'état-major McCann
Les enquêteurs de la GRC ont commencé à entendre circuler des rumeurs et des insinuations au sujet de leur collègue, le sergent d'état-major McCann, un an après le début de leur enquête sur le personnel de l'ÉFNB. Le sergent d'état-major McCann a participé à des activités avec de jeunes garçons à l'ÉFNB et dans le cadre de programmes de hockey mineur. Les rumeurs et les insinuations ont émané du fait que le sergent d'état-major McCann obtenait souvent des permissions de sortie avec des garçons, tout comme l'avait fait M. Toft.
En janvier 1992, un officier supérieur de la GRC a demandé qu'une enquête soit menée sur les rumeurs concernant le sergent d'état-major McCann pour déterminer si elles étaient fondées. Les enquêteurs n'ont pas découvert de preuves ou reçu de plaintes précises pour corroborer ces rumeurs. Le sergent d'état-major McCann a nié tout acte répréhensible lors d'une entrevue en mars 1992. Même si le sergent d'état-major McCann a pris sa retraite en avril 1993, l'enquête s'est poursuivie jusqu'à la fin de l'année. Un ancien pensionnaire a formulé des allégations contre le sergent d'état-major en décembre 1992, mais a refusé de déposer une plainte officielle ou de faire une déclaration malgré les tentatives répétées de la GRC d'obtenir sa collaboration. En décembre 1993, la GRC a clos l'enquête sans déposer d'accusations contre M. McCann et sans examen de la part de la Couronne.
En janvier 1998, un ancien pensionnaire a téléphoné à la GRC pour déposer des accusations d'agressions sexuelles contre M. McCann. La GRC a communiqué avec cet ancien pensionnaire et avec un autre, et a interrogé M. McCann plus tard au cours de l'année. À la suite d'une consultation avec l'avocat de Couronne, les victimes présumées ont été informées au début de 2000 qu'aucune accusation ne serait déposée étant donné que toute accusation possible fondée sur ces actes constituerait une déclaration sommaire de culpabilité et que l'on avait dépassé la prescription de six mois pour porter une accusation.
La GRC a rouvert l'enquête en février 2000 lorsque le plaignant qui s'est manifesté au début de 1998 a communiqué de nouveau avec la GRC pour exprimer son mécontentement vis-à-vis des résultats de son affaire. Cependant, des retards dans l'obtention de fonds et l'établissement de l'équipe d'enquête ont fait en sorte que l'enquête ne débute pas avant mai 2001.
Pendant la réouverture de l'enquête, sept anciens pensionnaires de l'ÉFNB ont déclaré qu'ils avaient été agressés sexuellement par M. McCann. Quatre des sept plaignants avaient d'abord dit aux enquêteurs en 1992 qu'ils n'avaient pas été agressés par le sergent d'état-major McCann. En août 2002, on a demandé à l'avocat de la Couronne nommé par le directeur provincial des poursuites pénales d'examiner les sept plaintes. Même si elle n'a pas reçu de réponse de la Couronne, la GRC a procédé à l'arrestation de M. McCann et l'a interrogé pendant plusieurs heures le 11 septembre 2002. Il a été relâché le soir même sans qu'aucune accusation ne soit portée contre lui étant donné qu'il n'a pas fait de déclaration incriminante pendant qu'il était détenu par la police. Le sergent d'état-major responsable n'a pas jugé les preuves suffisantes pour déposer des accusations criminelles contre lui.
À la fin de janvier 2003, le bureau de la Couronne a demandé que davantage de travail d'enquête soit effectué concernant les sept victimes présumées. La GRC a fourni tous les renseignements demandés par le bureau de la Couronne, à l'exception d'un dossier. Les enquêteurs de la GRC avaient conclu que l'ancien pensionnaire dans ce dossier n'était pas crédible. De plus, la prescription pour porter des accusations était dépassée depuis longtemps. En juillet 2003, le bureau de la Couronne a fourni la réponse suivante : étant donné qu'un acquittement est plus probable qu'une condamnation dans tous les cas, surtout en raison du manque de crédibilité des plaignants, le bureau de la Couronne n'a pas recommandé que des accusations criminelles soient portées.
3. Résultats de l'enquête Kingsclear
La CPP a consacré 22 mois à son enquête sur la façon dont la GRC a traité les allégations d'agressions sexuelles et physiques à l'ÉFNB. Le cadre de référence de l'enquête d'intérêt public Kingsclear a été établi pour déterminer la structure et la portée de l'enquête. Dans le cadre de référence, le terme « dissimulation » est défini de la manière suivante :
le mépris intentionnel ou irréfléchi de la preuve ayant pour effet, ou pouvant avoir pour effet, de perturber ou de vicier des dispositifs internes ou externes de reddition de comptes. Selon la définition établie, il n'y a pas « dissimulation » si les éléments de preuve établissent uniquement ou simplement que les enquêteurs de la GRC ont fait preuve de négligence, d'insouciance, de paresse ou de manque d'intérêt.
3.1 Sommaire des conclusions
Après avoir examiné les faits et vérifié les éléments de preuve, en vertu de son cadre de référence, la CPP est convaincue qu'il n'existe pas de preuves concrètes que des membres de la GRC ont tenté de dissimuler les actes criminels présumés du sergent d'état-major à la retraite Clifford McCann ou les agressions sexuelles et physiques d'anciens membres du personnel de garde et de surveillance de l'ÉFNB. Cependant, la CPP a constaté qu'il y avait eu des lacunes dans les enquêtes criminelles de la GRC sur le personnel de l'ÉFNB et le sergent d'état-major Clifford McCann et que certaines d'entre elles étaient suffisamment graves pour faire croire à la dissimulation.
3.2 Perception de la population
La perception de la population a été influencée par les rumeurs et le peu de renseignements disponibles pendant presque les 15 années qu'a duré l'enquête sur l'ancien sergent d'état-major McCann et le personnel de l'ÉFNB. La population n'a pas eu accès aux renseignements qui étaient disponibles à la CPP. Grâce à son enquête, la CPP a obtenu et validé des renseignements qui ont permis de répondre à certaines questions de la population au cours des années et d'expliquer les nombreuses idées fausses.
Par exemple, pendant son enquête, la CPP a appris que la GRC était si déterminée à déposer des accusations contre Karl Toft qu'elle était prête à engager son propre procureur si la Couronne refusait de le faire et elle a même averti le directeur provincial des poursuites pénales de son intention. En fin de compte, le directeur a décidé de déposer 15 nouveaux chefs d'accusation contre M. Toft en octobre 1993. Cependant, le procureur général du Nouveau-Brunswick a décidé de surseoir aux procédures une semaine plus tard.
La CPP a découvert que les efforts déployés par la GRC dans le cadre de ses enquêtes étaient peu connus de la population. Par exemple, certains anciens pensionnaires qui avaient déposé des plaintes auprès de la CPP ignoraient que Weldon (Bud) Raymond avait été accusé d'infractions criminelles et acquitté à la suite de deux procès distincts composés d'un juge et d'un jury, et que Hector Duguay avait été accusé et reconnu coupable. Un autre plaignant de la CPP ignorait que, pendant son enquête, la GRC avait arrêté M. McCann et l'avait interrogé pendant plusieurs heures.
Les plaignants et les membres de leur famille qui ont été interrogés ne comprenaient pas bien la procédure de filtrage pré-inculpation ou même ne savaient pas que le Nouveau-Brunswick avait mis en place une telle procédure. La politique de la Couronne est d'examiner toutes les accusations et de les accepter. Un autre facteur a influé sur le scepticisme de la population concernant les enquêtes de la GRC et sur leurs résultats. Avant de recommander qui de la police ou la GRC doit déposer des accusations, l'avocat de la Couronne examine l'importance de la preuve, la gravité des accusations, la crédibilité de la victime présumée à la barre des témoins et la volonté de la victime présumée de témoigner. À moins que l'avocat de la Couronne juge qu'une « accusation est plus probable qu'un acquittement », il ne recommandera pas que des accusations soient déposées.
3.3 Difficultés rencontrées dans le cours des enquêtes de la GRC
Les enquêtes sur les agressions sexuelles, surtout celles qui concernent des préadolescents et des adolescents, sont différentes de toute autre enquête criminelle. Dans ce type d'enquêtes, les enquêteurs doivent utiliser des approches différentes pour obtenir des renseignements de la part des présumées victimes. C'est ce qu'a fait la GRC pendant ses enquêtes sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann.
La majorité des anciens pensionnaires étaient peu enclins à collaborer, ce qui a constitué un obstacle important pour les enquêteurs. Étant donné que la plupart des victimes ne s'étaient pas manifestées de leur propre chef, la GRC a dû solliciter leur collaboration, ce qui a ajouté à la durée et à la complexité de l'enquête. Le temps qui passe, le traumatisme vécu par les victimes et l'effet de ces deux facteurs sur la capacité des témoins potentiels de se souvenir avec précision des faits et d'être crédibles sont des obstacles importants de toute enquête historique, surtout celles sur les agressions sexuelles.
Au début, la GRC a eu de la difficulté à accéder aux dossiers de l'ÉFNB conservés aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick. Après avoir demandé un avis juridique, le gouvernement provincial a jugé que l'article 45.2 de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui était en vigueur au moment des enquêtes de la GRC, interdisait la divulgation de tout renseignement sur les pensionnaires passés et présents de l'ÉFNB. Par conséquent, la GRC a passé beaucoup de temps à traiter avec l'avocat de la Couronne, à remplir des affidavits et à se présenter devant le tribunal. Même si les enquêteurs de la GRC ont finalement réussi à accéder aux dossiers, on a limité le nombre d'anciens pensionnaires de l'ÉFNB sur lesquels ils pouvaient recueillir des renseignements à chacune de leur visite. De plus, étant donné que les ordonnances judiciaires comportaient le nom du suspect sur lequel ils désiraient obtenir des renseignements, la GRC devait obtenir une nouvelle ordonnance judiciaire pour chaque nouveau suspect, ce qui a provoqué d'autres retards.
3.4 Conclusions concernant les enquêtes de l'ÉFNB
Peu d'enquêtes sont parfaites, s'il en est, et les enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB et M. McCann ne font pas exception. La CPP a relevé plusieurs lacunes qui peuvent être attribuables à des questions de personnalité, aux ressources de la GRC et au fait que d'autres enquêtes importantes se déroulaient à la même époque au Nouveau-Brunswick. Ces lacunes peuvent aussi être attribuées en partie au manque de diligence raisonnable de certains membres et officiers supérieurs de la GRC. De plus, au lieu de mener une seule enquête, la GRC a procédé à une série d'enquêtes sur des allégations identiques pendant 15 ans.
3.4.1 Première conclusion
La diligence raisonnable dont les officiers supérieurs de la GRC ont fait preuve dans le cadre de cette enquête était insuffisante.
Analyse
L'enquête de 1992 sur le sergent d'état-major McCann est un bon exemple du manque de diligence dont ont fait preuve les officiers supérieurs. L'une des plus importantes lacunes de l'enquête était la participation adéquate insuffisante des officiers supérieurs de la Division J, en particulier le manque apparent de connaissances précises ou générales sur l'enquête. Les seuls officiers qui ont admis être au courant de l'enquête sur le sergent d'état-major McCann étaient le commandant et surintendant principal Herman Beaulac et l'officier de la Police criminelle, le surintendant Giuliano Zaccardelli. L'officier de la Dotation et Personnel, l'inspecteur Peter Miller, qui a d'abord demandé la mutation du sergent d'état-major McCann en janvier 1992, et le surintendant Al Rivard, qui était le supérieur immédiat du sergent d'état-major McCann, ont indiqué qu'ils ignoraient à l'époque qu'une enquête criminelle était menée sur les activités du sergent d'état-major McCann.
Plusieurs officiers à la retraite (tous d'anciens officiers d'Administration et Personnel [A & P]) ont indiqué à la CPP qu'un dossier d'enquête interne est généralement ouvert au début d'une enquête criminelle sur un membre. Une fois l'enquête criminelle terminée, le commandant, habituellement de concert avec l'officier de la Dotation et Personnel, décide s'il est nécessaire ou non de procéder à une enquête interne. Si aucune accusation criminelle n'est portée et qu'il est décidé qu'une enquête interne doit être menée, le dossier doit être examiné pour déterminer si le Code de déontologie a été enfreint et si des mesures disciplinaires internes doivent être prises. Cependant, la CPP n'a reçu aucun document indiquant qu'un dossier interne sur le sergent d'état-major McCann, qui a pris sa retraite en avril 1993, avait déjà été ouvert. Le fait que d'autres enquêtes criminelles aient été menées plus tard sans enquête interne ou, au moins, qu'un dossier soit ouvert, démontre le manque de participation des officiers supérieurs.
Au cours des premières années, la priorité accordée à l'enquête sur l'ÉFNB par les officiers supérieurs était inégale. Par exemple, durant leur entrevue respective avec la CPP, l'ancien commissaire Zaccardelli et le commissaire adjoint à la retraite Ford Matchim, l'officier responsable (surintendant) de la sous-division de Fredericton pendant cette période, n'ont pas la même évaluation de la priorité accordée à l'enquête. M. Zaccardelli a maintenu que l'enquête a toujours été d'une priorité absolue et que cela se reflétait dans les directives qu'il a données à M. Matchim. Cependant, M. Matchim a indiqué qu'aux dires des enquêteurs sur le terrain, il s'agissait d'une enquête comme une autre, même si les officiers supérieurs, comme il les a appelés, avaient un avis différent. Il a de plus maintenu qu'il s'agissait d'une enquête comme une autre sur la liste des nombreuses enquêtes menées par la Section des enquêtes générales (SEG) de la sous-division de Fredericton à l'époque, ce qui indique que la haute direction ne participait pas à l'enquête comme elle aurait dû.
Le manque de diligence raisonnable à laquelle on pourrait s'attendre dans une enquête importante a pu avoir des répercussions sur d'autres points que la CPP a jugé problématiques, notamment les ressources en personnel, les relations avec la Couronne, la prise de notes, la rédaction de rapports et les documents, de même que la communication avec la population. Les répercussions de ces points qui ont freiné les enquêtes auraient pu être atténuées si la haute direction avait compris l'importance de ces allégations et qu'elle s'était investie suffisamment en fonction de leur nature délicate.
3.4.2 Deuxième conclusion
Les ressources en personnel destinées aux enquêtes étaient insuffisantes.
Analyse
Pendant son enquête, la CPP a entendu parler des préoccupations sur le manque de ressources humaines de la GRC. Ces préoccupations ont été soulevées à tous les niveaux, y compris par les officiers supérieurs de la Division J. Ce manque de ressources était évident dans les premières années de l'enquête d'autant plus que des officiers en particulier et non des équipes ont été assignés à l'enquête. De manière générale, les officiers ne travaillaient pas en groupe ou ne faisaient pas partie d'une équipe d'enquête, ce qui les exposait à divers problèmes, comme des retards ou un travail d'enquête inconsistant lorsqu'un officier était affecté à une autre enquête ou à une autre division.
Le manque de ressources suffisantes a aussi influé sur la répartition de la charge de travail. Les membres affectés à l'enquête ont dû continuer à travailler sur les dossiers qui leur étaient assignés tout en concentrant leur attention sur les cas urgents, notamment l'affaire de la pêche au homard à Burnt Church et l'affaire du meurtre de Bischoff. Divers officiers ont indiqué à la CPP qu'après s'être concentrés sur des questions plus urgentes, ils retournaient travailler à l'enquête sur l'ÉFNB.
Bon nombre d'officiers ont travaillé à l'enquête de manière intermittente pendant presque les 15 années qu'elle a duré. Les membres étaient affectés à l'enquête pendant quelques mois avant d'être transférés à un autre poste, ce qui se traduisait par des lacunes dans les enquêtes. Lorsqu'un nouveau membre se joignait à l'équipe, il devait se familiariser avec l'enquête. Une telle situation peut constituer un défi lorsqu'il s'agit de mener une enquête minutieuse et opportune. C'est au commandant de la Division J de se charger des problèmes liés aux ressources en personnel.
3.4.3 Troisième conclusion
Le respect accordé au bureau de la Couronne dans le dépôt des accusations a influé sur le dénouement de l'enquête McCann et la perception qu'en a eu la population.
Analyse
Comme l'indique le juge LeBel de la Cour suprême du Canada dans R. c. Regan [2002], 1 R.C.S. 297, dans le système de justice pénale canadien, la police est chargée de mener les enquêtes et c'est elle qui décide des accusations qui seront portées. Le Nouveau-Brunswick est l'une des trois provinces canadiennes dont la procédure en place exige que la police consulte l'avocat de la Couronne pour procéder à une évaluation pré-inculpation en vue de déterminer si le résultat d'un procès leur sera favorable. La majorité des officiers de la GRC interrogés croyaient à tort qu'ils ne pouvaient pas déposer d'accusations criminelles sans une recommandation positive de la part de la Couronne.
Même s'il est reconnu que la collaboration et la consultation entre la police et l'avocat de la Couronne est essentielle à la bonne administration de la justice, il ne faut pas oublier que la police a le droit d'enquêter et de porter des accusations sans entraves de la part de la Couronne, tout comme les procureurs ont le droit de surseoir aux procédures, de les retirer ou de les annuler, une fois que des accusations ont été déposées par la police. Cette distinction est faite dans le Public Prosecutions Operations Manual (27 juillet 1999) du Nouveau-Brunswick que la CPP a reçu en août 2005.
Les divers avocats de la Couronne qui ont participé aux enquêtes de la GRC au cours de la dernière décennie ont déclaré à la CPP qu'ils ne disent pas aux services policiers comment et sur quoi enquêter. Ils ne font que des recommandations sur les accusations qui devraient être déposées. Les avocats de la Couronne reconnaissent que, même s'ils recommandent de ne pas déposer d'accusations, les services policiers peuvent le faire s'ils le désirent et le procureur général n'a pas l'autorité pour y surseoir.
Pour la CPP, il est évident que les policiers de la GRC de la Division J ne comprennent pas les responsabilités ultimes qu'exerce la police en ce qui concerne le dépôt d'accusations criminelles. Cette perception erronée posait suffisamment de problèmes au surintendant Zaccardelli, alors qu'il était officier de la Police criminelle dans la Division J, pour qu'il tente de clarifier la situation en répondant à une note de service du caporal Clive Vallis par la voie d'un bordereau d'acheminement daté du 13 février 1991 :
Lorsque nous parlons de déposer des accusations, nous devrions toujours indiquer que. nous déterminerons si des accusations seront déposées après avoir examiné les éléments de preuve. La Couronne est souvent consultée, mais uniquement pour obtenir son opinion. Trop de membres croient que c'est la Couronne qui décide des accusations qui seront portées. Certains ne veulent pas avoir la responsabilité de décider. Ils se défilent et laissent la Couronne décider. Pour la Police criminelle, les membres doivent comprendre qu'ils prendront une décision après avoir consulté leurs superviseurs, les s.-off. de la section, le cmdt s.-div., etc.
Dans leurs entrevues avec la CPP, l'avocat de la Couronne et les membres qui ont été affectés à la Division J ont indiqué que les relations entre la Couronne et les services de police ont été étroites, professionnelles et cordiales. La CPP n'a pas trouvé d'exemple indiquant que la Couronne avait été mécontente des dossiers ou des rapports de la GRC. La procédure de filtrage pré-inculpation a été mise en place dans la province il y a plusieurs années. Les enquêteurs interrogés ont indiqué qu'ils se fiaient dans une large mesure à la Couronne pour obtenir son avis sur des affaires sur lesquelles ils enquêtaient. La GRC a rarement déposé des accusations après avoir reçu une recommandation de la Couronne de ne pas le faire.
3.4.4 Quatrième conclusion
La prise de notes, la rédaction de rapports et la documentation par certains membres de la GRC étaient insuffisantes et insatisfaisantes.
Analyse
La piètre qualité des notes prises par certains membres de la GRC à des moments cruciaux de l'enquête est un grave problème. La CPP a constaté que la façon dont les notes ont été prises et leur intégralité variaient beaucoup selon les officiers. À une extrême, il y a les officiers qui documentent toutes les actions prises dans divers rapports, et à l'autre, il y a ceux qui prennent très peu de notes, ou pas du tout, et qui les consignent uniquement dans un rapport de suivi ou dans un rapport d'enquête.
Exemples
- À la conclusion de l'enquête, l'agent Tom Spink s'est adressé verbalement à l'avocate de la Couronne Hilary Drain quant à la pertinence de déposer des accusations contre M. Toft. Le seul document que la CPP a reçu au sujet de cette rencontre a été un rapport de suivi qui résume brièvement la décision. La CPP ne peut pas confirmer si les parties ont discuté des constatations et des conclusions ou d'autres choses, par exemple des allégations concernant la FPF et l'ÉFNB contenues dans la lettre du procureur général du 7 février 1990. Le gendarme Spink n'a pas préparé de documents avant sa rencontre avec Mme Drain. Après avoir parlé à Mme Drain et au gendarme Spink, il semble, en fait, qu'ils aient eu une seule discussion et qu'aucun document n'ait été échangé. Le gendarme Spink a dit à la CPP qu'il avait consulté son superviseur et ses pairs avant de rencontrer Mme Drain. Cependant, il n'existe aucun document pour appuyer sa version des faits.
- L'entrevue du sergent d'état-major McCann par le sergent Doug Lockhart, qui a eu lieu le 12 mars 1992, est mal documentée. Il n'existe aucun document qui décrive les questions posées ou qui indique si le sergent Lockhart avait informé ses supérieurs avant ou après l'entrevue, et ce qui avait été dit.
- La deuxième entrevue du sergent d'état-major McCann qui s'est déroulée le 29 octobre 1998 n'a pas été enregistrée et aucune déclaration n'a été prise. À la suite de l'entrevue, les officiers, le gendarme Pat Cole et le sergent d'état-major Jacques Ouellette, ont préparé de très brefs sommaires qui indiquent qu'ils se sont rendus au domicile du sergent d'état-major McCann et qui mentionnent les noms des personnes qui y étaient à ce moment-là. Il est troublant que deux policiers expérimentés n'aient pas consigné avec précision ce qui s'est passé pendant l'entrevue et ce qui a été discuté.
- Le 14 septembre 1998, le gendarme Cole a parlé aux avocats de la Couronne Jim McAvity et Kelly Winchester au sujet du dossier d'un plaignant. Selon le gendarme Cole, il n'avait pas préparé de document à soumettre aux avocats de la Couronne aux fins d'examen. L'importance de la conversation est devenue évidente quelques années plus tard lorsque le sergent d'état-major Dunphy a dû décider s'il devait obtenir une décision écrite de l'avocat de la Couronne concernant des accusations potentielles contre le sergent d'état-major McCann. Dans sa réponse finale au plaignant, le sergent d'état-major Dunphy a indiqué qu'il fondait sa décision sur la version de la conversation du gendarme Cole dans laquelle il a affirmé que les deux avocats de la Couronne ont indiqué qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour déposer des accusations. La CPP a interrogé M. McAvity et Mme Winchester et ni l'un ni l'autre n'était en mesure de se rappeler la version des événements du gendarme Cole. Les deux ont précisé qu'ils n'auraient pas formulé un avis officiel sur une question si sérieuse sans avoir été informés au préalable.
3.5 Conclusions propres à l'enquête sur McCann
Il est évident pour la CPP que le traitement accordé à M. McCann lors des entrevues de 1992 et de 1998 diffère de celui qu'aurait reçu un témoin civil. En fait, étant donné que les deux entrevues étaient clairement insuffisantes, il est compréhensible que la population présume que M. McCann a reçu un traitement de faveur. Les lacunes peuvent être exagérées lorsqu'elles sont examinées sous l'angle de la population quand la GRC enquête sur l'un des siens. Les rumeurs concernant les photos manquantes (il est présumé que le sergent d'état-major McCann y figurait avec trois jeunes hommes plus ou moins déshabillés), l'incident présumé dans les toilettes de la patinoire et les spéculations entourant sa mutation en 1992 (le moment de sa mutation et la façon dont il a été traité ont été mis en doute) ont eu des effets importants sur la perception de la population concernant l'impartialité de l'enquête de la GRC.
La CPP n'a pas trouvé de preuves concrètes pour suggérer qu'il y a eu dissimulation des allégations contre le sergent d'état-major McCann. Cependant, les rumeurs et les insinuations qui circulaient à la Division J, pendant qu'il y était sous-officier, auraient dû attirer l'attention de tous les officiers, surtout le commandant, pour traiter l'enquête avec le plus grand soin.
3.5.1 Première conclusion
Il n'existe pas d'éléments de preuve crédibles selon lesquels les photos auraient été détruites délibérément pour protéger le sergent d'état-major McCann.
Analyse
La CPP a conclu que le caporal à la retraite Dan Arnett est la seule personne en mesure de clarifier la situation concernant les photos manquantes et les rumeurs sur l'incident impliquant le sergent d'état-major McCann qui serait survenu dans les toilettes. Le caporal Arnett était la personne à consulter dans le détachement à cette époque. Il était le superviseur de service le 1er mars 1990, la nuit de la tentative de meurtre au cours de laquelle plusieurs photos ont été saisies au domicile de la victime. Il était aussi l'un des officiers qui s'est rendu sur place, selon certains des membres interrogés. Le caporal Claude Tremblay, qui était gendarme à l'époque de l'enquête sur la tentative de meurtre, a affirmé le lendemain matin de l'incident qu'il avait vu le caporal Arnett en possession de photos Polaroid qui auraient été prises sur les lieux du crime.
Il y a beaucoup d'aspects troublants entourant cette affaire. Par exemple, selon un rapport du caporal Clive Vallis, le dossier original de la GRC sur cette affaire aurait été détruit. Par conséquent, les officiers affectés à l'équipe d'enquête n'auraient pas pu le consulter. Ce n'est que lorsque que la CPP a interrogé la commis aux documents, Elaine Parker Brown, le 12 juin 2006, qu'elle a appris que les dossiers de « tentative de meurtre » ne sont jamais éliminés. Ils sont plutôt archivés à Ottawa. Par la suite, la CPP a demandé et obtenu copie du dossier. Elle l'a examiné et a découvert qu'il n'y avait pas de formulaire de pièces à conviction indiquant que des photos Polaroid avaient été découvertes à la résidence de la victime. Il n'y avait pas non plus une copie des notes prises par les officiers concernés.
La CPP a interrogé 31 personnes qui ont travaillé au détachement de Riverview avant, pendant et après l'enquête sur la tentative de meurtre en mars 1990, notamment le procureur de la Couronne adjoint chargé de poursuivre les deux adolescents accusés du crime.
Comme pour toute enquête, surtout dans le cas d'une enquête qui a duré 15 ans, les témoins se souviennent des événements avec plus ou moins de précision. Il existe beaucoup d'éléments de preuve qui indiquent que le sergent d'état-major McCann a eu des relations avec de jeunes garçons à l'ÉFNB et dans des programmes de hockey mineur. Cependant, à l'époque, il n'y avait aucun élément de preuve qui aurait permis de déposer des accusations criminelles contre le sergent d'état-major McCann et il n'y a pas de renseignements qui confirment que les photos ont été détruites, égarées ou rendues à la victime. La CPP n'a pas été en mesure de déterminer si les photos avaient une valeur probante. En revanche, la CPP sait qu'il n'existe pas de rapport de pièces à conviction pour consigner les pièces saisies en ce qui concerne les photos dans l'affaire de la tentative de meurtre.
Le caporal Tremblay a été le seul officier à affirmer qu'il avait vu une photo du sergent d'état-major McCann en compagnie de trois autres hommes en possession du caporal Arnett. Il était catégorique sur le fait qu'il avait vu la photo en janvier 2002 et en mars 2002, lorsqu'il a fait une déclaration écrite et il était tout aussi insistant en 2006 lorsqu'il a été interrogé par la CPP. Lors de son entrevue à la CPP enregistrée sur bande sonore, le caporal Tremblay a indiqué que ce que faisait le sergent d'état-major McCann sur la photo ne regardait que lui, étant donné que les jeunes hommes sur la photo semblaient avoir l'âge requis pour consentir. La plupart des personnes interrogées ont fait des estimations similaires, suggérant que les jeunes hommes sur la photo étaient âgés entre 17 et 19 ans.
La CPP s'est penchée sur l'enquête sur la tentative de meurtre et sur les rumeurs selon lesquelles le sergent d'état-major McCann était sur l'une des photos trouvées au domicile de la victime. Le premier point à relever est le fait que la tentative de meurtre s'est produite le 1er mars 1990, alors que l'enquête sur le sergent d'état-major McCann n'a débuté que le 31 janvier 1992. Il n'y avait pas d'éléments de preuve qui auraient pu indiquer aux enquêteurs de la GRC qui enquêtaient sur la tentative de meurtre la possibilité que le sergent d'état-major McCann était impliqué dans des activités criminelles ou qu'il avait commis des actes répréhensibles avec des jeunes garçons de l'ÉFNB ou d'ailleurs. Cependant, certains membres trouvaient étrange qu'il passe autant de temps à l'ÉFNB. Par exemple, un sergent d'état-major à la retraite a indiqué à la CPP qu'il avait dit au sergent d'état-major McCann dans les années 1980 qu'il ne croyait pas qu'il était sage pour lui de passer autant de temps à l'ÉFNB, mais il a aussi affirmé qu'il n'avait jamais pensé que le sergent d'état-major McCann était impliqué dans quoi que ce soit d'inconvenant.
Dans le cadre de son enquête, la CPP a confirmé que la GRC avait saisi sans mandat plusieurs photos dans la résidence de la victime de la tentative de meurtre. La majorité des personnes interrogées qui ont vu les photos ont des souvenirs différents quant à l'âge des jeunes, au fait qu'ils étaient plus ou moins déshabillés et aux actes qu'on y voyait. La CPP a aussi confirmé que les photos sont manquantes. Leur disparition demeure un mystère. Peut-être ont-elles été retournées à la victime avec d'autres effets personnels saisis au cours de l'enquête. Pendant l'entrevue avec la CPP, la victime de la tentative de meurtre a fait allusion aux photos Polaroid que la GRC avait saisies à son domicile. Cependant, il ne se rappelait plus si elles lui avaient été rendues. Il était catégorique sur le fait que M. McCann n'apparaissait sur aucune des photos saisies à sa résidence et à indiqué à la CPP que lui-même, la victime, s'était pris en photo.
3.5.2 Deuxième conclusion
Il n'y a pas d'éléments de preuve crédibles de dissimulation concernant le présumé incident dans les toilettes.
Analyse
Pendant l'enquête de 1992, le sergent Lockhart a été mis au courant d'un incident ou d'incidents au cours desquels le sergent d'état-major McCann aurait été surpris dans les toilettes en compagnie d'un jeune joueur de hockey. Le sergent Lockhart ne pouvait pas confirmer la véracité de cette rumeur. Les membres concernés ont indiqué qu'ils ne savaient rien sur l'affaire ou qu'ils étaient incapables de se souvenir des détails l'entourant.
La rumeur circulait au détachement de Riverview. Cette rumeur aurait été portée à l'attention du caporal Arnett par l'un de ses subalternes. Cette personne a été interrogée et a confirmé avoir entendu la rumeur et en avoir parlé au caporal Arnett, qui à l'époque était son superviseur. Le subalterne ignorait si des mesures avaient été prises par la suite.
Un autre membre du détachement de Riverview a informé la CPP lors d'une entrevue que les caporaux Dan Arnett et Bill Trewin lui avaient dit qu'un père s'était plaint à eux d'avoir surpris le sergent d'état-major McCann dans les toilettes avec son fils à la fin de 1991 ou au début de 1992. Les caporaux Arnett et Trewin étaient contrariés, car le père ne désirait pas que l'affaire aille plus loin. La CPP a interrogé le caporal à la retraite Trewin qui a dit ne rien savoir au sujet d'un présumé incident qui se serait déroulé dans les toilettes impliquant le sergent d'état-major McCann et qu'il ne se souvenait pas d'avoir discuté d'une telle affaire avec un autre membre.
Une version différente du présumé incident circulait dans le détachement : un des deux membres qui jouaient au hockey avec le sergent d'état-major McCann aurait été témoin de l'incident. Pendant leurs entrevues avec la CPP, les deux membres ont nié avoir eu connaissance de l'incident et que si cela avait été le cas, ils l'auraient rapporté.
La CPP n'a pas trouvé d'éléments de preuve qu'un tel incident impliquant le sergent d'état-major McCann se soit produit, comme le veulent les rumeurs. Personne ne semble avoir été témoin d'un tel événement et lorsqu'ils ont été interrogés par la CPP, les officiers qui auraient pu détenir des renseignements ne s'en souvenaient pas et ont nié avoir eu des renseignements à ce sujet à quelque moment que ce soit.
3.5.3 Troisième conclusion
Il n'existe pas d'éléments de preuve selon lequel il y avait un motif inavoué concernant la mutation du sergent d'état-major McCann.
Analyse
Grâce à l'examen des documents et aux entrevues menées auprès de membres de la GRC, la CPP a déterminé que l'enquête générale sur l'ÉFNB avait débuté en février 1990. C'est à l'automne 1991 que le nom du sergent d'état-major McCann a commencé à être associé à M. Toft. Il a été admissible pour une mutation le 4 janvier 1992, qui a été approuvée par son supérieur immédiat, le surintendant Rivard, le 15 janvier 1992 et signée par le commandant, le surintendant en chef Herman Beaulac, le 17 janvier 1992. L'enquête criminelle de la GRC sur le sergent d'état-major McCann a commencé le 31 janvier 1992. Cette mutation s'est produite au moment oû l'enquête débutait sur les allégations contre le sergent d'état-major McCann.
La CPP a appris que la modification qui avait été faite à la case du lieu de mutation du formulaire de mutation (A22A) est inhabituelle, même si cela se produit de temps à autre. D'après les éléments de preuve, notamment les entrevues menées auprès du personnel du Service du personnel et des affectations, il semble que la mutation du sergent d'état-major McCann du détachement de Riverview à la direction générale de la Division J en juin 1992 aurait été une affaire de routine. Cependant, dans une deuxième entrevue du commissaire adjoint à la retraite Herman Beaulac par la CPP qui s'est tenue le 3 avril 2007, il a indiqué que le sergent d'état-major McCann avait peut-être été muté en raison de l'enquête criminelle qui était en cours, même s'il n'avait pas de preuves concrètes pour soutenir ce qu'il avançait.
La CPP ne peut pas déterminer si le document de mutation du sergent d'état-major McCann avait été délibérément modifié de manière à influer sur son affectation au bureau de la Police criminelle ou s'il avait été rédigé dans le cadre d'un examen administratif. La mutation du sergent d'état-major McCann à la direction générale de la Division J à Fredericton a eu pour effet d'entraver son interaction avec la population à partir de sa mutation en juin 1992 jusqu'au moment oû il a pris sa retraite en avril 1993. C'est pendant cette période que la première enquête criminelle relative aux allégations contre lui a été menée.
3.5.4 Quatrième conclusion
Les entrevues du sergent d'état-major McCann effectuées en mars 1992 et en octobre 1998 étaient insatisfaisantes.
Analyse
Première entrevue
De l'avis des enquêteurs de la CPP, la rencontre du 12 mars 1992 entre le sergent Lockhart et le sergent d'état-major McCann était prématurée. Au minimum, les 11 anciens pensionnaires qui ont affirmé avoir eu des contacts avec le sergent d'état-major McCann auraient dû être interrogés et toutes les avenues auraient dû être explorées avant que le sergent d'état-major McCann soit confronté.
La CPP a relevé les problèmes suivants en ce qui concerne l'entrevue du sergent d'état-major McCann par le sergent Lockhart. Il est légitime de remettre en question les motifs de l'officier :
- Toutes les victimes potentielles n'ont pas été interrogées avant la rencontre avec le sergent d'état-major McCann.
- L'entrevue a été effectuée par un seul officier, qui était d'un grade inférieur à celui du suspect potentiel/de la personne d'intérêt.
- L'officier n'a pas enregistré l'entrevue sur bande sonore et n'a pas pris de notes; de plus, il n'a pas rédigé de rapport détaillé sur la discussion qui a eu lieu.
- La rencontre avec le sergent d'état-major McCann s'est tenue dans son bureau, ce qui n'était pas un endroit approprié.
- Il n'y a pas eu de séance d'information avec les membres de l'équipe ou les officiers supérieurs avant ou après la rencontre.
En se fondant sur son examen de tous les rapports de suivi pertinents, des déclarations des témoins et des calepins des officiers, de même que sur l'entrevue avec l'officier concerné, la CPP juge que la rencontre était prématurée et inappropriée. Il est possible que le choix du moment de la rencontre et le fait que le sergent Lockhart ne pouvait déposer des accusations à l'époque ait pu donner l'occasion à celui-ci de détruire des éléments de preuve potentiellement préjudiciables, notamment des photos ou des journaux intimes qui auraient pu être en sa possession. À la suite de la rencontre et après avoir été mis au courant des allégations, le sergent d'état-major McCann aurait pu avoir l'occasion de communiquer avec d'anciens pensionnaires pour les avertir de ne pas se manifester. (Il existe une dénonciation selon laquelle le sergent d'état-major McCann a communiqué avec deux anciens pensionnaires quelque temps après sa rencontre avec le sergent Lockhart.)
Qu'il s'agisse d'un suspect, d'une personne d'intérêt ou même d'un témoin, une entrevue de ce genre doit être bien orchestrée. Cependant, le fait que le sergent Lockhart a continué son enquête sur le sergent d'état-major McCann après l'entrevue du 12 mars 1992 amène la CPP à conclure qu'il n'a pas rencontré le sergent d'état-major McCann pour le prévenir. Il a indiqué à la CPP que même s'il n'avait pas d'éléments de preuve qui lui permettaient de croire les rumeurs concernant le sergent d'état-major McCann, il voulait qu'il sache que ces rumeurs faisaient l'objet d'une enquête.
La CPP sait, grâce à son examen du matériel pertinent, que des agents de la GRC ont tenté à plusieurs reprises, mais en vain, de convaincre une victime potentielle du sergent d'état-major McCann de se manifester et de donner une déclaration écrite après l'entrevue avec le sergent d'état-major McCann. Ils ont même tenté d'obtenir l'aide de la mère de la victime présumée qui a fini par admettre qu'elle avait vu son fils et le sergent d'état-major McCann se livrer à un acte sexuel dans son autopatrouille. À l'époque, elle avait refusé de faire une déclaration sans le consentement de son fils.
Deuxième entrevue
Le sergent d'état-major à la retraite McCann a fait de nouveau l'objet d'une enquête en 1998 après qu'une plainte a été déposée auprès de l'officier de la Police criminelle dans la Division J. Une fois que l'équipe a décidé que l'enquête avait atteint le stade oû M. McCann devait être interrogé, le gendarme Cole, l'enquêteur principal, a demandé l'aide du sergent d'état-major Ouellette, qui était responsable du Groupe des crimes graves, pour interroger le sergent d'état-major McCann. L'entrevue s'est déroulée le 29 octobre 1998.
L'entrevue a duré moins d'une heure et a eu lieu dans le salon de M. McCann, en présence de son épouse. L'entrevue n'a pas été enregistrée, même si les deux officiers ont dit plus tard à la CPP qu'ils le considéraient comme un suspect. Plutôt que de questionner M. McCann au détachement et de prendre officiellement sa déclaration, la GRC a accordé une permission que n'ont habituellement pas les suspects. Les officiers n'ont pas pris de notes détaillées ou rédigé de rapport sur ce qui s'était dit pendant l'entrevue. Pendant leurs entrevues avec la CPP, le sergent d'état-major Ouellette et le gendarme Cole ont donné des versions contradictoires de leur visite au domicile de M. McCann. Selon le gendarme Cole, c'est Mme McCann qui parlait le plus et le sergent d'état-major Ouellette qui dirigeait l'entrevue. Cependant, le sergent d'état-major Ouellette a affirmé que c'est le gendarme Cole qui a dirigé l'entrevue et que Mme McCann a peu parlé.
La CPP est d'avis que l'entrevue n'a pas été menée correctement. Les entrevues ont été effectuées par des membres expérimentés qui auraient dû observer les procédures établies lorsqu'ils traitent avec des suspects. Le manque de stratégie d'entrevue, de notes détaillées et de rapports, combiné avec l'endroit oû s'est tenue l'entrevue, posent problème et laisse l'impression que les officiers procédaient de manière machinale et ne prenaient pas l'enquête au sérieux. Ce manque de professionnalisme ne fait qu'ajouter aux préoccupations de la population au sujet de la GRC qui fait enquête sur ses propres membres.
3.5.5 Cinquième conclusion
Le sergent d'état-major Dunphy a manqué de diligence en omettant de mettre en place les recommandations de son équipe, l'établisseur de profils en sciences du comportement et l'avocat de la Couronne en vue de l'arrestation et de l'interrogation de M. McCann.
Analyse
Après avoir discuté avec tous les membres de l'équipe d'enquête dirigée par le sergent d'état-major Dunphy, il était évident que deux processus de pensée étaient en jeu pendant l'enquête. Les gendarmes Kathy Long et Denise Potvin ont échangé leur avis avec la CPP en expliquant que chaque fois qu'une question controversée était soulevée, par exemple, l'entrevue de la famille de M. McCann, le sergent d'état-major Dunphy n'a pas pris de risque et s'est retiré. Certains membres interrogés ont indiqué qu'il était clair depuis le début que le sergent d'état-major Dunphy désirait que l'affaire fasse l'objet d'une enquête complète et que des accusations soient portées contre M. McCann. Cependant, ils ont été surpris de son comportement lorsqu'est venu le temps de procéder à certaines entrevues.
Exemples
- L'avocat de la Couronne Connell et la gendarme Long voulaient interroger les enfants de M. McCann. L'un des plaignants a indiqué que le fils de M. McCann était présent lors d'un incident qui s'est produit à un club de loisirs, mais il n'était pas certain que le fils ait été témoin de ce qui s'était passé. Cette question aurait dû être posée au fils de M. McCann; même la Couronne a demandé qu'il soit interrogé, mais cela n'a jamais été fait.
- De plus, la suggestion que toute la famille soit interrogée en même temps ou peu de temps après l'arrestation a été faite par le surintendant Woods du Groupe des sciences du comportement. Cette suggestion, comme bien d'autres, a été rejetée par le sergent d'état-major Dunphy. Lorsqu'il a été interrogé par la CPP, M. Dunphy a indiqué qu'il ne désirait pas divulguer d'éléments de preuve pendant l'enquête. Cependant, lorsqu'on a creusé la question pendant son entrevue, Mme Long a précisé qu'il était davantage préoccupé par l'éventualité d'une poursuite civile.
- Le sergent d'état-major Dunphy a refusé qu'une entrevue soit organisée avec l'organisme dans lequel les McCann faisaient du bénévolat à l'époque. Pendant l'enquête, il a été découvert que M. McCann et son épouse étaient bénévoles dans un centre communautaire et que M. McCann s'intéressait à un garçon de 13 ans en particulier. Encore une fois, les gendarmes Long et Potvin croyaient qu'il fallait communiquer avec l'organisme pour au moins l'informer des allégations contre M. McCann. Les gendarmes Long et Potvin désiraient avertir le centre et interroger la famille de ce garçon. Lorsqu'ils ont parlé de leurs intentions au sergent d'état-major Dunphy, il a refusé de leur accorder cette permission. Les gendarmes Long et Potvin ont décidé de désobéir au sergent d'état-major Dunphy et de procéder aux entrevues et de prévenir l'organisme.
- Un autre officier, le gendarme Pierre Gervais, était si inquiet du fait que M. McCann passe du temps avec ce garçon au centre communautaire qu'il le surveillait sporadiquement pour savoir ce qu'il faisait lorsqu'il était en sa compagnie. Le sergent d'état-major Dunphy n'a pas autorisé que des ressources soient consacrées à une surveillance à temps plein, mais il était au courant de ce que faisait le gendarme Gervais et n'est pas intervenu dans cet aspect de l'enquête.
- Le sergent d'état-major Dunphy semblait refuser de tenir compte des recommandations et des suggestions de l'établisseur de profils concernant l'arrestation et l'interrogation de M. McCann. L'idée d'obtenir un profil du Groupe des sciences du comportement de la GRC a été attribuée à la gendarme Long, qui a fourni les renseignements nécessaires pour que le rapport soit établi. Les recommandations relatives à l'arrestation du sergent d'état-major McCann concernaient le grade des officiers qui ont procédé à son arrestation, les suggestions sur la façon de mener les entrevues et le rôle que devraient jouer certains officiers. La recommandation que le sergent d'état-major McCann soit interrogé par un membre de grade égal ou supérieur a été ignorée. Selon le sergent Mike St. Onge, le sergent d'état-major Dunphy devait procéder à l'entrevue, mais à la dernière minute, les plans ont été modifiés et c'est le sergent St. Onge qui a fait passer l'entrevue.
Pendant son entrevue avec la CPP, le sergent d'état-major à la retraite Dunphy a déclaré que le rapport de l'établisseur de profils était un outil et qu'il ne se souvenait pas de ce qui avait été utilisé lors de l'interrogation de M. McCann.
Selon la CPP, rien n'indique que le résultat final aurait été différent si les recommandations des membres de l'équipe ou du Groupe des sciences du comportement avaient été suivies. Cependant, suivre les suggestions ou aller un peu plus loin aurait effacé toute insinuation que l'enquête était insuffisante ou qu'il y avait dissimulation. Le sergent d'état-major Dunphy a manqué de diligence raisonnable, surtout par rapport à ses enquêteurs.
3.6 Conclusions sur les allégations des plaignants de la CPP
La CPP a reçu 11 allégations, dont deux étaient identiques et, par conséquent, elles ne seront pas répétées ici. Les allégations sont présentées ci-dessous, de même que les conclusions de la CPP concernant chacune des allégations. La réponse à chacune des allégations doit être examinée conjointement avec le présent rapport, y compris les conclusions sur des questions précises et qui concernent les enquêtes de la GRC sur M. McCann.
3.6.1 Première allégation
Dave Dunphy, le sergent d'état-major de la GRC, a trompé, méprisé, injurié un plaignant et lui a menti et a crié après lui lors de conversations téléphoniques.
Analyse
Pendant les entrevues avec la CPP, les membres de la GRC ont fait part de leurs préoccupations concernant leurs interactions avec le plaignant et les effets négatifs de ses interruptions sur l'enquête. Par la suite, la caporale Paulette Delaney-Smith a été nommée officière de liaison de la GRC avec le plaignant. Pour une analyse détaillée, reportez-vous au chapitre 10 du Rapport d'enquête Kingsclear, « Enquête menée par le sergent d'état-major Dave Dunphy 2000-2003 ».
Conclusions
La CPP juge que les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy « a méprisé, injurié le plaignant et lui a crié après lors de conversations téléphoniques » sont probablement fondées.
La CPP n'a pas trouvé d'éléments de preuve pour appuyer les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy « a trompé » le plaignant et lui « a menti ».
3.6.2 Deuxième allégation
Malgré tous les éléments de preuve présentés au sergent d'état-major Dave Dunphy ou au groupe de travail de la GRC concernant les plaintes d'agressions sexuelles contre des membres du personnel et des détenus du Centre de Kingsclear et le sergent d'état-major de la GRC Clifford McCann, aucune accusation n'a été portée.
Analyse
La CPP fait référence aux éléments de preuve du coordonnateur de dossier, le gendarme Al Rogers, concernant les plaintes qui ont fait l'objet d'enquêtes par la GRC et la façon dont ces enquêtes ont été menées. Les éléments de preuve décrivent les efforts déployés par les enquêteurs pour trouver et interroger les victimes présumées. Il y a eu très peu de nouvelles plaintes formulées qui ont été portées à l'attention de la GRC. En plus de ce qui a été mentionné à maintes reprises dans le rapport, le gendarme Rogers a confirmé que l'enquête de la GRC sur de nombreuses fiches de renseignements a mené au dépôt d'accusations liées uniquement aux allégations faites par un plaignant et trois autres victimes.
Conclusion
La CPP constate que des dossiers d'information complets ont été préparés par la GRC concernant six des sept infractions présumées. En 2002, l'avocat de la Couronne Connell a écrit des lettres indiquant qu'il ne recommandait pas que des accusations soient déposées contre MM. Toft, Raymond et McCann.
3.6.3 Troisième allégation
Des membres inconnus de la GRC ont participé à une opération de dissimulation d'actes criminels présumés de membres du personnel et de détenus du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear, ainsi que du sergent d'état-major Clifford McCann.
Analyse
La CPP a interrogé 150 témoins, certains plus d'une fois de manière à obtenir des éclaircissements et à corroborer les événements et les éléments de preuve. Pendant l'examen du matériel pertinent, la CPP a découvert qu'en octobre 1993, la GRC a demandé avec insistance à la Couronne de déposer de nouvelles accusations contre M. Toft et a même considéré la possibilité d'engager son propre procureur lorsqu'elle a appris que la Couronne avait refusé ses dossiers d'information. Les enquêteurs ont aussi préparé des dossiers d'information en rapport avec les accusations sur d'autres membres du personnel de l'ÉFNB que l'avocat de la Couronne a rejetées. Dans le cas du sergent d'état-major McCann, la GRC a préparé et déposé en 2003 des dossiers d'enquête pour les faire examiner par l'avocat de la Couronne. Après un examen long et détaillé, l'avocat de la Couronne a recommandé de ne pas déposer d'accusations criminelles contre le sergent d'état-major McCann.
Conclusion
La CPP juge qu'il n'y pas d'éléments de preuve indiquant que les membres de la GRC interrogés ont participé à une opération de dissimulation au sens de la définition du cadre de référence. En fait, la CPP a découvert que la GRC a exercé des pressions sur la Couronne pour déposer de nouvelles accusations contre M. Toft, et qu'elle a examiné la possibilité d'embaucher son propre avocat pour engager les poursuites.
3.6.4 Quatrième allégation
Le commissaire Zaccardelli de la GRC, qui était l'officier responsable de la Police criminelle au Nouveau-Brunswick au début des années 1990, savait que le sergent d'état-major McCann abusait sexuellement de garçons et n'a rien fait pour que cela cesse.
Analyse
Le sergent Lockhart a informé le surintendant Zaccardelli des allégations contre le sergent d'état-major McCann en janvier 1992. Pendant son entrevue avec la CPP, M. Zaccardelli a indiqué qu'il a dit au sergent Lockhart de bien vérifier les allégations et de traiter le sergent d'état-major McCann comme tout autre suspect. Le sergent Lockhart a confirmé dans son entrevue avec CPP que le surintendant Zaccardelli lui avait donné ces directives. Il a aussi indiqué qu'il tenait le surintendant Zaccardelli au courant de ses progrès dans l'enquête McCann. Cependant, lorsqu'on leur a posé des questions à propos de l'entrevue du sergent Lockhart avec le sergent d'état-major McCann, ni l'un ni l'autre ne peut dire avec certitude qu'ils en ont discuté. M. Zaccardelli se rappelle qu'on lui a dit qu'aucun des plaignants ne détenait de preuves directes à présenter et qu'il n'y avait en fait aucune plainte. M. Zaccardelli et le sergent Lockhart ont insisté pour dire qu'ils auraient déposé des accusations contre le sergent d'état-major McCann si des éléments de preuve avaient existé.
Conclusion
La CPP juge que M. Zaccardelli était au courant des allégations et les éléments de preuve confirment qu'il a pris les mesures qui s'imposent pour s'assurer qu'une enquête soit menée.
3.6.5 Cinquième allégation
a) Dave Dunphy, sergent d'état-major de la GRC a violé la Loi sur la GRC à de nombreuses reprises.
Analyse
Dans le but de valider les allégations selon lesquelles le sergent d'état-major Dunphy aurait violé la Loi sur la GRC et en l'absence de toute allégation spécifique concernant l'article violé, la CPP a examiné à nouveau les interactions entre un plaignant et le sergent d'état-major Dunphy. La CPP s'est penchée sur la conduite du sergent d'état-major Dunphy de même que celle de tous les membres de la GRC qui ont participé à ces enquêtes, en ce qui concerne la façon dont il s'est acquitté de sa tâche ou des fonctions en vertu de la Loi sur la GRC.
Conclusion
La CPP juge que le sergent d'état-major Dunphy a manqué de professionnalisme à l'égard du plaignant, car il l'aurait injurié et méprisé et lui aurait crié après.
b) Dave Dunphy, sergent d'état-major de la GRC, a commis des actes criminels, a interféré dans des enquêtes de la police criminelle et a conspiré pour modifier le dénouement de ces enquêtes.
Analyse
La CPP a procédé à 150 entrevues et lu et résumé plus de 50 000 pages de documents pour déterminer si cette accusation contre le sergent d'état-major Dunphy pouvait être corroborée.
Conclusion
La CPP n'a pas découvert d'élément de preuve pour corroborer cette allégation.
3.6.6 Sixième allégation
Que l'enquête sur les allégations d'agressions sexuelles présumées formulées par les plaignants et d'autres personnes a été mal menée et que, par conséquent, des accusations contre le sergent d'état-major Clifford McCann n'ont pas été déposées.*
Analyse
La première entrevue du sergent d'état-major McCann était prématurée et la deuxième entrevue a été effectuée à son domicile en présence de son épouse. Dans les deux cas, la documentation des entrevues était insuffisante.
Conclusions
La CPP juge que les entrevues du sergent d'état-major McCann effectuées par les officiers de la GRC étaient insatisfaisantes.
La CPP considère qu'il y a eu manque de diligence de la part du sergent d'état-major Dunphy.
Analyse
Il y a plusieurs facteurs qui ont influé, le plus important d'entre eux étant la décision de l'avocat de la Couronne de ne pas porter d'accusations. La CPP conclut que la GRC avait l'intention de porter des accusations criminelles : M. McCann a été arrêté, détenu au bloc cellulaire et, par la suite, a été interrogé pendant plusieurs heures. La GRC a soumis sept documents d'information à l'avocat de la Couronne qui les a tous rejetés.
Conclusion
La CPP juge que même si certains aspects des enquêtes étaient insuffisants et insatisfaisants, ceux-ci n'ont eu aucune incidence sur le fait que des accusations n'ont pas été portées contre le sergent d'état-major McCann.
* Un autre plaignant a déposé une allégation identique.
3.6.7 Septième allégation
Que des membres inconnus de la GRC ont tenté de dissimuler les actes criminels présumés commis par le sergent d'état-major McCann à partir de 1988 jusqu'à la fin de sa carrière de policier (lorsqu'il a pris sa retraite).*
Analyse
De nombreux membres de la GRC et employés de l'ÉFNB savaient que le sergent d'état-major McCann était très engagé auprès des pensionnaires de l'ÉFNB avant que les rumeurs commencent à circuler à son sujet à l'automne 1991. Cependant, il n'y pas d'éléments de preuve pour appuyer les allégations selon lesquelles la GRC aurait dissimulé les activités du sergent d'état-major McCann pendant que des enquêtes sur celles-ci étaient en cours.
Certains membres de la GRC qui ont été interrogés par la CPP ont indiqué qu'ils n'étaient pas surpris lorsqu'ils ont entendu parler des rumeurs, mais d'autres ont affirmé qu'ils avaient été consternés. Tous les membres qui ont dit avoir des soupçons ont affirmé qu'ils n'avaient aucune raison de croire que des actes criminels s'étaient produits.
Conclusion
La CPP juge qu'il n'existe pas d'éléments de preuve concrets selon lesquels les membres de la GRC qui ont été interrogés ont participé à une opération de dissimulation liée aux enquêtes de la GRC sur les allégations contre le sergent d'état-major McCann.
* Un autre plaignant a déposé une allégation identique.
3.6.8 Huitième allégation
Que des membres inconnus de la GRC avaient mal mené une enquête sur les activités criminelles présumées par des membres du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear et d'autres personnes.
Analyse
Le fait que certains membres n'aient pas pris de notes et que d'autres aient pris des notes de mauvaise qualité a pu influer sur la tenue de l'enquête lorsqu'il fallait assurer un suivi ou que les renseignements de base n'étaient pas disponibles, compréhensibles ou exacts. De plus, la piètre qualité des notes prises a influé sur la perception de la CPP concernant l'engagement des officiers qui menaient l'enquête. Ce n'est qu'une fois les entrevues menées que la CPP a été en mesure de confirmer que l'engagement des officiers ne posait pas problème.
Depuis presque le début, tous savaient que l'enquête était de nature délicate et importante et qu'il était possible qu'elle prenne de l'ampleur. Cependant, elle n'avait jamais reçu toutes les ressources nécessaires. La direction aurait dû y porter plus d'attention et les officiers supérieurs auraient dû fournir davantage de directives et de ressources. En dehors de quelques exceptions, les officiers supérieurs ont commencé à participer à l'enquête une fois qu'elle a retenu l'attention des médias, que les plaignants ont communiqué directement avec eux ou que les représentants gouvernementaux se sont informés des progrès réalisés. Ce ne sont là que quelques exemples des lacunes de l'enquête.
Conclusion
La CPP juge que les enquêtes menées par certains membres de la GRC sur des activités criminelles présumées par le personnel de l'ÉFNB et d'autres personnes ont été mal menées.
3.6.9 Neuvième allégation
Que des membres inconnus de la GRC n'ont pas fait enquête de manière satisfaisante sur des allégations d'agressions sexuelles et, par conséquent, ils n'ont pas porté d'accusation contre quatre membres du personnel du Centre de formation pour jeunes de Kingsclear, y compris Karl Toft.
Analyse
Des documents d'information ont été préparés sur plusieurs membres du personnel de l'ÉFNB, notamment sur M. Toft qui a plaidé coupable et a été condamné à 13 ans de prison. La Couronne n'a pas recommandé que d'autres accusations soient portées contre M. Toft, en raison de sa décision précédente sur le principe de totalité en matière de détermination de la peine.
Les critères utilisés par la GRC et l'avocat de la Couronne pour décider de porter ou non des accusations contre d'autres membres du personnel de l'ÉFNB, qui étaient impliqués dans l'affaire et qui par la suite ont fait l'objet d'une enquête de la GRC, comprenaient le manque de crédibilité des plaignants et des témoins, le manque de corroboration des allégations, la gravité des agressions présumées (sexuelles ou physiques) et la catégorie à laquelle appartiennent les accusations criminelles, c.-à-d. infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou acte criminel.
Dans la plupart des cas, la Couronne n'a pas recommandé que des accusations soient portées en se fondant sur les critères susmentionnés. Dans quelques cas, la GRC a choisi de ne pas suivre les procédures sans un examen de l'avocat de la Couronne qui se fonde sur le type d'allégations, le manque d'éléments de corroboration en relation avec les allégations et l'incapacité de la GRC de prouver les éléments d'un acte criminel.
La CPP n'a pas de remarques à formuler concernant les trois derniers suspects étant donné qu'ils ne sont pas membres du personnel de l'ÉFNB. La GRC a déféré l'une des allégations à la FPF, étant donné que la présumée agression a eu lieu à Fredericton. Une autre était considérée comme une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et il était impossible de porter des accusations, car il y avait prescription. La plainte contre le dernier suspect portait sur des insinuations sexuelles et comme il n'y avait pas eu d'attouchements, il était impossible de porter des accusations.
L'autre plainte formulée à la GRC en relation avec le sergent d'état-major McCann a été acheminée à la FPF étant donné que la présumée infraction s'était produite à Fredericton.
Conclusion
Selon la CPP, il existait des lacunes dans l'enquête sur l'ÉFNB; cependant, la CPP juge qu'elles n'ont pas entravé la possibilité de porter d'autres accusations criminelles contre M. Toft ou d'autres membres du personnel de l'ÉFNB.
4. Recommandations
4.1 Première recommandation
La CPP recommande que le commissaire et les commandants de la GRC fassent en sorte qu'un mécanisme soit en place pour définir les enquêtes délicates et de grande envergure.
4.2 Deuxième recommandation
La CPP recommande que des mécanismes de réponse et de responsabilité appropriés soient en place au niveau des officiers supérieurs pour surveiller constamment les progrès de toute enquête de nature délicate ou de grande envergure et assurer la transparence et l'impartialité à la population.
Pour la CPP, il est évident que la GRC a été confrontée à des problèmes lors de ses enquêtes sur les allégations contre le personnel de l'ÉFNB et le sergent d'état-major Clifford McCann, en partie en raison du manque de participation des officiers supérieurs. Les enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB ont débuté à la suite d'une demande écrite du procureur général du Nouveau-Brunswick au commandant (cmdt.) de la Division J. Ces enquêtes ont été menées peu après celles sur l'affaire de Mount Cashel qui a grandement retenu l'attention des médias et soulevé l'indignation de la population. Les similitudes entre les deux enquêtes ont rapidement été observées et les officiers supérieurs auraient dû être plus vigilants au début et encore plus par la suite. Voici des exemples des lacunes et des obstacles qu'a créé le manque de participation des officiers supérieurs aux enquêtes :
- Un manque de ressources : La plupart des officiers interrogés par la CPP ont indiqué qu'il s'agissait là d'un problème systématique non seulement dans le cadre de cette enquête, mais pour toutes les enquêtes auxquelles participe la Division J. Même si les officiers supérieurs se sont plaints du manque de ressources, il n'est pas évident que leur engagement était suffisant pour se rendre compte à quel point le manque de personnel pourrait s'en ressentir.
- Un manque de direction : Cet obstacle est particulièrement évident dans la confusion liée au cadre de référence de la première enquête menée par le gendarme Tom Spink. La confusion de l'officier, et dans une moindre mesure, de ses supérieurs, peut être une indication des répercussions du manque de direction appropriée.
- Un manque de documents clairs et précis aux fins de consignation interne et de partage des renseignements avec des intervenants externes, par exemple l'avocat de la Couronne : Cette situation a peut-être été causée par le fait que les officiers supérieurs n'ont pas suivi les progrès de cette enquête de grande envergure et de nature délicate, surtout au tout début.
- Les lacunes de deux entrevues du sergent d'état-major McCann : Les officiers supérieurs n'ont pas été informés des entrevues avec le sergent d'état-major McCann à l'avance et n'ont pas été informés de leur contenu après qu'elles ont eu lieu. Cette situation peut être partiellement attribuée à la participation insuffisante des officiers supérieurs, qui devraient prévoir la rédaction de rapports à des étapes importantes des enquêtes de grande envergure.
4.3 Troisième recommandation
La CPP recommande qu'une évaluation et un suivi soient effectués pour déterminer les besoins actuels de la Division J de la GRC en matière de ressources pour veiller à ce que toute enquête de nature délicate et de grande envergure soit menée sans interruption, en temps opportun et de manière professionnelle.
Sauf quelques exceptions, tous les officiers se sont plaints du manque de ressources pendant les enquêtes. Les officiers qui ont participé à l'enquête de 2003 ont passé la même remarque. Un manque de ressources n'est pas chose rare pendant une enquête de police moyenne. Cependant, on a demandé aux officiers d'apporter leur aide de temps à autre à l'enquête sur l'ÉFNB à partir de leur détachement et on a souvent demandé aux officiers qui travaillaient à l'enquête sur l'ÉFNB d'apporter leur aide à d'autres questions importantes. Les plans proposés sur l'enquête de l'ÉFNB à la fin de 2000 ont été revus à la baisse de manière importante ou complètement abandonnés.
Même s'il semble que le manque de ressources a eu peu d'effet sur le résultat des enquêtes, cette situation a rendu leur gestion plus difficile. Par exemple :
- la consultation avec l'avocat de la Couronne et les officiers supérieurs, de même que la documentation, aurait pu être traités de manière plus professionnelle s'il y avait eu davantage de ressources pour alléger la charge de travail des enquêteurs et faciliter le travail d'administration et de gestion;
- l'enquête aurait progressé plus rapidement si des ressources additionnelles avaient été disponibles. Les officiers devaient consacrer du temps d'enquête pour travailler à d'autres incidents ou événements jugés plus urgents par les officiers supérieurs, surtout au début de l'enquête;
- la lenteur des enquêtes a pu contribuer à laisser croire à la population qu'il y avait dissimulation.
4.4 Quatrième recommandation
La CPP recommande que le commandant et les officiers supérieurs de la GRC qui se trouvent dans une province oû le filtrage de pré-inculpation doit être effectué s'assurent que les membres comprennent bien leur rôle et celui de la Couronne dans l'administration de la justice de manière à conserver leur indépendance.
Il est évident qu'il y a des incohérences dans la façon dont les accusations ont été déposées. Certains officiers, comme l'inspecteur Mike Connolly, s'opposaient à la décision de la Couronne de ne pas déposer d'accusations et se sont élevés contre celle-ci. D'autres s'y sont opposés, mais n'ont rien fait, par exemple dans le cas d'une demande incomplète concernant la Dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition. Ces incohérences, de même que les déclarations faites par deux officiers supérieurs concernant la confusion entre les rôles de la Couronne et ceux de la police, donnent à penser que ces rôles et responsabilités étaient flous, peut-être plus souvent que nécessaire. De plus, la majorité des membres de la GRC interrogés par la CPP croyaient qu'ils ne pouvaient déposer des accusations criminelles sans que la Couronne approuve d'abord la décision.
Le principe de l'indépendance policière a été affirmé dans le cas relativement récent de R. c. Regan [2002], 1 R.C.S. 297. À la page 23 de la décision, le juge LeBel, pour la majorité, en examinant le besoin d'une séparation entre le rôle de la police et celui de la Couronne, cite la Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution, vol. 1, Findings and Recommendations (1989) :
[D]ans notre système, la fonction policière-la fonction d'enquête et d'application de la loi-est distincte de la fonction de poursuivant. Nous croyons que le maintien d'une ligne de démarcation entre ces deux fonctions est essentiel à la bonne administration de la justice.
Le juge LeBel a aussi ajouté que
[l]a ligne de démarcation nette signifie apparemment que l'ultime responsabilité de décider quelles accusations doivent être portées incombe à la police, et non au ministère public. Ce principe peut encore valoir après que le ministère public ait procédé à sa propre évaluation pré-inculpation, lorsque les deux organes du système de justice pénale ne s'entendent pas sur l'opportunité de porter des accusations.
Même s'il est reconnu que la collaboration et la consultation entre la police et le bureau du procureur général est essentielle pour une bonne administration de la justice, il ne faut pas oublier que la police a le droit d'enquêter et de porter des accusations sans entraves de la part de la Couronne, tout comme les procureurs ont le droit de surseoir aux procédures, de les retirer ou de les annuler, une fois que des accusations ont été déposées par la police.
4.5 Cinquième recommandation
La CPP recommande que la GRC examine, modifie et applique la politique sur le calepin de l'enquêteur et toutes les politiques liées à la prise de notes et à la rédaction de rapports et s'assure que tous les officiers s'y plient et qu'ils reçoivent constamment la formation nécessaire, en vertu des directives.
4.6 Sixième recommandation
La CPP recommande que la GRC examine la politique sur la conservation des calepins utilisée par les autres services de police de manière à connaître les meilleures pratiques adoptées dans tout le pays, surtout en ce qui concerne les calepins des officiers qui prennent leur retraite, qui sont mutés ou qui démissionnent de leur propre chef.
4.7 Septième recommandation
La CPP recommande que les problèmes liés à la prise de notes, à la documentation et la rédaction de rapports soient abordés de diverses façons, entre autres, par la formation, la révision des politiques et la surveillance interne.
Pendant toute la durée des enquêtes de la GRC, la prise de notes, la rédaction de rapports et la documentation représentaient des problèmes systémiques, tout comme la mauvaise application de politiques plutôt vagues. Par conséquent, on notait de graves inégalités dans la qualité et l'intégralité des notes et des rapports. Les répercussions des rapports ou des calepins incomplets ou qui comportent des lacunes sont si importantes que l'administration de la justice a pu être entravée. Étant donné qu'il existe de nombreux exemples de notes ou de rapports mal préparés au cours des enquêtes, il s'agit d'un problème qui ne peut être ignoré.
La politique de la GRC en matière de conservation des calepins a été modifiée au fil du temps. En 1990, cette politique donnait un aperçu, mais manquait de précisions sur le contenu, la conservation et la destruction des calepins. En 1997, une modification importante à cette politique a été apportée, décourageant l'utilisation des calepins, sauf dans des « circonstances exceptionnelles ». Les membres devaient consigner les notes relatives aux enquêtes directement dans les rapports de suivi. Ils étaient également responsables d'assurer la sécurité, la conservation et la destruction de leurs calepins, mais on ne leur indiquait pas la manière de procéder. En 2000, on a assisté à un retour de presque toutes les mesures en place avant 1997. Les versions de la politique qui ont suivi, y compris la plus récente, entrée en vigueur en 2006, ont été élargies pour préciser le contenu des calepins, leur utilisation au sein d'une équipe et dans le cadre d'enquêtes de grande envergure, et fournir des directives sur leur conservation et leur destruction. Les calepins doivent maintenant être conservés pendant au moins deux ans dans certains cas, même s'il incombe toujours au membre de conserver et d'entreposer ces calepins en lieu sûr. Par exemple, la section 6.2 de la partie 25.2, intitulée Calepin de l'enquêteur, indique que : « Les calepins doivent être conservés et entreposés en lieu sûr par chaque membre et ne doivent être détruits qu'avec l'autorisation du chef compétent. » Cette politique ne contient rien au sujet des membres qui prennent leur retraite, qui sont mutés ou qui démissionnent.
La politique actuelle ne traite pas des problèmes liés à l'obtention des notes d'un membre. Étant donné que le contrôle des calepins est assuré par les membres et non par l'organisme, les tribunaux, la GRC et la CPP pourraient avoir de la difficulté à y accéder si le besoin se manifestait.
Au Canada, la plupart des services de police sont plus rigoureux que la GRC en ce qui concerne la conservation des calepins. Ils exigent de leurs membres qu'ils remettent leurs calepins au moment de prendre leur retraite. Certains exigent même que les officiers remettent leurs calepins avant d'être mutés. D'autres services de police vont jusqu'à demander à leurs officiers de remettre leurs calepins, qui sont examinés par un superviseur, avant d'en recevoir un nouveau. De cette façon, les services s'assurent que les calepins sont utilisés et conservés de manière appropriée.
Le conservation et l'entreposage des calepins des membres de la GRC est un problème important. La politique sur le calepin de l'enquêteur doit être modifiée et appliquée pour régler ce problème. Il est crucial que cela soit fait, non seulement pour assurer une surveillance, mais plus important encore, dans le cas des affaires non résolues qui sont rouvertes. Les calepins sont remis par la GRC et devraient demeurer la propriété de la GRC lorsqu'un membre en remplit un, ou si ce membre démissionne, prend sa retraite ou est muté à une autre division. La plus récente politique sur les calepins doit être plus rigoureuse et plus précise.
4.8 Huitième recommandation
La CPP recommande que toute enquête sur des allégations qui ont des répercussions sur la confiance de la population dans la GRC devrait être confiée à un autre service de police, ou au moins à une équipe de membres de la GRC d'une autre région ou d'une autre province possédant l'expérience nécessaire et qui ne connaît pas le membre qui fait l'objet de l'enquête, pour limiter la perception de parti pris et maintenir la confiance de la population dans la GRC.
Une enquête criminelle sur des allégations concernant un membre de la GRC est une enquête de nature délicate et de premier plan et une priorité absolue devrait lui être accordée. Comme tout autre service de police, la GRC ne peut divulguer que certains renseignements, ce qui ne fait qu'ajouter aux spéculations sur l'affaire qui n'est pas traitée aussi sérieusement qu'elle le devrait.
En plus de gérer ces enquêtes de manière juste, impartiale, efficace et en temps opportun, l'équipe d'enquête doit aussi s'occuper des relations avec les médias, et plus important encore, avec la collectivité concernée. Comme le démontre les diverses enquêtes de la GRC sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann, cela n'est pas chose facile. Même si la population ne comprend pas les rouages des enquêtes policières, les services policiers doivent s'assurer que celle-ci comprend les mesures prises par la GRC. Cet objectif peut être atteint en affectant l'enquête à d'autres services policiers ou, au moins, à une équipe de la GRC d'un autre territoire.
4.9 Neuvième recommandation
La CPP recommande que la GRC améliore ses stratégies en matière de communication interne et externe pour intégrer les communications actives par l'entremise des technologies modernes aux enquêtes de nature délicate ou de grande envergure et montrer à la population que la GRC fait réellement preuve de transparence et de responsabilité.
La CPP ignore si la GRC avait une stratégie de communication destinée au grand public pour les enquêtes de l'ÉFNB, mis à part les quelques communiqués de presse publiés en réponse aux articles parus dans les médias. Même si la GRC continue de communiquer avec les plaignants et de satisfaire à leur demande, la CPP n'a pas trouvé de documents autres que quelques communiqués de presse qui tenaient compte des préoccupations générales de la population. La CPP n'a pas découvert si la GRC avait mis en place une stratégie pour communiquer des renseignements avec la population au sujet de ses enquêtes sur l'ÉFNB et le sergent d'état-major McCann. La politique actuelle de la GRC, intitulée Services de communication, ne fournit pas de directives précises sur les rôles et les responsabilités de chacun dans les communications avec la population dans le cas des enquêtes de grande envergure et de premier plan. Même dans la section qui porte sur l'importance d'être proactive avec les médias de l'ouvrage La GRC et les médias : le guide du porte-parole, il n'y a pas de directives sur la façon de gérer les attentes de la population pendant une enquête de cette taille et de cette nature.
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