Rapport final à la suite d’une plainte déposée par le présidente et d’une enquête d’intérêt public concernant la conduite de membres de la GRC durant une interaction à kinngait, au nunavut, le 1er juin 2020

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.76(3)

Plaignant : Présidente de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada

ᓄᓇᕗᑦ ᒐᕙᒪᒃᑯᑦ ᑭᐅᔾᔪᑎᖓ ᑭᖑᓪᓕᖅᐹᖅᓯᐅᑎᒧᑦ ᐅᓂᒃᑳᓕᐊᒧᑦ (Réponse du gouvernement du Nunavut au rapport final [PDF]

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Introduction

[1] En juin 2020, la Commission a examiné un enregistrement vidéo montrant un véhicule de la GRC se dirigeant vers un homme. L'enregistrement vidéo montre ensuite la portière du véhicule du côté conducteur qui s'ouvre, heurte l'homme et le fait tomber. Ensuite, plusieurs membres de la GRC, dont le membre qui conduisait le véhicule, ont recours à la force pour arrêter l'homme.

[2] La Commission a reçu des renseignements supplémentaires selon lesquels l'homme, après avoir été placé dans une cellule du détachement de la GRC, aurait été agressé par un autre détenu. L'homme a subi des blessures et a été transporté par avion à Iqaluit pour y être soigné.

[3] Le 18 août 2020, la présidente de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada (« la Commission ») a déposé une plainte concernant la conduite des membres de la GRC mêlés à l'incident survenu à Kinngait, au Nunavut. La présidente a déterminé qu'il était dans l'intérêt public que la Commission enquête sur la plainte en vertu du paragraphe 45.66(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (« Loi sur la GRC »).

[4] À la suite de son enquête, la Commission a formulé 36 conclusions et 20 recommandations dans un rapport d'enquête d'intérêt public intérimaire qui a été remis à la GRC le 22 juin 2022.

[5] Dans son rapport intérimaire, la Commission a conclu que l'incident ne s'était pas produit comme on aurait pu le croire au départ en examinant l'enregistrement vidéo. La Commission n'a trouvé aucune preuve que les membres de la GRC avaient l'intention de frapper l'homme avec la portière du véhicule de la GRC. Les membres de la GRC avaient des motifs raisonnables d'arrêter l'homme et des raisons pour agir rapidement, et la force qu'ils ont utilisée pour procéder à l'arrestation était raisonnable. Toutefois, la Commission a conclu qu'il avait été dangereux et déraisonnable de s'approcher aussi près de l'homme avec un véhicule, en particulier compte tenu de l'état de la route.

[6] La Commission a relevé des éléments très préoccupants concernant la manière dont l'homme a été traité une fois en garde à vue. L'homme, très ivre, a dû être dévêtu, car ses vêtements étaient trempés, et a été mis dans une cellule en sous‑vêtements. Compte tenu du manque de cellules et du nombre élevé de détenus, les membres de la GRC ont dû placer un autre détenu dans la cellule avec lui. Connu pour être violent, l'autre détenu venait d'être aspergé de gaz poivré pendant son arrestation, et était ivre et agité. Peu après avoir été placé dans la cellule, il a gravement agressé l'homme, lui assénant des coups de poing et des coups de pied. Comme aucun membre de la GRC ne se trouvait dans le détachement, le gardien a dû attendre plus d'une minute, pendant laquelle l'homme couché sur le sol recevait des coups violents au visage, avant que des membres de la GRC arrivent et neutralisent l'agresseur.

[7] L'homme, gravement blessé et toujours en sous‑vêtements, a ensuite été laissé pendant plus de dix heures dans une cellule au plancher couvert de sang, d'eau et de différents liquides corporels. Il a fallu une heure et quarante‑cinq minutes avant que l'homme puisse obtenir des soins médicaux. Une première infirmière n'a pas été en mesure d'effectuer une évaluation, et on a jugé qu'il était dangereux de transporter l'homme dans l'état d'ébriété dans lequel il se trouvait. Il s'est ensuite écoulé seize heures avant que l'homme ne soit emmené au centre de santé pour une évaluation médicale. À la suite de cette évaluation, l'homme a été envoyé par vol MEDEVAC à Iqaluit, où on a soigné ses blessures.

[8] La Commission a conclu que le manque criant de ressources était le principal facteur expliquant le déroulement de cette série d'incidents. En dépit de quelques défaillances chez certains membres de la GRC, ainsi que de lacunes en matière de formation, de supervision et de conformité aux politiques, la Commission a conclu que, dans l'ensemble, les membres de la GRC ont déployé des efforts considérables pour gérer une charge de travail écrasante dans des conditions qui ont créé des situations dangereuses. Malgré leurs efforts, les membres de la GRC n'ont pas pu atténuer pleinement les répercussions du manque de ressources.

[9] L'état du détachement de Kinngait était aussi très préoccupant. Non seulement il manquait de l'espace pour les détenus, créant un environnement dangereux, mais l'état matériel du bâtiment présentait également d'importantes lacunes, engendrant des risques pour la santé et la sécurité des détenus et des employés de la GRC. Mentionnons en guise d'exemple le fait que le détenu qui avait été neutralisé avec du gaz poivré a essayé de se laver les yeux avec de l'eau des toilettes parce qu'il n'y avait pas d'eau courante au lavabo de la cellule ni de bouteilles de solution de lavage oculaire à portée de la main. L'état du bâtiment rendait difficile et dangereux le transport des détenus au détachement pour les membres de la GRC. La Commission a estimé qu'il n'était pas raisonnable que le détachement soit dans un tel état.

[10] Dans l'ensemble, la Commission a conclu que le manque de ressources a joué un rôle dans tous les aspects de ce qui est arrivé à l'homme durant cette nuit de juin 2020. Dès le départ, le manque de personnel a eu pour effet que les membres de la GRC ont travaillé des heures supplémentaires et étaient en nombre insuffisant pour faire face aux nombreux incidents et situations instables cette nuit‑là. Ceci explique que les membres de la GRC se soient approchés aussi précipitamment de l'homme avec le véhicule de la GRC. Le manque de cellules et d'équipement ainsi que la formation insuffisante du gardien du détachement ont contribué au fait que l'homme ait été placé dans une position dangereuse qui a entraîné son agression grave dans sa cellule. Cela a également contribué à la mauvaise communication des renseignements essentiels sur les soins médicaux dont il avait besoin. Les contraintes en matière de ressources ont également joué un rôle dans le choix du moment et la nature des soins médicaux disponibles lorsque les membres de la GRC les ont demandés.

[11] La Commission a conclu que le manque de ressources observé était tel qu'il suscitait des inquiétudes quant à une possible discrimination systémique, dans la mesure où un tel manque de services de base n'est pas habituel. Toutefois, la Commission n'a trouvé aucune preuve de comportement discriminatoire de la part des différents membres de la GRC impliqués.

[12] La Commission a recommandé une étude plus approfondie de la question de la discrimination systémique, mais, surtout, des mesures immédiates pour régler les problèmes de ressources. La Commission a également recommandé différentes mesures pour remédier à l'état du détachement. Pour les problèmes précis qui ont été relevés concernant la conduite des membres de la GRC, la Commission a recommandé la prestation d'orientation opérationnelle et de la formation.

[13] Le 14 décembre 2022, la commissaire de la GRC a répondu au rapport intérimaire de la Commission.

[14] La commissaire a approuvé sur le fonds la plupart des conclusions et des recommandations de la Commission concernant le cas de l'homme, à quelques exceptions près.

[15] La commissaire a également reconnu un grand nombre des problèmes plus généraux relevés dans le rapport intérimaire de la Commission. En réponse aux nombreuses conclusions de la Commission sur l'état déplorable du détachement de Kinngait, la commissaire a consenti au remplacement complet de l'immeuble du détachement. Un nouveau détachement avec plus de cellules sera construit.

[16] La commissaire a également reconnu que le détachement de Kinngait manquait de ressources et a détaillé les mesures importantes prises par la GRC pour essayer de remédier au manque de personnel. Bien que la commissaire ait déclaré que la GRC avait pris des mesures raisonnables pour tenter de régler le problème, elle a également reconnu que le manque de personnel persistait malgré tout. Plus important encore, la commissaire a accepté d'entamer des discussions immédiates avec le gouvernement du Nunavut et d'autres partenaires pour s'assurer que des ressources et des fonds suffisants soient octroyés aux détachements de la GRC au Nunavut.

[17] Cette affaire a montré que la situation à Kinngait est assez désastreuse. Il ne fait aucun doute qu'un certain nombre d'acteurs devront accomplir un gros travail, ne serait‑ce que pour commencer à régler les problèmes graves observés. Toutefois, la Commission est encouragée par l'accent mis par la commissaire sur la mise en œuvre de solutions et par la volonté de la GRC de prendre des mesures pour régler certains des problèmes.

Processus

[18] Au cours de son enquête, la Commission a analysé un grand nombre de documents, de photos et d'enregistrements vidéo et audio. Les documents pertinents obtenus de la GRC, combinés aux éléments de preuve recueillis par la Commission, représentaient environ 146 gigaoctets de données électroniques (environ 8 850 fichiers électroniques distincts). Il s'agissait notamment de documents recueillis lors d'autres enquêtes sur les incidents, dont une enquête criminelle menée par le Service de police d'Ottawa.

[19] La Commission a interrogé l'homme de 22 ans impliqué dans l'incident en question, identifié dans les rapports intérimaire et final de la Commission sous le nom de « A. B. », ainsi qu'un certain nombre de témoins civils.

[20] La plupart des membres de la GRC visés par la plainte ont refusé de fournir des renseignements à la Commission. La Commission a déterminé qu'elle disposait d'assez d'éléments de preuve pour formuler des conclusions et des recommandations sur l'affaire, mais a fait remarquer que les membres en cause, en refusant de participer à l'enquête de la Commission, se privaient avant tout d'une occasion d'expliquer leurs actes. Le gendarme Michael (Dan) Keeling, le conducteur du véhicule de la GRC, a présenté une déclaration écrite et des réponses à des questions de suivi.

Contexte factuel

[21] La nuit du 1er juin 2020, le détachement de la GRC de Kinngait a reçu un nombre anormalement élevé d'appels de service. Effectivement, le détachement a reçu 37 appels, dont 27 entre 16 h 30 le 1er juin et 3 h 56 le 2 juin.

[22] A. B. se trouvait au domicile de son père cette nuit‑là lorsqu'une dispute a éclaté entre les deux hommes, qui a poussé un voisin à appeler la GRC. Le père d'A. B. a chassé A. B. de sa maison et A. B. est parti à pied. Le voisin a donné la mauvaise adresse à la police et les membres de la GRC qui ont répondu à l'appel se sont donc présentés à la mauvaise maison. À peu près au même moment, la police a répondu à un appel au sujet d'un autre incident dans lequel un homme peut‑être armé avait quitté une résidence et errait on ne savait où.

[23] Des membres de la GRC ont alors aperçu un homme, qu'ils ont plus tard identifié comme étant A. B., qui trébuchait et criait après quelqu'un; il semblait très ivre. Des enfants à proximité ont raconté au gendarme Keeling que l'homme se battait avec les gens. A. B. a été vu pointant de manière agressive en direction d'une personne sur un véhicule tout‑terrain. Le gendarme Keeling a alors mené son véhicule de la GRC en direction d'A. B. dans le but de l'arrêter. La portière du véhicule ouverte par le membre de la GRC a heurté A. B. et l'a renversé sur le sol. Des membres de la GRC ont alors fait usage de la force pour arrêter A. B., l'ont fait monter dans un véhicule de police et l'ont emmené au détachement de la GRC.

[24] Au détachement, A. B. a été placé dans une cellule avec un autre détenu, J. J., qui l'a violemment agressé. Plusieurs infirmières ont prodigué des soins médicaux à A. B., puis celui‑ci a été envoyé par ambulance aérienne à Iqaluit pour une évaluation approfondie. Plus tard, la GRC a mené des négociations en vue d'un règlement avec A. B.

Aperçu des conclusions et des recommandations provisoires de la Commission

[25] Dans le présent rapport, la Commission offre un aperçu de ses conclusions et de ses recommandations. Il convient de noter que ce document ne se veut pas un examen exhaustif ni un résumé de toutes ses conclusions et recommandations. Pour un examen complet de toutes les questions examinées par la Commission, il convient de lire le rapport d'enquête d'intérêt public intérimaire de 102 pages dans son intégralité.

[26] La réponse de la GRC aux conclusions et aux recommandations de la Commission est également examinée dans les pages qui suivent, en particulier lorsque des commentaires ou des renseignements ont été fournis par la GRC en sus de l'approbation des conclusions et des recommandations. Les rares fois où la GRC n'approuve pas les conclusions et les recommandations de la Commission sont également analysées. Un tableau des conclusions et des recommandations finales de la Commission figure à la fin du présent rapport.

Arrestation d'A. B.

[27] Dans son rapport intérimaire, la Commission a conclu qu'il était raisonnable pour le gendarme Keeling d'arrêter A. B. pour avoir troublé la paix. Le gendarme Keeling avait des motifs raisonnables de croire qu'A. B. avait commis l'infraction, et il était raisonnable pour lui de conclure qu'il fallait arrêter A. B. pour l'empêcher de poursuivre ou de répéter l'infraction.

[28] Compte tenu des autres appels de service et des risques associés à la situation, il était raisonnable pour les membres de la GRC de procéder rapidement à l'arrestation d'A. B. Par ailleurs, compte tenu de la résistance active d'A. B. et de son comportement agressif, il était nécessaire et raisonnable pour les membres de la GRC d'avoir recours à la force pour l'arrêter. La force employée était proportionnelle au comportement d'A. B. Bien qu'A. B. ait été arrêté pour une infraction mineure, les membres de la GRC ne pouvaient pas le laisser partir, car son état d'ébriété et sa conduite étaient tels qu'il pouvait représenter un risque pour les autres ou pour lui‑même s'il n'était pas arrêté. Par conséquent, le recours à la force par les membres de la GRC était nécessaire dans le contexte général, et la force a été proportionnelle au niveau de résistance rencontré pendant l'arrestation légale.

[29] La commissaire de la GRC a approuvé ces conclusions.

Conduite du membre de la GRC conduisant le véhicule

[30] La Commission a conclu qu'il n'était pas raisonnable pour le gendarme Keeling de s'être approché aussi près d'A. B. avec son véhicule de la GRC, ce qui a entraîné la collision d'A. B. avec la portière du véhicule. Toutefois, la Commission a également conclu qu'il n'y avait aucune preuve que le gendarme Keeling avait intentionnellement frappé A. B. avec la portière du véhicule; le contact avec A. B. a plutôt été provoqué par le mouvement vers l'avant du véhicule de police, qui a fait une embardée sur une chaussée irrégulière.

[31] Le gendarme Keeling a déclaré qu'il avait [traduction] « seulement voulu s'arrêter à côté [d'A. B.] et sortir rapidement de [son] véhicule pour procéder à son arrestation ». Un autre membre de la GRC impliqué, le gendarme Cholette, a aussi déclaré qu'il [traduction] « voulait saisir [A. B.] rapidement » et qu'il avait donc la main sur la poignée de porte pour pouvoir sauter du véhicule aussitôt celui‑ci arrêté.

[32] Un examen de l'enregistrement vidéo appuie la conclusion que le véhicule de la GRC a glissé sur la chaussée glacée et a fait une embardée vers l'avant quand le pneu gauche s'est engagé dans une ornière. En raison de ce mouvement vers l'avant, la portière avant du côté conducteur, que le gendarme Keeling avait ouverte en continuant de la tenir, s'est ouverte davantage et a heurté A. B. puis l'a renversé sur le sol. Rien n'indique que le gendarme Keeling avait l'intention de frapper A. B. avec la portière du véhicule de police.

[33] Bien que la Commission ait conclu que les membres de la GRC devaient procéder à une arrestation rapide d'A. B., la Commission a constaté que, dans les circonstances, il n'était pas raisonnable pour le gendarme Keeling de rouler aussi près d'A. B., car la plus petite erreur de jugement ou le moindre facteur externe, comme un piètre état des routes, pouvait entraîner une collision susceptible de causer des blessures graves à A. B. ou même sa mort.

[34] Un examen de l'enregistrement vidéo montre que, même avant que le véhicule ne glisse dans l'ornière, le gendarme Keeling roulait très près d'A. B. Le pneu avant gauche du véhicule semblait se trouver à environ deux pieds ou moins d'A. B. avant que le véhicule ne fasse son embardée. Il ne semble pas que le gendarme Keeling ait conduit à une vitesse excessive ou déraisonnable; toutefois, il est évident que le fait d'être heurté et potentiellement renversé par une camionnette, même à une vitesse relativement basse, constitue un risque pour la personne.

[35] Si la situation nécessitait une action rapide, il ne s'agissait pas d'une urgence. Selon les circonstances des autres appels, il était effectivement possible qu'A. B. soit en possession d'une arme, mais la police ne disposait pas de renseignements précis à cet effet et n'a pas vu A. B. avec une arme. Il n'existe pas de preuve que le gendarme Keeling croyait qu'A. B. était impliqué dans l'incident armé pour lequel la police avait été appelée ce jour‑là. Il y avait des raisons de croire qu'A. B. pouvait tenter de faire du mal à autrui, mais A. B. était seul à ce moment‑là.

[36] Il convient aussi de noter qu'A. B. semblait être ivre à un point tel qu'il pouvait à peine tenir debout. Bien qu'on l'ait vu courir très vite dans les minutes précédentes, cinq membres de la GRC dans trois véhicules de police se trouvaient dans les environs immédiats de l'homme, ce qui rendait tout risque de fuite assez improbable. Par ailleurs, l'infraction relativement mineure pour laquelle A. B. devait être appréhendé justifiait difficilement une prise de risque importante pendant l'arrestation.

[37] En l'espèce, le mauvais état des routes a été la cause immédiate de la collision entre la portière du véhicule de police et A. B. Cependant, il est généralement admis et inscrit dans la loi que les conducteurs doivent conduire leur véhicule en fonction de l'état des routes, et modifier leur conduite en conséquence. Il était dangereux et déraisonnable de la part du gendarme Keeling de s'approcher avec son véhicule de police aussi près d'A. B. sur une route glacée et en mauvais état.

Conclusion 3 : Les éléments de preuve ne montrent pas que le gendarme Keeling avait l'intention de frapper A. B. avec la porte du véhicule de police. Les renseignements disponibles font plutôt ressortir qu'il s'agit d'un accident qui s'est produit lorsque le véhicule de police a fait une embardée vers l'avant, alors que les conditions routières étaient mauvaises, dans une tentative infructueuse de s'immobiliser près d'A. B.

Conclusion 4 : Il était dangereux et déraisonnable pour le gendarme Keeling d'avoir conduit son véhicule de police aussi près d'A. B. sur une route glacée et en mauvais état. Au moment d'évaluer les risques que présentait la situation, le gendarme Keeling aurait dû adéquatement tenir compte de l'état de la chaussée et de tous les autres facteurs.

Conclusion 5 : La Commission est convaincue que des mesures correctives adéquates ont été prises à l'égard de la conduite du gendarme Keeling et qu'aucune autre mesure n'est nécessaire.

Recommandation provisoire 1 : La GRC devrait élaborer et mettre en œuvre des politiques et de la formation sur l'utilisation des véhicules de police lors de la poursuite de suspects qui sont à pied.

Recommandation provisoire 2 : La GRC devrait envisager d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques et de la formation portant sur la conduite des véhicules de la police dans les conditions routières auxquelles il faut souvent faire face dans les régions nordiques.

Réponse de la commissaire de la GRC

[38] La commissaire de la GRC a approuvé les conclusions de la Commission au sujet de la conduite du gendarme Keeling, mais n'a pas appuyé les recommandations de la Commission concernant des politiques et une formation supplémentaires.

[39] La commissaire a déclaré qu'il était clair que la collision entre la portière du véhicule de police et A. B. était le résultat d'une erreur de jugement de la part du gendarme Keeling, plutôt que d'un manque de formation ou de politiques. La commissaire a indiqué que ce type d'incident est extrêmement rare et qu'il n'est pas possible d'y remédier par des dispositions de politique. Par conséquent, la commissaire pense que des politiques supplémentaires sur l'utilisation des véhicules de police pour poursuivre les suspects à pied serait d'une utilité limitée, dans la mesure où les membres de la GRC sont déjà conscients qu'il est dangereux d'immobiliser un véhicule trop près d'une personne à pied.

[40 En ce qui concerne la recommandation de politiques et de formation sur les conditions routières dans les régions nordiques, la commissaire a déclaré qu'elle avait examiné la questionNote de bas de page 1, mais avait conclu qu'une modification aux politiques et une formation supplémentaire ne remédieraient pas à une erreur de jugement d'un employé et que les directives et la formation existantes étaient suffisantes. La commissaire a expliqué qu'une erreur de jugement individuelle devait plutôt être traitée directement par le superviseur de l'employé.

[41] La commissaire a expliqué qu'elle avait consulté le centre de politiques de la GRC, qui a indiqué que la GRC ne fournissait pas d'orientation aux membres de la GRC sur les principes de base de la conduite sécuritaire d'un véhicule automobile (comme l'utilisation d'essuie‑glaces sous la pluie ou de phares dans le noir, etc.). La commissaire a déclaré que, comme la Commission l'avait souligné dans son rapport intérimaire, il existe déjà une loi qui régit la conduite sécuritaire d'un véhicule automobile. Le centre de politiques a indiqué, et la commissaire a approuvé, que les politiques n'ont pas pour but de dupliquer la loi. La commissaire a également fait remarquer que, selon le centre de politiques, le Programme de formation des cadets de la GRC comprend déjà une formation sur la conduite hors route et sur les routes en gravier, laquelle formation est obligatoire pour obtenir le diplôme.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

[42] Dans son rapport intérimaire, la Commission a admis qu'il existe déjà des lois sur la conduite sécuritaire des véhicules automobiles et que ces lois s'appliquent (sauf exception) aux policiers dans l'exercice de leurs fonctions. Les actes individuels du gendarme Keeling relatifs à la conduite de son véhicule de police ont également fait l'objet de discussions approfondies, et la Commission a estimé que des mesures correctives adéquates avaient été prises.

[43] Bien que la Commission convienne que les politiques ne visent pas à supplanter les lois existantes et qu'une formation ne peut pas empêcher toutes les erreurs de jugement des membres de la GRC, la Commission continue de penser qu'une formation spécialisée sur la conduite des véhicules automobiles sur des routes en piètre état serait appropriée. De plus, si la Commission reconnaît que les routes peuvent être en mauvais état dans toutes les régions du Canada, les éléments de preuve recueillis dans la présente affaire indiquent que l'état des routes extrêmement mauvais à Kinngait était particulièrement préoccupant. Plusieurs parties ont formulé des commentaires sur les difficultés particulières posées par le terrain accidenté. Les parties ont également souligné que de nombreux membres de la GRC qui travaillent à Kinngait sont des membres de relève qui viennent de détachements situés dans d'autres régions que le Nord et ne sont peut‑être pas habitués aux difficultés que présente l'état des routes.

[44] Pour ce qui est de rouler très près des personnes, la Commission a traité d'autres affaires récentes où des véhicules de la GRC ont heurté des personnes lors d'arrestations. Par conséquent, la Commission considère que le sujet mérite d'être examiné plus en profondeur.

[45] Bien que le Programme de formation des cadets de la GRC comprenne déjà une formation sur la conduite hors route et sur des routes de gravier, une formation supplémentaire sur les routes en mauvais état à certains endroits pourrait néanmoins être bénéfique.

[46] Après avoir examiné la réponse de la commissaire, la Commission convient que des politiques supplémentaires peuvent ne pas être le meilleur moyen de remédier aux problèmes observés dans cette affaire. La Commission modifiera ses recommandations comme suit pour mettre l'accent sur la formation.

Recommandation finale 1 : La GRC devrait concevoir et offrir une formation sur la conduite des véhicules de police dans la poursuite de suspects qui sont à pied et sur l'attention particulière à porter en cas de conduite de véhicule à proximité de piétons.

Recommandation finale 2 : La GRC devrait continuer de veiller à ce que les membres de la GRC suivent une formation sur la conduite dans de mauvaises conditions, y compris la conduite hors route et sur des routes de gravier, et devrait offrir une formation supplémentaire aux membres de la GRC, en fonction des besoins, sur les dangers que représente l'état particulier des routes à certains endroits, y compris les régions nordiques.

Transport d'A. B. et arrivée au détachement de la GRC

[47] La Commission a conclu que les preuves étaient peu claires quant à savoir si le gendarme Keeling avait informé A. B. de ses droits dans le véhicule de police. La Commission a également conclu qu'A. B. n'avait pas été informé, ou « réinformé » une fois sobre, de ses droits, et qu'il n'avait eu, à aucun moment, la possibilité de communiquer avec un avocat pendant ses dix-huit heures de détention. La Commission a formulé une conclusion et une recommandation pour remédier à ce problème.

[48] La Commission nourrissait quelques inquiétudes sur la fouille d'A. B. au détachement de la GRC. Les membres de la GRC ont dévêtu A. B., de sorte qu'il s'est retrouvé en sous‑vêtements. Les membres de la GRC ont expliqué qu'ils avaient enlevé les vêtements à A. B. parce qu'ils étaient trempés. Selon la jurisprudence et la politique de la GRC, ils ont pratiqué une fouille à nu.

[49] La Commission a conclu que, pour des raisons de sécurité, il était raisonnable que plusieurs membres de la GRC participent à la fouille. De plus, les parties intimes d'A. B. n'ont jamais été exposées. Toutefois, la Commission a conclu que le fait de laisser A. B. sur le plancher de la cellule en sous‑vêtements et le fait que ni les membres de la GRC ni le gardien du détachement ne lui aient procuré une couverture ou une blouse constituaient un problème. Dans les circonstances, A. B. aurait dû se voir offrir une couverture ou une blouse, dans la mesure où cela pouvait être réalisé en toute sécurité, d'autant plus que le motif de lui avoir enlevé ses vêtements était d'assurer sa sécurité en lui évitant l'hypothermie. A. B. est resté en sous‑vêtements pendant près de huit heures après son arrestation. La Commission a recommandé que les membres de la GRC reçoivent des directives opérationnelles à cet égard.

[50] La Commission a conclu que la force à laquelle ont eu recours les membres de la GRC pour tenir A. B. au sol pendant la fouille était de manière générale minime et nécessaire. La Commission s'est davantage interrogée sur des gestes plus musclés posés pour déplacer A. B. et lui enlever certains vêtements. La Commission a appliqué les directives des tribunaux pour évaluer de tels cas et a conclu que le recours à la force n'était pas déraisonnable. Néanmoins, la Commission a avisé les membres de la GRC de recourir à la force minimum nécessaire dans une situation donnée.

[51] La Commission n'a recueilli aucune information indiquant qu'A. B. avait souffert de blessures des suites de l'incident avec le véhicule de police ou de la fouille. Il était raisonnable pour les membres de la GRC de ne pas solliciter des soins médicaux pour A. B. après son arrestation, car rien n'indiquait qu'il en avait besoin.

[52] La commissaire a approuvé les conclusions et les recommandations de la Commission.   

Voies de fait contre A. B. pendant sa détention et conditions de détention dans les cellules

[53] Les cellules du détachement de la GRC de Kinngait étaient en nombre gravement insuffisant lorsqu'A. B. est arrivé au détachement. Le détachement ne comptait que quatre cellules, ce qui selon la preuve était clairement insuffisant et non conforme aux normes applicables. À la lumière de l'augmentation importante du nombre de détenus retenus au détachement au cours des deux années précédentes, la preuve présentée à la Commission a révélé que le détachement avait besoin de dix cellules au lieu de quatre.

[54] Cette nuit‑là, 15 personnes ont dû être placées dans les quatre cellules du détachement de la GRC de Kinngait. L'une des cellules était réservée aux femmes, ce qui laissait trois autres cellules pour neuf détenus. En raison du volume élevé d'appels reçus, les membres de la GRC ont dû prendre beaucoup de décisions difficiles pour faire de la place aux nouveaux détenus. Par exemple, un détenu a dû être transféré dans la salle d'interrogation du détachement, et un autre a été logé sur le siège arrière d'un véhicule de police quand des membres de la GRC sont partis répondre à des appels. Au moins un détenu a été libéré, alors qu'il était encore ivre pour faire de la place aux détenus présentant des risques plus élevés. Contrairement à ce que préconisent les politiques de la GRC, les détenus souffrant de problèmes de santé mentale susceptibles de les rendre dangereux pour eux‑mêmes ou pour autrui n'étaient pas seuls dans une cellule, ceci en raison du manque de places.

[55] Chacune de ces situations aurait pu entraîner des problèmes de sécurité pour les détenus ou d'autres personnes. La Commission a conclu que le manque d'espace pour les détenus a créé un environnement dangereux pour les détenus, les membres de la GRC et le personnel du détachement.

[56] A. B. a d'abord été placé seul dans la cellule no 3 où l'on venait de lui retirer ses vêtements. Puis la GRC a reçu un appel relatif à une querelle de ménage au cours de laquelle un homme de 35 ans (J. J.) a été arrêté pour voie de fait et manquement aux conditions. J. J. se trouvait dans un état d'ébriété avancé et s'est montré très agressif envers les policiers. Il a dû être neutralisé avec du gaz poivré pendant son transport à destination des cellules parce qu'il résistait et donnait des coups de pied au gendarme Keeling.

[57] Les membres de la GRC ont une fois de plus fait face aux problèmes du manque de cellules. À leur arrivée, la cellule no 1 abritait quatre hommes, ce qui était trop pour cette cellule; la cellule no 2 comptait deux hommes, dont l'un était un « délinquant violent » qui n'aimait pas J. J. et qui était toujours prêt à se battre; et dans la cellule no 4 se trouvaient deux femmes. J. J. a été placé dans la cellule no 3 avec A. B.

[58] Le bloc cellulaire du détachement est surveillé par un gardien qui n'est pas un membre de la GRC. Ni le gardien ni le membre de la GRC qui avait arrêté J. J. n'ont pris de mesures pour décontaminer J. J. après qu'il a été aspergé de gaz poivré. Une fois dans la cellule, J. J. a été vu se frottant les yeux et parlant de ses yeux. L'enregistrement vidéo de la cellule l'a montré essayant d'ouvrir les robinets au‑dessus du lavabo à plusieurs reprises, puis asperger son visage avec de l'eau prise dans la cuvette des toilettes, ceci de nombreuses fois pendant environ une vingtaine de minutes. À un moment donné, J. J. a enlevé ses shorts et ses sous‑vêtements, qu'il a utilisés pour s'essuyer le visage.

[59] La preuve a révélé qu'il n'y avait pas d'eau courante au lavabo de la cellule no 3 (entre autres) depuis longtemps et que, bien que la GRC était au courant depuis au moins deux ans, les toilettes et les lavabos n'avaient toujours pas été remplacés. La preuve a également révélé que le détachement disposait d'une bouteille de solution de lavage oculaire à utiliser pour décontamination, mais que la bouteille était vide et qu'elle se trouvait dans l'espace fermé des toilettes du gardien qui n'était pas facilement accessible.

[60] La Commission a noté que cette situation inacceptable soulevait de graves inquiétudes en matière de santé et de sécurité et contribuait au risque pour A. B. de devoir partager une cellule avec J. J. La Commission a formulé un certain nombre de recommandations pour remédier aux lacunes observées.

[61] Environ vingt minutes après son placement dans la cellule no 3, J. J. a violemment agressé A. B. en lui donnant des coups de poing et des coups de pied lors de deux incidents distincts. A. B. a notamment reçu de nombreux coups violents au visage alors qu'il gisait sur le sol.

[62] A. B. et J. J. étaient tous les deux dans un état d'ébriété avancé et agissaient de manière imprévisible. Dans les minutes précédant l'agression, A. B. a pu être observé ne cessant de trébucher dans la cellule et heurtant parfois J. J.; A. B. a fini par asséner un coup de poing « circulaire » à J. J., ce qui a été l'élément déclencheur de la réaction de voies de fait de J. J.

[63] Conformément à sa formation, le gardien n'a pas ouvert la cellule pour intervenir pendant l'agression; il a appelé les membres de la GRC qui étaient à l'extérieur du détachement en train de répondre à des appels pour qu'ils viennent l'aider. Moins de deux minutes plus tard, des membres de la GRC sont arrivés dans la cellule et en ont fait sortir J. J. Ce dernier a été arrêté et accusé de voies de fait graves, avant d'être reconnu coupable.

[64] Après l'agression, A. B. a été retrouvé gisant sur le côté, le visage ensanglanté, tandis que le sol était couvert d'une quantité importante de sang mélangé à l'eau qui avait giclé de la cuvette des toilettes quand J. J. avait voulu se nettoyer le visage.

[65] La Commission a conclu que la présente affaire offrait malheureusement un exemple des graves risques que peut poser le manque de cellules. Les membres de la GRC, après avoir examiné les solutions disponibles, ont déterminé que le placement de J. J. dans la cellule no 3 avec A. B. était [traduction] la « moins pire » des options. Les options étant effectivement très limitées, il est difficile de leur reprocher d'avoir pris cette décision. Néanmoins, le fait de mettre J. J. et A. B. dans la même cellule a créé un environnement dans lequel une agression grave a été commise.

[66] Même si le délinquant J. J. doit porter l'entière responsabilité de cette infraction criminelle, la Commission a conclu qu'il était raisonnablement prévisible que le fait de mettre J. J. et A. B. dans la même cellule pouvait avoir des conséquences négatives.

[67] La Commission a formulé des recommandations pour traiter le grave manque de cellules au détachement de Kinngait.

[68] La Commission a conclu que l'état matériel du détachement de Kinngait présentait des lacunes importantes, ce qui posait des risques pour la santé et la sécurité. Dans certains cas, les lacunes avaient été détectées des années plus tôt et n'étaient toujours pas corrigées.

[69] La Commission a formulé un certain nombre de recommandations pour corriger les lacunes observées en matière de sécurité. La Commission a également fait un renvoi à un examen par un agent indépendant sur l'état matériel du détachement de Kinngait. Cet examen effectué par la GRC après les incidents de la présente affaire a donné lieu à de nombreuses recommandations qui, selon la Commission, devaient être entièrement mises en œuvre.

[70] Compte tenu de l'ampleur des changements nécessaires, la Commission a recommandé que la GRC envisage de remplacer complètement l'immeuble du détachement de Kinngait.

Conclusion 14 : Le manque d'espace pour les prisonniers a créé un environnement dangereux pour les détenus, les membres de la GRC et le personnel du détachement.

Conclusion 15 : Le fait que J. J. n'ait pas été décontaminé avant d'être placé dans la cellule a été exacerbé par le manque d'eau du robinet dans la cellule en raison d'un lavabo brisé, entraînant une situation inacceptable où le prisonnier a dû utiliser à plusieurs reprises l'eau de la cuvette de toilette pour soulager son inconfort. Cela a soulevé de graves préoccupations en matière de santé et de sécurité, et le fait que A. B. partage une cellule avec J. J. a contribué à accroître le risque pour A. B.

Conclusion 16 : Conformément aux politiques de la GRC, J. J. aurait dû recevoir de l'eau pour se décontaminer, surtout lorsqu'il était évident qu'il éprouvait de l'inconfort.

Conclusion 17 : Il était déraisonnable que la bouteille de solution de lavage oculaire ait été laissée vide et qu'elle ait été placée dans un endroit peu pratique.

Conclusion 18 : Il était déraisonnable que le lavabo de la cellule no 3 soit laissé dans un état non fonctionnel, apparemment pendant deux ans.

Conclusion 19 : Il était raisonnablement prévisible que le fait de mettre J. J. et A. B. dans la même cellule pouvait avoir des conséquences négatives. Le fait de loger J. J. et A. B. dans la même cellule a créé un environnement dans lequel des voies de fait graves ont été commises. 

Conclusion 20 : La décision de placer J. J. et A. B. dans la même cellule était le résultat direct du manque d'options acceptables offertes aux membres de la GRC en raison du manque d'espace pour les prisonniers.

Conclusion 21 : L'état physique du détachement de Kinngait présentait des lacunes importantes, ce qui posait des risques pour la santé et la sécurité. Il était déraisonnable que le détachement soit dans cet état. En tant qu'institution, la GRC était chargée de maintenir le détachement et le bloc cellulaire dans un état qui ne présenterait aucun risque inacceptable pour la santé et la sécurité des membres de la GRC et des détenus.

Recommandation 4 : Les locaux du détachement de Kinngait devraient être agrandis pour en augmenter la capacité jusqu'à dix cellules.

Recommandation 5 : Le gendarme Keeling et le sergent Gill devraient recevoir une orientation opérationnelle sur l'importance de décontaminer les prisonniers.

Recommandation 6 : Les lavabos et les toilettes des cellules du détachement de Kinngait devraient être réparés et entretenus conformément à la politique de la GRC.

Recommandation 7 : La bouteille de solution de lavage oculaire dans le détachement de Kinngait devrait être rangée à un endroit accessible et remplie régulièrement.

Recommandation 8 : La GRC devrait mettre pleinement en œuvre les recommandations du rapport final de l'examen de la GRC par un agent indépendant en ce qui a trait à l'état physique du détachement de Kinngait.

Recommandation 9 : La GRC devrait envisager de remplacer complètement le bâtiment du détachement de Kinngait.

Réponse de la commissaire de la GRC

[71] La commissaire de la GRC a approuvé toutes les conclusions de la Commission, à l'exception de celle indiquant qu'il était raisonnablement prévisible que le fait de placer J. J. et A. B. dans la même cellule pouvait entraîner un résultat négatif et a créé un environnement dans lequel une agression grave été commise. La commissaire a estimé que cette conclusion ne pouvait être tirée qu'avec le recul et qu'elle n'a pas dûment pris en compte les options s'offrant aux membres de la GRC et l'information dont ils avaient connaissance. La commissaire a souligné que les personnes en état d'ébriété sont souvent incarcérées ensemble dans des cellules de la GRC partout au Canada, la plupart du temps sans incident. Les membres de la GRC dans cette affaire n'avaient connaissance d'aucun antécédent d'agression entre A. B. et J. J.

[72] La commissaire a ajouté que, même s'il y avait eu dix cellules dans le détachement de Kinngait cette nuit‑là, comme l'a recommandé la Commission, il aurait peut‑être fallu placer plusieurs personnes dans chaque cellule compte tenu du niveau d'activité. La commissaire a fait remarquer que le risque de violence est toujours présent dans de telles circonstances, que les personnes soient ivres ou non. L'ivresse et la toxicomanie sont des facteurs toujours pris en compte pour prendre la décision la plus appropriée et atténuer le plus possible le risque d'agression. La commissaire a estimé que, compte tenu des circonstances, les preuves étaient insuffisantes pour conclure que l'agression était raisonnablement prévisible.

[73] La commissaire a appuyé l'ensemble des recommandations de la Commission. Pour ce qui est de la recommandation d'agrandir le détachement de Kinngait et d'augmenter le nombre de cellules jusqu'à dix, la commissaire a déclaré qu'elle l'appuyait en partie. Elle a expliqué que la Division « V » de la GRC (Nunavut) avait été consultée et, en juillet 2022, avait analysé les options de capacité pour combler les besoins en matière de cellules du détachement. Après avoir évalué différentes options, la Division « V » a conclu que le détachement de Kinngait devrait être complètement remplacé et que le nouvel immeuble du détachement devrait comporter huit cellules.

[74] Par conséquent, la commissaire a appuyé la recommandation de la Commission d'envisager de remplacer l'immeuble du détachement de Kinngait dans son intégralité. Elle a déclaré que le nouveau détachement comptera huit cellules

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

[75] Premièrement, la Commission accueille favorablement la décision de la commissaire de la GRC de remplacer entièrement le détachement de Kinngait et de construire un nouveau détachement avec un plus grand nombre de cellules. Cette décision répond aux nombreuses conclusions et recommandations de la Commission au sujet de l'état déplorable du détachement de Kinngait. Le détachement ne satisfaisait pas aux normes de la GRC et présentait des risques pour la sécurité tant pour le personnel de la GRC que les détenus. Les mesures décisives qui vont être prises aujourd'hui marquent un pas en avant important, d'autant plus que certaines des lacunes avaient été relevées plusieurs années auparavant.

[76] Comme il en a été question dans le rapport intérimaire de la Commission, le manque d'espace pour les détenus dans le détachement a entraîné un manque d'options acceptables pour les membres de la GRC. La décision de placer J. J. et A. B. dans la même cellule est le résultat direct de ce manque d'options. Bien que la Commission maintienne sa conclusion qu'un résultat négatif était raisonnablement prévisible lorsque J. J. a été placé dans la même cellule qu'A. B., et que cette décision a créé l'environnement dans lequel les voies de fait ont été commises, cette conclusion n'enlève rien à la reconnaissance, longuement expliquée dans le rapport intérimaire de la Commission, de la position difficile dans laquelle les membres de la GRC se sont retrouvés en raison du manque de ressources et d'espace physique.

[77] La Commission reconnaît que les membres de la GRC n'avaient connaissance d'aucun antécédent de conflit entre A. B. et J. J. Toutefois, les membres de la GRC connaissaient l'état des deux hommes, qui étaient complètement ivre et agissaient de façon imprévisible, ainsi que leurs antécédents d'agression et d'altercations physiques la nuit en question. En particulier, J. J. avait été arrêté pour voies de fait graves et s'était montré tellement agressif avec la police qu'il avait dû être aspergé de gaz poivré. On a décrit l'homme comme résistant et avec de l'écume à la bouche. L'état d'ébriété d'A. B. était également très avancé. Il tenait difficilement sur ses jambes, agissait de façon imprévisible et trébuchait dans la cellule. Pour toutes ces raisons, et malgré la reconnaissance que cette situation s'est produite en raison de la position intenable dans laquelle les membres de la GRC se trouvaient, la Commission réitère sa conclusion sur la prévisibilité du résultat négatif et l'environnement créé par le placement des deux hommes dans la même cellule.

État de la cellule d'A. B. après l'agression

[78] L'enregistrement vidéo dans le bloc cellulaire révèle que le plancher de la cellule no 3 est resté couvert de sang et d'eau (et plus tard d'urine et de vomi) de peu après minuit (moment où A. B. a subi les voies de fait) jusqu'à 10 h 15 le lendemain matin quand A. B. a été retiré de la cellule et que les membres de la GRC ont nettoyé le plancher. La Commission a reconnu que les membres de la GRC étaient presque constamment occupés par les diverses tâches à accomplir cette nuit‑là, mais a noté les préoccupations en matière de santé et sécurité découlant du fait que le plancher ait été laissé dans cet état alors qu'un détenu occupait la cellule. La Commission a conclu qu'il était déraisonnable de laisser le plancher de la cellule couvert de différents liquides corporels pendant plus de dix heures.

[79] La Commission a recommandé que les membres de la GRC reçoivent des directives opérationnelles sur cette question. La commissaire a approuvé la conclusion et la recommandation de la Commission.

Actions du gardien du bloc cellulaire

[80] Dans son rapport intérimaire, la Commission a noté que, bien que le gardien ait été de bonne foi et ait semblé déterminé à faire le meilleur travail possible dans des circonstances difficiles, de nombreuses infractions aux politiques de la GRC ont été révélées concernant la tenue des dossiers et d'autres tâches exécutées par le gardien sous la supervision du sergent Gill. Certaines des lacunes observées auraient pu entraîner des conséquences négatives graves, notamment l'absence apparente de contrôle physique et de vérification de la réactivité des détenus. La Commission a conclu que le sergent Gill avait assuré une supervision inadéquate du gardien.

[81] La Commission a également conclu que la formation dispensée au gardien était inadéquate. Si la formation offrait une compréhension de base des rôles et des responsabilités d'un gardien, son enseignement sur les exigences des politiques de la GRC était inadéquat.

[82] La Commission a formulé des recommandations pour régler ce problème, que la commissaire a accepté de mettre en œuvre.

[83] En ce qui concerne la réponse à l'agression d'A. B., la Commission a fait remarquer qu'il aurait été préférable qu'au moins un membre de la GRC soit présent dans le détachement, comme cela était habituellement le cas, pour que celui‑ci puisse assurer une intervention d'urgence presque immédiate. Toutefois, la Commission a conclu que les membres de la GRC étaient obligés de répondre à plusieurs appels qui nécessitaient une attention rapide.

Soins médicaux fournis à A. B. après l'incident dans la cellule

[84] La Commission a établi que les membres de la GRC ont rapidement demandé une évaluation en soins de santé pour A. B., après qu'il a subi des voies de fait. Toutefois, en attendant l'arrivée de l'infirmière (le seul professionnel de la santé de garde cette nuit‑là), ni le gardien ni les membres de la GRC n'ont tenté de prodiguer les premiers soins à A. B. La Commission a conclu qu'ils auraient dû tenter de le faire, pourvu que cela puisse être fait en toute sécurité.

[85] Après qu'il a été établi que l'évaluation de l'infirmière ne pouvait être effectuée en raison de l'état d'ébriété d'A. B., il était raisonnable, pour les membres de la GRC, de s'appuyer sur l'opinion de l'infirmière, selon laquelle A. B. pouvait demeurer dans les cellules jusqu'à ce qu'il soit évalué ultérieurement.

[86] La Commission a conclu qu'il était déraisonnable pour les membres de la GRC présents lors de la visite de l'infirmière de ne pas avoir clairement transmis aux membres de la GRC du quart de jour le plan de soins de santé recommandé pour A. B. et de ne pas avoir documenté le plan comme l'exige la politique de la GRC. Ce manque de continuité des soins aurait pu créer un risque pour la santé d'A. B.

[87] En fait, après qu'une infirmière en santé mentale eut réitéré la nécessité d'une évaluation médicale physique le lendemain, les membres de la GRC ont rapidement demandé une aide médicale pour A. B. L'infirmière qui travaillait au centre de santé a demandé aux membres de la GRC d'amener A. B. après la fin des heures de travail, ce que les membres de la GRC ont fait. La Commission a établi qu'une fois que les membres de la GRC ont été informés qu'A. B. devait subir une évaluation physique, ils ont pris des mesures pour que cela se fasse peu après.

[88] La Commission a également établi que bien que les symptômes d'A. B. aient pu être le résultat de son ivresse extrême (et cela semble effectivement avoir été le cas, car aucune blessure à la tête n'a été diagnostiquée), cela n'a pas pu être établi avec certitude au moment où il se trouvait dans la cellule. La Commission a recommandé que la GRC publie un bulletin pour rappeler aux membres de la GRC l'importance d'aborder avec le plus grand sérieux les blessures à la tête potentielles des détenus et de demander des évaluations de santé rapides.

[89] La commissaire a souscrit aux conclusions et aux recommandations formulées par la Commission relativement à ces questions.

Manque flagrant de ressources et possible discrimination systémique

[90] Lorsque la Commission a interrogé l'infirmière qui avait évalué A. B. au centre de santé (infirmière C), cette dernière a fait part de ses observations sur l'ampleur du manque de ressources de la GRC à Kinngait. Elle a déclaré :

Traduction
Je me sentais vraiment mal pour les agents de la GRC affectés en général dans cette collectivité. Et pas seulement en lien avec cet incident, mais tout le temps que j'ai passé là bas. Dans toute ma carrière, je ne me suis jamais sentie aussi désolée pour un groupe de personnes que je l'ai été envers tous ces membres de la GRC, lorsque j'étais à [Kinngait].

[91] Elle dit avoir déjà travaillé dans des collectivités où elle recevait beaucoup moins d'appels de service et où on comptait deux fois plus de membres de la GRC. Elle a souligné qu'il y a des traumatismes générationnels historiques dans la collectivité, et qu'il y a des raisons qui expliquent le degré élevé de violence. À titre d'exemple de l'incidence du manque de ressources sur les membres de la GRC, elle souligne qu'il n'y a aucun moyen de transporter adéquatement ou en toute sécurité des patients ayant besoin de soins médicaux à Kinngait et que, par conséquent, on s'attend à ce que ce soient les membres de la GRC qui transportent les patients au centre de santé, sans ressources ou formation adéquates. Elle explique que, contrairement à ce qui se passe dans d'autres collectivités, lorsque des patients ou une famille appellent au centre de santé pour signaler une crise médicale, on leur disait d'appeler la GRC. Elle se rappelle avoir vu des membres de la GRC emmener un patient au centre de santé sans planche dorsale, sans civière, sans rien, juste par les bras et les jambes, alors que le patient était en pleine crise d'épilepsie. L'infirmière C a déclaré : [traduction] « Comment une telle chose – ce ne serait pas [acceptable] où que ce soit ailleurs au Canada. Pourquoi est-ce correct dans le Nord, et comment a-t-on pu considérer que c'était correct jusqu'à maintenant? »

[92] Ces commentaires concordent avec la preuve recueillie dans cette affaire, qui soulignait un grave manque de ressources à Kinngait, et, par conséquent, un impact direct sur les opérations de la GRC.

[93] La dotation nettement insuffisante du détachement de la GRC de Kinngait est une des façons qui a permis d'observer ce manque de ressources. Selon les propres chiffres de la GRC, le détachement de Kinngait était en situation de sous‑effectif, étant doté de moins de la moitié du nombre de policiers nécessaires. Il n'y avait pas non plus d'adjoint des services du détachement, ce qui signifie que toutes les tâches administratives incombaient au sergent.

[94] Le 1er juin 2020, on comptait six membres de la GRC dans la collectivité, dont trois gendarmes, qui étaient des membres de relève. Cet effectif était supérieur à l'effectif d'un caporal/quatre gendarmes normalement autorisé pour le détachement. Trois membres de la GRC ont été affectés au quart de nuit, mais en raison du volume élevé et de la gravité des appels, certains membres de la GRC du quart de jour ont dû être rappelés au travail pour apporter une aide.

[95] Comme nous l'avons mentionné au début du présent rapport, le manque considérable de ressources a joué un rôle à chaque étape des incidents qu'a subis A. B. les 1er et 2 juin 2020; ce manque est le fil conducteur qui explique les incidents. Qu'il s'agisse du manque de personnel et du grand nombre d'incidents exigeant que les membres de la GRC s'approchent d'A. B. de façon précipitée avec leur véhicule et de l'obligation qu'ils soient loin du détachement lorsqu'A. B. a été agressé, ou du manque d'espace, d'équipement, de formation et d'eau courante dans les cellules créant une situation dangereuse dans laquelle A. B. a été placé avec un détenu violent et ivre qui n'avait pas été décontaminé après avoir été aspergé de poivre, ou de l'omission de nettoyer la cellule ou de transmettre des renseignements essentiels sur le plan de soins médicaux et des ressources limitées en soins de santé, qui n'a pas permis des visites immédiates au détachement et a obligé les membres de la GRC à attendre après les heures de bureau pour amener A. B. au centre de soins de santé.

[96] En considérant la situation dans son ensemble, la Commission arrive inévitablement à la conclusion que le niveau de service offert au détachement de Kinngait était nettement inadéquat.

[97] Dans ses commentaires, l'infirmière C s'est dite préoccupée par le fait que lorsque des erreurs sont commises, l'accent est souvent mis sur les membres de la GRC plutôt que sur les problèmes structurels ou systémiques. Selon elle, [traduction] « le gouvernement du Nunavut doit vraiment se pencher sur les ressources qui sont fournies à la GRC pour assurer la prestation de services de police appropriés. Quand les ressources ne sont pas suffisantes pour bien travailler, les choses risquent de mal se passer. »

[98] Des incidents graves ont eu lieu dans cette affaire. Dans son rapport intérimaire, la Commission a souligné qu'il était encourageant que le propre agent indépendant de la GRC ait été en mesure de cerner bon nombre des lacunes concernant l'état et la dotation du détachement, mais elle a déploré qu'un incident comme celui‑ci ait dû se produire pour déclencher l'examen. La Commission a observé qu'il n'aurait pas dû être nécessaire que les choses en arrivent là avant que la GRC fasse quelque chose pour remédier à la situation.

[99] La Commission a examiné si les préjugés raciaux ou la discrimination avaient joué un rôle dans les incidents analysés dans cette affaire. La Commission a déterminé qu'aucun élément de preuve n'indique que les gestes posés par chaque membre de la GRC étaient influencés par des préjugés raciaux ou que l'un ou l'autre des membres de la GRC a adopté un comportement discriminatoire envers A. B.

[100] Toutefois, la Commission a établi que le manque alarmant de ressources dans cette affaire soulève des préoccupations quant à une possible discrimination systémique. Les résidents du Canada ont droit à un niveau de service raisonnable, peu importe leur lieu de résidence, et ce niveau de service n'est pas offert à Kinngait.

[101] La Commission a fait remarquer qu'environ 93 % des résidents de Kinngait sont des Inuits, y compris A. B. Le soir des incidents, A. B. a subi un certain nombre des conséquences négatives attribuables au manque de ressources. Il est vraisemblable que d'autres membres de la collectivité aient également subi de telles répercussions lors de leur interaction avec la GRC, compte tenu des lacunes flagrantes liées au manque d'effectifs et de ressources matérielles révélées par les éléments de preuve.

[102] Les interactions de la GRC avec les Inuits ont lieu dans le contexte d'une relation historique souvent tendue au Nunavut et dans d'autres régions des terres des Inuits. Cela comprend, entre autres, le rôle de la GRC dans l'application des politiques gouvernementales de réinstallation forcée d'Inuits dans l'Extrême‑Arctique, au retrait d'enfants inuits destinés aux pensionnats et à l'abattage de chiens de traîneau. Plus récemment, il y a eu des allégations de problèmes systémiques et d'inconduite individuelle visant les services de police de la GRC dans les collectivités du Nunavut, dont certaines ont fait l'objet de rapports de la Commission.

[103] Compte tenu de ce contexte, la Commission a conclu qu'une étude plus approfondie est nécessaire pour déterminer l'ampleur du problème et déterminer si le manque de ressources est effectivement discriminatoire.

[104] La Commission a également établi que sans égard à ce lien avec la discrimination, des mesures immédiates sont nécessaires pour remédier à la situation désastreuse prévalant à Kinngait et dans toute autre collectivité du Nunavut étant aux prises avec des problèmes semblables. La Commission souligne qu'elle comprend que la GRC n'a pas la capacité unilatérale d'agir en ce qui concerne la question des ressources. Par conséquent, la Commission a recommandé que la GRC entame des discussions immédiates avec les partenaires gouvernementaux compétents pour s'assurer que des ressources et des fonds suffisants sont mis à la disposition de ses détachements du Nunavut.

Conclusion 23 : Il était déraisonnable pour la GRC que le détachement de Kinngait manque de personnel au point de compter moins de la moitié du nombre de policiers nécessaires.

Conclusion 36 : Le niveau de services fourni au détachement de Kinngait était nettement insuffisant. Le manque de ressources observé est tel qu'il soulève des préoccupations quant à une possible discrimination systémique.

Conclusion 35 : Aucun élément de preuve n'indique que les gestes posés par chaque membre de la GRC étaient influencés par des préjugés raciaux ou que l'un ou l'autre des membres de la GRC ait fait preuve d'un comportement discriminatoire envers A. B.

Recommandation 11 : La GRC devrait assurer une dotation adéquate de tous ses détachements, y compris le détachement de Kinngait.

Recommandation provisoire 19 : La GRC devrait effectuer une analyse comparative des niveaux de ressources et de financement de ses détachements au Nunavut par rapport à ses détachements comparables dans d'autres régions et communiquer les résultats de cette analyse à la Commission.

Recommandation 20 : La GRC devrait entamer des discussions immédiates avec le gouvernement du Nunavut et d'autres partenaires pour s'assurer que des ressources et des fonds suffisants sont fournis à ses détachements du Nunavut, afin que le détachement de Kinngait, comme tout autre détachement du Nunavut confronté à des circonstances semblables, soit en mesure de fournir un niveau de service adéquat.

Réponse de la commissaire de la GRC

[105] La commissaire de la GRC a souscrit en partie à la conclusion de la Commission au sujet du manque de personnel du détachement de Kinngait (conclusion 23). Elle reconnaît que la dotation d'un détachement occupé par moins de la moitié du nombre de membres nécessaires est à première vue déraisonnable. Toutefois, elle affirme que la GRC a pris des mesures raisonnables pour éviter cette situation. Elle explique que le niveau de ressources dépend en grande partie des partenaires provinciaux ou territoriaux. Contrairement aux corps policiers municipaux, la GRC doit faire participer divers ordres de gouvernement et ministères lorsqu'elle présente des demandes de dotation, et la décision finale revient au gouvernement provincial ou territorial.

[106] La commissaire a présenté un compte rendu détaillé des efforts déployés par la Division « V » pour obtenir des ressources supplémentaires au cours des dix dernières années. Malgré les nombreuses analyses de rentabilisation que la division a présentées pour demander l'ajout de membres de la GRC dans leurs détachements du Nunavut, à plusieurs reprises, aucun poste supplémentaire n'a été approuvé. À d'autres occasions, un nombre de postes moins élevé que celui demandé ont été approuvés. Dans un cas, des fonds supplémentaires ont été accordés, mais les augmentations dans tous les secteurs budgétaires attribuables aux coûts non contrôlés et à l'inflation ont fait en sorte que les fonds n'ont pas pu être utilisés pour financer des postes supplémentaires.

[107] La commissaire a souligné que des membres des équipes de la haute direction de la Division « V » avaient exprimé des préoccupations quant aux [traduction] « circonstances difficiles auxquelles les membres du détachement de Kinngait doivent faire face » et a cité un cas où des membres ont dû être relocalisés pour des raisons de sécurité, après avoir reçu des menaces dans la collectivité. Les membres de la GRC affectés à Iqaluit ne souhaitaient pas, à tour de rôle, offrir un répit au détachement de Kinngait. Par conséquent, un modèle de « réseau en étoile » permettant de compléter l'effectif de Kinngait par l'arrivée de membres affectés à Iqaluit n'a pas pu être mis en place. La GRC a entrepris des mesures nationales de dotation pour des possibilités de promotion à Kinngait, mais les postes ne pouvaient pas être dotés de la manière traditionnelle. La commissaire a déclaré que [traduction] « Kinngait s'est révélé une affectation peu attrayante ».

[108] La commissaire a indiqué que le détachement de Kinngait était parfois doté d'un plus grand nombre de membres de la GRC que ce qui était autorisé, mais a expliqué que ces ressources supplémentaires étaient des membres de relève provenant des détachements du Sud ou des réservistes.

[109] La commissaire a reconnu que, malgré les divers efforts de la Division, en date du 1er juin 2020, le nombre des ressources à Kinngait était passé à quatre membres de la GRC (plutôt que les dix membres nécessaires) et qu'il n'y avait pas d'adjoint administratif, ce qui signifie qu'un sergent devait exécuter des tâches administratives.

[110] Bien qu'elle ait reconnu que la GRC aurait sans doute pu prendre des mesures autres que la présentation d'analyses de rentabilisation pour veiller à ce que le détachement de Kinngait soit suffisamment doté en personnel, la commissaire a déclaré que les options de la GRC étaient limitées, compte tenu de la structure de financement de la GRC, des ressources limitées du gouvernement territorial du Nunavut et du manque de membres de la GRC prêts à servir dans un endroit aussi éloigné et parfois dangereux.

[111] En réponse à la conclusion de la Commission au sujet des préoccupations soulevées par le niveau de manque de ressources et le niveau de service nettement inadéquat au détachement de Kinngait (conclusion 36), la commissaire a convenu que le détachement ne comptait pas suffisamment de ressources, mais n'était pas d'accord pour affirmer que le niveau de ressources était un indicateur de discrimination systémique ou que la discrimination systémique avait joué un rôle dans les problèmes de ressources. La commissaire a déclaré que le détachement de Kinngait était en situation de sous‑effectif en raison du manque de financement et de l'obligation de transférer du personnel à l'extérieur de la collectivité, pour des raisons de sécurité.

[112] La commissaire a fait référence aux efforts infructueux de la GRC fournis pour veiller à ce que les détachements du Nunavut disposent de ressources suffisantes. Elle a indiqué que la mise en place d'un effectif entièrement doté et équipé dans les détachements de la Division « V » ne peut se réaliser qu'en partenariat avec le gouvernement du Nunavut. Elle a déclaré que les défis liés à la dotation adéquate des détachements dans le Nord ne sont pas nouveaux, faisant référence à un rapport de 2007 qui avait mis en évidence de nombreux problèmes persistants à cet égard.

[113] En ce qui concerne la préoccupation relative à une discrimination systémique potentielle, la commissaire a écrit ceci : [traduction] « Je comprends que l'effet de l'incidence négative constitue un élément essentiel pour établir s'il y a eu discrimination plutôt que si la discrimination était intentionnelle ou non. » Toutefois, elle a déclaré que les décisions relatives aux ressources étaient fondées uniquement sur la charge de travail des membres de la GRC, sur la disponibilité du financement et sur la disponibilité de membres volontaires prêts à travailler à Kinngait, ainsi que sur les défis logistiques. La commissaire a insisté sur le fait [traduction] « qu'aucun facteur fondé sur la race ou l'ethnicité n'a été pris en compte dans les décisions de dotation du détachement de Kinngait ou de tout autre détachement de la Division « V » ».

[114] La commissaire a souscrit à la conclusion de la Commission concernant l'absence de toute preuve de préjugé raciale de la part de chaque membre de la GRC (conclusion 35).

[115] La commissaire a appuyé les recommandations visant à assurer le financement adéquat de tous les détachements de la GRC et à entamer des discussions immédiates avec le gouvernement du Nunavut et d'autres partenaires, pour veiller à ce que des ressources suffisantes soient mises à la disposition des détachements du Nunavut (recommandations 11 et 20).

[116] La commissaire n'a pas appuyé la recommandation de la Commission d'effectuer une analyse comparative des niveaux de ressources (recommandation 19). Bien qu'elle reconnaisse les préoccupations de la Commission, elle n'est pas d'accord pour affirmer que la GRC doit effectuer l'analyse afin de déterminer si un cas de discrimination pourrait être établi. La commissaire explique qu'il n'y a aucune division dont la situation est assez semblable à la situation de la Division « V » pour pouvoir faire une comparaison viable entre les détachements. Elle souligne que la Division « V » présente des défis uniques en matière d'affectation des ressources en raison de sa « taille » énorme et de ses collectivités dispersées. De plus, il y a une importante pénurie de logements à l'échelle du territoire, ce qui fait que la GRC a beaucoup de difficulté à obtenir un logement pour ses membres, et ce qui rend souvent impossible l'augmentation du nombre de membres du personnel. Elle ajoute que d'autres défis logistiques propres au Nunavut gênent la dotation.

[117] La commissaire est d'avis que, même si une analyse comparative viable pouvait être effectuée, il serait préférable que la Commission mène elle‑même cette analyse de manière transparente et équitable, après avoir choisi sa méthodologie et ses détachements à comparer. La commissaire a déclaré que cela ferait en sorte que toute conclusion finale sur l'existence d'une discrimination systémique soit fondée sur des preuves obtenues dans le cadre des processus d'enquête de la Commission. La commissaire a offert l'aide de la GRC pour communiquer des renseignements pertinents sur les ressources financières ou humaines.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

[118] Les renseignements présentés par la commissaire de la GRC au sujet des efforts infructueux déployés par la GRC au fil des années pour obtenir des fonds supplémentaires et des préoccupations exprimées par la haute direction de la Division « V » démontrent davantage la gravité du problème de manque de ressources au détachement de Kinngait et, plus généralement, au Nunavut. Les répercussions importantes du niveau de service et de ressources nettement inadéquat ont été détaillées dans le rapport intérimaire de la Commission.

[119] La Commission reconnaît les nombreuses difficultés auxquelles la GRC se heurte pour régler la situation. De plus, comme cela est déjà clairement indiqué dans son rapport intérimaire, la Commission reconnaît que la GRC ne peut pas résoudre à elle seule tous les problèmes. La Commission est encouragée par le fait que la commissaire a non seulement reconnu le problème, mais qu'elle s'est engagée, pour donner suite aux recommandations de la Commission, à assurer une dotation adéquate au détachement de Kinngait (et à tous les détachements) et à entamer des discussions immédiates avec le gouvernement du Nunavut et d'autres partenaires pour veiller à ce que des ressources et des fonds suffisants soient mis à la disposition des détachements de la GRC au Nunavut, afin qu'un niveau de service adéquat puisse être offert à la population du Nunavut.

[120] Les conditions et les lacunes relevées dans le rapport intérimaire de la Commission exigeaient l'application de mesures. La Commission accueille favorablement l'engagement de la commissaire de prendre des mesures pour remédier à la situation, ainsi que l'engagement de remplacer l'immeuble du détachement de Kinngait. La Commission espère que ces mesures se traduiront par de réels changements sur le terrain et par des progrès mesurables menant à la prestation de services de police adéquats à Kinngait et ailleurs au Nunavut.

[121] En ce qui concerne la possibilité de discrimination systémique, la Commission reconnaît les difficultés de mener les études nécessaires à ce sujet, comme le détaille la réponse de la commissaire. Bien que la Commission demeure d'avis qu'une étude plus approfondie de cette question est justifiée, elle souligne que l'accent doit d'abord être mis sur la prise de mesures urgentes nécessaires pour régler la situation, ce que la GRC a maintenant accepté de faire. Le fait de s'attaquer au manque de ressources est la première étape nécessaire, et la plus importante, pour remédier à toute discrimination systémique qui pourrait être à l'origine de ce manque.

[122] La Commission réitère que tous les résidents du Canada ont droit à un niveau de service raisonnable, peu importe où ils résident. Les problèmes sociaux présents dans les collectivités du Nunavut et d'ailleurs au Canada sont complexes. Le rôle de la police pour réagir aux effets des problèmes sociaux est aussi complexe et parfois controversé. Toutefois, il n'y avait rien de controversé quant au niveau de service clairement inadéquat observé dans cette affaire.

[123] Les lacunes relevées par la Commission dans cette enquête ont atteint un degré que, de façon anecdotique, la Commission n'observe pas dans les détachements de la GRC dans d'autres régions. La Commission accueille favorablement la volonté de la GRC de collaborer avec elle pour évaluer la possibilité de discrimination systémique et exhorte la GRC à tenir des statistiques sur les besoins en matière de service et le financement dans ses détachements du Nunavut. Pour ces raisons, la Commission modifiera sa recommandation 19.

Recommandation finale 19 : Une étude plus approfondie sur une possible discrimination systémique est justifiée, et la GRC doit tenir à jour des statistiques sur les besoins en matière de service et le financement de ses détachements du Nunavut. La GRC doit veiller à ce que tous les résidents du Canada reçoivent un service adéquat, peu importe le lieu où ils résident.

Mesures prises par la GRC en réaction à cette affaire

[124] La preuve présentée à la Commission a démontré que, peu après les incidents des 1er et 2 juin 2020, des discussions internes ont eu lieu à la GRC pour déterminer si les incidents pouvaient donner lieu à des poursuites judiciaires contre la GRC. La GRC a décidé de communiquer avec A. B. pour voir si l'affaire pouvait être réglée de façon informelle sans qu'aucune poursuite ne soit intentée; il s'agissait donc de communiquer avec A. B. pour voir s'il serait disposé à accepter un règlement financier.

[125] À cette fin, la gestionnaire régionale de l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord‑Ouest de la Division « K » (Alberta), qui traite les réclamations des personnes au Nunavut, a appelé A. B. le 18 juin 2020. A. B. a ensuite rappelé la gestionnaire pour discuter davantage de la question. Dans le cadre de ces discussions, la gestionnaire a offert à A. B. un paiement de 7 000 $ pour régler l'affaire.

[126] A. B. était hospitalisé dans un centre de santé mentale lorsque la gestionnaire a communiqué avec lui pour la première fois au nom de la GRC. Il avait récemment été victime de l'agression grave dans des cellules, après avoir été frappé par la porte d'un véhicule de police, comme l'indique la vidéo qui a suscité une attention médiatique considérable. Il avait exprimé des idées suicidaires et éprouvait diverses difficultés sur le plan personnel. De plus, bien qu'A. B. parle et comprenne l'anglais, ce n'est pas sa langue maternelle.

[127] À première vue, on doit se préoccuper du fait que toute personne se trouvant dans une telle situation puisse être vulnérable et être traitée de manière injuste ou qu'elle n'ait pas la capacité de prendre une décision éclairée au sujet de tout règlement proposé.

[128] Dans cette affaire, la Commission a conclu que la gestionnaire avait dit à de nombreuses reprises à A. B. de consulter un avocat avant d'accepter un règlement et qu'elle n'avait pas tenté d'aller de l'avant sans cette étape. Rien n'indiquait qu'A. B. avait été intimidé ou forcé d'accepter un règlement. Il a plutôt participé avec enthousiasme à la discussion et a demandé à plusieurs reprises à d'autres personnes s'il pouvait appeler la gestionnaire pour discuter de la question. En fin de compte, A. B. a obtenu une représentation juridique et, à l'époque où la Commission a interrogé A. B., sa conseillère juridique était toujours dans le processus de négocier un éventuel règlement en son nom.

[129] La Commission a fait remarquer que, malgré l'absence de préoccupations en l'espèce, ces questions ne doivent pas être laissées uniquement à la bonne foi des personnes concernées. C'est pourquoi la Commission a tenté d'examiner les politiques et les procédures applicables pour veiller à ce que des mesures de protection adéquates soient en place.

[130] Après avoir examiné les politiques du Conseil du Trésor applicables, la Commission se préoccupe du fait que la GRC n'a mis en place aucune politique nationale relative au traitement des réclamations ni aucune politique sur cette question à l'échelle régionale et divisionnaire. Une politique nationale antérieure avait apparemment été annulée et n'avait toujours pas été remplacée. De même, l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord‑Ouest n'appliquait aucune politique régissant ses opérations et n'exécutait aucun programme de formation précise à l'intention de ses employés sur la façon de traiter les réclamations. Compte tenu des problèmes potentiels qui pourraient survenir lors des négociations avec les personnes vulnérables, la Commission a conclu que des politiques et une formation supplémentaires étaient nécessaires.

Conclusion 32 : Rien n'indique qu'A. B. ait été intimidé ou autrement contraint à accepter un règlement. La gestionnaire qui a communiqué avec lui au nom de la GRC semblait suivre les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor qui régissent le traitement des réclamations contre divers organismes gouvernementaux et a suggéré à plusieurs reprises à A. B. de prendre le temps de consulter un avocat avant de discuter davantage d'un règlement.

Conclusion 33 : De crainte qu'une personne dans la situation d'A. B. soit vulnérable et puisse être traitée de manière injuste ou qu'elle n'ait pas la capacité de prendre une décision éclairée au sujet de tout règlement proposé, des mesures de protection doivent être mises en place au moyen de politiques, de pratiques et de formation.

Interim Conclusion 34 : La Commission se préoccupe du fait qu'aucune politique nationale, régionale ou de la division n'ait été mise en place en ce qui concerne le traitement des réclamations par la GRC. Il est également préoccupant que l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord-Ouest ne soit pas dotée d'une politique régissant ses opérations et qu'il n'y ait pas de programme de formation spécialisé à l'intention de ses employés sur la façon de traiter les réclamations. 

Recommandation provisoire 16 : La GRC devrait élaborer des politiques à l'échelle nationale ainsi qu'à l'échelle des divisions et des détachements pour régir le traitement des réclamations contre l'État et des paiements à titre gracieux.

Recommandation 17 : Les politiques sur le traitement des réclamations contre l'État devraient contenir des dispositions pour protéger les personnes potentiellement vulnérables, y compris l'exigence que les personnes obtiennent des conseils juridiques indépendants avant de signer toute entente de règlement, ou qu'elles renoncent expressément à ce droit. Les politiques devraient également inclure des dispositions pour aider les gestionnaires et les analystes à s'assurer que les personnes ont la capacité de bien comprendre le processus, de même que les modalités du règlement proposé.

Recommandation 18 : Une formation devrait être élaborée et mise en œuvre à l'intention des employés responsables du traitement des réclamations.

Réponse de la commissaire de la GRC

[131] La commissaire était d'accord avec la conclusion de la Commission au sujet de la situation dans cette affaire, mais s'opposait en partie aux conclusions concernant l'absence de politiques et la nécessité de mettre en œuvre des mesures de protection au moyen de politiques et d'une formation (conclusions 33 et 34).

[132] La commissaire a déclaré que le Centre de décision national en matière de réclamations (CDNR) avait été consulté et qu'il n'appuyait pas la nécessité de politiques, mais qu'il était d'accord avec l'utilité d'une certaine forme de formation. Elle a souligné qu'un instrument de politique national intitulé Normes de pratique nationales (NPN) est en place à la GRC. Cet instrument a été élaboré à l'intention des analystes des réclamations et donne à ces derniers des directives et une orientation nationales pour la gestion des réclamations. Les analystes ont d'ailleurs accès à cet instrument. En plus des NPN, les notes à l'appui de la délégation des pouvoirs de signer des documents financiers de la GRC donnent aux gestionnaires des renseignements et des directives sur le traitement des réclamations; ce document a été approuvé en juillet 2021 et révisé en février 2022.

[133] La commissaire a expliqué que le CDNR estime que ces documents, combinés à la Directive sur les paiements du Conseil du Trésor et à son Guide sur les réclamations, présentent une orientation stratégique adéquate. La commissaire a déclaré qu'elle croyait que la position du CDNR était raisonnable, car tout changement de politique serait simplement susceptible de refléter l'orientation donnée par les outils de réclamation actuellement utilisés. Elle souligne que le professionnalisme et la compétence du personnel de l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord‑Ouest ont été démontrés dans cette affaire.

[134] Cela dit, la commissaire a affirmé que le document des NPN ne traite pas actuellement des détails des communications ou des négociations avec des membres du public potentiellement vulnérables. Par conséquent, la commissaire a accepté d'ordonner au CDNR de modifier le document des NPN pour y inclure des directives sur les communications et les négociations avec les personnes vulnérables, ce que le CDNR s'était engagé à faire lorsqu'il a été consulté au sujet de cette affaire. La commissaire a indiqué qu'il s'agit d'un engagement positif et a donc appuyé cet aspect de la conclusion de la Commission concernant les pratiques nationales.

[135] Pour les mêmes raisons, la commissaire n'a pas appuyé les recommandations de la Commission concernant l'élaboration de politiques. Elle a appuyé la recommandation relative à la formation, affirmant que des séances de formation sur les litiges avaient commencé en 2022 à l'intention des analystes et des gestionnaires des réclamations de la GRC. Elle a souligné que cette formation devrait être récurrente et qu'elle sera augmentée pour inclure de nombreux sujets. La commissaire a affirmé que les séances de formation seront modifiées pour inclure un volet sur la communication et la négociation avec les demandeurs potentiellement vulnérables et le risque accru lié à ces demandes particulières.

[136] La commissaire ajoute que la GRC prépare actuellement un libellé normalisé pour les communications publiques liées aux réclamations. Les séances de formation juridique sont en cours et, dans la mesure du possible, les communications et les négociations avec le public et des populations précises font l'objet de discussions. De plus, les NPN à l'intention des analystes des réclamations sont en cours de remaniement et comprendront des directives sur les communications avec le public.

Analyse de la réponse de la commissaire de la GRC par la Commission

[137] L'information communiquée dans la réponse de la commissaire de la GRC au sujet des politiques nationales qui sont en place pour orienter le travail des analystes et des gestionnaires des réclamations tient compte de bon nombre des préoccupations de la Commission soulevées par la préparation de ces conclusions et recommandations. La Commission est convaincue que la commissaire a accepté de modifier le document des NPN afin d'y inclure des directives sur les communications et les négociations avec les personnes vulnérables, et accueille favorablement l'information donnée au sujet de la formation qui a débuté et qui sera augmentée. Plus précisément, la Commission annonce qu'elle s'engage à ce que les communications et les négociations avec le public et des populations précises soient abordées dans le cadre des séances de formation de la GRC.

[138] Bien que la Commission accueille favorablement la volonté de la commissaire de mettre en œuvre des mesures de protection dans le processus, elle doit également souligner que certaines de ses conclusions et recommandations n'auraient peut‑être pas été nécessaires si la divulgation complète avait été effectuée au début. Au cours de son enquête, la Commission avait présenté à plusieurs reprises à la GRC des demandes de renseignements sur l'existence de politiques pertinentes concernant le traitement des réclamations et n'a pas été informée de l'existence de documents de politique comme les NPN et les notes à l'appui à la délégation des pouvoirs de signer des documents financiers de la GRCNote de bas de page 2. Pour que les enquêtes de la Commission soient efficaces, une divulgation complète et rapide de la part de la GRC est nécessaire, comme l'exige la Loi sur la GRC. La Commission modifiera certaines de ses conclusions et recommandations comme suit pour tenir compte des renseignements récemment communiqués.

Conclusion finale 34 : Il est préoccupant que l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord-Ouest ne soit pas dotée d'une politique régissant ses opérations et qu'il n'y ait pas de programme de formation spécialisé à l'intention de ses employés sur la façon de traiter les réclamations. 

Recommandation finale 16 : La GRC devrait modifier ses instruments de politique afin de rehausser la sensibilisation et l'orientation sur les communications et les négociations avec les personnes vulnérables en ce qui concerne le traitement des réclamations contre l'État et des paiements à titre gracieux.

Conclusions finales

  1. Il y avait des motifs raisonnables de croire qu'A. B. avait commis l'infraction qui consiste à troubler la paix, et il était raisonnable pour le gendarme Keeling de procéder à son arrestation pour avoir commis cette infraction.
  2. Il était raisonnable pour le gendarme Keeling et les autres membres de la GRC de procéder rapidement à l'arrestation d'A. B.  
  3. Les éléments de preuve ne montrent pas que le gendarme Keeling avait l'intention de frapper A. B. avec la porte du véhicule de police. Les renseignements disponibles font plutôt ressortir qu'il s'agit d'un accident qui s'est produit lorsque le véhicule de police a fait une embardée vers l'avant, alors que les conditions routières étaient mauvaises, dans une tentative infructueuse de s'immobiliser près d'A. B.
  4. Il était dangereux et déraisonnable pour le gendarme Keeling d'avoir conduit son véhicule de police aussi près d'A. B. sur une route glacée et en mauvais état. Au moment d'évaluer les risques que présentait la situation, le gendarme Keeling aurait dû adéquatement tenir compte de l'état de la chaussée et de tous les autres facteurs.
  5. La Commission est convaincue que des mesures correctives adéquates ont été prises à l'égard de la conduite du gendarme Keeling et qu'aucune autre mesure n'est nécessaire.
  6. Compte tenu du fait qu'A. B. résistait activement et avait un comportement agressif, il était nécessaire et raisonnable que les membres de la GRC aient recours à la force au cours de son arrestation. La force employée par les membres de la GRC était proportionnelle au comportement d'A. B., et était raisonnable dans les circonstances.
  7. A. B. n'a pas été informé de façon significative de son droit de consulter un conseiller juridique et ne s'est pas vu donner l'occasion d'en consulter un lorsqu'il était redevenu sobre, au détachement.
  8. Tout en reconnaissant que la sécurité des prisonniers et des membres de la GRC est de la plus haute importance, la Commission rappelle que les fouilles à nu ne doivent pas être effectuées de façon systématique.
  9. En l'espèce, il était raisonnable et dans l'intérêt de la sécurité d'A. B. que les membres de la GRC lui retirent ses vêtements mouillés.
  10. Pour la sécurité de toutes les parties, il était raisonnable qu'un certain nombre de membres de la GRC participent à la fouille.  
  11. A. B. aurait dû se voir offrir une couverture ou une blouse, si cela pouvait être fait en toute sécurité, d'autant plus que la raison pour laquelle les gendarmes lui ont retiré ses vêtements était pour sa propre sécurité afin d'éviter qu'il souffre d'hypothermie.
  12. Dans l'ensemble, le recours à la force par les membres de la GRC pendant la fouille d'A. B. n'était pas déraisonnable. Néanmoins, la Commission avise les membres de la GRC d'utiliser le minimum de force nécessaire dans une situation donnée. 
  13. Il était raisonnable pour les membres de la GRC de ne pas demander que des soins médicaux soient prodigués à A. B. après son arrestation, car rien n'indiquait qu'il avait besoin de soins médicaux à ce moment-là.
  14. Le manque d'espace pour les prisonniers a créé un environnement dangereux pour les détenus, les membres de la GRC et le personnel du détachement.
  15. Le fait que J. J. n'ait pas été décontaminé avant d'être placé dans la cellule a été exacerbé par le manque d'eau du robinet dans la cellule en raison d'un lavabo brisé, entraînant une situation inacceptable dans laquelle le prisonnier a utilisé à plusieurs reprises l'eau de la cuvette de toilette pour soulager son inconfort. Cela a soulevé de graves préoccupations en matière de santé et de sécurité, et le fait que A. B. partage une cellule avec J. J. a contribué à accroître le risque pour A. B.
  16. Conformément aux politiques de la GRC, J. J. aurait dû recevoir de l'eau pour se décontaminer, surtout lorsqu'il était évident qu'il éprouvait de l'inconfort.
  17. Il était déraisonnable que la bouteille de solution de lavage oculaire ait été laissée vide et qu'elle ait été placée dans un endroit peu pratique.
  18. Il était déraisonnable que le lavabo de la cellule no 3 soit laissé dans un état non fonctionnel, apparemment pendant deux ans.
  19. Il était raisonnablement prévisible que le fait de mettre J. J. et A. B. dans la même cellule pouvait avoir des conséquences négatives. Le fait de loger J. J. et A. B. dans la même cellule a créé un environnement dans lequel des voies de fait graves ont été commises.
  20. La décision de placer J. J. et A. B. dans la même cellule était le résultat direct du manque d'options acceptables offertes aux membres de la GRC en raison du manque d'espace pour les prisonniers.  
  21. L'état physique du détachement de Kinngait présentait des lacunes importantes, ce qui posait des risques pour la santé et la sécurité. Il était déraisonnable que le détachement soit dans cet état. En tant qu'institution, la GRC était chargée de maintenir le détachement et le bloc cellulaire dans un état qui ne présenterait aucun risque inacceptable pour la santé et la sécurité des membres de la GRC et des détenus.
  22. Il était déraisonnable de laisser le plancher de la cellule couvert de divers liquides organiques pendant plus de dix heures. 
  23. Il était déraisonnable pour la GRC que le détachement de Kinngait manque de personnel au point de compter moins de la moitié du nombre de policiers nécessaires.
  24. Le sergent Gill a assuré une supervision inadéquate du gardien. Bien que le gardien ait été de bonne foi et ait semblé déterminé à faire le meilleur travail possible dans des circonstances difficiles, il est évident qu'il y a eu de nombreuses infractions à la politique de la GRC concernant la tenue de dossiers et d'autres tâches exécutées par le gardien.
  25. La formation dispensée au gardien par la GRC n'était pas adéquate. Cette formation semble avoir fourni une compréhension de base des rôles et des responsabilités d'un gardien, mais ne pas avoir adéquatement abordé les exigences de la politique de la GRC.
  26. Les membres de la GRC ont rapidement demandé de l'assistance médicale pour A. B. après qu'il a été agressé.
  27. Étant donné qu'A. B. continuait d'agir de façon imprévisible, il était raisonnable pour le sergent Gill de décider de faire venir l'infirmière au détachement au lieu d'amener A. B. au centre de santé.
  28. Il était raisonnable pour les membres de la GRC de se fier à l'opinion de l'infirmière A selon laquelle A. B. pouvait continuer d'être logé dans une cellule jusqu'à ce que son état soit évalué plus tard.  
  29. Il était déraisonnable pour les membres de la GRC qui étaient présents lors de la visite de l'infirmière A (la gendarme Sturge, le gendarme Cholette, le gendarme Smith et le sergent Gill) de ne pas avoir clairement transmis le plan de soins de santé concernant A. B. qui avait été recommandé par l'infirmière A et accepté par les membres de la GRC, et de ne pas avoir consigné ce plan dans le Rapport sur le prisonnier. Ce manque de continuité des soins aurait pu entraîner un risque pour la santé d'A. B.
  30. Une fois que les membres de la GRC de service le lendemain ont été informés qu'A. B. devait avoir une évaluation physique, ils ont pris des mesures pour qu'elle soit effectuée peu après.
  31. Le gardien et les membres de la GRC auraient dû tenter de prodiguer les premiers soins à A. B., si cela pouvait être fait en toute sécurité.
  32. Rien n'indique qu'A. B. ait été intimidé ou autrement contraint à accepter un règlement. La gestionnaire qui a communiqué avec lui au nom de la GRC semblait suivre les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor qui régissent le traitement des réclamations contre divers organismes gouvernementaux et a suggéré à plusieurs reprises à A. B. de prendre le temps de consulter un avocat avant de discuter davantage d'un règlement.
  33. De crainte qu'une personne dans la situation d'A. B. soit vulnérable et puisse être traitée de manière injuste ou qu'elle n'ait pas la capacité de prendre une décision éclairée au sujet de tout règlement proposé, des mesures de protection doivent être mises en place au moyen de politiques, de pratiques et de formation.
  34. Il est préoccupant que l'Unité des réclamations, des litiges et des services consultatifs du Nord-Ouest ne soit pas dotée d'une politique régissant ses opérations et qu'il n'y ait pas de programme de formation spécialisé à l'intention de ses employés sur la façon de traiter les réclamations.
  35. Aucun élément de preuve n'indique que les gestes posés par chaque membre de la GRC étaient influencés par des préjugés raciaux ou que l'un ou l'autre des membres de la GRC ait fait preuve d'un comportement discriminatoire envers A. B.
  36. Le niveau de services fourni au détachement de Kinngait était nettement insuffisant. Le manque de ressources observé est tel qu'il soulève des préoccupations quant à une possible discrimination systémique.

Recommandations finales

  1. La GRC devrait concevoir et offrir une formation sur la conduite des véhicules de police dans la poursuite de suspects qui sont à pied et sur l'attention particulière à porter en cas de conduite de véhicule à proximité de piétons.
  2. La GRC devrait continuer de veiller à ce que ses membres suivent une formation sur la conduite dans de mauvaises conditions, y compris la conduite hors route et sur des routes de gravier, et devrait offrir une formation supplémentaire aux membres de la GRC, en fonction des besoins, sur les dangers que représente l'état particulier des routes à certains endroits, y compris les régions nordiques.
  3. Les membres de la GRC qui ont participé à la fouille d'A. B. (le gendarme Keeling, le gendarme Smith, le gendarme Cholette et le sergent Gill à titre de superviseur) devraient recevoir une orientation opérationnelle concernant la fourniture d'une couverture ou d'une blouse aux prisonniers.
  4. Les locaux du détachement de Kinngait devraient être agrandis pour en augmenter la capacité jusqu'à dix cellules.
  5. Le gendarme Keeling et le sergent Gill devraient recevoir une orientation opérationnelle sur l'importance de décontaminer les prisonniers.
  6. Les lavabos et les toilettes des cellules du détachement de Kinngait devraient être réparés et entretenus conformément à la politique de la GRC.
  7. La bouteille de solution de lavage oculaire dans le détachement de Kinngait devrait être rangée à un endroit accessible et remplie régulièrement.
  8. La GRC devrait mettre pleinement en œuvre les recommandations du rapport final de l'examen de la GRC par un agent indépendant en ce qui a trait à l'état physique du détachement de Kinngait.
  9. La GRC devrait envisager de remplacer complètement le bâtiment du détachement de Kinngait.
  10. Tous les membres de la GRC présents dans le bloc cellulaire cette nuit-là (le gendarme Keeling, le gendarme Smith, le gendarme Cholette, la gendarme Sturge et le sergent Gill) devraient recevoir une orientation opérationnelle sur l'importance de nettoyer les cellules en temps opportun.
  11. La GRC devrait assurer une dotation adéquate de tous ses détachements, y compris le détachement de Kinngait.
  12. La GRC devrait mettre pleinement en œuvre les recommandations du rapport final de l'examen de la GRC par un agent indépendant en ce qui concerne les pratiques et la formation des gardiens.
  13. Le sergent Gill devrait recevoir une orientation opérationnelle concernant la supervision et la formation adéquates qu'il doit fournir aux gardiens du détachement conformément à la politique de la GRC.
  14. La gendarme Sturge, le gendarme Cholette, le gendarme Smith et le sergent Gill devraient recevoir une orientation opérationnelle sur l'importance de consigner et de communiquer clairement l'information sur les soins médicaux dont a besoin un prisonnier.
  15. La GRC devrait publier un bulletin soulignant que les possibles blessures à la tête des prisonniers doivent être abordées avec le plus grand sérieux, que les membres de la GRC devraient opter pour la plus grande prudence et demandent toujours, dans de telles situations, des évaluations rapides d'un professionnel de la santé, et que les membres de la GRC devraient être conscients qu'un état d'ébriété peut masquer les symptômes d'une blessure à la tête sous-jacente.
  16. La GRC devrait modifier ses instruments de politique afin de rehausser la sensibilisation et l'orientation sur les communications et les négociations avec les personnes vulnérables en ce qui concerne le traitement des réclamations contre l'État et des paiements à titre gracieux.
  17. Les politiques sur le traitement des réclamations contre l'État devraient contenir des dispositions pour protéger les personnes potentiellement vulnérables, y compris l'exigence que les personnes obtiennent des conseils juridiques indépendants avant de signer toute entente de règlement, ou qu'elles renoncent expressément à ce droit. Les politiques devraient également inclure des dispositions pour aider les gestionnaires et les analystes à s'assurer que les personnes ont la capacité de bien comprendre le processus, de même que les modalités du règlement proposé.
  18. Une formation devrait être élaborée et mise en œuvre à l'intention des employés responsables du traitement des réclamations.
  19. Une étude plus approfondie sur une possible discrimination systémique est justifiée, et la GRC doit tenir à jour des statistiques sur les besoins en matière de service et le financement de ses détachements du Nunavut. La GRC doit veiller à ce que tous les résidents du Canada reçoivent des services adéquats, peu importe le lieu où ils résident.
  20. La GRC devrait entamer des discussions immédiates avec le gouvernement du Nunavut et d'autres partenaires pour s'assurer que des ressources et des fonds suffisants sont fournis à ses détachements du Nunavut afin que le détachement de Kinngait, comme tout autre détachement du Nunavut confronté à des circonstances semblables, soit en mesure de fournir un niveau de service adéquat.

Conclusion

[139] La Commission a terminé son enquête sur cette plainte. Après avoir examiné la réponse de la commissaire de la GRC, la Commission formule les conclusions et les recommandations finales dans le présent rapport final, et son enquête d'intérêt public est maintenant terminée.

La présidente,
Michelaine Lahaie

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