Examen des politiques et procédures de la GRC concernant les contrôles de routine

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.34(1)

Table des matières
  1. Introduction
  2. Les conclusions et recommandations de la Commission
  3. Méthode
  4. Définitions
    • Interactions de la police avec le public
    • Qu’est-ce qui n’est pas un « contrôle de routine »?
    • Une définition générale de « contrôle de routine »
    • En quoi consiste un but d’application de la loi?
  5. Discrimination et contrôles de routine
  6. Dispositions législatives relatives aux contrôles de routine
    • Article 9 de la Charte
    • Article 8 de la Charte
    • La discrimination et la loi
    • Une définition générale de « renseignements personnels identificateurs »
    • Les contrôles de routine sont-ils légaux?
  7. L’ensemble des politiques de la GRC
    • La définition de contrôle de routine par la GRC n’est pas raisonnable
    • Qu’est-ce qu’une interaction volontaire?
    • Les restrictions provinciales doivent être intégrées à la politique de la GRC
    • De solides protections sont nécessaires pour prévenir les préjugés
  8. Comment les contrôles de routine devraient-ils être documentés et conservés?
  9. Formation de la GRC sur les contrôles de routine
  10. Conclusions

Annexe A

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Liens connexes

1. Introduction

Les contrôles de routine effectués par la police ont fait l'objet de plusieurs rapports récents et d'importantes modifications réglementaires dans certaines provinces. La majorité de ces travaux ont porté sur la conduite des services de police municipaux et provinciaux lorsqu'ils font un travail de police de première ligne. Dans un contrôle de routine traditionnel, un agent de police demande à un membre du public de s'identifier volontairement pour appuyer un but sous‑jacent d'application de la loi. Par exemple, la police peut vouloir identifier des personnes qui se rassemblent dans un quartier à forte criminalité ou encore des personnes qui s'associent à des criminels connus. L'un des éléments clés du contrôle de routine réside dans le fait que la réponse à la demande de la police est volontaire. Les membres du public à qui on demande de tels renseignements ne sont pas détenus ni arrêtés et n'ont aucune obligation légale de s'identifier à la police ou de fournir d'autres renseignements. Les contrôles de routine ne comprennent pas d'autres interactions réglementaires, comme les contrôles routiers en vertu des lois provinciales régissant les véhicules automobiles.

Les contrôles de routine peuvent, dans certaines situations particulières, être un outil précieux permettant à la police d'appuyer des enquêtes ou de fournir des renseignements criminels. Toutefois, ils menacent également les droits constitutionnels fondamentaux des Canadiens. Fondamentalement, les Canadiens jouissent d'un droit à la vie privée contre l'intrusion de l'État et ce droit doit être jalousement protégé. De plus, les contrôles de routine suscitent de vives inquiétudes étant donné le déséquilibre de pouvoir inhérent aux interactions entre la police et le public. Les membres du public peuvent ne pas être au courant de la nature volontaire des contrôles de routine et se sentir obligés de s'identifier. De plus, les contrôles de routine fréquents dans les collectivités marginalisées peuvent réellement causer du ressentiment et susciter de la crainte à l'égard de la police. Les services de police canadiens fonctionnent avec le consentement des collectivités dans lesquelles ils assurent le maintien de l'ordre et non par la peur. Il faut éviter les préjugés, conscients ou inconscients, envers les groupes marginalisés.

Dans son rôle d'organisme civil de surveillance de la GRC, la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes de la GRC (la « Commission ») a décidé d'examiner les contrôles de routine dans le contexte de la GRC. La GRC est un organisme de services de police unique au Canada. Elle fournit des services de police fédéraux partout au pays et, dans la plupart des provinces et des trois territoires, elle fournit des services de police provinciaux ou territoriaux. De plus, elle offre des services de police municipaux dans une foule de municipalités. Essentiellement, la GRC exerce ses activités dans de nombreuses régions à titre d'organisme d'application de la loi local, provincial et fédéral.

La GRC rencontre les mêmes problèmes et doit surmonter les mêmes défis que les autres services de police en ce qui concerne les contrôles de routine, quoique parfois dans un contexte différent. Chaque jour, des milliers de membres de la GRC interagissent avec le public. Plutôt que de réinventer la roue, la Commission s'est inspirée des nombreux rapports d'experts déjà publiés concernant les contrôles de routine à l'échelon provincial et a adapté les notions clés à l'environnement de la GRC, modifiées au besoin pour le rôle de la GRC.

Le présent rapport vise à traiter de la politique, de la formation et de la pratique de la GRC concernant les contrôles de routine et à cerner les aspects à améliorer. Les principales constatations et recommandations formulées dans le présent rapport sont axées sur le renforcement de l'ensemble des politiques de la GRC, l'amélioration de la formation et la détermination de pratiques plus solides pour assurer la protection des droits individuels, tout en fournissant un cadre pour une application efficace de la loi.

Compte tenu du vaste pouvoir de la Commission d'entreprendre des examens de certaines activités de la GRCNote de bas de page 1, la Commission conserve la capacité, à l'avenir, d'examiner des éléments plus détaillés et particuliers de cette activité. Cela comprend l'examen de la mise en œuvre, sur le terrain, de la politique de la GRC dans certaines régions ou des effets des contrôles de routine de la GRC sur les communautés minoritaires au moyen d'un examen plus ciblé de régions, de mandats ou de communautés spécifiques. La Commission est toutefois convaincue que les recommandations proposées dans le présent rapport mèneront à une approche plus juste et équitable des contrôles de routine pour tous les mandats de la GRC.

2. Les conclusions et recommandations de la Commission

Conclusion no 1 : La définition de « contrôle de routine » donnée par la GRC dans sa politique nationale est déraisonnable.

Conclusion no 2 : La politique nationale de la GRC concernant le consentement éclairé à fournir des renseignements dans le contexte d'un « contrôle de routine » est déraisonnable.

Conclusion no 3 : L'interdiction des contrôles de routine aléatoires ou arbitraires dans la politique nationale de la GRC est appropriée.

Conclusion no 4 : La politique nationale de la GRC sur les services de police sans préjugés en ce qui concerne les contrôles de routine est généralement raisonnable, mais elle doit être précisée davantage.

Conclusion no 5 : En raison de la définition déraisonnable de « contrôle de routine » dans la politique nationale de la GRC et des lacunes en ce qui a trait à la documentation des données de contrôle de routine, la GRC ne dispose actuellement pas d'une méthode efficace pour déterminer si ses membres respectent les politiques pertinentes et n'est pas en mesure d'évaluer l'observation des politiques par ses membres.

Conclusion no 6 : La politique de la GRC concernant la documentation des contrôles de routine est déraisonnablement vague.

Conclusion no 7 : La formation actuelle de la GRC sur les contrôles de routine est généralement raisonnable.

Recommandation no 1 : La GRC devrait modifier la définition de « contrôle de routine » pour tenir compte de ce qui suit :

« contrôle de routine signifie une interaction volontaire avec le public, engagée par le policier, lorsque ce dernier demande des renseignements personnels identificateurs à des fins d'application de la loi. Un contrôle de routine peut être effectué n'importe où et dans le cadre de n'importe quel mandat de la GRC. »

Recommandation no 2 : La GRC devrait clairement énumérer les exceptions à cette politique (p. ex. les opérations d'infiltration).

Recommandation no 3 : La GRC devrait modifier la politique nationale pour y inclure ce qui suit :

« Avant de demander des renseignements personnels identificateurs à un membre du public lors d'un contrôle de routine, le membre de la GRC doit obtenir le consentement éclairé de la personne et consigner cette information dans son carnet de notes. »

Recommandation no 4 : La GRC devrait fournir le libellé type suivant ou un libellé d'effet similaire à ses membres aux fins de l'obtention d'un consentement éclairé dans le contexte d'un contrôle de routine :
« Il s'agit d'une interaction volontaire. Vous êtes libre de partir à n'importe quel moment. Je vous demande [nature des renseignements demandés] afin de [raison de la vérification sur place]. Vous n'avez pas à me fournir ces renseignements. Si vous choisissez de ne pas fournir ces renseignements, vous ne serez ni arrêté ni détenu. Vos renseignements personnels peuvent être conservés conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. »

Ce libellé standard devrait être disponible dans les deux langues officielles du Canada ainsi que dans toute autre langue communément parlée dans le secteur où les services de police sont assurés, en particulier les langues autochtones.

Recommandation no 5 : Si une personne refuse de fournir ses renseignements personnels identificateurs lors d'un contrôle de routine, ces renseignements ne devraient pas être consignés dans le système de gestion des dossiers opérationnels de la police à moins qu'il existe une autre autorisation légitime de le faire.

Recommandation no 6 : Afin d'éviter toute confusion ou ambiguïté, la GRC devrait utiliser systématiquement un terme pour désigner les renseignements recueillis au sujet des personnes lors d'un contrôle de routine et définir clairement ce terme dans la politique.

Recommandation no 7 : La GRC devrait améliorer sa politique nationale sur les contrôles de routine afin d'orienter les membres de la GRC qui exercent leurs activités en vertu d'un mandat fédéral sur la façon dont les contrôles de routine devraient être effectués dans les provinces qui ont restreint les contrôles de routine.

Recommandation no 8 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait comprendre des directives précises sur la façon de prévenir les préjugés ou l'apparence de préjugé lors des contrôles de routine.

Recommandation no 9 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait comprendre une fonction de vérification interne qui peut être déclenchée par des préoccupations de la collectivité.

Recommandation no 10 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait prévoir des vérifications internes régulières qui comportent des conseils d'experts en la matière sur les services de police sans préjugés.

Recommandation no 11 : La GRC devrait modifier sa politique nationale pour exiger que tous les contrôles de routine soient entrés dans un système de gestion des dossiers opérationnels à moins qu'ils ne répondent à des critères clairs de situations exceptionnelles où il n'est pas nécessaire de consigner le contrôle de routine dans le système.

Recommandation no 12 : La GRC devrait veiller à ce que les contrôles de routine, tels que le présent rapport propose de les définir dans la politique, soient facilement extractibles des systèmes de gestion des dossiers opérationnels de la GRC.

Recommandation no 13 : La GRC devrait examiner les délais minimums de conservation des contrôles de routine pour s'assurer qu'ils sont conformes à l'exigence de retrait des renseignements personnels dès qu'ils ne sont plus nécessaires dans un but d'application de la loi. La Commission recommande une période générale de conservation d'un an pour les contrôles de routine à moins qu'une exception particulière ne s'applique, comme dans le cas d'une plainte du public ou lorsque la personne visée présente une demande d'accès à ses renseignements personnels.

Recommandation no 14 : La GRC devrait examiner la possibilité de conserver pendant une plus longue période certains renseignements non identificateurs relatifs aux contrôles de routine à des fins statistiques.

Recommandation no 15 : La politique nationale de la GRC devrait prévoir que les contrôles de routine ne comprennent pas de renseignements personnels identificateurs lorsque la personne visée refuse de fournir volontairement de tels renseignements.

Recommandation no 16 : La GRC devrait envisager d'ajouter une fonction aux occurrences de contrôle de routine pour repérer les contrôles de routine où la personne a refusé de fournir des renseignements personnels identificateurs.

Recommandation no 17 : La GRC devrait examiner la façon dont les données fondées sur la race sont recueillies et conservées lors d'un contrôle de routine.

Recommandation no 18 : À la suite des modifications de la politique sur les contrôles de routine mentionnées dans le présent rapport, la GRC devrait mettre à jour la formation offerte aux cadets de la GRC sur les contrôles de routine et veiller à ce que les membres actuels soient informés des changements.

3. Méthode

Pour rédiger ce rapport, la Commission s'est fondée sur les sources suivantes :

  • le rapport de l'honorable Michael Tulloch intitulé Rapport de l'examen indépendant des contrôles de routineNote de bas de page 2;
  • l'avis juridique préparé par l'honorable J. Michael MacDonald pour la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-ÉcosseNote de bas de page 3;
  • des entrevues avec des membres de la GRC des divisions suivantes : Yukon, Colombie-Britannique, Manitoba, Nouvelle-Écosse;
  • un examen de certaines données sur les contrôles de routine consignées dans le système de gestion des dossiers opérationnels de la GRC;
  • un examen de sources secondaires pertinentes, comme des publications universitaires de premier plan;
  • les politiques pertinentes de la GRC;
  • les lois applicables, comme la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La Commission n'a pas l'intention de reproduire les travaux du rapport Tulloch en Ontario ou du rapport MacDonald à Halifax. Elle a plutôt utilisé ces rapports pour éclairer son analyse des politiques, de la formation et des pratiques de la GRC.

La Commission a examiné un échantillon d'occurrences de contrôles de routine pour se familiariser avec les pratiques actuelles de la GRC. La Commission n'a pas procédé à un examen systématique des dossiers de contrôles de routine de la GRC, en partie en raison du vaste mandat de la GRC dans les services de police municipaux, provinciaux et fédéraux et de sa combinaison de services de police ruraux et urbains. Les problèmes qui surviennent dans les services de police urbains diffèrent de ceux qui surviennent dans les milieux ruraux. Les solutions qui ciblent un problème urbain particulier pourraient ne pas être transférables au milieu rural. Dans la même veine, les solutions aux problèmes relevés dans un contexte de services de police municipaux pourraient ne pas fonctionner dans le contexte des services de police fédéraux de la GRC.

De plus, la Commission n'a pas entrepris de vastes activités de liaison avec les collectivités ou les groupes d'intérêts spéciaux pour des raisons semblables et en raison des préoccupations régionales qui se posent. Les groupes minoritaires et leurs besoins diffèrent d'une région géographique à l'autre. En ce sens, bon nombre des problèmes qui surviennent dans le contexte des contrôles de routine peuvent nécessiter des solutions adaptées à la collectivité en question et ne pas être transférables à d'autres contextes. Il serait difficile, voire impossible, d'adapter ces considérations à une enquête nationale sur la politique des contrôles de routine de la GRC.

Néanmoins, la Commission est convaincue que son examen des sources primaires et secondaires est suffisant pour procéder à un examen des politiques nationales de la GRC et pour recommander des solutions qui peuvent être adaptées selon les mandats uniques de la GRC et les collectivités dans lesquelles elle assure le maintien de l'ordre.

4. Définitions

Le terme « contrôle de routine » (parfois appelé « fichage »Note de bas de page 4) n'est pas un terme juridique et n'est pas toujours bien compris. Il n'est pas non plus défini de façon cohérente. Différents services de police utilisent des définitions différentes et le public a souvent une opinion différente de celle des services de police sur ce qui constitue ou non un contrôle de routine. L'élément central, toutefois, est qu'un contrôle de routine implique une interaction entre un policier et un membre du public.

Interactions de la police avec le public

Les policiers peuvent interagir avec le public pour différentes raisons et de différentes façons. Ils sont souvent le premier point de contact que les particuliers auront avec le système de justice pénale et sont « l'un des éléments les plus identifiables et reconnaissables du système de justice pénale »Note de bas de page 5. Trois grandes catégories d'interactions avec la police peuvent être extraites du droit canadien en vigueur :

  • Interactions volontaires : Une personne choisit de communiquer volontairement avec la police. Elle est libre de partir à tout moment et de décider quels renseignements, le cas échéant, elle communique à la police.
  • Détentions : Une personne est brièvement détenue en vertu des pouvoirs prévus par la common law de détention aux fins d'enquête de la policeNote de bas de page 6 ou en vertu d'autres dispositions législativesNote de bas de page 7. Elle n'est pas libre de partir et peut, dans certains cas, faire l'objet d'une fouille sommaire. Selon les circonstances, la personne peut être informée de certains droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [« Charte »].
  • Arrestations : Une personne est arrêtée en vertu des pouvoirs d'arrestation de la police. Elle n'est pas libre de partir et elle peut être assujettie à d'autres pouvoirs de fouille de la police. La personne doit être informée de certains droits garantis par la Charte.

Les contrôles de routine sont un sous-ensemble d'interactions volontaires, où la police demande des renseignements personnels identificateurs à une personne qui n'est pas détenue ou arrêtée. Le terme « contrôle de routine » peut aussi être trompeur. Les contrôles de routine n'ont pas nécessairement lieu dans la rue et ne sont pas toujours effectués dans le contexte des services de police de première ligne. Compte tenu du vaste mandat de la GRC, les contrôles de routine peuvent être effectués dans de nombreuses situations ou à différents endroits. Chacun des scénarios hypothétiques suivants constituerait un contrôle de routine aux fins du présent rapport :

  1. Un membre de la GRC en service général à Prince George (Colombie‑Britannique) fournit des services de police municipaux et demande son nom à une personne qui se promène dans un quartier à forte criminalité afin d'enrichir un dossier général de renseignements de la police sur le crime organisé.
  2. Un membre de la GRC qui exerce des fonctions de police fédérale de protection à Ottawa (Ontario) s'approche d'une personne qui flâne dans un gratte‑ciel abritant une ambassade et lui demande de s'identifier afin de l'aider à s'acquitter de son mandat de protection.
  3. Un membre de la GRC en service général à Arviat (Nunavut) patrouille dans l'aéroport et demande son nom à un nouvel arrivant afin d'appuyer l'interdiction d'apporter des objets interdits dans la collectivité.
  4. Un membre provincial de la GRC chargé de l'application de la loi sur la circulation en Nouvelle-Écosse arrête un véhicule pour excès de vitesse et demande à un passager son nom et sa date de naissance afin de déterminer s'il est visé par des mandats non exécutés.
  5. Des membres de la GRC ayant un mandat fédéral d'application de la loi et qui se préparent en vue d'un rassemblement de leaders mondiaux et la rencontre de groupes militants de partout au pays qui prévoient de manifester contre l'événement. Les membres de la GRC demandent aux acteurs clés de fournir des renseignements identificateurs afin de maintenir une liaison efficace entre la police et les groupes de protestataires.
  6. Un membre de la GRC dans une région rurale du Manitoba fait du porte-à-porte pour mener des enquêtes de quartier à la suite d'une entrée par effraction dans un chalet. Le membre demande aux résidents leurs renseignements identificateurs afin de les consigner dans un dossier de police.

Dans chacun de ces cas, le membre de la GRC n'avait pas le pouvoir légal de détenir ou d'arrêter la personne en question. Il cherchait plutôt à obtenir la collaboration volontaire de la personne en vue de l'application de la loi. Dans chaque cas, la personne pouvait légalement refuser de coopérer sans s'exposer à des conséquences juridiques.

Qu'est-ce qui n'est pas un « contrôle de routine »?

La plupart des interactions volontaires entre la police et le public n'équivalent pas à un contrôle de routine. Des services de police efficaces exigent de solides liens entre la police et la collectivité. La GRC – et la police canadienne en général – a évolué du principe anglais du maintien de l'ordre sur consentement, selon lequel la population consent collectivement à recevoir des services de police fournis par des « concitoyens ». Cela comprend ce que l'on appelle souvent les principes « peeliens » de la police (d'après Sir Robert Peel, secrétaire de l'Intérieur britannique du 19e siècle qui a créé la police métropolitaine de Londres et qui est largement considéré comme l'un des fondateurs de la police moderne), bien qu'ils semblent être attribuables aux premiers commissaires de police de Londres, plutôt qu'à sir Robert Peel lui-mêmeNote de bas de page 8. Un principe pertinent dans le contexte actuel exige que la police :

reconnaisse toujours que l'obtention et le maintien du respect et de l'approbation du public signifient également l'obtention de la coopération volontaire du public dans la tâche de faire respecter les lois.

Au fil du temps, de nombreux organismes de services de police sont devenus plus centralisés et sont passés d'un modèle axé sur la communauté à un modèle d'application de la loi. Essentiellement, les services de police ont adopté le modèle de lutte contre le crime comme orientation principale. Plus récemment, toutefois, l'accent est revenu sur l'idéal peelien avec l'adoption d'une philosophie de « police communautaire ». Cette approche plus moderne a été au cœur de nombreuses études et rapports au cours des dernières années, et il n'y a pas de définition précise ni d'approche uniqueNote de bas de page 9.

Les services de police communautaires intègrent une combinaison de maintien de l'ordre et d'offre de services communautaires. La responsabilité des relations avec la collectivité incombe à chaque policier, et le pouvoir passe d'un contrôle policier complet à un pouvoir partagé avec la collectivité. Plus important encore, le recrutement et la formation doivent être axés sur les relations et la résolution de problèmes plutôt qu'exclusivement sur la lutte contre la criminalitéNote de bas de page 10. La GRC a adopté un style policier axé sur les problèmes – appelé « CAPRA » – qui est une formation obligatoire pour chaque nouveau cadet à l'Académie de formation de la GRC. Le modèle CAPRA doit tenir compte des clients, de l'analyse de renseignements, des partenariats, des réponses (intervention) et de l'autoévaluation lorsqu'il s'agit de régler tout problème lié aux services policiers. Les membres individuels de la GRC doivent :

  • tenir compte des actions des acteurs pertinents, comme les victimes d'actes criminels, les suspects et les personnes ayant besoin d'aide;
  • prendre en considération les caractéristiques de l'incident, comme le contexte social, l'environnement physique et les mesures prises avant, pendant et après les événements;
  • examiner les réponses et les perceptions des membres des institutions publiques et privées/publiques du point de vue de leur application au problèmeNote de bas de page 11.

Ainsi, les services de police communautaires comportent deux grandes composantes : 1) les partenariats communautaires et 2) la résolution de problèmes.

Voici quelques exemples des divers résultats de l'approche de police communautaire : consultation des collectivités; activités proactives de prévention du crime axée sur les problèmes; coopération interorganisation; services de police interactifs; réduction de la crainte de victimisation; perfectionnement des agents de police en tant que généralistes.

Comme les services de police communautaires sont axés sur les besoins d'une collectivité particulière, il n'existe pas d'approche globale. Une approche qui fonctionne dans une administration peut ne pas s'appliquer dans une autre. C'est particulièrement vrai pour la GRC, qui a un vaste mandat et qui sert diverses collectivités. Les priorités communautaires pour les grands milieux urbains ne seront pas nécessairement les mêmes que celles d'une communauté isolée des Premières Nations. Un accent sous‑jacent demeure l'établissement de relations avec la communauté et ses membres. Cela entraînera inévitablement plus d'interactions avec le public et augmentera donc la possibilité que certains contacts soient qualifiés de contrôles de routine. Par conséquent, pour comprendre ces interactions, en discuter et formuler des recommandations en vue de les réglementer, il devient important de définir clairement ce qui constitue et ce qui ne constitue pas un contrôle de routine aux fins du présent rapport.

Les interactions générales avec le public qui appuient le rôle plus général de la GRC dans la collectivité, mais qui n'ont pas de lien avec un objectif précis en matière d'application de la loi ne sont pas des contrôles de routine. De plus, lorsque l'interaction est amorcée par le membre du public comme une demande de service, l'interaction subséquente ne serait généralement pas considérée comme un contrôle de routineNote de bas de page 12.

De plus, de nombreuses interactions volontaires entre la police et le public, bien qu'elles soient liées à des fins d'application de la loi, ne donnent pas lieu à une demande de renseignements personnels identificateurs. Par exemple, la police peut faire du porte-à-porte dans un quartier en demandant aux gens si quelqu'un a été témoin d'un crime. Si aucun renseignement personnel identificatoire n'est demandé ou recueilli, cela n'équivaut pas à un contrôle de routine.

Enfin, un contrôle de routine, qui est volontaire, est fondamentalement distinct d'une demande de renseignements personnels identificatoires par la police autorisée par la loi. De nombreuses interactions policières avec le public peuvent à première vue sembler constituer un contrôle de routine, mais en fait elles sont autorisées par la loi. Le plus souvent, le conducteur d'un véhicule peut être détenu et doit s'identifier à la demande d'un agent de police en vertu du code de la route provincial. De nombreuses lois provinciales sur l'alcool ou le cannabis exigent également que les gens s'identifient dans certaines situations. Pour être clair, si la police a un fondement légal pour exiger des données personnelles d'identification, l'interaction n'est pas un contrôle de routine.

Par exemple, les scénarios hypothétiques suivants ne seraient pas qualifiés de contrôles de routine aux fins du présent rapport :

  1. Un membre de la GRC en service général à Leduc (Alberta) fait du bénévolat à titre d'entraîneur d'une équipe sportive de jeunes et interagit avec les enfants et leurs parents, parfois lorsqu'il est en service. Dans le cadre de ses fonctions d'entraîneur, il recueille les noms et les numéros de téléphone des membres de l'équipe.
  2. Un membre de la GRC attaché à une unité fédérale d'application de la loi visite une mosquée de Montréal (Québec) et parle avec l'imam d'idées pour renforcer les relations policières avec la collectivité.
  3. Un membre de la GRC en service général à Yarmouth (Nouvelle-Écosse) fait une présentation dans une école locale sur la prévention de l'abus de drogues.
  4. Un membre du public appelle la GRC à Prince George (Colombie-Britannique) pour signaler une introduction par effraction. Lorsqu'un membre de la GRC répond à l'appel, il demande à l'appelant son nom, sa date de naissance et d'autres renseignements personnels identificateurs dans le cadre de l'enquête.
  5. Un membre de la GRC en Saskatchewan demande une pièce d'identité à un client dans un établissement autorisé pour s'assurer qu'il a l'âge légal de consommer de l'alcool.

Une définition générale de « contrôle de routine »

À partir de ce qui précède, nous pouvons extraire une définition générale de contrôle de routine aux fins du présent rapport. Un contrôle de routine est une interaction volontaire avec le public, engagée par l'agent de police, dans le cadre de laquelle ce dernier demande des renseignements personnels identificateurs dans un but d'application de la loi. Un but d'application de la loi, abordé plus en détail ci-après, ne signifie pas que l'activité est expressément autorisée par la loi. Un contrôle de routine peut être effectué n'importe où et dans n'importe quel mandat de la GRC.

Cette définition englobe plus d'activités que ce que l'on pourrait normalement définir comme un contrôle de routine et est plus large que ce que prévoient les rapports Tulloch ou MacDonald. La Commission est d'avis que l'adoption d'une approche élargie donnera lieu à des recommandations plus pragmatiques, qui aideront davantage la GRC à élaborer une politique nationale cohérente.

En quoi consiste un but d'application de la loi?

Un but d'application de la loi est différent d'une activité autorisée par la loi. Un but d'application de la loi est étroitement lié aux fonctions d'un policier. En common law, tous les policiers ont le devoir de maintenir la paix, de prévenir le crime et de protéger la vie et les biensNote de bas de page 13. De même, la Loi sur la GRC énonce que les membres de la GRC qui ont qualité d'agents de la paix sont tenus de maintenir la paix, de prévenir le crime et les autres infractions aux lois fédérales et provinciales et de procéder à l'arrestation « des criminels, des contrevenants et des autres personnes » pouvant être légalement mises sous gardeNote de bas de page 14. L'application de la loi vise également l'exécution des mandats provinciaux et fédéraux de la GRC, comme les services de police de protection et la sécurité nationale.

Parmi les exemples typiques d'application de la loi, mentionnons les enquêtes, la prévention ou la détection de la perpétration d'infractions, le maintien de l'ordre public, la protection de la vie et des biens, la collecte de renseignements criminels et la protection des infrastructures essentielles. Des contrôles de routine peuvent être effectués à l'appui de ces objectifs. Toutefois, un but d'application de la loi est aussi un objectif qui est raisonnable et justifié dans les circonstances. Un contrôle de routine arbitraire ou aléatoire ou motivé par des préjugés (conscients ou inconscients) n'est pas conforme à un but d'application de la loi.

5. Discrimination et contrôles de routine

La principale préoccupation soulevée par les différentes collectivités est le lien entre les contrôles de routine et les diverses formes de discrimination. La forme de discrimination la plus souvent citée en lien avec les contrôles de routine est la discrimination raciale.

L'article 1 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination racialeNote de bas de page 15 définit la discrimination raciale comme suit :

Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.

La discrimination fondée sur la race est l'expression du racisme, c'est-à-dire la croyance que certains groupes sont inférieurs à d'autres. Cette croyance et les stéréotypes connexes comme la prédisposition d'un groupe à la violence ou à d'autres crimes évoluent en hypothèses qui influencent les systèmes ou les institutions d'une manière qui favorise le pouvoir et le privilège du groupe dominantNote de bas de page 16. Toutefois, le racisme n'est pas toujours conscient ou intentionnel. Le racisme systémique ou institutionnel est de plus en plus reconnu comme étant problématique dans les services de police. Ce racisme systémique découle :

Des comportements, des politiques et des pratiques habituels qui font partie intégrante des structures d'un organisme ou d'un secteur tout entier peuvent créer ou perpétuer des désavantages pour des groupes racialisés. Cela signifie que même si [ce n'était pas intentionnel], vos méthodes « habituelles » peuvent avoir des répercussions négatives sur des personnes racialiséesNote de bas de page 17.

Dans le maintien de l'ordre, le racisme systémique ou institutionnel se manifeste notamment par le profilage racial :

[...] toute action prise par une ou des personnes en situation d'autorité à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d'appartenance réelle ou présumée, tels [que] la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d'exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.

Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d'autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présuméeNote de bas de page 18.

Comme l'a souligné le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations Unies (ONU), le fonctionnement des systèmes de justice pénale dans le monde a été imprégné de discrimination raciale ou ethniqueNote de bas de page 19, ce qui a mené à « une violation particulièrement grave de la primauté du droit, le principe de l'égalité devant la loi »Note de bas de page 20. En 2005, le Comité a recommandé que les États parties « prennent les mesures nécessaires pour empêcher les interrogatoires, les arrestations et les fouilles qui, en réalité, sont basés uniquement sur l'apparence physique d'une personne, sa couleur ou ses caractéristiques, son appartenance à un groupe racial ou ethnique ou tout profilage qui l'expose à davantage de suspicion »Note de bas de page 21.

Après avoir rencontré des représentants fédéraux et provinciaux à plusieurs endroits au Canada en 2016, un groupe d'experts de l'ONU s'est dit préoccupé par les « informations indiquant que le profilage racial par la police [...] est courant dans l'État partie, ce qui porte préjudice aux peuples autochtones ainsi qu'aux minorités ethniques musulmanes, aux Afro-Canadiens et aux autres groupes ethniques minoritaires »Note de bas de page 22.

En plus d'évoquer « des preuves claires que le profilage racial est endémique dans les stratégies et pratiques utilisées par les forces de l'ordre [y compris] l'utilisation arbitraire du « fichage » ou de contrôles de routine [qui] affectent de façon disproportionnée les personnes d'origine africaine »Note de bas de page 23, le groupe semblait également établir un lien entre une forte présence policière dans certaines régions peuplées de groupes racialisésNote de bas de page 24 et la surreprésentation de ces groupes chez les personnes incarcérées. 

L'actualité a incité les politiciens canadiens et d'autres hauts fonctionnaires à reconnaître publiquement l'ampleur du racisme systémique et des préjugés inconscients au sein de plusieurs institutions. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Bill Blair – lui-même un ancien chef de police de Toronto – a déclaré que « [...] et les autres personnes racialisées sont victimes de racisme systémique et de disparités au sein du système de justice pénale. » En ce qui concerne les séquences montrant des membres de la GRC qui ont recours à la force contre le chef Allan Adam de la Première Nation des Chipewyans d'Athabascan en Alberta et son épouse – un incident qui a soulevé l'inquiétude du public – le ministre Blair a fait remarquer que les Autochtones [traduction] « se heurtent toujours à des obstacles systémiques au Canada et le racisme auquel ils font face se matérialise souvent dans les interactions avec les forces de l'ordre »Note de bas de page 25.

Après avoir initialement nié que le racisme systémique avait une incidence sur les interactions entre les membres de la GRC et le public, la commissaire de la GRC, Brenda Lucki a par la suite reconnu que « le racisme systémique fait partie de toutes les institutions, la GRC y comprise » et que « nous n'avons pas toujours traité les personnes racisées et les Autochtones de façon équitable »Note de bas de page 26. Elle a réitéré l'engagement de la GRC à mieux comprendre « certains obstacles non intentionnels » et à les éliminerNote de bas de page 27. Des politiques réformées sont également envisagées pour traiter du racisme systémique et des services de police aux échelons provincial et municipal.Note de bas de page 28

La réticence de la commissaire de la GRC à reconnaître que le racisme systémique a affecté la GRC, ainsi que le libellé de sa déclaration révisée, rendait compte d'une idée fausse courante — c'est-à-dire assimiler une accusation de racisme systémique à une accusation selon laquelle l'ensemble des forces policières ont des croyances consciemment ou inconsciemment racistesNote de bas de page 29. Une distinction importante à faire, particulièrement en ce qui concerne le profilage racial, est que les policiers qui ne possèdent aucune croyance raciste peuvent quand même appliquer des pratiques ancrées dans des croyances et des politiques communes qui façonnent les forces policières et qui perpétuent la discrimination systémique, même si les forces policières ne promeuvent pas elles-mêmes explicitement des pratiques racistes ou discriminatoiresNote de bas de page 30. Autrement dit, un policier bien intentionné peut agir sans le savoir d'une manière qui est perçue par d'autres comme étant raciste. Le point crucial à retenir est que la perception de chacun est sa réalité subjective. Lorsqu'une personne perçoit subjectivement le racisme, elle vit subjectivement le racisme, que ce soit intentionnel ou non.

Ce problème ne se répercute pas seulement sur la réputation d'une organisation. Il faut également tenir compte de l'effet que les interactions négatives avec les organismes d'application de la loi peuvent avoir sur le public.

Comme toute autre personne, les agents de police interprètent une situation donnée en fonction de leur vision du monde, laquelle est éclairée par des facteurs comme l'expérience et l'éducation, et en fonction de certaines caractéristiques des personnes en cause, dont la raceNote de bas de page 31. Ce type de préjugés est lié à des préjugés raciaux persistants qui perpétuent les inégalités dans les relations sociales, politiques et économiques et qui peuvent mener à de la discrimination. Comme on l'a souvent souligné, les efforts de recrutement visant à assurer une plus grande représentation des groupes minoritaires parmi les corps policiers constituent une stratégie visant à réduire les répercussions de ce déséquilibre. Une autre est la sensibilisation au profilage racial et aux préjugés inconscients; toutefois, bien que cela puisse permettre aux policiers de reconnaître et de gérer leurs préjugés afin d'améliorer leurs compétences décisionnelles, il n'est pas certain que cela puisse réduire l'effet des préjugés implicites sur la façon dont les policiers exercent leurs fonctions. Cela s'explique en partie par le fait que les préjugés affectent presque automatiquement la façon dont les individus interprètent une situation et leur milieu ambiantNote de bas de page 32

Les décisions concernant l'affectation des ressources ou la conception des stratégies policières et des techniques d'enquête au sein des services de police n'échappent pas aux préjugés et peuvent être motivées par l'association implicite entre groupes racialisés et activité criminelleNote de bas de page 33. D'une part, on a fait valoir qu'une présence policière plus forte dans les milieux défavorisés peut s'expliquer par le fait que les conditions sociales et structurelles des quartiers ou communautés plus pauvres et défavorisés sont propices aux infractions à la loiNote de bas de page 34. D'autre part, la présence policière à elle seule peut contribuer à un taux de criminalité plus élevé de par l'augmentation du nombre d'interactions entre la police et le public et une détection accrue des crimes. En fait, une forte présence policière dans ce qui est perçu comme une zone à forte criminalité peut être un cercle vicieux. En outre, des études indiquent que la police est plus active dans des zones peuplées de personnes que la police, et même le public, considèrent, en leur appliquant des stéréotypes, comme « menaçantes »Note de bas de page 35. Les perceptions stéréotypiques selon lesquelles certains groupes sont menaçants ou enclins à la violence peuvent mener à une plus grande vigilance de la part des services de policeNote de bas de page 36, ce qui peut également mener à plus d'interactions et à une intervention plus vigoureuse de la part de la policeNote de bas de page 37.

À l'inverse, les points de vue sociétaux selon lesquels d'autres sous-ensembles de la population sont moins susceptibles d'être associés à de la criminalité ou de la violence peuvent se traduire par une sous-vigilance de la part de la policeNote de bas de page 38. La police peut ne pas être très présente dans des quartiers qui sont vus comme étant à faible criminalité. Ce manque de présence policière réduit le nombre d'interactions entre la police et le public et réduit la détection des crimes. Encore une fois, cela peut se traduire par un cercle vicieux.

Par exemple, certaines communautés racialisées [traduction] « sont traditionnellement les plus touchées par les mesures antiterroristes »Note de bas de page 39 des forces de l'ordre, ce qui peut ajouter au stress des personnes considérées par la société comme des ennemis potentiels en raison de leur religion ou de leur culture. Après les attentats du 11 septembre 2001, les musulmans canadiens et les citoyens d'origine arabe ont exprimé des sentiments de discrimination, de marginalisation et d'isolement à la suite de certaines mesures de sécurité nationale appliquées par la GRC qui ciblaient les membres de ces communautésNote de bas de page 40. Cela illustre à quel point des mesures d'application de la loi de grande portée peuvent être prises; non seulement les personnes innocentes directement touchées par de telles mesures ont l'impression d'avoir été traitées injustement par les autorités, mais le fait que les organismes chargés de la sécurité se sont concentrés sur elles peut aussi avoir contribué à ce que la société associe des communautés entières au terrorisme.

Les interactions avec des policiers, même de courte durée, peuvent avoir des conséquences sur la santé mentale. Par exemple, les membres de la population noire d'Halifax ont déclaré que, pendant et après des contrôles de routine, ils avaient éprouvé beaucoup de stress et ont dit s'être sentis « frustrés, embarrassés ou humiliés »Note de bas de page 41 à la suite de ces rencontres. Certains ont dit que l'embarras résultait du fait d'être « traité comme un criminel », parfois devant des passantsNote de bas de page 42.

Il y a également des preuves que les rencontres négatives avec des agents de police entraînent des facteurs de stress liés à la santé mentale comme l'anxiété, l'insomnie et les symptômes de TSPT, particulièrement lorsque la personne estime qu'on lui a manqué de respect et qu'on en a fait une victime d'injusticeNote de bas de page 43. Même les contacts indirects avec la police peuvent nuire au bien-être d'un membre d'un groupe racialisé s'il estime qu'une personne qui lui est proche a été injustement interpelée en raison de son identitéNote de bas de page 44. Il a été suggéré que le fait d'être interpelé par la police en une occasion peut [traduction] « accroître le stress en ce sens que la personne s'attendra à être arrêtée de nouveau à l'avenir »Note de bas de page 45. Les répercussions sur la santé mentale ne sont que l'une des conséquences des contacts avec la police qui ont été liées à un faible rendement scolaire chez les jeunesNote de bas de page 46; dans certains cas, cela peut entraîner l'affaiblissement des liens sociaux positifs, laissant les personnes touchées socialement exclues et avec moins de débouchésNote de bas de page 47.  

De plus, des personnes se demandaient si les informations documentées par les policiers lors de contrôles de routine étaient accessibles à d'autres policiers ou employeurs potentiels. Certains résidents racialisés de l'Ontario ont déclaré qu'ils estimaient que leurs réussites et leurs contributions positives à leur collectivité avaient été amoindries en raison du stéréotype de criminalitéNote de bas de page 48. De nombreuses personnes qui avaient souvent fait l'objet de profilage racial ont exprimé un sentiment de résignation à l'attente constante d'un traitement injusteNote de bas de page 49.

Collectivement, les policiers ne sont ni plus ni moins enclins à des préjugés implicites que le reste de la populationNote de bas de page 50, et certaines données suggèrent que [traduction] « la majorité des gens ont un préjugé implicite qui associe certaines races au crime »Note de bas de page 51. Pourtant, la différence réside dans le type de situations en cause dans le maintien de l'ordre, qui nécessitent souvent des décisions rapides, l'exercice du pouvoir et des réactions qui comportent le recours à la force. [Traduction] « Lorsqu'il y a ce genre de restriction de temps et de réaction, les préjugés vont se manifester »Note de bas de page 52, et les conséquences de ces préjugés sont plus graves que lorsque cela vient de personnes qui ne sont pas en position de pouvoir.

Malgré l'absence d'exigences uniformes en matière de collecte de données sur les personnes soumises à des contrôles de routine par la police au Canada, il semble que les Noirs et les Autochtones soient plus susceptibles de déclarer avoir été injustement interpelés par la police et traités comme suspects sans motifNote de bas de page 53. Parfois, les stéréotypes entretenus sont liés à des facteurs qui constituent les « déterminants sociaux de la justice », à savoir l'emploi, le revenu, la stabilité du logement, la santé et l'éducationNote de bas de page 54. Le fait d'avoir des déterminants sociaux « plus faibles » donne généralement lieu à des résultats plus négatifs dans le système de justice, comme se voir refuser la libération sous caution, être reconnu coupable d'une infraction, avoir un casier judiciaire ou être condamné à l'incarcération. Au Canada, de mauvais déterminants sociaux ont une incidence disproportionnée sur les Autochtones et les Noirs. Cela s'explique en partie par des désavantages structurels et [traduction] « le ciblage systémique, le profilage racial, la violence inutile commise par la police à l'endroit des communautés racialisées et, de façon plus générale, le système de justice canadien contribuent davantage à aggraver ces déterminants »Note de bas de page 55.

Des membres de communautés noires, autochtones ou racialisées ont déclaré qu'ils croyaient avoir fait l'objet de profilage parce qu'ils vivaient dans des quartiers à faible revenu. D'autres pensaient que c'était parce qu'ils avaient adopté des comportements considérés à tort comme suspects simplement parce qu'ils ne correspondent pas au stéréotype, comme marcher ou magasiner dans des quartiers huppés à prédominance blanche, ou conduire un véhicule luxueuxNote de bas de page 56. Ces perceptions sont étayées par des données, et bien que les Canadiens blancs à faibles déterminants de la justice sont [traduction] « plus susceptibles d'interagir avec le système de justice pénale que leurs homologues plus aisés et moins vulnérables […], la distinction la plus importante est que le système de justice pénale ne les cible pas »Note de bas de page 57.

Il a également été suggéré que « les femmes racialisées sont profilées selon le sexe (par exemple, en tant que consommatrices de drogue, passeuses de drogue ou travailleuses du sexe soupçonnées) [et sont donc] plus vulnérables au profilage racial policier »Note de bas de page 58.  

En Ontario, l'Unité des enquêtes spéciales (UES) enquête sur les cas impliquant un policier où un individu est mort ou a subi de graves blessures, ainsi que les cas où un policier a déchargé son arme à feu sur un individuNote de bas de page 59. Un certain nombre d'enquêtes de l'UES font état « d'interpellations et de détentions de civils noirs sans motifs juridiques valables, de fouilles non appropriées ou justifiées lors d'interactions, et d'arrestations ou de dépôt d'accusations non nécessaires »Note de bas de page 60

Le manque général de clarté quant à la nature des interpellations policières, dont il est question ci-après, pose problème lorsqu'on examine le déséquilibre de pouvoir inhérent qui se produit quand un policier – en particulier un policier armé et en uniforme – s'approche d'un membre du public pour l'interroger, même en l'absence de motifs raisonnables ou de soupçons raisonnables de croire qu'il a commis une infraction. Ces interactions peuvent être effrayantes et faire en sorte que la personne se sente intimidée. De nombreuses personnes croient qu'elles n'ont d'autre choix que de se conformer aux exigences d'un agent ou alors elles se soumettent avec réticence à des interrogatoires et des fouilles même si elles croient que leurs droits sont bafouésNote de bas de page 61. C'est vrai « surtout lorsque la personne interpelée est vulnérable, qu'elle dépend de l'espace public pour vivre, qu'elle est autochtone, noire, racialisée ou qu'elle a subi de la violence étatique »Note de bas de page 62. Il a été signalé que certains policiers deviennent hostiles ou menacent même d'arrestation les personnes qui contestent leur autorité lors de contrôles de routineNote de bas de page 63, ce qui a pour effet non seulement de causer à la personne un sentiment de vulnérabilité et d'impuissance durant ces rencontres, mais aussi la perception que les policiers abusent de leur pouvoir pour harceler des innocents, les intimider et violer leurs droitsNote de bas de page 64

Les interpellations policières déraisonnables, qu'elles soient vécues ou observées, minent la légitimité de la police. Les personnes qui estiment que leur communauté est injustement ciblée en raison de leur race ou de leur origine ethnique ne font souvent pas confiance aux policiers. Des relations tendues entre les policiers et les communautés qu'ils ont mandat de protéger ont des conséquences importantes. À commencer par le fait qu'une confiance diminuée signifie que les policiers disposeront de renseignements limités sur la communauté et n'auront pas de voies de communication claires pour solliciterNote de bas de page 65 des renseignements permettant de faire progresser les enquêtes criminelles. Cela peut également entraîner une diminution des crimes déclarés et de la volonté de collaborer avec la police, de témoigner en cour, etc.Note de bas de page 66 Par exemple, certains membres de la communauté noire d'Halifax ont fait part de leur réticence à collaborer aux enquêtes ou à signaler des crimes [traduction] « parce qu'ils croyaient que la police ne se souciait pas des membres de la communauté noire »<Note de bas de page 67. D'autres ont indiqué qu'ils n'appelleraient plus la police pour obtenir de l'aide en raison d'expériences antérieures, une personne ayant déclaré qu'on l'avait fait se sentir comme une criminelle plutôt qu'une victimeNote de bas de page 68. De plus, la méfiance que nourrissent les communautés qui estiment être traitées injustement par la police peut entraîner de la résistance face aux initiatives policières visant à établir des relations avec elles ainsi que du cynisme à l'endroit des « bons agents »Note de bas de page 69.   

Outre les questions juridiques entourant les contrôles de routine, nous avons cherché, dans cette section, à donner un aperçu des conséquences que peuvent avoir des pratiques policières empreintes de préjugés fondés sur la race sur les membres des communautés touchées. À l'évidence, ce qui peut être considéré comme une vérification de routine par un policier peut avoir de graves conséquences pour les membres du public qui ont déclaré se sentir intimidés et effrayés lors de telles rencontres. Cela témoigne non seulement du niveau de confiance du public à l'égard des services policiers (et donc de l'efficacité des services de police communautaires), mais aussi de la qualité du maintien de l'ordre, qui, à son tour, nuit au système de justice pénaleNote de bas de page 70. Les contrôles de routine inconsidérés peuvent diminuer l'efficacité des services de police dans une collectivité.   

6. Dispositions législatives relatives aux contrôles de routine

À l'instar des difficultés à trouver une définition claire d'un contrôle de routine, la loi entourant les contrôles de routine est également complexe. Plus tôt, ce rapport indiquait clairement que la distinction entre le contrôle de routine et les autres formes d'interaction policière réside dans son caractère volontaire. En effet, la Cour suprême du Canada a confirmé que les policiers ont le droit d'interagir avec le public. Toutefois, le public n'a pas l'obligation correspondante de s'identifier ou de fournir des renseignements à la police, à moins d'une obligation légale indépendante de le faireNote de bas de page 71.

Le présent rapport n'examine pas les situations où le public est tenu par la loi de fournir des renseignements personnels identificateurs à la police. Ces situations ne correspondent pas à la définition de contrôle de routine dont il a été question précédemment dans ce rapport. Par conséquent, la présente section portera uniquement sur les situations où la police n'a pas le pouvoir légal d'exiger qu'une personne lui fournisse des renseignements personnels identificateurs.

Malheureusement, il n'y a pas de démarcation claire entre les interactions volontaires de la police et la détention. Il existe diverses formes de détention et, contrairement aux arrestations, une détention peut avoir lieu sans l'intention active du policier de détenir la personne. Pour déterminer si une personne est détenue, il faut tenir compte de ses perceptions. L'idée étant qu'une personne qui se fait poser des questions par la police peut se sentir détenue, même si le policier n'avait pas l'intention de la placer effectivement en détention. La Cour suprême a vivement fait remarquer sur ce point que les « services de police communautaire donnent lieu à une situation plus complexe »Note de bas de page 72.

Deux droits principaux prévus par la Charte sont pertinents lorsqu'il est question de contrôles de routine : l'article 9 de la Charte, qui prévoit que :

Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires;

et l'article 8 de la Charte, qui prévoit que :

Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Article 9 de la Charte

L'article 9 de la Charte, qui interdit la « détention arbitraire », est pertinent lorsqu'il est question de contrôles de routine. Il vise à protéger la liberté individuelle contre toute ingérence injustifiée de l'État. Ses protections limitent la capacité de l'État à imposer des pressions intimidantes et coercitives aux citoyens sans justification adéquate.

Dans une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a conclu dans R c Grant qu'une détention par la police peut survenir de deux façons :

  • (1) ne personne est légalement tenue d'obtempérer à un ordre ou à une sommation de la police;
  • (2) une personne n'est pas légalement tenue d'obtempérer à un ordre ou à une sommation, mais une personne raisonnable dans la situation du sujet s'y sentirait obligée et conclurait qu'elle n'était pas libre de partirNote de bas de page 73.

Par conséquent, il y a détention lorsqu'une personne raisonnable se sent obligée d'obtempérer à un ordre ou à une sommation de la police et qu'elle a le sentiment qu'elle n'est pas libre de partir. La majorité des juges de la Cour suprême du Canada, dans R c Le, ont également souligné la principale préoccupation concernant les contrôles de routine :

Après tout, la plupart des citoyens ne connaîtront pas exactement les limites imposées aux pouvoirs des policiers et pourront, selon les circonstances, percevoir une simple interaction de routine avec les policiers comme les obligeant à obtempérer à toute demandeNote de bas de page 74.

C'est le problème même que rencontrent les policiers lorsqu'ils effectuent des contrôles de routine. Le policier peut croire honnêtement qu'il fait une demande volontaire à un membre du public. Toutefois, le membre du public peut avoir une perception très différente. Dans l'arrêt Grant, il est expressément indiqué que les expériences et les perceptions personnelles de la personne étaient pertinentes pour évaluer si une détention avait eu lieu :

[...] la situation particulière de la personne visée ainsi que ses perceptions au moment envisagé peuvent être pertinentes pour déterminer si elle pouvait raisonnablement conclure à un déséquilibre entre son pouvoir et celui des policiers, et donc raisonnablement penser qu'elle n'avait d'autre choix que d'obéir à la directive donnéeNote de bas de page 75.

Pour cette raison, l'intention du policier lorsqu'il s'approche d'un membre du public n'est pas déterminante pour savoir s'il y a eu détention ou pas. Néanmoins, la Cour a reconnu que les interactions entre la police et le citoyen ne constituent pas toutes une détention au sens de l'article 9 de la Charte et a souligné que de nombreuses interactions entre la police et le citoyen sont relativement anodines et n'impliquent rien de plus que de converser.

Le dilemme consiste à déterminer quand la ligne entre la conversation et la détention est franchie. Pour ce faire, il est essentiel de tenir compte de toutes les circonstances de la rencontre avec la police. L'article 9 commande une évaluation de la rencontre dans sa globalité et non un découpage séquence par séquence du déroulement de la rencontre. 

La Cour suprême s'est penchée sur ce sujet dans l'arrêt Le. Dans cette affaire, la police n'enquêtait pas sur un crime en particulier. Les policiers étaient en patrouille lorsqu'ils ont vu de jeunes hommes dans une cour arrière privée et qu'ils sont allés leur parler étant donné le quartier à criminalité élevée et l'heure tardive. La décision principale de la Cour traitait de la détention et concluait comme suit :

[...] ce qui est important, car il en ressort que les jeunes concernés n'étaient pas légalement tenus de répondre aux questions posées par les policiers, de présenter une pièce d'identité ou de suivre les ordres reçus concernant la position de leurs mains. Les policiers n'étaient pas légalement autorisés à contraindre ceux‑ci à faire ces choses. Par conséquent, l'analyse en l'espèce portera sur la deuxième forme de détention psychologique, soit sur la question de savoir si une personne raisonnable, mise à la place de l'appelant, se serait sentie obligée d'obtempérer et ne se serait pas sentie libre de partir quand les policiers sont entrés dans la cour arrière et ont pris contact avec les jeunes hommesNote de bas de page 76.

Cette déclaration souligne l'importance pour les membres de la GRC (comme pour tous les policiers) de reconnaître la portée et la limite de leur pouvoir lorsqu'ils interagissent avec des membres du public qui ne font initialement l'objet d'aucune enquête. Dans Le, la Cour a également soulevé une conséquence qui pourrait découler de contrôles de routine fréquents :

[...] il est plus raisonnable de prévoir que la fréquence des contacts avec la police favorisera généralement davantage, et non moins, l'élément de « contrainte psychologique, sous forme d'une perception raisonnable qu'on n'a vraiment pas le choix » [...]. Les personnes qui sont fréquemment exposées à des interactions forcées avec la police obtempéreront plus volontiers aux ordres reçus afin de pouvoir passer à autre chose, et ce, en raison d'un sentiment [traduction] d'« impuissance acquise » [...]Note de bas de page 77.

Les tribunaux ont également reconnu que la détermination rétroactive de la nature d'une détention peut causer des problèmes dans le contexte de la police communautaire. Autrement dit, si un policier ne reconnaît pas qu'une interaction particulière cause une détention psychologique, il ne peut pas considérer que les droits garantis par la Charte sont en jeu. De même, cette confusion peut amener une personne à se sentir obligée de répondre à une question par crainte d'être arrêtée. La Cour de justice de l'Ontario a récemment fait l'observation suivante :

[Traduction] Bien que les juges dissidents dans l'arrêt Omar de la Cour suprême du Canada aient laissé pour « une autre occasion » l'examen de la question de savoir si la police devrait avertir les personnes qu'elle interpelle et interroge qu'elles sont libres de partir ou de ne pas répondre aux questions, je ferais simplement remarquer que ce droit semble fictif si la police peut interroger des personnes sachant que ces personnes n'ont aucune obligation de répondre, mais que les personnes elles-mêmes demeurent ignorantes de ce droit [caractères gras ajoutés]. Quoi qu'il en soit, la détention découlant de la conduite de la police envers les passagers dans l'affaire dont je suis saisi a déclenché leurs droits en vertu de l'alinéa 10b). S'ils avaient été informés de ces droits, ils auraient fort bien pu choisir de répondre différemment à la police ou même de ne pas répondre du toutNote de bas de page 78.

La Cour de justice de l'Ontario a également reconnu la nécessité d'établir un équilibre entre les droits et libertés individuels et la protection de la vie privée avec un intérêt sociétal pour un maintien de l'ordre efficace. Étant donné leur mandat d'enquêter sur les crimes et de maintenir l'ordre public, les policiers doivent être habilités à intervenir rapidement, efficacement et avec souplesse face à la diversité des rencontres qu'ils font quotidiennement en première ligne. Cet équilibre est difficile, étant donné ce que la Cour a décrit comme [traduction] « le manque de certitude et d'orientation pratique "dans la rue" offertes par la jurisprudence relative à l'article 9 dans le contexte des interactions avec les services policiers communautaires »Note de bas de page 79.

Article 8 de la Charte

La protection de la vie privée est au cœur de l'article 8 de la Charte, qui protège les particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur vie privéeNote de bas de page 80. La Cour suprême du Canada a expliqué qu'en favorisant les valeurs sous-jacentes que sont la dignité, l'intégrité et l'autonomie, les protections prévues à l'article 8 s'étendent aux renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'ÉtatNote de bas de page 81. Cela comprend les renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individuNote de bas de page 82. Le droit au respect du caractère privé des renseignements personnels a été défini comme le droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer à quel moment les renseignements les concernant sont communiqués à d'autres, de quelle manière et dans quelle mesureNote de bas de page 83.

En ce qui concerne la vie privée qui a trait aux renseignements personnels, elle englobe au moins trois facettes qui se chevauchent, mais qui se distinguent sur le plan conceptuel :

  • la confidentialité
  • le contrôle
  • l'anonymat

Le caractère privé des renseignements personnels est souvent assimilé à la confidentialité, puisque la personne qui divulgue ses renseignements s'attend à ce que ceux-ci demeurent confidentiels.

Le droit à la vie privée comprend également la notion connexe, mais plus large, de contrôle sur l'accès à l'information et sur l'utilisation des renseignements. Cette facette de la vie privée découle du postulat selon lequel l'information de caractère personnel est propre à l'intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l'entendNote de bas de page 84.

La Cour a souligné que l'anonymat permet aux personnes d'avoir des activités publiques tout en préservant la confidentialité de leur identité et en se protégeant contre la surveillanceNote de bas de page 85. Cet anonymat peut être compromis lorsque la quantité de renseignements stockés concernant une personne permet à d'autres d'observer un profil des activités de cette personne.

Bien que les tribunaux aient mis en lumière récemment cette notion de vie privée dans le contexte de l'utilisation d'Internet et du téléphone cellulaire, les principes s'appliquent tout autant au sujet des contrôles de routine. Pour que le particulier puisse contrôler l'information « comme il l'entend », il est important qu'il soit pleinement informé des raisons pour lesquelles les policiers demandent des renseignements lors de contrôles de routine. De même, l'enregistrement des renseignements identificateurs par les policiers crée un dossier documenté des activités d'une personne, ce qui peut lui causer injustement un préjudice dans une future enquête policière sans lien avec le contrôle de routine. La Cour suprême a bien cerné l'importance cruciale de cet aspect de la vie privée :

Ces préoccupations en matière de vie privée sont à leur plus fort lorsque des aspects de l'identité d'une personne sont en jeu, comme dans le cas des renseignements « relatifs au mode de vie d'une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses »Note de bas de page 86.

Même si le droit à la vie privée d'une personne est protégé par la Charte, le public jouit naturellement du droit de communiquer ces renseignements à la police, s'il le désire. L'examen de la Commission n'a pas permis de cerner une conclusion claire de la part des tribunaux qu'un consentement éclairé et volontaire est nécessaire dans tous les cas avant qu'une personne puisse renoncer à ses droits à la vie privée. Toutefois, de l'avis de la Commission, un tel choix devrait néanmoins être pleinement éclairé et volontaire dans la pratique.

Ce point est au cœur de l'examen des contrôles de routine effectué par la Commission. Sans consentement éclairé et volontaire, le droit à la vie privée prévu à l'article 8 de la Charte peut être miné. Ainsi, pour être pleinement informée, une personne doit posséder suffisamment de renseignements sur ce droit pour pouvoir faire un choix utileNote de bas de page 87. Pour que le consentement soit volontaire, la personne doit avoir réellement eu le choix de donner le consentement présuméNote de bas de page 88.

La jurisprudence entourant le caractère volontaire et le consentement dans les interactions policières avec le public est complexe, particulièrement lorsque des accusations criminelles ou des preuves saisies résultent d'une interaction manifestement anodine. Le tribunal évalue les facteurs subjectifs et objectifs pour décider s'il convient d'admettre une preuve découlant de cette interaction. Il est donc difficile, tant pour les particuliers que pour les policiers, d'apprécier la portée et les limites précises de l'autorité policière lors d'une interaction donnée. L'accent sera habituellement mis sur la question de savoir si l'interaction était véritablement volontaire ou si elle constituait en fait une détention psychologique.

Il s'agit d'un point clé pour comprendre la distinction difficile entre une interaction volontaire et une détention. Ce pourrait n'être que longtemps après une interaction policière que le policier apprend, par une conclusion du tribunal, que l'interaction équivalait à une détention. C'est pourquoi la Commission conclut qu'il est souhaitable — en fait nécessaire — d'obtenir un consentement éclairé avant de recueillir des renseignements personnels d'identification lors d'un contrôle de routine.

La discrimination et la loi

Comme il a déjà été mentionné, la discrimination est une préoccupation majeure liée aux contrôles de routine. La loi reconnaît que le profilage racial de quelque sorte que ce soit est inacceptable. Comme l'a souligné la Cour d'appel de l'Ontario :

[Traduction] À mon avis, il va de soi qu'une décision n'a pas nécessairement à être motivée uniquement ou même principalement par la race ou des stéréotypes raciaux pour être quand même considérée comme étant « fondée » sur la race ou des stéréotypes raciaux. Si une prise en compte illégitime de la race ou de stéréotypes raciaux entre dans la sélection ou le traitement des suspects, toute prétention que la décision était raisonnable est rejetée. La décision sera contaminée par des pensées inappropriées et ne peut satisfaire aux normes juridiques en vigueur pour la sélection ou le traitement des suspectsNote de bas de page 89.

La Commission souscrit à ce point de vue et l'élargit légèrement. Si un contrôle de routine est motivé de quelque façon par un motif de discrimination illicite énuméré au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 90, il est inapproprié et contraire à la politique de la GRC.

Une définition générale de « renseignements personnels identificateurs »

La Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale régit la collecte, la conservation et le retrait de ce qu'elle appelle des « renseignements personnels » par des organismes fédéraux comme la GRCNote de bas de page 91. La Loi sur la protection des renseignements personnels définit les « renseignements personnels » comme les « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable »Note de bas de page 92.  Les renseignements obtenus lors d'un contrôle de routine, par exemple le nom, l'adresse et la date de naissance d'une personne, sont habituellement des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 93.

D'autres rapports, comme le rapport Tulloch, comprennent des définitions comme celle de « renseignements identificatoires »Note de bas de page 94. Comme il est indiqué ci-après, la politique sur les contrôles de routine de la GRC parle de « renseignements personnels identificateurs ». La Commission adopte la définition de « renseignements personnels » figurant dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le sens indiqué ci-dessus, mais utilise l'expression « renseignements personnels identificateurs » utilisée par la GRC par souci d'uniformité. La Commission utilise cette expression tout au long du présent rapport pour désigner des renseignements sur une personne comme son nomNote de bas de page 95, sa date de naissance, son adresse, son sexe, son identité sexuelle, ses antécédents médicaux, etc.

Les contrôles de routine sont-ils légaux?

La légalité des contrôles de routine effectués par la police a été abordée tant dans le rapport Tulloch que dans le rapport MacDonald. Cependant, étant donné que chacun a examiné des données probantes uniques et adopté des approches différentes, ils en sont arrivés à des conclusions divergentes sur la question de la légalité. Le rapport MacDonald a notamment examiné la question de savoir si les contrôles de routine étaient un exercice légitime des pouvoirs de la police en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoiresNote de bas de page 96.

De l'avis de la Commission, lorsque des contrôles de routine sont effectués dans le cadre des recommandations formulées dans le présent rapport, ils ne représentent pas un exercice du pouvoir policier qui doit être considéré en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires. Les interactions volontaires, lorsqu'il y a un véritable consentement éclairé pour la collecte et la conservation de renseignements personnels identificateurs, sont autorisées et ne nécessitent pas la prise en compte des pouvoirs de la police prévus par la common law.

Bien que l'opinion MacDonald ait examiné la question du consentement éclairé en ce qui concerne les contrôles de routine, elle n'a pas étudié la question en profondeur :

La question demeure : est-ce qu'une personne pourrait encore consentir à faire l'objet d'un contrôle de routine? Théoriquement, mais le seuil est élevéNote de bas de page 97.

En ce sens, la Commission adopte l'approche décrite dans le rapport Tulloch :

Dans une société où la police dispose de pouvoirs excessifs, les libertés individuelles risquent d'être supprimées. D'autre part, dans une société où la police n'a pas la capacité de prévenir les crimes et d'enquêter sur ceux-ci, il existe un risque de manquement aux règles. Il est indéniable que les deux extrêmes doivent être évités. Trouver un juste équilibre entre les attentes de la société et l'évolution du droit peut être un exercice difficile. Dans le contexte du maintien de l'ordre, il faut toujours partir du principe selon lequel « la police est le public et le public est la police ». La légitimité de l'un exige l'approbation et le respect de l'autre. On ne peut oublier que « le public » est un terme qui englobe tout. Les pratiques policières et leur mise en œuvre doivent être équitables pour tous. Une pratique qui exacerbe davantage les inégalités ou la marginalisation doit être considérée comme un échec.

[...]

Lorsqu'un agent de police, sans préjugé ou discrimination, demande à une personne de lui fournir des renseignements, et que la personne lui fournit volontairement ces enseignements, alors il ne fait aucun doute que ces renseignements ont été obtenus correctement.

De l'avis de la Commission, cette approche s'applique à la définition large des contrôles de routine précisée dans ce rapport et représente un lien plus étroit avec l'état du droit à l'échelle nationale.

Cela dit, il demeure important de considérer les approches provinciales en matière de contrôles de routine. Par exemple, la décision de la Nouvelle-Écosse d'interdire définitivement les contrôles de routine au moyen d'une directive ministérielleNote de bas de page 98 aux corps de police doit évidemment être prise en considération par les membres de la GRC en Nouvelle-Écosse qui exercent leurs activités en vertu d'un contrat de maintien de l'ordre provincial ou municipalNote de bas de page 99.

7. L'ensemble des politiques de la GRC

Le manuel opérationnel national de la GRC établit un cadre stratégique pour les contrôles de routine. Une version complète de cette politique se trouve à l'annexe A. La définition de ce qui constitue ou non un contrôle de routine par la GRC est cruciale, étant donné que cela dicte l'application de la politique.

La définition de contrôle de routine par la GRC n'est pas raisonnable

La politique de la GRC sur les contrôles de routine fournit la définition suivante :

« contrôle de routine » Contact établi avec une personne sans qu'il y ait arrestation ni mise en garde à vue, puis documenté sous forme de fiche électronique contenant les informations ainsi obtenues.

NOTA : Il n'est pas toujours nécessaire de documenter sous forme de fiche électronique une interaction en personne au cours de laquelle on a demandé à un membre du public de fournir des renseignements identificateurs.

La GRC a choisi de lier sa politique à la documentation du contrôle de routine dans un système de gestion des dossiers opérationnels de la police au lieu de le lier à l'action d'effectuer un contrôle de routine. Autrement dit, si un contrôle de routine n'est pas consigné dans un système de gestion des dossiers, il semblerait que la politique ne s'applique pas.

De plus, la politique comprend une vague notion selon laquelle les contacts ne seront pas tous des contrôles de routine, mais n'explique pas dans quelles circonstances cette exception s'appliquerait.

Compte tenu de ces considérations, la définition de la GRC devient trop large et ne fournit aucune directive claire sur le genre d'activités qui entrent dans la catégorie des contrôles de routine. De plus, en définissant un « contrôle de routine » comme étant le dossier électronique, par opposition à l'activité policière, cette définition passe à côté de nombreuses interactions qui devraient être assujetties à des directives stratégiques.

Conclusion no 1 : La définition de « contrôle de routine » donnée par la GRC dans sa politique nationale est déraisonnable.

Recommandation no 1 : La GRC devrait modifier la définition de « contrôle de routine » pour tenir compte de ce qui suit :

« contrôle de routine signifie une interaction volontaire avec le public, engagée par l'agent de police, lorsque ce dernier demande des renseignements personnels identificateurs à des fins d'application de la loi. Un contrôle de routine peut être effectué n'importe où et dans le cadre de n'importe quel mandat de la GRC. »

Recommandation no 2 : La GRC devrait clairement énumérer les exceptions à cette politique (p. ex. les opérations d'infiltration).

Qu'est-ce qu'une interaction volontaire?

Un élément clé de la définition proposée est que l'interaction est volontaire. Comme nous l'avons déjà mentionné, l'une des principales préoccupations concernant les contrôles de routine est que les personnes concernées ne sont peut-être pas au courant de la nature volontaire de la réponse à la demande de la police. Il est certain que de nombreuses personnes peuvent interpréter une demande volontaire de la police comme une demande légitime à laquelle elles doivent se conformer. Cet effet peut être amplifié chez certaines populations vulnérables.

La politique de la GRC à cet égard n'est pas robuste. Elle prévoit ce qui suit :

2. 6. Le sujet d'un contrôle de routine n'est pas tenu de fournir de l'information à la police. Toute communication de renseignements personnels identificateurs doit se faire volontairement.

NOTA : En cas de doute sur le caractère volontaire de l'interaction ou la volonté du sujet qui se voit demander des renseignements identificateurs, le membre doit rappeler à ce dernier qu'il est libre de partir et qu'il n'est nullement tenu de fournir ces renseignements.

[...]

3. 1. 1. Le membre doit être conscient du fait que le sujet d'un contrôle de routine n'est pas tenu de fournir de l'information à la police.

3. 1. 1. 1. Toute communication de renseignements personnels identificateurs doit se faire volontairement. Voir l'art. 2.6

Cette définition n'est pas conforme au principe du consentement éclairé mentionné précédemment. Bien que la politique précise que la communication de renseignements personnels doit être volontaire, elle n'exige pas qu'un membre de la GRC s'assure que la personne comprend la nature du consentement éclairé et qu'elle donne ce consentement avant de demander de tels renseignements personnels. Pour cette raison, la politique est déraisonnable.

En plus de donner un consentement éclairé, la personne doit être informée que si elle fournit des renseignements la concernant, ces renseignements peuvent être documentés et stockés dans le système de gestion des dossiers de la GRC (à moins qu'il ne soit déraisonnable, dans les circonstances, d'en informer la personne). Le consentement éclairé sur ces modalités réduira au minimum les préoccupations en matière de protection des renseignements personnels concernant la consignation et la conservation de renseignements personnels.

De plus, lorsqu'une personne refuse de donner son consentement éclairé, ses renseignements personnels identificateurs ne doivent pas être consignés dans un système de gestion des dossiers de la GRC à moins qu'il n'existe une autre autorisation légale de conserver ces renseignements. Autrement, le consentement éclairé d'une personne devient vide de sens dans la pratique.

Enfin, même si la politique de la GRC utilise l'expression « renseignements personnels identificateurs », elle ne définit pas ce terme. Ailleurs dans le Manuel opérationnel de la GRC, on utilise le terme « renseignements personnels », probablement parce qu'il s'agit du terme utilisé dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Pour éviter toute confusion ou ambiguïté, la GRC devrait toujours utiliser un terme et le définir clairement dans la politique.

Conclusion no 2 : La politique nationale de la GRC concernant le consentement éclairé à fournir des renseignements dans le contexte d'un « contrôle de routine » est déraisonnable.

Recommandation no 3 : La GRC devrait modifier la politique nationale pour y inclure ce qui suit :

« Avant de demander des renseignements personnels identificateurs à un membre du public lors d'un contrôle de routine, le membre de la GRC doit obtenir le consentement éclairé de la personne et consigner cette information dans son carnet de notes. »

Recommandation no 4 : La GRC devrait fournir le libellé type suivant ou un libellé d'effet similaire à ses membres aux fins de l'obtention d'un consentement éclairé dans le contexte d'un contrôle de routine :

« Il s'agit d'une interaction volontaire. Vous êtes libre de partir à n'importe quel moment. Je vous demande [nature des renseignements demandés] afin de [raison de la vérification sur place]. Vous n'avez pas à me fournir ces renseignements. Si vous choisissez de ne pas fournir ces renseignements, vous ne serez ni arrêté ni détenu. Vos renseignements personnels peuvent être conservés conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. »

Ce libellé standard devrait être disponible dans les deux langues officielles du Canada ainsi que dans toute autre langue communément parlée dans le secteur où les services de police sont assurés, en particulier les langues autochtones.

Recommandation no 5 : Si une personne refuse de fournir ses renseignements personnels identificateurs lors d'un contrôle de routine, ces renseignements ne devraient pas être consignés dans le système de gestion des dossiers opérationnels de la police à moins qu'il existe une autre autorisation légitime de le faire.

Recommandation no 6 : Afin d'éviter toute confusion ou ambiguïté, la GRC devrait utiliser systématiquement un terme pour désigner les renseignements recueillis au sujet des personnes lors d'un contrôle de routine et définir clairement ce terme dans la politique.

Les restrictions provinciales doivent être intégrées à la politique de la GRC

Comme discuté précédemment, la Nouvelle-Écosse a interdit la pratique des contrôles de routine dans la province. Il est possible que d'autres provinces adoptent des restrictions ou interdisent complètement les contrôles de routine à l'avenir. Cela soulève certaines préoccupations quant aux multiples mandats de police de la GRC. Lorsque la GRC fournit des services de police municipaux ou provinciaux à ces provinces, elle doit se conformer à de telles directives. Toutefois, lorsqu'elle s'acquitte de son mandat de police fédérale, elle ne serait pas légalement liée par de telles restrictions. De telles situations prêteraient à confusion pour les membres de la GRC.

La politique actuelle de la GRC est insuffisante à cette fin. Elle est libellée comme suit :

2.10 Dans les provinces où la GRC assure des services de police contractuels, les membres doivent respecter les lois provinciales portant sur l'obtention de renseignements identificateurs ou l'exécution de contrôles de routine.

La politique nationale de la GRC devrait fournir des directives supplémentaires sur la façon dont les membres qui exercent leurs fonctions dans le cadre d'un mandat fédéral devraient effectuer des contrôles de routine dans les provinces qui ont restreint les contrôles de routine.

Recommandation no 7 : La GRC devrait améliorer sa politique nationale sur les contrôles de routine afin d'orienter les membres de la GRC qui exercent leurs fonctions en vertu d'un mandat fédéral sur la façon dont les contrôles de routine devraient être effectués dans les provinces qui ont restreint les contrôles de routine.

De solides protections sont nécessaires pour prévenir les préjugés

Comme il a déjà été mentionné, les contrôles de routine ont pour effet démontrable d'afficher des préjugés ou de la discrimination réels, ou d'en donner l'apparence. Même en l'absence de préjugés intentionnels, un policier bien intentionné peut donner l'apparence de préjugés par inadvertance. Une partie de ce problème est liée au lien de confiance établi entre la police et la collectivité en question. Il s'agit d'une considération distincte des contrôles de routine qui exige une approche générale de la police communautaire. Toutefois, certaines mesures peuvent être prises pour réduire les préjugés, réels ou apparents, lors des contrôles de routine.

Premièrement, la Commission appuie l'interdiction actuelle par la GRC des contrôles de routine aléatoires. Conformément à la politique nationale de la GRC :

2.7 Les contrôles de routine ne doivent pas se faire au hasard ou de façon arbitraire, mais ils peuvent être effectués dans le cas d'incidents mettant en cause la sécurité de la police ou du public.

Ce principe s'appuie sur la définition antérieure de la Commission selon laquelle il doit toujours y avoir un objectif sous-jacent d'application de la loi pour effectuer un contrôle de routine. Selon la définition de la GRC, les contrôles de routine aléatoires ou arbitraires ne peuvent avoir un objectif fondamental d'application de la loi.

Conclusion no 3 : L'interdiction des contrôles de routine aléatoires ou arbitraires dans la politique nationale de la GRC est appropriée.

En outre, la politique actuelle de la GRC souligne la nécessité de prévenir l'apparence de préjugés :

1. 1. « services de police sans préjugés » Traitement équitable de toutes les personnes par tous les employés de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions, conformément à la loi et sans abus de pouvoir, indépendamment de la race, de l'origine ethnique ou nationale, de la couleur, de la religion, du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'état civil, de l'âge, des déficiences mentales ou physiques, de la citoyenneté, de la situation de famille ou de la situation socioéconomique de la personne, ou d'une condamnation pour laquelle une réhabilitation a été accordée. Voir le chap.  38.2.

2.3 Les services de police doivent être professionnels, transparents, empreints de respect et de rigueur éthique, impartiaux et conformes aux principes de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. 4. Les contrôles de routine doivent respecter les directives sur les services de police sans préjugés.

Toutefois, la politique n'explique pas clairement comment atteindre cet objectif. De l'avis de la Commission, d'autres directives sont nécessaires pour s'assurer que les membres de la GRC comprennent comment prévenir les préjugés ou l'apparence de préjugés lorsqu'ils effectuent des contrôles de routine. Plus précisément, lorsque les contrôles de routine font partie d'une enquête ou d'une opération policière prévue, les membres de la GRC devraient examiner la question des préjugés et intégrer des concepts de services de police impartiaux dans un plan opérationnel. Par exemple, la GRC pourrait vouloir communiquer avec des groupes communautaires locaux représentant les intérêts de minorités si elle prévoyait d'effectuer des contrôles de routine susceptibles d'avoir une incidence sur le groupe minoritaire concerné.

Comme il est mentionné au début du présent rapport, il existe de grands écarts entre les différents mandats de la GRC et les différents groupes qui pourraient être touchés par les contrôles de routine. Il est essentiel que les membres de la GRC et les commandants d'unité connaissent les groupes propres à la collectivité et le contexte dans lequel ils fournissent des services de police.

En outre, lorsque des personnes ou des groupes communautaires soulèvent des préoccupations au sujet des contrôles de routine dans une collectivité donnée, il devrait y avoir un mécanisme axé sur les politiques pour assurer la vérification interne et la reddition de comptes en complément du processus de traitement des plaintes du public.

Dans sa forme actuelle, la politique prescrit que les superviseurs de la GRC passent en revue les cas de contrôle de routine. De plus, des données indiquent que certains détachements ont effectué des vérifications internes sur les contrôles de routine. Cela dit, les préoccupations soulevées précédemment au sujet de la définition d'un contrôle de routine signifient que ce ne sont pas tous les contrôles de routine définis dans le présent rapport qui seraient actuellement saisis dans les systèmes de gestion des dossiers opérationnels de la GRC et que la supervision et la vérification internes ne seraient donc pas entièrement efficaces, puisque les contrôles de routine cruciaux ne feraient pas l'objet d'une surveillance interne. Pour ces raisons, la capacité actuelle de la GRC d'évaluer la conformité des membres aux politiques pertinentes est insuffisante. Pour remédier à cette situation, les recommandations antérieures concernant la modification de la définition de contrôle de routine doivent être mises en œuvre.

Conclusion no 4 : La politique nationale de la GRC sur les services de police sans préjugés en ce qui concerne les contrôles de routine est généralement raisonnable, mais elle doit être précisée davantage.

Conclusion no 5 : En raison de la définition déraisonnable de « contrôle de routine » dans la politique nationale de la GRC et des lacunes en ce qui a trait à la documentation des données de contrôle de routine, la GRC ne dispose actuellement pas d'une méthode efficace pour déterminer si ses membres respectent les politiques pertinentes et n'est pas en mesure d'évaluer l'observation des politiques par ses membres.

Recommandation no 8 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait comprendre des directives précises sur la façon de prévenir les préjugés ou l'apparence de préjugé lors des contrôles de routine.

Recommandation no 9 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait comprendre une fonction de vérification interne qui peut être déclenchée par des préoccupations de la collectivité.

Recommandation no 10 : La politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine devrait prévoir des vérifications internes régulières qui comportent des conseils d'experts en la matière sur les services de police sans préjugés.

8. Comment les contrôles de routine devraient-ils être documentés et conservés?

La documentation et la conservation des contrôles de routine constituent un sujet difficile. D'une part, la documentation et la conservation des données des contrôles de routine dans un système de gestion des dossiers de police permettent de consigner l'interaction et d'assurer une plus grande transparence. Elles favorisent l'échange de renseignements au sein de la GRC et peuvent aider à atteindre les objectifs de la police. Elles permettent également à la GRC ou à d'autres chercheurs d'analyser les tendances en matière de contrôles de routine et de cerner les points à améliorer. Enfin, elles aident les organismes de surveillance policière, comme la Commission, à régler les plaintes concernant la conduite des policiers. En l'absence d'un dossier de police, il est plus difficile d'assurer une surveillance efficace du maintien de l'ordre.

D'autre part, la documentation et la conservation des données des contrôles de routine dans un système de gestion des dossiers de police placent les renseignements personnels d'une personne innocente dans une base de données de la police. La nature même d'un contrôle de routine signifie que la personne n'est pas visée par une enquête policière particulière. Les Canadiens jouissent de solides protections de la vie privée contre les intrusions gouvernementales. Pour cette raison, les policiers ne devraient pas conserver les renseignements personnels plus longtemps que nécessaire. Il s'agit de savoir comment les renseignements doivent être consignés et pendant combien de temps?

Ce problème a mis en cause divers services de police. Comme l'indique succinctement le rapport MacDonald, [traduction] « l'aspect ‘collecte de données' des contrôles de routine n'est pas bien compris. » À titre de point préliminaire clé, la collecte et la conservation des données par la GRC sont régies par la législation fédérale, même si la GRC est engagée à fournir des services de police municipaux ou provinciaux. Cela place la GRC dans une situation où elle n'est pas sur un pied d'égalité avec les autres organismes qui respectent les lois provinciales ou municipales en matière de protection de la vie privée et de conservation de l'information.

Comme il a été mentionné précédemment, la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale régit la collecte, la conservation et le retrait des renseignements personnels par des organismes fédéraux comme la GRC. En plus d'imposer des obligations relativement à la conservation et au retrait des renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels interdit explicitement la collecte de renseignements personnels par une institution gouvernementale, à moins qu'ils aient un lien direct avec ses programmes ou ses activitésNote de bas de page 101. Le mandat d'application de la loi de la GRC signifie que la collecte de renseignements sur les contrôles de routine s'inscrit généralement dans les programmes et activités opérationnels de la GRC. Toutefois, lorsque le contrôle de routine en soi était déraisonnable (comme il a été mentionné précédemment), la collecte de renseignements personnels ne serait sans doute pas autorisée. Par conséquent, il ne sera pas nécessairement raisonnable pour la GRC de documenter ou de conserver des renseignements personnels obtenus à la suite d'un contrôle de routine déraisonnable.

Le paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels énonce que les renseignements personnels doivent être conservés pendant une période minimale d'au moins deux ansNote de bas de page 102 lorsqu'ils ont été utilisés à des « fins administratives ». La Loi sur la protection des renseignements personnels définit les fins administratives comme la « destination de l'usage de renseignements personnels concernant un individu dans le cadre d'une décision le touchant directement ». Cette disposition vise à accorder à la personne concernée un délai raisonnable pour obtenir accès à ces renseignements.

Dans l'analyse de la Commission, la collecte de renseignements personnels lors d'un contrôle de routine ne constitue pas une fin administrative au sens du paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Bien qu'au sens large le membre de la GRC qui effectue le contrôle de routine soit engagé dans un processus décisionnel, la personne à qui on a demandé de fournir ses renseignements personnels ne serait généralement pas directement touchée. Par conséquent, la période de conservation de deux ans prévue par la loi ne s'applique pas et il incombe à la GRC de fixer une période de conservation raisonnable des renseignements personnels conservés dans ses systèmes de gestion des documents opérationnels.

La politique actuelle de la GRC impose un délai de conservation minimal de deux ans aux occurrences de contrôle de routine dans les systèmes de gestion des documents opérationnels de la GRC. Cela signifie que les renseignements sont supprimés du système au plus tôt deux ans après l'exécution du contrôle de routine. Dans les cas où un contrôle de routine est lié à un autre dossier d'incident de la police, le contrôle de routine est conservé pendant une période égale à la durée de conservation du fichier couplé le plus long.

Cependant, la politique est vague et contradictoire. Il faut rappeler que la politique précise ce qui suit :

NOTA : Il n'est pas toujours nécessaire de documenter sous forme de fiche électronique une interaction en personne au cours de laquelle on a demandé à un membre du public de fournir des renseignements identificateurs.

La politique ne précise toutefois pas quelles situations exigeraient ou non une fiche électronique. Cela semble aller à l'encontre d'une autre disposition du même document de politique, qui prévoit que le membre :

3. 1. 3. Fiche les contrôles de routine dans le système de gestion des dossiers (SGD) dès que possible après l'interaction afin que l'information soit facilement accessible aux autres membres.

Enfin, l'examen par la Commission d'un échantillon d'occurrences de contrôles de routine a révélé que les données de ces contrôles de routine documentées dans les systèmes de gestion des dossiers opérationnels de la GRC étaient parfois utilisées dans des cas qui ne seraient pas qualifiés de contrôles de routine selon la définition de la Commission. Par exemple, elles étaient utilisées pour documenter des activités suspectes ou des observations où aucune personne n'était approchée par la police. La politique actuelle de la GRC désapprouve cette utilisation :

2. 1. Les contrôles de routine doivent [gras ajouté] respecter les critères de base suivants :

2. 1. 1. le membre a eu une interaction en personne avec le sujet;

2. 1. 2. le membre a obtenu des renseignements identificateurs du sujet;

Dans une autre section, la politique existante de la GRC semble interdire cette pratique :

NOTA : Les observations utiles à la police faites sans qu'il y ait eu interaction entre un policier et un membre du public doivent être documentées dans un dossier d'information ou un dossier de renseignement lorsque l'identité de la personne est connue.

Quoi qu'il en soit, la politique existante prête à confusion et ne semble pas être bien appliquée.

Une approche uniforme est nécessaire. Pour fournir des données utiles, les contrôles de routine qui relèvent de la définition de la politique doivent être extractibles des systèmes de gestion des documents opérationnels de la GRC.

De plus, la collecte et la conservation de renseignements personnels dans le contexte d'un contrôle de routine doivent toujours viser un but d'application de la loi. Le but d'application de la loi ne doit pas se résumer à des spéculations fantaisistes selon lesquelles les renseignements pourraient être utiles à un moment donné dans le futur. Lorsqu'un membre de la GRC peut énoncer clairement un motif légitime d'application de la loi pour recueillir des renseignements personnels (comme une enquête sur des activités suspectes ou à des fins de renseignements criminels), il doit obtenir le consentement éclairé de la personne pour recueillir et documenter ses renseignements personnels (comme il a été mentionné précédemment). Toutefois, à moins que le membre de la GRC puisse énoncer clairement un objectif légitime d'application de la loi pour recueillir des renseignements personnels auprès de membres du public, il ne doit pas tenter de le faire au moyen d'un contrôle de routine.

Lorsque le membre de la GRC cherche à obtenir le consentement éclairé et des renseignements personnels d'une personne lors d'un contrôle de routine, il doit consigner ces renseignements dans son carnet de police, comme le recommande la politique à l'heure actuelle. Le membre de la GRC doit ensuite créer un rapport de contrôle de routine dès que possible pour documenter les détails de la rencontre, y compris les renseignements personnels recueillis ainsi que la raison de la collecte de ces renseignements. Dans les cas où le membre de la GRC n'obtient pas suffisamment de renseignements pour identifier une personne ou si la personne refuse de coopérer, la documentation de l'occurrence de contrôle de routine demeure nécessaire pour saisir l'incident, mais aucun renseignement personnel ne sera ajouté. La GRC pourrait envisager d'ajouter une forme de suivi statistique des occurrences de contrôles de routine pour les cas où une personne refuse de fournir ses renseignements personnels identificateurs.

Comme il a été mentionné précédemment, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit pas de temps de conservation obligatoire des renseignements personnels recueillis à la suite d'un contrôle de routine. La période de conservation doit établir un équilibre entre le droit à la vie privée de la personne et la nécessité de conserver les renseignements si la personne demande l'accès à ses renseignements personnels ou décide de déposer une plainte du public au sujet du contrôle de routine.

L'actuel Fichier de renseignements personnels de la GRC pour les dossiers opérationnels (GRC PPU 005), qui serait celui utilisé pour la plupart des dossiers d'enquête, prévoit une période de conservation minimale de deux ans pour tous les renseignements recueillis. Étant donné que les renseignements personnels recueillis lors d'un contrôle de routine concernent une personne innocente qui n'est pas autrement impliquée dans une affaire policière, une période de conservation de deux ans est déraisonnable. La Commission recommande une période de conservation d'un an, conforme à la période d'un an dont dispose une personne en vertu de la Loi sur la GRC pour déposer une plainte du public à la suite d'un incident. Pour cette raison, la GRC pourrait très bien devoir créer un nouveau fichier de renseignements personnels ou modifier les périodes de conservation des fichiers de renseignements personnels existants pour atteindre cet objectif. Il ne serait pas approprié que la GRC s'appuie simplement sur la politique existante pour conserver ces renseignements personnels pendant au moins deux ans (en l'absence d'une justification convaincante, comme un lien avec une enquête particulière).

Cela dit, la Commission reconnaît qu'il pourrait être utile de conserver au moins certains renseignements à des fins statistiques. Lorsque les renseignements conservés sont limités, anonymisés et/ou regroupés de manière à ce qu'il ne soit plus possible d'identifier des personnesNote de bas de page 103, ils peuvent être utiles pour comprendre les tendances et cerner tout problème lié aux contrôles de routine. Par exemple, même si les noms, dates de naissance, adresses, numéros de téléphone et autres renseignements personnels de nature délicate semblables doivent être supprimés conformément à ce qui précède, la GRC pourrait envisager un processus de conservation des renseignements sur la zone géographique générale du contrôle de routine (mais pas une adresse précise), le but du contrôle de routine, l'heure du contrôle de routine et même des données démographiques limitées. Ces données démographiques limitées peuvent comprendre l'âge (mais pas la date de naissance) ou l'âge apparent de la personne au moment du contrôle de routine, son sexe ou son identité de genre lorsqu'ils sont connus, et sa race ou son origine ethnique apparente (si cela a été consigné dans la documentation de l'occurrence de contrôle de routine). La Commission recommande que la GRC examine la possibilité de conserver, à des fins statistiques, des renseignements non identificateurs plus longtemps que la période d'un an recommandée plus haut.

Enfin, pour aider à fournir des données permettant d'analyser les préoccupations des communautés racialisées, la GRC devrait examiner la façon dont les données fondées sur la race sont recueillies et tenues à jour dans le cadre des contrôles de routine. À l'heure actuelle, la GRC n'exige pas la collecte de ces données dans le cadre d'un contrôle de routineNote de bas de page 104. Par conséquent, la Commission n'a pas eu accès à des données empiriques pour évaluer l'incidence des contrôles de routine racialisés par rapport aux non racialisés. De plus, la définition actuelle de contrôle de routine de la GRC ne tient pas compte de toute la gamme des interactions de contrôle de routine définies par la Commission. Ces obstacles ont empêché la Commission d'examiner les principales préoccupations liées aux préjugés et à la discrimination.

L'inclusion de données fondées sur la race dans les contrôles de routine renforcerait la capacité de la GRC d'effectuer des vérifications internes des fonctions de contrôle de routine et aiderait la Commission et d'autres chercheurs à cerner les préoccupations ou les tendances dans les contrôles de routine de la GRC.

Cela dit, la collecte de données fondées sur la race comporte des écueils et soulève d'autres préoccupations en matière de protection des renseignements personnels. Ces préoccupations existent dans les pratiques de collecte de données de la GRC et dépassent la portée des contrôles de routine. La Commission comprend que les décisions concernant la collecte de données fondées sur la race sont complexes et que cette recommandation peut être intégrée aux examens internes à plus grande échelle de la collecte de données de la GRC.

Conclusion no 6 : La politique de la GRC concernant la documentation des contrôles de routine est déraisonnablement vague.

Recommandation no 11 : La GRC devrait modifier sa politique nationale pour exiger que tous les contrôles de routine soient entrés dans un système de gestion des dossiers opérationnels à moins qu'ils ne répondent à des critères clairs de situations exceptionnelles où il n'est pas nécessaire de consigner le contrôle de routine dans le système.

Recommandation no 12 : La GRC devrait veiller à ce que les contrôles de routine, tels que le présent rapport propose de les définir dans la politique, soient facilement extractibles des systèmes de gestion des dossiers opérationnels de la GRC.

Recommandation no 13 : La GRC devrait examiner les délais minimums de conservation des contrôles de routine pour s'assurer qu'ils sont conformes à l'exigence de retrait des renseignements personnels dès qu'ils ne sont plus nécessaires dans un but d'application de la loi. La Commission recommande une période générale de conservation d'un an pour les contrôles de routine à moins qu'une exception particulière ne s'applique, comme dans le cas d'une plainte du public ou lorsque la personne visée présente une demande d'accès à ses renseignements personnels.

Recommandation no 14 : La GRC devrait examiner la possibilité de conserver pendant une plus longue période certains renseignements non identificateurs relatifs aux contrôles de routine à des fins statistiques.

Recommandation no 15 : La politique nationale de la GRC devrait prévoir que les contrôles de routine ne comprennent pas de renseignements personnels identificateurs lorsque la personne visée refuse de fournir volontairement de tels renseignements.

Recommandation no 16 : La GRC devrait envisager d'ajouter une fonction aux occurrences de contrôle de routine pour repérer les contrôles de routine où la personne a refusé de fournir des renseignements personnels identificateurs.

Recommandation no 17 : La GRC devrait examiner la façon dont les données fondées sur la race sont recueillies et conservées lors d'un contrôle de routine.

9. Formation de la GRC sur les contrôles de routine

Dans le cadre de l'examen, la Commission a obtenu des copies des documents du programme de formation des cadets de la GRC relatif aux contrôles de routine et a interviewé les membres de la GRC au sujet de leur connaissance de la politique et des pratiques existantes.

En général, la Commission était convaincue que la formation existante communiquait aux membres de la GRC les aspects pertinents de la politique et de la loi en vigueur.

Étant donné que la Commission recommande des changements importants à la politique nationale de la GRC concernant les contrôles de routine, la GRC devrait aussi intégrer ces changements à l'actuelle formation qu'elle dispense. Comme il y a un chevauchement important entre le sujet des contrôles de routine et d'autres formations policières – comme la détention, l'arrestation, la Charte et les préjugés –, la Commission ne formulera pas de recommandations précises quant à l'endroit où intégrer la matière.

Conclusion no 7 : La formation actuelle de la GRC sur les contrôles de routine est généralement raisonnable.

Recommandation no 18 : À la suite des modifications de la politique sur les contrôles de routine mentionnées dans le présent rapport, la GRC devrait mettre à jour la formation offerte aux cadets de la GRC sur les contrôles de routine et veiller à ce que les membres actuels soient informés des changements.

10. Conclusions

La GRC est un organisme de services de police unique au Canada parce qu'elle fournit des services de police aux trois ordres de gouvernement dans de nombreuses parties d'un vaste pays, tant en milieu rural qu'en milieu urbain. Il peut donc être difficile d'élaborer des politiques nationales suffisamment détaillées pour fournir une orientation concrète aux policiers. Néanmoins, la complexité des contrôles de routine et l'effet de leur mauvaise utilisation sur la confiance du public à l'égard de la police rendent nécessaire une orientation soigneusement élaborée.

Les policiers bien intentionnés qui n'ont pas de préjugés conscients peuvent facilement perpétuer une culture de peur et de méfiance dans une collectivité par un recours imprudent aux contrôles de routine. Dans les petites collectivités, ces effets peuvent être amplifiés. Le racisme et la discrimination sont le vécu de nombreux Canadiens. Il est crucial que les policiers reconnaissent les perceptions individuelles et collectives au sein de leur collectivité, qu'ils nouent de solides liens communautaires et tissent des liens de confiance. Plutôt que de décourager les contacts avec le public, les politiques sur les contrôles de routine doivent favoriser des liens positifs tout en visant à éliminer les interactions qui suscitent la crainte.

Ces facteurs font en sorte qu'il est essentiel d'offrir une orientation concrète à l'échelon national afin que les membres de la GRC puissent bénéficier de politiques soigneusement élaborées qui tiennent compte de telles considérations. Dans le cadre de cet examen, la Commission a constaté des lacunes importantes dans l'ensemble des politiques nationales actuelles de la GRC en ce qui concerne les contrôles de routine.

Les dix-huit recommandations contenues dans le présent rapport visent à renforcer l'ensemble des politiques nationales de la GRC en définissant clairement les contrôles de routine, en veillant à obtenir le consentement éclairé des personnes à qui on sollicite des renseignements personnels identificateurs et en instaurant un régime robuste de production de rapports afin que les futures vérifications, internes ou externes, disposent des données nécessaires pour évaluer adéquatement le rendement de la GRC. En outre, les recommandations visent à faire en sorte que la GRC ne conserve pas plus longtemps que nécessaire les renseignements personnels identificateurs obtenus dans un but d'application de la loi.

Toutefois, les préoccupations relatives aux contrôles de routine commencent à l'échelon local. Quelle que soit la robustesse d'une politique nationale, les membres locaux de la GRC et les commandants d'unité doivent maintenir un lien étroit avec les collectivités dans lesquelles ils assurent le maintien de l'ordre et dissiper immédiatement les craintes de préjugés ou de discrimination.

Au Canada, la police fonctionne avec le consentement de la collectivité et non par la peur. La GRC doit toujours chercher à comprendre les facteurs uniques qui créent les liens dans chaque collectivité qu'elle dessert et dans tous ses mandats. La Commission croit que ces recommandations amélioreront la capacité de la GRC de s'acquitter de cette tâche exigeante.

Annexe A : Manuel opérationnel national – Chapitre 1.4. « Contrôles de routine » (Modifié le 13-02-2017)

1 Définitions

1. 1. « services de police sans préjugés » Traitement équitable de toutes les personnes par tous les employés de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions, conformément à la loi et sans abus de pouvoir, indépendamment de la race, de l'origine ethnique ou nationale, de la couleur, de la religion, du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'état civil, de l'âge, des déficiences mentales ou physiques, de la citoyenneté, de la situation de famille ou de la situation socioéconomique de la personne, ou d'une condamnation pour laquelle une réhabilitation a été accordée. Voir le chap. 38.2.

1. 2. « contrôle de routine » Contact établi avec une personne sans qu'il y ait arrestation ni mise en garde à vue, puis documenté sous forme de fiche électronique contenant les informations ainsi obtenues.

NOTA : Il n'est pas toujours nécessaire de documenter sous forme de fiche électronique une interaction en personne au cours de laquelle on a demandé à un membre du public de fournir des renseignements identificateurs.

2 Généralités

2. 1.    Les contrôles de routine doivent respecter les critères de base suivants :

  • 2. 1. 1. le membre a eu une interaction en personne avec le sujet;
  • 2. 1. 2. le membre a obtenu des renseignements identificateurs du sujet;
  • 2. 1. 3. l'interaction ne découle pas d'une enquête en cours ou d'une demande d'intervention;
  • 2. 1. 4. les renseignements obtenus lors de l'interaction sont documentés à des fins policières.

2. 2. Les fiches créées à la suite des contrôles de routine constituent de précieux outils d'enquête. Elles permettent de stocker et de communiquer de l'information sur des questions de criminalité et de sécurité publique.

  • 2. 2. 1. Les fiches créées à la suite de contrôles de routine peuvent servir à lancer ou à soutenir des enquêtes ainsi qu'à dégager des tendances en matière de criminalité.

2. 3. Les services de police doivent être professionnels, transparents, empreints de respect et de rigueur éthique, impartiaux et conformes aux principes de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. 4. Les contrôles de routine doivent respecter les directives sur les services de police sans préjugés.

2. 5. La police interagit régulièrement avec le public dans le cadre de ses activités normales.

  • 2. 5. 1. La common law confère à la police le pouvoir de parler avec le public dans l'exercice de ses fonctions.

2. 6. Le sujet d'un contrôle de routine n'est pas tenu de fournir de l'information à la police. Toute communication de renseignements personnels identificateurs doit se faire volontairement.

NOTA : En cas de doute sur le caractère volontaire de l'interaction ou la volonté du sujet qui se voit demander des renseignements identificateurs, le membre doit rappeler à ce dernier qu'il est libre de partir et qu'il n'est nullement tenu de fournir ces renseignements.

2. 7. Les contrôles de routine ne doivent pas se faire au hasard ou de façon arbitraire, mais ils peuvent être effectués dans le cas d'incidents mettant en cause la sécurité de la police ou du public. Le membre doit avoir un motif précis s'il effectue un contrôle de routine, y compris, sans s'y limiter, dans les situations suivantes :

  • 2. 7. 1. interactions où il n'y a ni arrestation ni mise en garde à vue;
  • 2. 7. 2. circonstances ou comportements suspects observés par un policier;
  • 2. 7. 3. échanges avec des personnes d'intérêt dans des endroits où des activités criminelles se pratiquent, à une certaine heure du jour ou dans des secteurs reconnus comme des zones de forte délinquance selon des policiers, des analystes de la criminalité ou des intervenants communautaires;
  • 2. 7. 4. interactions avec des personnes qu'on sait ou qu'on croit raisonnablement être impliquées dans une activité criminelle;
  • 2. 7. 5. échanges visant à obtenir de l'information sur des personnes soupçonnées d'activités liées aux drogues, à un gang ou au crime organisé;
  • 2. 7. 6. interactions menées dans une optique de sécurité du policier avec des personnes ou des groupes considérés comme susceptibles de présenter un risque pour la sécurité du public ou de la police.

2. 8. Le fichage électronique des éléments suivants à titre de contrôle de routine est interdit :

  • 2. 8. 1. un incident, une enquête ou une demande d'intervention se rapportant à une infraction;
  • 2. 8. 2. des renseignements fournis par une source humaine;
  • 2. 8. 3. une saisie de biens;
  • 2. 8. 4. une infraction liée aux armes, un acte de violence ou une menace de violence;
  • 2. 8. 5. des observations utiles à la police faites par un policier sans qu'il ait interagi avec le public.
  • NOTA : Les observations utiles à la police faites sans qu'il y ait eu interaction entre un policier et un membre du public doivent être documentées dans un dossier d'information ou un dossier de renseignement lorsque l'identité de la personne est connue.

2. 9. Si le sujet est arrêté ou mis en garde à vue, il faut créer un dossier d'infraction pour documenter les circonstances et les motifs de l'arrestation ou de la mise en garde à vue.

2. 10. Dans les provinces où la GRC assure des services de police contractuels, les membres doivent respecter les lois provinciales portant sur l'obtention de renseignements identificateurs ou l'exécution de contrôles de routine.

3 Rôles et responsabilités

3 Membre

3. 1. 1. Le membre doit être conscient du fait que le sujet d'un contrôle de routine n'est pas tenu de fournir de l'information à la police.

  • 3. 1. 1. 1. Toute communication de renseignements personnels identificateurs doit se faire volontairement. Voir l'art. 2.6.

3. 1. 2. Documente les contrôles de routine dans son calepin, conformément au chap. 25.2.

3. 1. 3. Fiche les contrôles de routine dans le système de gestion des dossiers (SGD) dès que possible après l'interaction afin que l'information soit facilement accessible aux autres membres.

3. 1.4. Veille à ce que l'information documentée relativement au contrôle de routine soit complète et exacte.

  • 3. 1. 4. 1. Porte une grande attention à l'apparence physique du sujet ou aux autres caractéristiques qui lui sont propres et qui aideraient à l'identifier, par exemple des vêtements, des comportements, des habitudes ou des tics.

3. 1. 5. Note la date, l'heure ainsi que les véhicules et les endroits pertinents.

3. 1. 6. Consigne les motifs d'enquête et de sécurité publique à l'origine de l'interaction dans la partie narrative de la fiche.

3. 1. 7. Pour assurer la conservation adéquate des fiches électroniques de contrôles de routine, le membre établit un lien entre ces fiches et tous les dossiers d'infraction pertinents dans le SGD.

NOTA : Les utilisateurs du SIRP, voir le chap. 47.3., l'art. 15.

3. 1. 8. Favorise l'échange d'informations et le travail policier axé sur le renseignement en communiquant l'information obtenue aux autres enquêteurs ou analystes de la criminalité.

3. 1. 9. S'assure de vérifier tous les index applicables, y compris le système du CIPC.

3. 1. 10. Si l'information obtenue est de nature pressante, en avise la section, ou l'enquêteur compétent ou toute autre partie intéressée.

3. 1. 11. Si un membre du public devient un informateur après avoir fourni de l'information lors d'une interaction avec la police, documente la situation conformément au chap. 31.1

3. 1. 12. En cas de doute quant à savoir si une interaction doit se classer dans la catégorie des contrôles de routine, consulte un superviseur.

3. 2. Superviseur

3. 2. 1. Surveille et examine les contrôles de routine fichés pour vérifier qu'ils sont conformes à la présente politique et à toute autre politique applicable.

3. 2. 2. S'il y a lieu, donne des instructions aux membres sur les consignes applicables aux contrôles de routine.

3. 2. 3. Si un contrôle de routine ne respecte pas la présente politique, demande que la fiche correspondante dans le SGD soit modifiée afin qu'elle y soit conforme.

3. 2. 4. Vérifie que les membres ont assuré la conservation adéquate des contrôles de routine fichés en les reliant aux dossiers d'infraction pertinents, le cas échéant.

NOTA : En ce qui concerne le SIRP, voir le chap. 47.3., l'art. 15.

3. 2. 5. Met en place une méthode de fonctionnement qui assurera l'examen de tous les contrôles de routine par le superviseur.

3. 2. 6. Prend les mesures qui s'imposent si les informations fichées relativement à un contrôle de routine risquent de compromettre une enquête ou la sécurité du public ou de la police.

3. 2. 7. Prend des mesures si l'information reçue risquerait de mettre en danger un membre du public advenant sa divulgation ou si elle dénote une menace à l'endroit d'un membre en particulier. Voir le chap. 2.7.

4. Gestion des dossiers

4. 1. Les fiches relatives aux contrôles de routine sont conservées pendant deux ans après leur création dans le système PRIME, dans le SIRP ou dans Versadex-Halifax.

EXCEPTION : Lorsqu'un contrôle de routine est relié à un dossier opérationnel secondaire, la fiche correspondante doit être conservée pendant la même période de temps que ce dossier.

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