Enquête d'intérêt public sur les agissements des membres de la GRC relativement aux audiences de l’Office national de l'énergie tenues en Colombie-Britannique

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Paragraphe 45.76(1)

Plaignante : Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique

Table des matières

Introduction

Plainte et enquête d'intérêt public

Examen des faits liés aux événements par la CCETP

  • Projet Northern Gateway
  • Office national de l'énergie
    1. Mandat de l'Office national de l'énergie (ONE)
    2. Audiences de l'ONE
    3. Rôle de l'ONE en matière de sécurité et de renseignement
    4. Interactions entre la GRC et l'ONE
    5. Commentaires sur les activités de collecte de renseignements de l'ONE
  • Gendarmerie royale du Canada
    1. Mandat de la GRC et services de police axés sur le renseignement
    2. L'intégration et le partage d'informations au sein de la GRC
    3. Groupe de travail conjoint – Développement de ressources
    4. Renseignement et maintien de l'ordre
  • Processus d'audience publique et contexte factuel
  • Niveau de menace

Première allégation : La GRC aurait surveillé de manière abusive des personnes et des groupes participant ou cherchant à participer aux audiences de l'ONE

  1. Présence de la GRC aux audiences de l'ONE
  2. Surveillance d'une manifestation au palais de justice de Prince Rupert
  3. Surveillance des manifestations par l'Équipe des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles
  4. Surveillance par des membres non identifiés de groupes et de personnes cherchant à participer aux audiences de l'ONE

Deuxième allégation : La GRC s'est livrée de façon inappropriée à des activités secrètes de collecte de renseignements ou d'infiltration d'organisations pacifiques

Troisième allégation : La GRC a indûment divulgué des renseignements concernant des personnes et des groupes

  1. Partage de renseignements avec Ressources naturelles Canada
  2. Partage de renseignements avec l'Office national de l'énergie

« Effet dissuasif » allégué des activités de la GRC

Conclusion

Annexe A – Plainte de l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique datée du 6 février 2014

Annexe B – Enquête d'intérêt publique datée du 20 février 2014

Annexe C – Résumé des conclusions et des recommandations

Format PDF

Liens connexes

Introduction

[1] En 2012 et 2013, l'Office national de l'énergie (ONE) a procédé à une série d'audiences publiques dans le cadre du processus d'évaluation de la proposition du projet Northern Gateway visant la construction d'un oléoduc qui relierait les sables bitumineux de l'Alberta et un port situé en Colombie‑Britannique.L'oléoduc et tout ce qui s'y rattache ont soulevé un véritable tollé, particulièrement au sein des peuples autochtones et des groupes de protection de l'environnement. Un vent de protestations a soufflé d'un bout à l'autre du Canada, et l'on a vu naître le mouvement Idle No More.

[2] C'est en Colombie‑Britannique que s'est tenue la majorité des audiences de l'ONE, dont certaines qui ont été le théâtre de manifestations. Bien qu'elles aient été pour la plupart pacifiques, certains incidents sont tout de même survenus qui ont eu pour effet de perturber le bon déroulement des audiences et de susciter des préoccupations chez l'ONE. En tant que force de police ayant compétence sur presque tout le territoire de la Colombie‑Britannique et ayant pour mandat de protéger la sécurité nationale et les infrastructures essentielles, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a été appelée en renfort pour assurer la sécurité lors de ces événements et évaluer les possibles menaces d'acte criminel. En plus de dépêcher à plusieurs reprises des membres sur les lieux des audiences et des manifestations, la GRC a procédé à des activités de collecte de renseignements en vue de manifestations et de protestations prévues afin d'évaluer le risque que des activités criminelles y soient commises.

[3] L'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique (BCCLA) a soulevé un certain nombre de préoccupations concernant les activités de la GRC en rapport avec les manifestations, les protestations et les autres moyens licites pris pour exprimer tout désaccord envers le projet d'oléoduc en marge des audiences. Les allégations de la BCCLA remettent en question la capacité de la GRC de s'acquitter de ses obligations en matière d'application de la loi et de sécurité nationale tout en respectant la dissidence licite. Le présent rapport se veut un examen détaillé de la conduite de la GRC relativement aux allégations.

Plainte et enquête d'intérêt public

[4] La Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP) a reçu la plainte de la BCCLA le 6 février 2014 (Annexe A). La BCCLA y soutient, d'après des documents obtenus à la suite d'une demande présentée au titre de Loi sur l'accès à l'information, que des membres de la GRC :

  1. ont surveillé de façon abusive les activités de diverses personnes et de divers groupes cherchant à participer aux audiences de l'ONE;
  2. se sont livrés de façon inappropriée à des activités secrètes de collecte de renseignements ou d'infiltration d'organisations pacifiques;
  3. ont indûment divulgué des renseignements concernant des personnes et des groupes.

[5] Le 20 février 2014, la CCETP a avisé le ministre de la Sécurité publique et le commissaire de la GRC qu'elle mènerait une enquête d'intérêt public sur la plainte de la BCCLA (Annexe B) en vertu du pouvoir conféré par le paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC) [maintenant le paragraphe 45.66(1)].

[6] Le 20 février 2014, la CCETP a également avisé la BCCLA qu'elle mènerait une enquête d'intérêt public en réponse à sa plainte.

[7] Aux termes du paragraphe 45.76(1) de la Loi sur la GRC, la CCETP doit exposer dans un rapport écrit ses conclusions et ses recommandations au sujet de la plainte. Le présent rapport porte donc sur l'examen qu'elle a fait des événements et de la conduite des membres de la GRC en lien avec les audiences de l'ONE en Colombie‑Britannique. Le rôle de la CCETP consiste à examiner la conduite de membres de la GRC dans l'exercice de leurs fonctions d'après la formation, les politiques, les procédures, les lignes directrices et les exigences réglementaires applicables et, s'il y a lieu, à formuler des recommandations pour que la GRC puisse corriger le tir. Le présent rapport rend compte de l'enquête menée par la CCETP sur les préoccupations soulevées dans la plainte, ainsi que des conclusions et recommandations issues de celle‑ci. Un résumé des conclusions et des recommandations de la CCETP figure à l'Annexe C.

Examen des faits liés aux événements par la CCETP

[8] Il convient de dire que la CCETP est un organisme du gouvernement fédéral distinct et indépendant de la GRC. Quand elle mène une enquête d'intérêt public, elle ne défend les intérêts ni du plaignant ni de la GRC. Le rôle de la CCETP consiste à tirer des conclusions après un examen objectif de la preuve et, s'il y a lieu, à formuler des recommandations relativement aux mesures que la GRC peut prendre pour améliorer ou corriger la conduite de ses membres.

[9] Les conclusions de la CCETP, exposées en détail ci‑après, sont fondées sur un examen attentif des nombreux documents d'enquête ainsi que des lois et des politiques applicables de la GRC. Il faut mentionner que les conclusions et les recommandations formulées par la CCETP ne sont pas de nature criminelle, pas plus qu'elles ne visent à évoquer une quelconque culpabilité criminelle. Les plaintes du public sont résolues dans le cadre d'un processus quasi judiciaire où les éléments de preuve sont évalués selon la prépondérance des probabilités. Même si certains des termes utilisés dans le présent rapport peuvent aussi être utilisés dans un contexte criminel, leur utilisation ne vise aucunement les exigences du droit pénal en ce qui a trait à la culpabilité, à l'innocence ou à la norme de preuve.

[10] La CCETP s'est également appuyée, dans une large mesure, sur sa propre enquête indépendante, qui comprenait l'examen de plusieurs milliers de pages de documents fournies par la GRC à l'échelon national et divisionnaire (provincial) et des discussions avec des fonctionnaires de la GRC. La CCETP tient à souligner que la Division « E » de la GRC (Colombie‑Britannique) a offert à la CCETP une collaboration pleine et entière tout au long du processus d'enquête d'intérêt public.

Projet Northern Gateway

[11] Le Canada possède la troisième plus grande réserve de pétrole au mondeNote de bas de page 1. Selon Ressources naturelles Canada, « [l]e total des réserves prouvées de pétrole au Canada est évalué à 171 milliards de barils, dont 166,3 milliards de barils se trouvent dans les sables bitumineux de l'Alberta et 4,7 milliards de barils, dans les formations de pétrole classique, extracôtier et de réservoirs étanches »Note de bas de page 2. Bien qu'elle abrite la quasi-totalité des réserves de pétrole canadiennes, l'Alberta est enclavée, ce qui complique considérablement le transport du pétrole tant sur le sol canadien que vers les marchés aux États‑Unis et dans le monde. C'est pourquoi les oléoducs sont si importants pour le transport de cette ressource.

[12] Le projet Northern Gateway vise la construction d'un oléoduc double devant [traduction] « [...] s'étendre sur 1 177 km de Bruderheim (Alberta) jusqu'au port en eaux profondes de Kitimat, dans le nord de la Colombie‑Britannique »Note de bas de page 3. L'un des buts principaux du projet est d'ouvrir au pétrole canadien l'accès aux marchés internationaux, en particulier ceux des raffineurs actuels et futurs en Asie et sur la côte Ouest des États‑UnisNote de bas de page 4.

the route for the pipeline
Source de l'image : NorthernGateway.ca

[13] Le tracé pipelinier traverserait à proportions presque égales des terres publiques et des terres privées en Alberta, tandis que plus de 90 % des terres traversées en Colombie‑Britannique seraient des terres publiques provinciales. Mais « [t]ant en Alberta qu'en Colombie‑Britannique, le tracé passerait par un grand nombre de terres utilisées à des fins traditionnelles par des groupes autochtones »Note de bas de page 5. Outre le pipeline, le projet « [...] nécessiterait la construction et l'exploitation d'un terminal à Kitimat comportant deux postes d'accostage pour les navires-citernes, trois réservoirs de stockage de condensat et 16 réservoirs de stockage de pétrole »Note de bas de page 6.

[14] Le projet devrait coûter 7,9 milliards de dollars et être achevé avant la fin de 2018Note de bas de page 7. Kitimat deviendrait un endroit beaucoup plus achalandé qui accueillerait de 190 à 250 navires‑citernes par annéeNote de bas de page 8. Le projet pourrait s'échelonner sur une période de 50 ans, voire plus.

[15] Dans le cadre du processus d'approbation, le projet a fait l'objet d'une analyse approfondie par une commission d'examen conjoint formée en 2009 par l'ONE et le ministre de l'Environnement, en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et de la Loi sur l'Office national de l'énergieNote de bas de page 9. Le mandat de la commission était de « faire un examen environnemental du projet et de présenter un rapport faisant une recommandation à savoir si le projet est dans l'intérêt public ou non »Note de bas de page 10. La commission était composée de deux membres de l'ONE et d'un troisième membre nommé sur une base temporaireNote de bas de page 11.

[16] Définie comme un tribunal spécialisé, la commission d'examen conjoint devait « [...] déterminer si la demande comportait suffisamment de renseignements, tenir une audience publique et réaliser une analyse technique du projet en fonction de tous les éléments de preuve, afin de recommander l'approbation ou le refus du projet »Note de bas de page 12. La commission devait faire rapport de ses conclusions et de ses recommandations au gouverneur en conseil afin qu'il se prononce sur l'approbation du projet.

[17] Le 19 décembre 2013, le projet a été approuvé par la commission d'examen conjoint, sous réserve de 209 conditions (notamment l'obligation de consulter les groupes autochtones touchés pendant la planification, la construction et la réalisation du projet et de prendre des engagements au regard de l'environnement et de la surveillance, des mesures de préparation et d'intervention en cas d'urgence, et des retombées économiques). Le gouvernement fédéral a approuvé le projet Northern Gateway le 17 juin 2014, après quoi le gouverneur en conseil a demandé à l'Office national de l'énergie de délivrer les certificats d'utilité publique nécessaires au projet. Tout au long du processus d'approbation, le projet a suscité une vaste couverture médiatique et a fait grand bruit au sein de la populationNote de bas de page 13.

[18] En juin 2016, la Cour d'appel fédérale a annulé l'approbation du projet Northern Gateway au motif que le gouvernement fédéral avait fait fi de son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones touchés par l'oléoducNote de bas de page 14. Cette décision faisait suite à une demande de contrôle judiciaire visant l'approbation du projet présentée par un certain nombre de groupes autochtones de la Colombie‑Britannique. Le gouvernement fédéral a par la suite décidé de ne pas porter la décision en appeNote de bas de page 15 et a annoncé le 29 novembre 2016 qu'il n'approuverait pas le projet Northern GatewayNote de bas de page 16.

Office national de l'énergie

a. Mandat de l'Office national de l'énergie (ONE)

[19] L'ONE est l'organisme indépendant canadien qui réglemente l'énergie et la sécurité. Fondé en 1959 sur les recommandations de la Commission royale d'enquête sur l'énergieNote de bas de page 17, l'ONE a pour mandat de « promouvoir, dans l'intérêt public canadien, la sûreté et la sécurité, la protection de l'environnement et l'efficience économique au chapitre de la réglementation des pipelines, de la mise en valeur des ressources énergétiques et du commerce de l'énergie »Note de bas de page 18.

[20] Les principales responsabilités de l'ONE sont définies dans la Loi sur l'Office national de l'énergie (Loi sur l'ONE) et comprennent la réglementation du cycle de vie complet de chaque projet de pipeline qui traverse des frontières internationales ou provinciales. Avant qu'un pipeline puisse être construit, le promoteur doit déposer une demande auprès de l'ONE, qui doit évaluer la conception, la construction et l'exploitation proposées afin d'assurer la sécurité et une protection adéquate de l'environnement et déterminer si le projet sert l'intérêt publicNote de bas de page 19.

b. Audiences de l'ONE

[21] Dans son rapport annuel, l'ONE affirme « [...] écoute[r] ce que les Canadiennes et les Canadiens ont à dire au sujet de la façon dont l'infrastructure énergétique est mise en œuvre et réglementée. Pour ce faire, il entretient avec la population un dialogue utile sur les enjeux et les solutions et lui communique de l'information sur ses initiatives au chapitre de la réglementation »Note de bas de page 20.

[22] L'ONE tient des audiences publiques dans le cadre du processus d'évaluation des projets énergétiques d'envergure, ce qui comprend les oléoducs internationaux ou interprovinciaux comme le projet Northern Gateway. Une audience publique « [...] donne l'occasion aux participants d'exprimer leur point de vue et, peut-être, de poser des questions sur un projet ou une demande, ou d'y répondre. L'Office obtient ainsi les renseignements dont il a besoin pour formuler une recommandation ou une décision transparente, juste et objective sur l'autorisation ou non d'exécuter un projet ou sur l'approbation d'une demande »Note de bas de page 21. Pendant une audience, les sujets abordés comprennent généralement le plan conceptuel et la sécurité du projet, les questions environnementales, les effets du projet sur les groupes autochtones directement touchés, les questions socioéconomiques et foncières, la faisabilité économique du projet, et l'intérêt public canadienNote de bas de page 22.

[23] Le site Web de l'ONE contient des renseignements sur les audiences à venir, sur la marche à suivre pour y prendre partNote de bas de page 23 et sur son Programme d'aide financière aux participants. De plus, l'organisme est très présent sur les réseaux sociaux, dont Twitter (@ONE_NEBCanada), où, à l'aide du mot‑clic #audienceONE, il transmet informations, liens vers la documentation et mises à jour en temps réel sur les exposés et les sujets discutés pendant les audiences publiques. Les personnes qui ne peuvent pas assister aux audiences en personne peuvent les visionner en direct sur le site Web de l'ONE.

c. Rôle de l'ONE en matière de sécurité et de renseignement

[24] L'ONE fait partie du portefeuille de Ressources naturelles Canada, dont le mandat englobe la protection des infrastructures essentielles relevant de la compétence fédérale. La GRC et Ressources naturelles Canada sont tous deux responsables d'assurer la sécurité de l'infrastructure essentielle canadienne, Ressources naturelles Canada étant précisément désigné pour assurer la protection de l'infrastructure énergétique, qui comprend les lignes de transmission de l'énergie et les pipelines d'hydrocarbures. Le Canada définit les « infrastructures essentielles » comme « les processus, les systèmes, les installations, les technologies, les réseaux, les biens et les services qui sont essentiels à la santé, à la sécurité ou au bien‑être économique des Canadiens et des Canadiennes, ainsi qu'au fonctionnement efficace du gouvernement »Note de bas de page 24. La perturbation de ces infrastructures essentielles « pourrait se traduire en pertes de vie et en effets économiques néfastes, et pourrait considérablement ébranler la confiance du grand public »Note de bas de page 25. La vulnérabilité des infrastructures essentielles aux attaques comme des actes de sabotage et de terrorisme est bien établie, ces systèmes étant généralement imposants, décentralisés et difficiles à protégerNote de bas de page 26.

[25] La Loi de 2002 sur la sécurité publique, adoptée par le Parlement en 2004, modifiait la Loi sur l'Office national de l'énergie afin d'accroître « les attributions de l'Office national de l'énergie pour qu'elles incluent les questions relatives à la sécurité des pipelines et des lignes de transmission internationales »Note de bas de page 27.

[26] L'ONE est réputé pour « [...] joui[r] d'une grande autonomie dans [se]s activités, y compris dans [se]s interactions avec des composantes de la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement »Note de bas de page 28. Pour s'acquitter de leur mandat de protection des infrastructures essentielles, la GRC et Ressources naturelles Canada partagent des informations et des renseignementsNote de bas de page 29. Outre ses interactions avec les organismes d'application de la loi, l'ONE partage également des informations avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), et Ressources naturelles Canada peut être consulté par le Centre intégré d'évaluation des menacesNote de bas de page 30 (CIEM) en ce qui concerne « les sujets relevant de sa compétence ou lors de la préparation d'une évaluation des risques »Note de bas de page 31.

[27] Dans le contexte d'un processus d'audience publique, l'un des objectifs bien définis de l'ONE consiste à entendre la voix de ceux qui sont directement touchés par un projet, dans un environnement sûr et respectueux. L'ONE place au sommet de ses priorités la sécurité des participants et des citoyens présents à ses audiences. À cette fin, il consulte le Code canadien du travail pour être sûr de répondre à tous les critères de sécurité d'une audience publiqueNote de bas de page 32.

[28] L'ONE indique dans son Rapport annuel qu'il «  soumet préalablement le lieu d'une audience à une évaluation de sécurité [...] et regarde des éléments comme l'information accessible au public pour juger de tout événement déjà prévu qui pourrait influer sur une audience. Il effectue cette évaluation avec les responsables locaux et des collègues fédéraux comme les membres de la GRC »Note de bas de page 33. L'évaluation de sécurité est ensuite utilisée pour veiller à mettre en place des agents de sécurité, des plans d'évacuation d'urgence et d'autres plans visant à protéger tous les participants.

d. Interactions entre la GRC et l'ONE

[29] Comme il a été indiqué précédemment, la GRC et Ressources naturelles Canada partagent des informations et des renseignements pour s'acquitter de leur mandat respectif qui consiste à protéger les infrastructures essentielles, et l'ONE collabore avec des responsables locaux et des collègues fédéraux (dont la GRC) pour réaliser des évaluations de sécurité visant les lieux des audiences publiquesNote de bas de page 34.

[30] Constituée dans le cadre du Programme des enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale de la GRC, l'Équipe des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles (ERIE) de la GRC veille plus particulièrement à la réalisation des mandats de protection des infrastructures essentielles du gouvernement du Canada. Ce faisant, elle est chargée de « [...] produire des évaluations des menaces et des risques, de donner des indications et des avertissements et d'évaluer les renseignements relatifs aux infrastructures essentielles. En outre, elle appuie les enquêtes concernant les menaces envers les infrastructures essentielles »Note de bas de page 35. Ses évaluations des menaces portent précisément sur des menaces criminelles et n'empiètent en rien sur le droit à manifester et à exprimer son désaccord de façon licite et non violente.

[31] Selon le site Web de la GRC, l'ERIE [traduction] « collabore étroitement avec des partenaires au sein des gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi qu'avec d'autres organismes d'exécution de la loi et intervenants du secteur privé. Dans le cadre de son mandat, l'ERIE a mis au point le Système de signalement des incidents suspects pour recueillir auprès de l'industrie et des forces de l'ordre des données sur les incidents suspects qui intéressent peut‑être la sécurité nationaleNote de bas de page 36.

[32] L'ONE et la GRC ont conclu une entente pour que l'ONE ait accès à ce système. Il est bien établi dans le préambule de cette entente que le partage et la protection de renseignements entre les intervenants chargés des infrastructures essentielles, le gouvernement du Canada et ses partenaires du domaine de la sécurité (dont fait partie la GRC) représentent un élément fondamental de la protection des infrastructures essentielles. Selon les modalités de cette entente, l'ONE est tenu de signaler les incidents suspects semblant indiquer une possible menace criminelle visant les infrastructures essentielles canadiennes. De son côté, la GRC transmet à l'ONE les évaluations sur les menaces criminelles potentielles pour les infrastructures essentielles d'après des données obtenues du Système de signalement des incidents suspects et d'autres sources d'information.

[33] Au regard de la protection contre la divulgation de renseignements personnels, il convient de noter qu'il n'est nullement question aux termes de l'entente de recueillir des renseignements personnels et que l'ONE doit prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger la confidentialité des renseignements tirés du système contre tout accès, usage ou divulgation accidentel ou non autorisé. L'ONE doit traiter les données tirées du système en tenant compte des cotes de sécurité et en respectant chaque réserve, condition et modalité qui leur est rattachée. Par ailleurs, l'ONE n'est pas autorisé à partager avec une tierce partie les renseignements tirés du Système de signalement des incidents suspects sans avoir obtenu l'autorisation préalable de la GRC.

[34] Le partage de renseignements entre la GRC et l'ONE en rapport avec les audiences tenues par ce dernier est l'objet du présent rapport.

e. Commentaires sur les activités de collecte de renseignements de l'ONE

[35] Dans sa plainte publique, l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique (BCCLA) affirme d'entrée de jeu que [traduction] « [...] il a récemment été rapporté dans les médias que l'Office national de l'énergie [...] s'était livré à des activités de collecte d'informations et de renseignements systématiques au sujet d'organisations cherchant à participer à ses audiences sur le projet Northern GatewayNote de bas de page 37.

[36] Citant des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, la BCCLA ajoute que [traduction] « ces activités de collecte d'informations et de renseignements ont été entreprises avec la coopération et la participation de la GRC et d'autres organismes d'application de la loi, et la GRC a partagé des renseignements avec du personnel de sécurité de l'ONE, le Service canadien du renseignement de sécurité [...] et des firmes de sécurité privées du secteur pétrolier »Note de bas de page 38.

[37] Sur la foi de ces documents, la BCCLA fait valoir que [traduction] « [...] les organismes ciblés sont vus comme des risques potentiels à la sécurité pour la simple et bonne raison qu'ils militent pour la protection de l'environnement »Note de bas de page 39.

[38] La CCETP n'a pas compétence pour se prononcer sur la conduite de l'ONE. Cela dit, comme il a été mentionné précédemment, la Loi sur l'Office national de l'énergie, la Loi sur la sécurité publique ainsi que le mandat de l'ONE et son rapport annuel indiquent sans équivoque que l'ONE a un mandat de partage d'informations et de renseignements avec la GRC et d'autres organismes du renseignemen, un fait qui a été établi par une enquête judiciaire antérieureNote de bas de page 40. Dans ce contexte, la CCETP examinera donc la conduite des membres de la GRC qui ont dirigé les activités reprochées par la BCCLA dans sa lettre concernant la surveillance et la divulgation de renseignements relativement aux audiences de l'ONE ou y ont pris part.

Gendarmerie royale du Canada

a. Mandat de la GRC et services de police axés sur le renseignement

[39] En common law, les devoirs qui incombent aux agents de police (notamment ceux de la GRC) comprennent le maintien de la paix, la prévention du crime et la protection de la vie des personnes et des biensNote de bas de page 41. L'article 18 de la Loi sur la GRC dresse une liste des fonctions incombant aux membres de la GRC en vertu de la loi; ces fonctions comprennent l'application des lois, l'exécution de mandats, la prévention du crime et le maintien de la paixNote de bas de page 42. Le site Web de la GRC décrit son mandat général, dont voici un extrait :

[...] freiner les activités criminelles et enquêter sur elles; assurer le maintien de la paix et de l'ordre; faire respecter les lois; contribuer à la sécurité nationale; assurer la sécurité des représentants de l'État, des dignitaires en visite et des missions étrangères; offrir des services de soutien opérationnel essentiels aux autres services de police et organismes d'exécution de la loi au Canada et à l'étrangerNote de bas de page 43.

[40] Au titre du paragraphe 6(1) de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, la GRC est le principal organisme responsable d'appliquer la loi sur la sécurité nationaleNote de bas de page 44. À cette fin, elle doit notamment prévenir les infractions découlant d'une conduite qui constitue une menace envers la sécurité du Canada et procéder à des enquêtes sur de telles infractions. Une menace envers la sécurité du Canada est définie dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [Loi sur le SCRS], ainsi :

a) l'espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d'espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l'étranger qui touchent le Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d'une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

(d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence [...]Note de bas de page 45.

[41] Il convient de noter que la définition de « menace envers la sécurité du Canada » ne vise toutefois pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités susmentionnées.

[42] La GRC doit s'acquitter d'un large éventail de mandats et de responsabilités en matière de sécurité nationale, et cela comprend la protection des infrastructures essentiellesNote de bas de page 46. Ces activités visant à assurer la sécurité nationale, y compris les enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale réalisées par les Sections des enquêtes relatives à la sécurité nationale (SESN), les Équipes intégrées de sécurité nationale (EISN) et les divisions provinciales de la GRC, relèvent du Programme de la sécurité nationale de la GRC, chapeauté par le commissaire adjoint, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale. Les activités que doit réaliser la GRC pour s'acquitter de son mandat en matière de sécurité nationale comprennent les suivantes :

la collecte, la conservation et l'analyse d'informations et de renseignements touchant la sécurité nationale; le partage de ces informations et renseignements avec d'autres organismes tant au pays qu'à l'étranger; la préparation d'analyses et d'évaluations des menaces et la mise au point d'autres méthodes d'appui à des fins internes et externes; la conduite d'enquêtes sur des crimes relatifs à la sécurité nationale; la conduite d'enquêtes sur certaines activités et la prise de mesures afin d'éviter la perpétration de crimes relatifs à la sécurité nationale; et la protection de cibles précises dans le domaine de la sécurité nationaleNote de bas de page 47.

[43] Pour s'acquitter de ses fonctions en matière de sécurité nationale, la GRC a adopté une approche d'application de la loi axée sur le renseignement, qui laisse la place à un certain chevauchement entre le recours au renseignement et l'approche traditionnelle à l'application de la loi par les services de police lorsqu'il s'agit de détecter et de prévenir le crimeNote de bas de page 48. Cette approche comprend la collecte et l'analyse d'informationsNote de bas de page 49 pour produire des renseignements qui orienteront le processus décisionnel et les opérations des forces policières et est employée par la plupart des grands services de police de l'Occident. Les renseignements ainsi produits par la GRC sont appelés « renseignements criminels », à distinguer des renseignements de sécurité recueillis par le SCRSNote de bas de page 50. Le renseignement criminel est lié à des activités de nature criminelle, et il est recueilli pour étayer les enquêtes afin de « prévenir, voire de décourager un acte criminel ou d'arrêter un criminel »Note de bas de page 51. Selon le site Web de la GRC sur le Programme des renseignements criminels, les renseignements criminels :

[...] permettent à l'organisation de trouver des pistes afin d'accroître la sécurité du public, p. ex. suivre les signes d'activités illégales, de l'échelle locale à l'échelle mondiale, afin de prévenir le crime et d'enquêter sur les activités criminelles. Pour que les activités policières soient axées sur les renseignements, il faut fonder sur des renseignements les décisions tactiques ou stratégiques.

[...]

Les informations recueillies par la GRC dans le contexte d'enquêtes licites sont colligées avec des informations provenant de nombreuses autres sources. Ces informations deviennent des renseignements lorsqu'elles sont analysées dans le Programme des renseignements criminels (PRC) par des analystes professionnels des renseignements criminels afin d'en déterminer la validité et l'exactitude avant de les inclure dans une évaluation de la menaceNote de bas de page 52.

b. L'intégration et le partage d'informations au sein de la GRC

[44] La GRC partage les informations et les renseignements relatifs à la sécurité nationale avec d'autres organismes partenaires, tant au Canada qu'à l'étrangerNote de bas de page 53. Elle y est tenue par des accords (comme son Protocole d'entente avec le SCRS) et, dans certains cas, par la loi. Le Manuel des opérations de la GRC comporte quelques orientations concernant le partage d'informations. Pour les besoins du présent rapport, la politique de la GRC souligne qu'il faut que la divulgation de renseignements personnels s'effectue en respectant la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 54 (qui définit « renseignements personnels » comme des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable »)Note de bas de page 55, et uniquement aux personnes qui sont besoin de les connaître et qui en ont le droit.

[45] La Loi sur la protection des renseignements personnels interdit de façon générale la communication de renseignements personnels sans le consentement de la personne en cause, sous réserve d'exceptions précises. L'une de ces exceptions est « l'usage compatible », qui veut que les renseignements personnels recueillis pour une fin donnée propre (comme l'application de la loi) puissent être communiqués pour une autre fin semblable sans le consentement de la personne en causeNote de bas de page 56. Une autre exception est « l'intérêt public », qui autorise la communication d'informations « lorsque l'intérêt public justifierait nettement une violation de la vie privée [...] »Note de bas de page 57. Une autre exception est la communication de renseignements personnels à certains organismes d'enquête au Canada qui en ont fait la demande écrite en vue de faire respecter des lois fédérales ou provinciales ou pour la tenue d'une enquête liciteNote de bas de page 58.

[46] Lors du partage de renseignements classifiés ou relatifs à la sécurité nationale avec d'autres ministères et organismes canadiens, la GRC exige qu'une mise en garde soit ajoutée. Cette mise en garde va comme suit :

Ce document appartient au Programme de sécurité nationale de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Il est expressément prêté à votre organisme à titre confidentiel et aux fins d'usage interne seulement. Il ne peut être reclassifié, copié, reproduit, utilisé en tout ou en partie ou diffusé à un plus large auditoire sans le consentement de l'auteur. Il ne peut être utilisé dans des affidavits, des procédures judiciaires ou des citations à comparaître ou encore à toute autre fin juridique ou judiciaire sans le consentement de l'auteur. Le traitement et l'entreposage de ce document doivent respecter les directives établies par le gouvernement du Canada pour le traitement et l'entreposage des renseignements classifiés. Si votre service ne peut pas appliquer ces lignes directrices, veuillez lire le document et le détruire. La présente mise en garde fait partie intégrante de ce document et doit accompagner tous les renseignements qui en sont extraits. Si vous avez des questions au sujet des renseignements ou de la mise en garde, veuillez communiquer avec l'officier responsable des Opérations criminelles relatives à la sécurité nationale, GRCNote de bas de page 59.

La GRC cherche par ces moyens à garder une emprise sur l'information qu'elle partage avec ses partenaires.

[47] L'intégration et l'interaction avec d'autres corps policiers et organismes gouvernementaux sont devenues des aspects essentiels des activités de la GRC en matière de sécurité nationaleNote de bas de page 60. Pendant son témoignage devant la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Paul Kennedy, ancien président de la Commission des plaintes du public contre la GRC, a attribué la nécessité de cette intégration et de cette interaction à différents facteurs, comme la mondialisation, Internet, les moyens de communication cryptés, les nouveaux partenariats criminels et l'apparition de nouvelles menaces, y compris les nouvelles formes de terrorisme, y allant de l'affirmation suivante :

[L]a réalité moderne du maintien de l'ordre est que certains de ces défis ne peuvent pas être relevés par un seul service de police agissant seul. C'est ça la réalité. Il est évident qu'il faut que la police combine ses ressources, humaines et financières, et qu'elle maximise ses compétences uniques.

[...]

Pour relever ces défis, les services de police ont intégré leurs opérations et ont adopté des modèles de répression criminelle axés sur le renseignement engageant plusieurs partenaires aux niveaux municipal, provincial, fédéral et international. C'est la nouvelle norme.

[...]

Cette coopération entre organismes se retrouve à tous les niveaux du cadre de la sécurité publique. En d'autres mots, ce n'est plus seulement la police qui s'en occupeNote de bas de page 61. [C'est nous qui soulignons]

[48] On est à même de constater l'importance que revêt l'intégration au sein de la GRC par la réorganisation de certaines de ses Sections des enquêtes relatives à la sécurité nationale (SESN) en des Équipes intégrées de sécurité nationale (EISN). Les SESN et les EISN se situent au niveau des divisions (où une grande part du travail d'enquête en matière de sécurité nationale se fait)Note de bas de page 62 et ont la responsabilité première quant à l'exécution des enquêtes criminelles touchant des questions de sécurité nationaleNote de bas de page 63. Les SESN sont composées exclusivement de membres du personnel de la GRC. Soucieuse d'accroître l'intégration des ressources et l'échange de renseignements au sein de ses partenaires, la GRC a mis sur pied les EISN, dont quatre d'entre elles ont été constituées à partir des SESN dans la foulée des attaques terroristes du 11 septembre 2001Note de bas de page 64.

[49] Les EISN ont pour mandat de « [...] déceler et contrer rapidement toute menace à la sécurité nationale et publique »Note de bas de page 65. Il s'agit d'équipes intégrées composées de membres de la GRC et de personnes détachées par des partenaires et organismes fédéraux ainsi que des corps policiers provinciaux et municipaux qui partagent leurs services. Leurs activités relèvent des quartiers généraux de la GRC et leurs membres doivent respecter les politiques, les règles et les cadres de responsabilisation de la GRC. Le mandat des EISN est à trois volets : (1) accroître la capacité des partenaires de recueillir, d'échanger et d'analyser des renseignements concernant des cibles (individus) qui menacent la sécurité nationale; (2) accroître la capacité de la police de traduire ces cibles en justice; (3) améliorer la capacité collective des organismes partenaires de contrer les menaces à la sécurité nationale et de s'acquitter des responsabilités spécifiques prévues par le mandatNote de bas de page 66. Bien qu'elles servent surtout aux enquêtes relatives à la sécurité nationale, les unités intégrées effectuent aussi des analyses de renseignements et ne se retrouvent pas uniquement dans les affaires de sécurité nationaleNote de bas de page 67.

[50] En Colombie-Britannique, où les événements à l'origine de la plainte ont eu lieu, la GRC assure les services de police provinciaux et des services de police à contrat dans de nombreuses municipalitésNote de bas de page 68. Afin de favoriser la circulation de l'information, la province a mis au point un système de gestion de l'information intégré qui permet à la GRC et aux corps de police municipaux, comme ceux de Vancouver et de Victoria, de s'échanger des renseignements. En vertu de la Police ActNote de bas de page 69, tous les organismes policiers, y compris la GRC, doivent utiliser le système PRIME‑BC (Police Records Information Management Environment), qui permet le partage de renseignements en temps réel entre les municipalités, de sorte que les informations relatives à un incident qui se déroule dans un endroit dans la province, par exemple, sont accessibles aux agents de police d'une autre municipalité. Les renseignements ainsi obtenus peuvent se révéler utiles dans des affaires comme des enquêtes antiterroristes en révélant de l'information importante comme le déplacement de suspectsNote de bas de page 70. PRIME‑BC est utilisé par 13 services de police indépendants et provinciaux et 135 détachements de la GRC en Colombie‑BritanniqueNote de bas de page 71. PRIME‑BC est également accessible au quartier général de la Division « E » et aux groupes fédéraux de la GRCNote de bas de page 72.

c. Groupe de travail conjoint – Développement de ressources

[51] D'après les documents dont dispose la CCETP, il semble que la GRC ait mis sur pied en 2012 un groupe de travail conjoint en matière d'activités criminelles dans le but de développer des ressources en Colombie‑Britannique. L'énoncé de mission reconnaissait « les droits et libertés de chaque citoyen canadien, y compris le droit à la liberté d'expression et à la tenue d'une protestation licite » et indiquait que « [l]a sécurité publique de tous les Canadiens ainsi que la sécurité et l'intégrité des infrastructures essentielles du Canada doivent être protégées ».

[52] Les membres du Groupe de travail conjoint comprenaient plusieurs groupes de la GRC, dont l'ERIE, la Section des renseignements criminels de la Division « E », le Programme de sécurité nationale de la Division « E », l'EISN de la Division « E », les Services de police autochtones de la Division « E », et le District du Nord de la Division « E » (qui comprend Terrace et Prince Rupert). La région de la C.‑B. du SCRS y est également représentée. Le District du Sud de la Division « E » (qui comprend Kelowna) a été ajouté au groupe de travail en octobre 2012.

[53] Le mandat du Groupe de travail conjoint, établi conformément à la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 73 (Charte), au Code criminel et à d'autres lois provinciales et fédérales, consistait à évaluer les préoccupations en matière de sécurité publique associées aux projets de développement des ressources proposés en Colombie‑Britannique. Plus particulièrement, le Groupe de travail conjoint devait [traduction] « se tenir au fait de la situation » concernant les propositions de développement des ressources, les processus d'examen de l'ONE et les décisions du gouvernement du Canada au sujet des propositions de développement en Colombie‑Britannique, y compris le projet Northern Gateway. Le groupe devait suivre de près les efforts des unités opérationnelles responsables de la collecte et de l'évaluation d'informations provenant de sources ouvertes et confidentielles [traduction] « et formuler des conseils stratégiques à la [Section des renseignements criminels de la Division « E »] sur les menaces potentielles à la sécurité publique ».

d. Renseignement et maintien de l'ordre

[54] L'application de la loi axée sur le renseignement revêt également une importance particulière lorsqu'il est question de maintenir l'ordre lors « d'événements susceptibles de troubler l'ordre public », comme des manifestations et des protestations. Bien que la collecte de renseignements dans ce contexte soulève une certaine controverse, les services de police doivent se préparer pour toutes les éventualités, et ils ont par le passé essuyé de sévères critiques pour ne pas l'avoir fait lorsque de tels événements ont dégénéréNote de bas de page 74.

[55] Dans un rapport de recherche demandé par la Commission d'enquête sur Ipperwash (dont le mandat consistait à faire enquête et rapport sur les événements entourant le décès de Dudley George pendant une manifestation organisée par des représentants des Premières Nations), il est indiqué que la collecte de renseignements en rapport avec des manifestations et des protestations prévues permet de guider les responsables de la prise de décisions au sein des corps policiers, ce qui permet d'élaborer un plan stratégique et différentes tactiques. L'objectif premier des forces policières au regard des manifestations et des protestations est de déterminer l'intention des organisateurs pour pouvoir mettre au point un plan d'action [traduction] « permettant de procéder à une intervention mesurée destinée à préserver l'ordre public tout en respectant les droits individuels et collectifs »Note de bas de page 75.

[56] L'approche privilégiée en matière d'application de la loi axée sur le renseignement en vue d'un événement susceptible de troubler l'ordre public s'appelle « intervention mesurée » et comprend les étapes suivantes :

  • Se servir des renseignements recueillis pour remonter à la genèse de l'événement et en suivre le fil au fur et à mesure qu'il approche.
  • Dresser un plan qui tient compte de toutes les capacités policières, dans l'éventualité où celles‑ci devaient être mises à contribution.
  • Déployer tous les efforts nécessaires pour recourir le moins possible à la force dans les interactions avec les manifestants, lesquelles se doivent d'être le plus transparentes possible.
  • Déployer les agents de police dans leur uniforme habituel et leur demander d'être à l'écoute des manifestants.
  • Avoir recours à la force uniquement lorsque c'est la seule option possible.
  • Revenir aux méthodes mesurées dès que les conditions le permettentNote de bas de page 76.

Processus d'audience publique et contexte factuel

[57] En 2012, la Loi sur l'Office national de l'énergie a été modifiée après l'adoption du projet de loi omnibus C‑38 (édicté sous le nom de Loi sur l'emploi, la croissance et la prospérité durable)Note de bas de page 77 afin de donner naissance à un processus d'évaluation plus rapide et simplifié. Ces modifications législatives ont eu une incidence sur les droits de participation aux audiences et la portée de l'évaluation de l'ONE pour ce qui est des projets d'oléoduc. Avant l'adoption du projet de loi C‑38, la Loi sur l'ONE autorisait l'ONE à accepter que toute « personne intéressée » participe au processus d'examenNote de bas de page 78. Or, ce terme n'étant pas défini dans la loi, l'ONE avait toute latitude pour déterminer qui avait cette qualité, et cette latitude était généralement appliquée de façon libérale. Le projet de loi C‑38 a toutefois modifié la Loi sur l'ONE de sorte que seules les personnes « directement touchées » par le projet proposé ou qui « possèdent de l'information pertinente ou de l'expertise » peuvent participer aux audiencesNote de bas de page 79. Cela a eu pour effet de limiter les questions ouvertes à la participation à celles qui ne concernaient que le projet en tant que tel, laissant de côté les préoccupations plus générales comme les changements climatiques et les sables bitumineux. La portée des audiences de l'ONE a quant à elle était précisée et limitée aux questions touchant directement le pipelineNote de bas de page 80. Il convient de noter que ces changements ne s'appliquaient pas aux audiences de la commission d'examen conjoint portant sur le projet Northern Gateway, puisque le processus de la commission dans le cadre de ce projet était déjà entamé au moment de l'adoption du projet de loi. Cela n'a pas empêché certains politiciens et citoyens de voir les modifications à la Loi sur l'ONE comme une tactique visant à « mettre en échec »Note de bas de page 81 le processus d'évaluation et à exclure toute participation du public.

[58] Le processus d'évaluation de la commission d'examen conjoint pour le projet Northern Gateway a donné lieu à des audiences publiques approfondies. Une ordonnance d'audience a été publiée en mai 2011 qui expliquait le processus d'examen conjoint et invitait les personnes intéressées, autant au sein de la population en général que des groupes autochtones, à y participer en présentant une lettre de commentaires ou un exposé oral ou en tant qu'intervenant ou participant du gouvernementNote de bas de page 82. Le processus d'examen devait comprendre des audiences communautaires (où seraient entendus les exposés et témoignages oraux) et des audiences finales (où les intervenants et les participants du gouvernement « [...] auraient le droit de déposer une preuve orale et écrite, d'adresser des demandes de renseignements, d'interroger des témoins et de présenter une plaidoirie finale orale ou écrite »)Note de bas de page 83. Les groupes autochtones étaient encouragés à participer aux audiences et à transmettre de l'information afin d'aider la commission d'examen conjoint dans ses délibérations, tandis que la Couronne devait offrir des conseils spécialisés dans le domaine scientifique et en matière de réglementationNote de bas de page 84. Les participants aux audiences comprenaient la Nation Gitxaala, la Nation des Haisla, le Conseil de bande de Kitasoo Xai'Xais, la Nation haïda, la ForestEthics Advocacy Association, B.C. Nature et Unifor, pour n'en citer que quelques‑uns, ainsi que quelques ministères et organismesNote de bas de page 85.

[59] Les audiences de la commission d'examen conjoint du projet de pipeline Northern Gateway se sont déroulées entre janvier 2012 et juin 2013 dans des centres commerciaux, des hôtels et des écoles à divers endroits le long de l'itinéraire prévu pour le pipeline, dont Edmonton, en Alberta, et les villes de Kitamaat Village, Prince Rupert, Terrace et Prince George, en Colombie‑Britannique. La commission d'examen conjoint a reçu des lettres de commentaires ainsi que des déclarations verbales, y compris des déclarations de représentants de groupes autochtonesNote de bas de page 86. Les audiences étaient de façon générale ouvertes au public, mais les audiences tenues à Victoria et Vancouver, en Colombie‑Britannique, se sont tenues dans des lieux séparés pour l'audience et le public, respectivementNote de bas de page 87. Le site Web de l'ONE a fait office de registre public pour les détails relatifs aux lieux des audiences, aux transcriptions et au processus de participation. En tout, le processus peut se résumer à 180 jours d'audiences orales tenues dans 21 collectivités, 175 000 pages de preuve, 9 500 lettres de commentaires et 1 179 exposés oraux. De plus, 268 participants ont été autorisés à poser des questions et 389 témoins ont été convoqués par des intervenantsNote de bas de page 88.

[60] L'une des audiences communautaires tenues par la commission d'examen conjoint est pertinente à la présente enquête d'intérêt public; il s'agit de celle tenue le 28 janvier 2013 à Kelowna, en Colombie-Britannique. Les audiences finales ont eu lieu en 2012 et 2013 à Edmonton, Prince George et Prince Rupert pour ce qui est des questions orales, et les arguments finaux ont été présentés de vive voix à Terrace, en Colombie‑Britannique. Les dernières audiences ont eu lieu à Terrace les 16 et 17 juin 2013 et revêtent elles aussi un intérêt particulier pour le présent rapport.

[61] Le projet Northern Gateway a fait beaucoup de bruit et suscité une vive attention au sein de la population, en grande partie en raison des préoccupations concernant les répercussions sur l'environnement d'un éventuel pipeline ou d'un déversement de pétrole et parce que le pipeline traverserait des terres utilisées depuis toujours par des groupes autochtones. D'ailleurs, le gouvernement de la Colombie‑Britannique s'était opposé au projet après avoir été avisé de ces préoccupations et avait exigé qu'un certain nombre de conditions soient respectées avant de donner son aval au projetNote de bas de page 89. Le vent d'opposition provenant de toutes parts, dont des groupes autochtones et des groupes de protection et de conservation de l'environnent, entre autres, s'est canalisé en des mouvements organisés pour mettre un frein au projet. Le mouvement Idle No More est né en partie de l'opposition des Premières Nations au projet Northern Gateway et des projets de loi omnibus fédéraux (C‑38 et C‑45) en lien avec ceux‑ci et d'autres projets de pipelineNote de bas de page 90. Les audiences de la commission d'examen conjoint de l'ONE ont été le théâtre de manifestations organisées par ce mouvement et d'autres groupes concernés qui tenaient à exprimer leur désaccord envers le projetNote de bas de page 91.

[62] Peu avant l'audience de la commission d'examen conjoint à Kelowna le 28 janvier 2013, une série de manifestations ont eu lieu à Vancouver pendant les audiences qui s'y déroulaient. L'une d'elles a attiré un groupe d'une centaine de manifestants appartenant au mouvement Idle No More, qui se sont massés à l'extérieur du lieu de l'audience. Il ne s'agissait là que d'une initiative parmi toutes celles organisées lors de cette journée d'action nationale par les groupes autochtonesNote de bas de page 92. Un manifestant a été arrêté après avoir déjoué la sécurité et pénétré dans le hall d'entrée de l'hôtel lors du premier jour des audiences. Un groupe de cinq manifestants préoccupés par les répercussions environnementales du projet a été arrêté après s'être immiscé dans la salle d'une audience se tenant à huis closNote de bas de page 93. Les audiences à Vancouver se sont également déroulées avec, en toile de fond, une manifestation en soirée ayant attiré un millier de personnes à Victory Square, dont la moitié a marché vers le lieu de l'audienceNote de bas de page 94. La situation a suscité « un niveau d'anxiété accru » au sein de l'ONE en vue de l'audience devant se tenir à Kelowna et a fait craindre que des menaces similaires viennent perturber le processus d'audience, surtout si l'on considère que les membres de la commission, les personnes devant présenter un exposé oral, et le public seraient une fois de plus réunis en un seul endroit.

Niveau de menace

[63] L'ERIE a informé la CCETP qu'aucune évaluation approfondie du niveau de la menace associé aux audiences de la commission d'examen conjoint n'avait pas été réalisée à l'échelon fédéral puisqu'aucune donnée ne justifiait une telle évaluation (c.‑à‑d. que le niveau d'activité criminelle ou le risque évalué d'une telle activité était très faible, d'où la conclusion qu'une telle évaluation n'était pas nécessaire). Pourtant, certains signes de menace avaient été relevés par la Division « E » :

  • En janvier 2013, une « personne d'intérêt » a envoyé des courriels à l'ONE laissant entendre qu'elle irait jusqu'à commettre des actes violents si c'était nécessaire pour se faire entendre lors des audiences. Ces menaces n'ont toutefois pas été mises à exécution.
  • Les audiences de janvier 2013 de la commission d'examen conjoint à Vancouver se sont tenues dans un climat de manifestation intensifié, plus d'un millier de personnes s'étant déplacées et – comme il a été indiqué précédemment – ayant perturbé le déroulement des audiences. Le service de police de Vancouver a fait un compte rendu de la situation à la GRC, indiquant [traduction] « une vingtaine de rebelles anarchistes masqués et vêtus de noir ont formé un contingent provocateur au sein de la manifestation antipipeline organisée par l'organisation “Rising Tide” qui a attiré de 600 à 1 000 personnes le soir du 14 janvier ».
  • Le 24 janvier 2013, le caporal Dave AlbrechtNote de bas de page 95, de la Section des enquêtes générales du Détachement de la GRC de Kelowna, écrit dans ses notes qu'il avait été informé par un membre de l'EISN de la Division « E » qu'un « contingent noir » (manifestants militants vêtus de noir potentiellement agressifs ou violents) s'était montré plus agressif parce que l'accès à l'audience avait été restreint, ce qui avait rendu plus de gens mécontents.
  • Le lendemain, le sergent Steve Barton, de la Section des renseignements criminels de la GRC, a mis au parfum le caporal Albrecht au sujet de lettres de menace envoyées à Enbridge et à TransCanada Pipelines Ltd., qui relevaient de la Division K (Alberta). À ce moment-là, aucun lien avec la Colombie‑Britannique n'avait été établi.
  • Lorsque la commission d'examen conjoint a publié son rapport d'approbation du projet Northern Gateway en décembre 2013, un chef héréditaire Wet'suwet'en, du camp de manifestation Unist'ot'en, a manifesté son opposition au projet d'oléoduc dans la région et aurait affirmé qu'il n'hésiterait pas à prendre [traduction] « tous les moyens nécessaires » pour empêcher qu'il se concrétise.

[64] L'ERIE de la GRC a publié en janvier 2014 une évaluation des renseignements relatifs aux menaces criminelles pesant sur le secteur pétrolier canadien, qui a également été remise à l'ONE. Les principales constatations que l'on y trouve (citées par la CCETP lorsqu'elle parle de l'évaluation de la GRC) étaient les suivantes :

[Traduction]

  • Le secteur pétrolier canadien demande au gouvernement d'approuver plusieurs grands projets pétroliers qui, s'ils sont approuvés, seront mis à exécution partout au pays.
  • On constate au Canada la naissance et l'essor d'un mouvement d'opposition au secteur pétrolier qui est bien financé et hautement organisé et qui est composé d'activistes pacifistes, de militants et d'extrémistes violents condamnant la dépendance de la société envers les combustibles fossiles.
  • Le mouvement d'opposition au secteur pétrolier s'applique à contester les politiques énergétiques et environnementales qui visent à encourager l'exploitation des vastes ressources pétrolières du Canada.
  • Les extrémistes violents pressent, voire menacent, de plus en plus les gouvernements et les compagnies pétrolières de cesser toutes les mesures qui contribuent, à leur avis, aux émissions de gaz à effet de serre.
  • Les récentes manifestations au Nouveau‑Brunswick sont les manifestations antipétrole les plus violentes à ce jour au pays.
  • Les extrémistes antipétrole violents vont continuer de poser des gestes criminels pour faire avancer leur idéologie antipétrole.
  • Ces extrémistes représentent une menace criminelle concrète pour le secteur pétrolier canadien, ses travailleurs et ses biens, ainsi que pour les premiers répondants.

[65] Il convient de noter que les manifestations visant le projet Northern Gateway ont été pacifiques, dans l'ensemble. Cela dit, ces manifestations et la compréhension de la GRC de la menace qu'elles représentaient constituent les événements à l'origine de la plainte de la BCCLA.

Première allégation : La GRC aurait surveillé de manière abusive des personnes et des groupes participant ou cherchant à participer aux audiences de l'ONE

a. Présence de la GRC aux audiences de l'ONE

[66] Parmi ses préoccupations précises, la BCCLA a soutenu que [traduction] « des membres de la GRC ont maintenu une présence visible lors des audiences de l'ONE, alors qu'il n'y avait aucun motif de le faire sur le plan de la sécuritéNote de bas de page 96.

[67] Des courriels et divers autres documents fournis à la CCETP font état de discussions sur les demandes reçues par la GRC afin d'assurer une présence de sécurité lors de l'audience de la commission d'examen conjoint de l'ONE devant se tenir à Kelowna le 28 janvier 2013. L'assistance de la GRC était demandée à la lumière des récents troubles survenus en marge des audiences tenues précédemment à Vancouver et afin d'assurer la sécurité du public et la sécurité routière pendant les rassemblements prévus du mouvement Idle No More. Un document de planification de la GRC au sujet de l'audience parle d'un certain nombre de manifestations de ce mouvement auxquelles sont venus se greffer des groupes comme « Freemen of the land » et des « rebelles anarchistes vêtus de noir », et mentionne que les récentes manifestations tenues à Vancouver pendant les audiences avaient rapidement dégénéré en actes d'agressivité envers la police.

[68] Plusieurs manifestations étaient prévues pour le jour de l'audience. La GRC avait été informée par un représentant du mouvement Idle No More que l'intention derrière ce rassemblement était pacifique. La GRC, bien que sachant que les audiences précédentes avaient généralement nécessité très peu d'intervention policière, craignait néanmoins que des manifestants plus belliqueux et plus nombreux provenant de partout dans la province y assistent. L'ONE a décidé de tenir une audience « à huis clos » à deux endroits. Ainsi, l'audience en tant que telle se tiendrait dans un hôtel, tandis qu'une salle de visionnement serait aménagée dans un hôtel situé tout près à l'intention du public souhaitant suivre son déroulement en direct.

[69] Au total, la GRC a affecté environ 18 de ses membres à l'événement, certains vêtus de leur uniforme et d'autres en civil, et les a stationnés à l'hôtel choisi pour la tenue de l'audience et tout le long de l'itinéraire jusqu'à celui‑ci. S'il est vrai que des manifestations ont eu lieu le 28 janvier 2013 à l'hôtel choisi pour la tenue de l'audience de Kelowna, elles ont toutefois été calmes et pacifiques.

[70] La CCETP a noté pendant son examen de l'information qui lui a été fournie que la GRC s'était opposée au mandat qui aurait été attendu d'elle, soit que ses membres agissent comme des « agents de sécurité » pour l'ONE, qui aurait voulu qu'ils vérifient l'identité des personnes présentes et détermine qui pourrait et ne pourrait pas assister à l'audience. La GRC avait réitéré que son rôle était de veiller au maintien de la paix et d'agir uniquement en vertu d'un pouvoir légal lorsque, par exemple, une personne refuse de quitter les lieux lorsque les propriétaires du lieu où elle se trouve lui en font la demande. La position de la GRC était alors déterminée par le niveau de menace associé à l'audience de Kelowna, qui était jugé faible, et par le fait qu'elle n'avait reçu aucune indication que des gestes de violence étaient à prévoir.

[71] Il avait également été demandé à la GRC d'assurer la sécurité aux audiences de la commission d'examen conjoint de l'ONE devant se tenir à Terrace les 16 et 17 juin 2013. Son mandat consistait à maintenir la paix et à faire appliquer la loi lorsqu'il y avait lieu pendant les deux premiers jours des audiences. La CCETP a examiné le plan de sécurité de l'ONE relativement à ces audiences (dont les détails seront tenus secrets par la CCETP en raison du niveau de sécurité qui leur a été attribué) et a constaté que, malgré l'absence de menace directe pour la sûreté et la sécurité, l'ONE avait néanmoins évalué le risque d'occupation du bâtiment et de manifestations à proximité comme étant élevé et avait donc demandé à la GRC de fournir des policiers en uniforme et en civil. Selon la compréhension de la situation par l'officier responsable du Détachement de Terrace, la GRC se trouvait dans l'obligation d'aider l'ONE.

[72] Il convient de noter qu'il est indiqué, dans le plan opérationnel du Détachement de Terrace relativement aux audiences de la commission d'examen conjoint de juin 2013, que l'officier responsable devait rencontrer les organisateurs pour insister sur l'importance d'un rassemblement pacifique où les droits de chacun sont respectés. Il était précisé dans le plan que les manifestations tenues lors d'audiences précédentes de l'ONE avaient été pacifiques et n'avaient donné lieu à aucun trouble digne de mention. Le Détachement de Terrace était en contact avec les organisateurs du mouvement Idle No More et les avait trouvés « des plus coopératifs ». L'objectif du plan allait comme suit : [traduction] « Reconnaissant le droit démocratique de se rassembler pour protester et manifester de manière légale et pacifique et l'autorité légale de l'Office national de l'énergie à tenir des audiences ordonnées sur le projet proposé d'oléoduc Northern Gateway, la GRC aura recours à une intervention mesurée pour assurer le maintien de l'ordre » [c'est nous qui soulignons].

[73] La première manifestation du mouvement Idle No More a eu lieu à George Little Park, à Terrace, le 16 juin 2013 et a réuni plus de 300 participants. Les membres de la GRC ont maintenu [traduction] « une présence discrète, mais visible, ont eu des échanges positifs avec les manifestants et ont distribué tattoos et autocollants [...] aux enfants présents ». L'événement a été calme et pacifique. Compte tenu de la chaleur, les manifestants n'ont pas marché jusqu'au lieu de l'audience tel qu'il était prévu initialement. Une autre manifestation pacifique devait avoir lieu le lendemain.

[74] Le 17 juin 2013, un groupe d'environ 70 personnes munies de pancartes et de tambours s'est réuni à l'extérieur du lieu de l'audience de la commission d'examen conjoint de l'ONE pour un événement qui a une fois de plus été qualifié de pacifique par la GRC et qui n'a en rien perturbé le bon déroulement de l'audience. Le Détachement de Terrace a donc décidé de s'en tenir à l'intervention mesurée adoptée jusqu'alors et de [traduction] « réduire considérablement » sa présence pour le reste des audiences. La suite des événements lui aura donné raison, les audiences ayant pris fin le 24 juin 2013 sans aucun incident et l'ONE s'étant apparemment dite très satisfaite du soutien [traduction] « exceptionnel » offert par la GRC.

[75] La BCCLA fait valoir que [traduction] « [l]es cours et les tribunaux tiennent des audiences chaque jour partout au Canada sans la présence de policiers ou autres agents de sécurité »Note de bas de page 97. Contrairement à l'affirmation de la plaignante cependant, des lois ont été adoptées à l'échelle du Canada qui prévoient précisément la présence de personnel de sécurité et qui ont pour objet d'assurer la sécurité générale des tribunaux et des membres du publicNote de bas de page 98. Nombreux sont les tribunaux et les cours au Canada qui bénéficient de services de la police ou de commissionnaires et vont même jusqu'à procéder à des contrôles de sécurité. À l'échelon fédéral, les Services de police de protection de la GRC ont pour responsabilité d'assurer la sécurité des juges de la Cour suprême et de la Cour fédéraleNote de bas de page 99. Le forum des juges canadiens, qui est une conférence de l'Association du barreau canadien, a également publié un rapport à accès restreint intitulé La sécurité dans les tribunaux au Canada dans un effort pour stimuler un exercice de réflexion sur [traduction] « [...] les défis uniques au Canada lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des juges et des autres membres du personnel des cours et tribunaux »Note de bas de page 100.

[76] Contrairement à la plupart des cours et à plusieurs autres tribunaux de partout au Canada, les audiences de l'ONE ont la particularité de se tenir dans des bâtiments et des environnements différents, ce qui donne du fil à retorde. Elles se tiennent majoritairement dans des hôtels, qui ne sont pas assortis d'un périmètre de sécurité physique comme c'est le cas d'une cour ou d'un tribunal qui a son propre bâtiment. De plus, comme il a été mentionné précédemment, le Code canadien du travail exige de l'ONE qu'il réponde à tous les critères de sécurité d'une audience publiqueNote de bas de page 101. Dans ce contexte, la présence de la GRC aux audiences de l'ONE a été demandée par celui‑ci d'après son évaluation de la sécurité qui faisait état d'un risque élevé d'occupation de l'immeuble et de manifestations, une situation qu'il avait déjà vécue lors d'audiences précédentes. Une fois les mesures de sécurité prises, qui comprenaient la présence de la GRC, l'ONE a réévalué la menace pour la qualifier de moyenne.

[77] La CCETP note que la présence de la GRC n'a pas été la même à toutes les audiences et séances d'information, le nombre de membres de la GRC présents ayant été déterminé en fonction de différents facteurs comme les demandes précises de l'ONE, l'environnement de la menace et les ressources disponibles au sein de l'unité. Lors d'un événement en particulier à l'automne 2013, la GRC avait informé l'ONE qu'elle n'entretenait aucune préoccupation concernant une séance d'information à venir et qu'elle [traduction] « ferait un arrêt [sur les lieux de l'événement] si le temps le permettait ». Finalement, la GRC ne s'est pas présentée sur place, et aucun dossier actif n'a découlé de l'événement.

[78] Après un examen minutieux des faits, la CCETP ne peut pas conclure que la présence visible de membres de la GRC lors des audiences de l'ONE constituait une surveillance abusive en tant que telle. Bien que la GRC ait évalué le risque d'activités criminelles comme étant faible, il était raisonnable de sa part d'offrir un service qui permettrait la tenue d'une audience publique en toute sécurité; des services de cette nature sont offerts par des policiers et autres agents de sécurité partout au pays.

Conclusion no 1 : Il était raisonnable de la part de la GRC d'assurer une présence visible lors des audiences de l'Office national de l'énergie.

b. Surveillance d'une manifestation au palais de justice de Prince Rupert

[79] Dans sa plainte, la BCCLA déclare ce qui suit :

[Traduction] Le sergent d'état‑major (s.é.-m.) VK Steinhammer de la GRC a avisé un agent de sécurité de l'ONE qu'une manifestation du mouvement Idle No More devait avoir lieu sur la pelouse adjacente au palais de justice de Prince Rupert un dimanche après‑midi. Bien qu'il ait confirmé que la GRC s'attendait à une manifestation pacifique, le s.é.‑m. Steinhammer l'a néanmoins avisé que la GRC « surveillerait » l'événement. La BCCLA est troublée par le fait que la GRC juge nécessaire de surveiller des rassemblements pacifiques qui ne soulèvent aucune préoccupation au chapitre des comportements criminels à prévoir, de la menace à la sécurité publique ou de la nécessité d'assurer la sécurité des manifestantsNote de bas de page 102.

[80] Afin d'étayer son allégation, la BCCLA cite un courriel daté du 19 avril 2013 du s.é.-m. Victor Steinhammer (sous-officier responsable des opérations du Détachement de Prince Rupert) au chef du groupe de la sûreté de l'ONE, R.G. La CCETP a examiné les éléments d'information, qui confirment la communication. Il est indiqué que la conduite du s.é.-m. Steinhammer est l'objet de la plainte et que le s.é.-m. en a donc été avisé. La chronologie des événements selon l'information reçue est la suivante :

  • Le 18 avril 2013, M. G a informé la GRC par courriel que la haute direction de l'ONE se disait préoccupée par le risque que des manifestations violentes se déroulent au cours des deux semaines suivantes en marge des audiences devant se tenir à Prince Rupert. Il demandait dans ce courriel s'il était possible pour la GRC de « se faire plus présente » et d'affecter des agents en uniforme lors de la première ou des deux premières journées des audiences.
  • Le 19 avril 2013, l'inspecteur Peter Haring (officier responsable des opérations, District du Nord, Division « E », GRC) a envoyé un courriel au s.é.‑m. Steinhammer pour lui demander s'il était au courant du rassemblement du mouvement Idle No More qui était prévu au palais de justice de Prince Rupert le 21 avril 2013 et proposer d'informer la cour et les shérifs de l'événement.
  • Le 19 avril 2013, le s.é.-m. Steinhammer a répondu au courriel du 18 avril de M. G affirmant qu'il avait [traduction] « reçu de l'information concernant une manifestation pacifique planifiée par le mouvement Idle No More sur la pelouse du palais de justice le dimanche 21 avril à 14 h ». Dans ce courriel, il assurait à M. G que le Détachement de Prince Rupert surveillerait l'événement et que la page Facebook de l'événement n'avait été vue [traduction] « que 24 fois ».
  • Le 19 avril 2013, le s.é.-m. Steinhammer a contacté un membre de la GRC appelé Nancy Roe pour lui demander un compte rendu de l'événement après coup. Elle lui a répondu le 2 mai 2013 pour l'informer que le nombre de participants à la manifestation avait été minime et que les membres de la GRC qui y avaient été affectés n'y étaient restés qu'une trentaine de minutes et qu'ils étaient repassés en voiture plus tard dans la journée et n'avaient vu que quelques manifestants ici et là.

[81] Le Détachement de Prince Rupert a surveillé d'autres manifestations en 2013, et il convient de noter que le s.é.-m. Steinhammer semble avoir reconnu la nature pacifique de celles‑ci. Dans un courriel daté du 11 janvier 2013 à des membres de la GRC, le s.é.‑m. Steinhammer donne des directives quant à une possible manifestation du mouvement Idle No More au centre commercial de Prince Rupert : [traduction] « Si un tel événement a effectivement lieu, je vous prie de vous rendre sur place, mais de leur permettre de manifester puisque ce mouvement est pacifique. Vous n'intervenez que si vous êtes témoin d'un geste criminel, et seulement si l'intervention peut se faire en toute sécurité ». [C'est nous qui soulignons] Les manifestants n'ont finalement pas tenu leur promesse de rester à l'extérieur du centre commercial, et les agents de sécurité du centre commercial ont été contraints de leur demander de quitter les lieux, ce qu'ils ont fait sans incident, et sans l'intervention de la GRC d'après l'information obtenue. Il convient de noter que les audiences de la commission d'examen conjoint à Prince Rupert se sont déroulées sur plusieurs jours en février 2013 sans une présence policière continue et sans incident. D'autres audiences de la commission d'examen conjoint ont eu lieu plus tard en février et en mars 2013 et se sont elles aussi déroulées sans une présence policière continue et sans incident.

[82] L'ONE a demandé de l'information au s.é.-m. Steinhammer à deux autres occasions citées dans les documents présentés. À la suite des audiences tenues à Vancouver en janvier 2013 lors desquelles l'ONE [traduction] « a eu maille à partir avec des manifestants » et ayant [traduction] « reçu de l'information laissant entendre que la situation serait la même à Kelowna la semaine suivante », M. G a demandé au s.é.‑m. Steinhammer le 21 janvier 2013 si les renseignements à leur disposition laissaient présager ce genre de situation ou non. Sa réponse aiderait l'ONE à évaluer ses besoins en matière de sécurité pour les audiences à venir. Le s.é.‑m. Steinhammer a répondu que la GRC n'avait reçu aucun renseignement relativement aux audiences et recommandait que la GRC et l'ONE [traduction] « aient recours à la même approche que lors des dernières audiences ». Un échange précédent laisse deviner qu'aucun membre de la GRC n'était présent aux audiences précédentes.

[83] À une autre occasion le 15 février 2013, M. G a demandé au s.é. m. Steinhammer si la GRC avait été mise au fait d'une quelconque menace de la part d'un groupe appelé « The People's Summit on the Northern Gateway Project » relativement aux audiences de la commission d'examen conjoint qui devaient se tenir à Prince Rupert. Le s.é.-m. Steinhammer a répondu [traduction] « Nous n'avons reçu aucun renseignement à ce sujet ».

[84] L'information transmise par le s.é.-m. Steinhammer à M. G était de l'information de source ouverte (c.-à-d. qu'elle avait été tirée d'une source accessible au public, en l'occurrence Facebook) et lui a été transmise en réponse à une préoccupation exprimée par l'ONE à propos d'un risque de manifestations violentes.

[85] La CCETP comprend que la BCCLA se dise troublée par la présence de la GRC lors de la manifestation d'avril 2013, mais, même si la GRC s'attendait à ce que l'événement demeure pacifique (et il l'a été), les manifestations et les rassemblements sont, de nature, dynamiques, et il existe un risque qu'ils donnent lieu à une violation de la loi, aussi licites puissent ils avoir été au départ. La norme avec laquelle il convient d'évaluer la conduite de la GRC est celle du caractère raisonnable eu égard aux circonstances. Considérant le mandat de la GRC qui consiste à maintenir l'ordre et à prévenir le crime, il n'était pas déraisonnable d'envoyer certains de ses membres surveiller l'événement et confirmer qu'il demeurait pacifique.

Conclusion no 2 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller la manifestation de Prince Rupert.

c. Surveillance des manifestations par l'Équipe des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles

[86] La BCCLA soutient que Tim O'Neil, employé civil temporaire occupant le poste de spécialiste principal de la recherche et des renseignements criminels (aujourd'hui à la retraite) au sein de l'ERIE de la GRC, a surveillé abusivement les activités de groupes pourtant soupçonnés d'aucune activité criminelle. Voici, par souci de précision, l'allégation de la BCCLA :

[Traduction]
Même après avoir confirmé que l'ERIE ne disposait d'aucun renseignement laissant entrevoir une menace d'acte criminel envers l'ONE ou ses membres, M. O'Neil indique que [traduction] « l'ERIE continuera de surveiller tous les aspects du mouvement d'opposition au secteur pétrolier », demande qu'un dossier soit ouvert dans la base de données sur la sécurité nationale du Système d'incidents et de rapports de police PROTÉGÉ (SIRPP)/Système de signalement des incidents suspects (SIS) à ce sujet, et note que ces renseignements sont également partagés avec le SCRS. Là encore, la BCCLA se demande pourquoi la GRC et le SCRS ont jugé nécessaire de surveiller les activités de groupes qui ne sont soupçonnés d'aucune activité criminelleNote de bas de page 103. [C'est nous qui soulignons]

[87] Sa conduite faisant l'objet de la plainte, M. O'Neil en a été avisé. Précisons que M. O'Neil avait été nommé à ce poste aux termes de la partie I de la Loi sur la GRC telle qu'elle était libellée avant d'être modifiée le 28 novembre 2014Note de bas de page 104. Cela signifie que la Loi sur la GRC, telle qu'elle était libellée au moment de la plainte et au début de l'enquête d'intérêt public, assujettissait les employés civils temporaires comme M. O'Neil au processus de plainte prévu à sa partie VIINote de bas de page 105. Bien que les modifications apportées à la Loi sur la GRC en novembre 2014 aient abrogé la disposition autorisant la nomination d'employés civils temporaires, la plainte a été déposée en février 2014 et la présente enquête d'intérêt public a été lancée pendant le même mois. Cela étant, les actions de M. O'Neil tombent sous le coup de l'examen de la CCETP aux termes de l'ancienne Loi sur la GRC. De plus, la Loi sur la GRC dans sa version modifiée octroie à la CCETP le pouvoir d'entendre des plaintes au sujet de personnes ayant été nommées ou employées aux termes de la Loi sur la GRC au moment où la conduite à l'origine de la plainte aurait eu lieuNote de bas de page 106. Considérant que cela s'applique de toute évidence aux personnes ayant été nommées ou employées sous le régime de la Loi sur la GRC dans sa version en vigueur avant novembre 2014, la CCETP conclut qu'elle a compétence pour se prononcer sur la conduite de M. O'Neil.

[88] Le document qu'il convient de prendre en compte relativement à cette sous‑allégation est un courriel daté du 19 avril 2013 dans lequel M. O'Neil répond à une demande d'assistance de M. G, de l'ONE, qui souhaitait que soit évalué le niveau de risque crédible auquel étaient exposés les membres de la commission de l'ONE. L'ONE était particulièrement préoccupé par une vidéo publiée sur la chaîne YouTube et d'autres sites Web à son sujet. M. O'Neil y indiquait n'avoir relevé aucune menace criminelle directe ou précise, ajoutant que l'ERIE n'avait reçu aucun renseignement indiquant une quelconque menace criminelle envers l'ONE ou ses membres.

[89] Un examen minutieux du courriel de M. O'Neil a permis à la CCETP de constater que seul un extrait incomplet de celui‑ci est pris en compte dans l'allégation le concernant. Cela a eu pour effet de sortir la réponse de M. O'Neil de son contexte. Le texte complet va comme suit : [traduction] « L'ERIE continuera de surveiller tous les aspects du mouvement d'opposition au secteur pétrolier afin de détecter toute activité criminelle et veillera à vous tenir informés de la situation ». [C'est nous qui soulignons] Afin de mettre cette déclaration en contexte, M. O'Neil a expliqué que le mouvement qui cherche sans cesse à mettre un frein au secteur pétrolier et à ses projets d'oléoduc a recours à des moyens tant licites qu'illicites. Les moyens illicites comprennent les actes de vandalisme et de sabotage et les menaces aux biens et aux personnes. Il a fait remarquer qu'il était déjà arrivé par le passé que des militants participent en masse à des audiences réglementaires dans le but de perturber irrémédiablement le processus d'évaluation, parvenant même parfois à enliser le processus d'audience. Les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour faire échec à ces tactiques en limitant le nombre d'exposés officiels pouvant être présentés lors des audiences publiques de l'ONE ont eu pour effet de placer les audiences elles‑mêmes au cœur des activités des manifestants et, par le fait même, de faire de l'ONE et de ses membres les cibles de leur rhétorique. Par ailleurs, le rôle de l'ONE en tant qu'organisme de réglementation fédéral pour de nombreux aspects des projets d'exploitation pétrolière et d'oléoduc fait de lui la cible des gens qui s'y opposent, et M. O'Neil a conclu qu'il [traduction] « est hautement probable que l'ONE reçoive des menaces ciblant son processus d'audience et les membres de sa commission ».

[90] Le but visé par les activités de surveillance est vaste; l'ERIE est tenue de détecter les menaces criminelles aux infrastructures essentielles et de faire enquête, tandis que la GRC doit, dans le cadre d'un mandat plus général, détecter les menaces criminelles visant des événements publics, comme les audiences de la commission d'examen conjoint, et faire enquête sur celles‑ci. Si la GRC avait entrepris de surveiller le « mouvement antipétrole » dans son intégralité sans égard pour le droit à manifester son désaccord de façon pacifique, on aurait pu conclure à une initiative déraisonnable. Or, il ne fait aucun doute que la surveillance exercée par la GRC respectait les périmètres de son mandat d'application de la loi lorsque l'on ajoute le contexte des menaces criminelles aux infrastructures essentielles, à l'ONE et à ses membres ainsi que le but visé par la mise au jour de toute activité criminelle.

Conclusion no 3 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller des événements dans le but de détecter des activités criminelles.

d. Surveillance par des membres non identifiés de groupes et de personnes cherchant à participer aux audiences de l'ONE

[91] La BCCLA se dit préoccupée par des allégations concernant [traduction] « les actes abusifs et illégaux commis par la GRC [...] pour recueillir des renseignements au sujet de citoyens et de groupes canadiens qui participent à des activités pacifiques et licites pour exprimer leur désaccord [...] »Note de bas de page 107. Elle ajoute ce qui suit :

[Traduction] La surveillance de la police peut également dissuader les personnes qui auraient simplement voulu rencontrer ou rejoindre un groupe pour en apprendre davantage sur un sujet faisant l'objet de débats publics ou encore pour échanger des renseignements ou des points de vue avec d'autres de leur milieu. De fait, la BCCLA a entendu de la part de plusieurs des groupes concernés que certains de leurs membres actuels et éventuels s'étaient dits très préoccupés et hésitants à l'idée de participer à leurs activités à la lumière des récents reportages dans les médias faisant état de la surveillance de la GRCNote de bas de page 108.

[92] L'ERIE de la GRC a indiqué qu'elle n'avait été mise au fait d'aucune initiative précise de la GRC visant à recueillir des informations sur toute personne ou tout groupe cherchant à participer aux audiences de l'ONE ou à surveiller leurs activités. Elle a expliqué que, lorsqu'une information au sujet d'une menace criminelle est mise au jour dans le cadre d'une enquête ou reçue d'une autre source (p. ex. une demande reçue de l'ONE par courriel), elle doit, dans le cadre du mandat d'application de la loi de la GRC, procéder à un examen initial visant à déterminer si l'activité ou l'information en question comporte un élément criminel. Dans la négative, l'information n'est pas examinée plus à fond et aucune suite n'y est donnée.

[93] L'ERIE a informé la CCETP qu'elle ne possède aucun dossier comprenant des renseignements recueillis par la GRC sur des personnes ou des groupes ayant cherché à participer aux audiences de l'ONE.

[94] La CCETP dispose toutefois de documents qui révèlent que la GRC a demandé à la Division « E » de surveiller des manifestations et des protestations. La preuve démontre également que la GRC a filmé certaines d'entre elles.

i. Surveillance et enregistrement vidéo des manifestations et des protestations par la GRC

[95] Le 28 janvier 2013 à Vernon en Colombie‑Britannique, des membres du mouvement Idle No More ont pris part à une manifestation éclair (« flash mob ») lors de laquelle ils ont effectué une danse en groupe afin d'attirer l'attention sur le projet de loi C‑45 et les audiences de la commission d'examen conjoint. L'événement avait été publicisé sur Facebook, notamment. L'organisateur de l'événement avait communiqué avec le Détachement de Vernon pour demander une présence policière à ce qu'il prévoyait être un événement pacifique qui rassemblerait des aînés, des enfants et des clients du centre commercial où l'événement devait avoir lieu. La GRC a assisté à l'événement afin de surveiller la situation; approximativement 70 personnes ont participé à la manifestation éclair, et la GRC a noté que l'événement avait été pacifique et s'était déroulé sans incident.

[96] Tel qu'il a été mentionné précédemment, une manifestation s'est déroulée sur les lieux de l'audience de la commission d'examen conjoint à Kelowna le 28 janvier 2013. Selon les estimations, environ 135 personnes y ont pris part au total, et des membres de la GRC étaient présents. L'événement a cependant été pacifique et n'a été le théâtre d'aucun incident. Il convient de noter cependant qu'un membre de la Section de l'identité judiciaire du Détachement de Kelowna a assisté à la manifestation à l'hôtel où l'audience avait lieu et a filmé une dizaine de minutes de l'événement à partir d'une chambre d'hôtel située au dernier étage.

[97] Comme il a été mentionné précédemment, un autre événement avait été organisé le 16 juin 2013 au George Little Park, à Terrace, réunissant quelque 300 manifestants venus écouter les discours de différents intervenants. La GRC était également présente, maintenant [traduction] « une présence discrète, mais visible, et interagissant de manière positive [...] ». Rien dans la preuve n'indique que cet événement a été filmé.

[98] Le 17 juin 2013, la GRC a surveillé une deuxième journée de manifestations à Terrace et noté que l'événement s'était déroulé dans un climat pacifique. Cet événement a également été décrit plus haut. Cela dit, un rapport général concernant l'événement révèle qu'un membre de la Section de l'identité judiciaire du Détachement de Terrace était présent (à l'hôtel Best Western Plus Terrace Inn, où les audiences de la commission d'examen conjoint avaient lieu) tout au long de la manifestation d'environ une heure et a filmé l'événement. L'enregistrement a été conservé en format DVD.

[99] Le 1er juillet 2013, un rassemblement du mouvement Idle No More a été organisé au City Park, à Kelowna. Un membre de la GRC avait communiqué avec l'un des organisateurs, qui l'avait informé que le rassemblement se voulait pacifique et que les organisateurs se chargeaient eux‑mêmes de la sécurité pour l'événement. Un membre des services de police des Premières Nations de la GRC a travaillé en étroite collaboration avec les organisateurs le jour de l'événement, qui s'est révélé être pacifique et sans incident.

[100] Les Services de police autochtones de la Division « E » de la GRC avaient rassemblé dans un tableur des renseignements relatifs aux événements organisés par le mouvement Idle No More en Colombie‑Britannique en décembre 2012 et tout au long de 2013. On y trouve des renseignements sur les dates, les lieux et l'ampleur des événements, de même que le détachement ou le service de police ayant compétence, des détails sur les événements ainsi que les infrastructures ou les vulnérabilités à proximité. Plus de 220 événements (dont certains n'ont jamais eu lieu et étaient assortis de la mention « prévu » ou « non confirmé ») sont répertoriés dans le tableur, dont des manifestations, des barrages routiers, des manifestations éclair, des marches, des séances d'information, des protestations lors des audiences de la commission d'examen conjoint, des danses traditionnelles et des concerts. On n'y trouve aucune indication quant à l'ampleur de la présence policière requise pour ces événements, ou même si une telle présence était requise, et aucun renseignement permettant d'identifier les organisateurs ou les participants.

[101] Pour évaluer le caractère raisonnable des actions de la GRC, la CCETP constate que la surveillance et les rapports internes de la GRC (p. ex. la rédaction de notes d'information) sont conformes à ses politiques, y compris sa politique sur les manifestations ou les protestations autochtonesNote de bas de page 109. Par exemple, il est écrit ceci dans le Manuel des opérations de la GRC :

[Traduction]
1.1 Le rôle principal de la GRC dans toute manifestation ou protestation est de maintenir la paix, de protéger la vie et les biens et de faire appliquer la loi.

[...]

2.2. La protestation pacifique, l'assemblée pacifique et la liberté d'expression sont des droits fondamentaux aux termes de l'art. 1 de la partie I de la Charte canadienne des droits et libertés.

2.3. La gestion des manifestations ou des protestations autochtones repose sur une intervention mesurée fondée sur des renseignements exacts et opportunsNote de bas de page 110. [C'est nous qui soulignons]

[102] Comme je l'ai affirmé précédemment, la nature dynamique des protestations et des manifestations fait en sorte qu'il est généralement justifié pour la police de surveiller ces événements pour assurer la sécurité publique et être bien préparée dans l'éventualité où l'événement donne lieu à des activités illicites. Sur ce point également, la CCETP conclut que la GRC a agi raisonnablement lorsqu'elle a surveillé les manifestations susmentionnées, compte tenu de son mandat et de son devoir de maintenir la paix et l'ordre et de prévenir le crime.

Conclusion no 4 : La GRC a agi raisonnablement en surveillant les manifestations.

[103] Concernant la pratique de la GRC qui consiste à filmer les manifestations, la vidéosurveillance peut, dans certaines circonstances, constituer une fouille ou une perquisition policièreNote de bas de page 111 au sens où l'entend l'article 8 de la CharteNote de bas de page 112, qui a pour effet de protéger les personnes contre une fouille ou une perquisition abusive. Toutefois, la conduite de la police ne pourra être qualifiée de fouille ou de perquisition que si la personne ciblée s'attend raisonnablement à la protection de la vie privéeNote de bas de page 113. En ce sens, le Manuel des opérations de la GRC et celui de la Division « E » énoncent que l'autorisation d'un juge (mandat) pour procéder à une vidéosurveillance peut ne pas être requise lorsqu'il n'y a pas d'attente raisonnable à la protection de la vie privéeNote de bas de page 114.

[104] De plus, même lorsqu'il y a une attente raisonnable à la protection de la vie privée, seules les fouilles déraisonnables excèdent les limites acceptables; une fouille autorisée par la loi et exécutée d'une manière raisonnable n'enfreint pas l'article 8Note de bas de page 115. Cela étant, il y a deux questions distinctes qui doivent être examinées au regard des fouilles policières et de l'attente à la protection de la vie privée : la première est la question de savoir si la personne concernée pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée, et la seconde est la question de savoir si la perquisition constituait une atteinte abusive à ce droit à la vie privéeNote de bas de page 116.

[105] Il n'appartient pas à la CCETP de décider si un droit garanti par la Charte a été bafoué. Ce rôle appartient à une cour compétente. La CCETP peut toutefois déterminer si la conduite de la GRC était raisonnable et respectueuse des principes de la Charte. La CCETP entreprend son analyse en évaluant s'il y avait une attente raisonnable à la protection de la vie privée. Ce n'est que si la CCETP conclut à l'existence d'une attente raisonnable qu'elle déterminera si la conduite de la GRC était conforme aux principes à la base de l'article 8.

[106] La question de savoir si l'attente en matière de protection de la vie privée est raisonnable ou non doit être tranchée eu égard à l'ensemble des circonstances de chaque casNote de bas de page 117. Pour ce faire, il faut notamment évaluer s'il y avait une attente subjective en matière de vie privée et si cette attente était raisonnable dans les circonstancesNote de bas de page 118, ce qui nécessite des « jugements de valeur » « du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions gouvernementales sur la protection du droit au respect de la vie privée »Note de bas de page 119. Fait important, plus les renseignements dont il est question touchent à l'ensemble de renseignements biographiques d'une personne, plus la balance penchera vers une attente raisonnable en matière de vie privée. On entend par « ensemble de renseignements biographiques » des « renseignements que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État. Il pourrait notamment s'agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individu »Note de bas de page 120.

[107] Bien que la GRC ait procédé à une vidéosurveillance de participants à une manifestation publique, les activités publiques d'une personne peuvent être assorties d'une attente raisonnable en matière de vie privée. La Cour suprême du Canada a tiré cette conclusion dans les cas où, par exemple, le gouvernement procède à une surveillance continue d'une activité précise, comme c'est le cas d'une personne qui fait l'objet d'une surveillance constante lorsqu'elle conduit sur les voies publiquesNote de bas de page 121. On s'attend généralement à un certain degré d'anonymat lorsque l'on se trouve dans un endroit public, où l'on ne s'attend pas à être identifié ni surveillé. Ce concept s'appelle « la vie privée dans un endroit public »Note de bas de page 122. Dans le contexte de l'article 8 de la Charte, la Cour suprême du Canada a également conclu que l'anonymat s'inscrit parmi les conceptions de l'aspect informationnel du droit à la vie privée parce qu'il permet aux personnes d'avoir des activités publiques tout en préservant la confidentialité de leur identité et en se protégeant contre la surveillanceNote de bas de page 123. La Cour a déclaré ce qui suit : « Le simple fait qu'une personne quitte l'intimité de sa résidence et pénètre dans un lieu public ne signifie pas qu'elle renonce à tous ses droits en matière de vie privée, même si, en pratique, il se peut qu'elle ne soit pas en mesure d'exercer un contrôle à l'égard des personnes qui l'observent en public »Note de bas de page 124. L'anonymat pourrait donc, compte tenu de l'ensemble des circonstances, « servir de fondement au droit à la vie privée visé par la protection constitutionnelle contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives »Note de bas de page 125.

[108] Par ailleurs, s'il est pertinent pour les besoins de l'analyse de vérifier si les fouilles ou les perquisitions policières ont lieu dans le contexte d'informations, d'objets ou d'activités ayant été dissimulés, la Charte protège contre les perquisitions lorsque la société convient que l'objet de la perquisition devrait rester hors de la portée de l'État, à moins qu'un motif constitutionnel le justifie. La Cour d'appel de l'Ontario a fait remarquer dans la décision R. c. Ward que l'attente raisonnable à la protection de la vie privée ne se limite pas uniquement à déterminer si l'appelant avait une attente subjective de protection de sa vie privée et si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, cette attente était raisonnable :

[Traduction]
[...] Bien que les deux questions permettent de cibler l'enquête sur les faits précis de l'affaire et les valeurs à la base de l'article 8, ni l'une ni l'autre ne saisit l'intégralité de l'enquête sur l'attente raisonnable à la vie privée. L'article 8 vise à préserver le degré de vie privée nécessaire à une société libre et ouverte, et pas nécessairement le degré de vie privée auquel s'attend la personne ou qui est respecté par l'État dans une situation donnée. Pour citer les propos du juge Binnie dans l'arrêt R. c. A. M. (2008) [...], l'article 8 protège le droit à la vie privée :

[...] lorsque les citoyens croient subjectivement qu'il devrait être respecté par le gouvernement et [traduction]« que la société est prête à le considérer comme “raisonnable” »[.]

[87] Tout comme le fait que la cible paranoïaque d'une perquisition n'a aucune attente relativement à la vie privée ne la prive pas des droits que lui garantit l'article 8 [...], les intrusions d'un État omniprésent dans la vie privée ne peuvent rendre les attentes en matière de vie privée déraisonnables pour les besoins de l'article 8. [...] La question, en définitive, est de savoir si une allégation relative à une atteinte à la vie privée dans un cas donné doit, après examen de l'ensemble des circonstances, être qualifiée d'intrusion de l'État sans motif constitutionnel si l'on veut que la société canadienne demeure libre, démocratique et ouverte. [...]Note de bas de page 126. [C'est nous qui soulignons]

[109] Comme la Cour l'a affirmé, si l'État était en mesure de recueillir des informations permettant d'identifier des personnes [traduction] « prenant part à des activités représentant un intérêt pour l'État » unilatéralement et sans contrainte, « la liberté individuelle et, avec elle, la participation significative au processus démocratique s'en trouveraient restreintes »Note de bas de page 127. Ces considérations font elles aussi partie de l'analyse en matière de vie privée.

[110] Quoi qu'il en soit, il faut trouver un juste milieu entre les considérations relatives à la vie privée des personnes et d'autres intérêts légitimes et opposés, comme la prévention des actes criminels, les enquêtes sur ceux‑ci et l'attente de la population afin qu'on assure sa sécurité. C'est pourquoi l'article 8 de la Charte peut uniquement être invoqué lorsque les allégations d'atteinte à la vie privée sont fondées sur une attente raisonnable au regard de la protection de la vie privée et n'interdit que [traduction] « les atteintes [déraisonnables] commises par l'État lorsque les attentes en matière de vie privée étaient raisonnables. [...] »Note de bas de page 128.

[111] En l'espèce, la CCETP ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, que les manifestants avaient une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée au point où l'enregistrement vidéo de l'événement par la police sans l'autorisation d'un juge puisse être qualifié de perquisition abusive. Bien qu'il puisse y avoir une attente subjective en matière de vie privée quant à l'information pouvant être recueillie au sujet d'une personne, comme ses allées et venues et les causes qu'elle soutient et auxquelles elle s'oppose, le but d'une manifestation publique est, après tout, d'être vu et de publiciser une cause. Il s'agit en somme de créer un spectacle public. Qu'il s'agisse de la police, des médias ou du public, l'on s'attend dans ce genre de situation à voir et à capter un événement public comme une manifestation, ce qui augmente considérablement les chances d'exposition de chacun des participants. L'omniprésence, de nos jours, des caméras (surtout celles intégrées aux téléphones cellulaires), conjuguée à la facilité avec laquelle il est possible de publier sur les réseaux sociaux, augmente encore plus les chances que les actes d'une personne lors d'un tel événement soient captés sur vidéo ou ne demeurent pas privés. Il est fort peu probable qu'une personne raisonnable et informée qui se soucie de la protection de sa vie privée s'attende dans ces circonstances à ce que ses activités demeurent privées.

[112] Au-delà du droit garanti par la Charte à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives par l'État, toutefois, il faut tout de même prendre en considération les répercussions sur la vie privée que peut avoir la vidéosurveillance par la police lors de manifestations et de protestations. En captant à l'aide d'une caméra des images susceptibles de révéler l'identité de manifestants (ainsi que des renseignements comme l'endroit où ils se trouvent et leur comportement), les membres de la GRC recueillent des renseignements personnels tels qu'ils sont définis dans la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 129. En plus d'imposer des obligations relativement à la conservation et au retrait des renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels interdit explicitement la collecte de renseignements personnels par une institution gouvernementale, à moins qu'ils aient un lien direct avec ses programmes ou ses activitésNote de bas de page 130. Bien que l'on puisse faire valoir que le mandat de la GRC justifie l'enregistrement vidéo de protestations et de manifestations du fait de ses activités et de ses programmes opérationnels, cela ne veut pas dire pour autant que ce soit raisonnable dans tous les cas. Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a formulé les observations suivantes concernant la vidéosurveillance continue d'un lieu public par la GRC :

À mon avis, le droit à la protection de la vie privée existe à divers niveaux. Manifestement, notre droit à la vie privée est plus important dans nos foyers que dans les endroits publics, où nous sommes inévitablement susceptibles d'être remarqués et observés par ceux avec qui nous partageons l'espace. Cependant, dans ces endroits publics, nous conservons le droit de nous « perdre dans la foule », de vaquer à nos occupations sans être systématiquement observés ou surveillés, plus particulièrement par l'État.

Je partage le point de vue de la Cour suprême du Canada, qui affirme, dans l'arrêt Wong, qu'« il existe une différence importante entre le risque que nos activités soient observées par d'autres personnes et le risque que des agents de l'État, sans autorisation préalable, enregistrent de façon permanente ces activités sur bande magnétoscopique, une distinction qui, dans certaines circonstances, peut avoir des conséquences en matière constitutionnelle. Refuser de reconnaître cette distinction, c'est refuser de voir que la menace à la vie privée inhérente à la vie en société, dans laquelle nous sommes soumis à l'observation ordinaire d'autrui, n'est rien en comparaison avec la menace que représente pour la vie privée le fait de permettre à l'État de procéder à un enregistrement électronique permanent de nos propos ou de nos activités. »Note de bas de page 131 [C'est nous qui soulignons]

[113] Concernant la présence de la GRC à des événements dynamiques comme des protestations et des manifestations, l'enregistrement vidéo de ces événements, dont le but s'inscrit dans les mandats des agents de l'État chargés de faire appliquer la loi et de maintenir l'ordre, peut être qualifié de raisonnable. L'enregistrement de certains incidents directement liés au mandat de la GRC en particulier peut être raisonnable et peut constituer une violation raisonnable du droit à la vie privée des personnes réunies pour manifester.

[114] Il n'en demeure pas moins que la surveillance de manifestants pacifiques peut, selon les circonstances, soulever des préoccupations quant à un exercice abusif de l'autorité policière. Il est vrai qu'on aurait pu conclure à une violation de la Charte ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels si la GRC avait entrepris d'enregistrer sur vidéo chaque manifestation et protestation sans aucune contrainte (ce qui n'est pas allégué en l'espèce). C'est pourquoi la CCETP demande expressément à la GRC de restreindre ses activités de surveillance, particulièrement lorsque les renseignements laissent entrevoir un événement pacifique. La GRC devrait envisager de filmer uniquement les manifestations ou les événements qui risquent de donner lieu ou donnent lieu à des troubles ou des actes illicites. Comme l'a écrit le juge La Forest dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Wong :

J'estime fermement que si une société libre et ouverte ne peut tolérer la possibilité qu'en l'absence d'autorisation judiciaire, les agents de l'État aient le droit d'enregistrer les propos de qui ils veulent, il est également inconcevable que l'État ait le pouvoir discrétionnaire illimité de soumettre qui il veut à une surveillance magnétoscopique effectuée subrepticement.

[...] La surveillance magnétoscopique illimitée par des agents de l'État diminuerait d'une manière importante le degré de vie privée auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre dans une société libre. [...] [N]ous devons toujours rester conscient du fait que les moyens modernes de surveillance électronique, s'ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privéeNote de bas de page 132.

[115] Cela dit, il peut être difficile de prédire si une protestation ou une manifestation sera le théâtre d'actes de violence. Un certain degré de discrétion opérationnelle au regard de l'enregistrement vidéo des protestations et des manifestations est donc raisonnable. Il n'y a en outre aucune indication dans l'information dont dispose la CCETP qui donne à entendre que les enregistrements vidéo devaient servir à des fins déraisonnables. Tout comme la CCETP a conclu que les manifestants ne pouvaient raisonnablement s'attendre à la protection de leur vie privée dans les circonstances, elle ne peut conclure que la décision de la GRC d'enregistrer sur bande magnétoscopique les manifestations constitue une fouille ou une perquisition abusive de la police. Dans les circonstances, la CCETP conclut que l'enregistrement vidéo des manifestations dont il est question était raisonnable.

[116] La CCETP s'interroge toutefois sur ce qui doit advenir de cet enregistrement et s'inquiète du fait que l'enregistrement vidéo réalisé le 17 juin 2013 existait toujours le 5 juin 2014 (puisqu'il figurait dans la documentation pertinente fournie à la CCETP) après qu'il a été déterminé que la manifestation avait été pacifique. L'inspecteur Dana Hart (officier responsable, Détachement de Terrace) a informé la CCETP le 10 octobre 2014 que la vidéo était considérée comme un document éphémère et serait détruite après une période prescrite de cinq ans. La GRC se fonde sur la définition de « documents éphémères » de Bibliothèque et Archives Canada, qui s'applique aux « documents dont on a besoin seulement pour une période limitée, afin d'achever des mesures courantes ou de rédiger d'autres documents »Note de bas de page 133.

[117] En réponse à la demande de la CCETP qui souhaitait prendre connaissance d'une éventuelle politique sur la conservation des enregistrements vidéo d'événements qui ne sont liés à aucune activité criminelle, la Division « E » de la GRC a cité le chapitre 16.4 du Manuel des opérations national. Cette politique, bien qu'elle traite précisément des caméras vidéo à circuit fermé plutôt que des caméras utilisées par les membres de la GRC sur les lieux des protestations et des manifestations, énonce que les enregistrements ne révélant aucun événement d'importance pour l'opérateur doivent être considérés comme des documents éphémères et que tous les enregistrements éphémères doivent être conservés pendant une période prescrite déterminée par le commandant du détachement ou du districtNote de bas de page 134.

[118] L'absence d'une politique claire, les répercussions sur la vie privée et l'incohérence apparente entre les périodes de conservation des enregistrements entre les détachements et les districts incitent la CCETP à recommander à la GRC d'envisager de se doter d'une politique explicite concernant les enregistrements réalisés lors de protestations et de manifestations. Cette politique devrait en outre établir des critères et des conditions raisonnables pour l'enregistrement vidéo de tels événements. Lorsqu'une manifestation est pacifique, les enregistrements qui y sont rattachés ne devraient pas être conservés. La totalité des enregistrements et des images captés lors de protestations et de manifestations pacifiques devrait être détruite dès qu'il est possible de le faire et conformément aux lois applicables.

Conclusion no 5 : Il était raisonnable de filmer les manifestations.

Conclusion no 6 : Comme en témoigne la politique sur l'utilisation d'une caméra de surveillance en circuit fermé sur laquelle se fonde la GRC, celle-ci n'a pas de politique claire sur l'enregistrement vidéo d'événements susceptibles de troubler l'ordre public comme des manifestations et des protestations

Recommandation no 1 : La GRC devrait envisager de se doter d'une politique régissant l'enregistrement vidéo de protestations et de manifestations qui énonce des critères et des conditions pour l'enregistrement vidéo de tels événements et précise les périodes pendant lesquelles ces enregistrements seront conservés.

Recommandation no 2 : Plus particulièrement, la totalité des enregistrements et des images captés lors de protestations et de manifestations pacifiques devrait être détruite dès qu'il est possible de le faire.

ii. Surveillance par la GRC des sources ouvertes

[119] On entend par « sources ouvertes » l'ensemble des sources d'information publiquement accessibles, comme les médias, les sites Web, les blogues, les sites de partage de vidéos et autre contenu généré par les utilisateurs, les discours et la documentation. L'information recueillie à partir de sources ouvertes provient essentiellement d'Internet. Les médias sociaux sont particulièrement utiles pour lever des fonds et organiser des protestations et des manifestations au sein des collectivités locales et des centres urbains, puisqu'ils permettent de rallier un soutien régional, national, voire internationalNote de bas de page 135. Comme il était expliqué dans un rapport de recherche demandé pour la Commission d'enquête sur Ipperwash, la police [traduction] « se fie aujourd'hui énormément aux renseignements recueillis dans des sources ouvertes pour deviner l'intention des manifestants. [...] Les militants mènent leurs activités en se servant d'Internet comme principal outil de communication et d'organisation »Note de bas de page 136. Les documents fournis à la CCETP démontrent que la GRC surveillait les sources ouvertes comme les plateformes de réseaux sociaux, les articles journalistiques et d'autres sites Web pour obtenir de l'information sur les manifestations liées aux audiences de la commission d'examen conjoint ou à tout ce qui entourait les mouvements d'opposition au projet Northern Gateway.

[120] Prenons, par exemple, la manifestation du mouvement Idle No More ayant eu lieu le 11 janvier 2013 à Kelowna qui avait de toute évidence été organisée en ligne, les organisateurs ayant créé une page Facebook pour l'événement. Cette page avait été trouvée par les analystes des renseignements criminels divisionnaires de la GRC, qui en ont fait des captures d'écran et en ont discuté, pour arriver à la conclusion que rien n'indiquait que l'intention était de bloquer la circulation et que l'événement devrait être pacifique. La GRC ayant appris que la manifestation [traduction] « pourrait se tenir dans un climat moins pacifique que prévu », une analyste des renseignements criminels de la Section des analyses criminelles de la Division « E » a consulté la page Facebook de l'événement pour obtenir des renseignements plus récents, notamment sur [traduction] « toutes les personnes ayant rejoint le groupe [Facebook], si possible ». L'analyste en question a également fait mention d'une possible activité sur Twitter entourant la manifestation et a voulu savoir si quiconque avait [traduction] « dressé un portrait sommaire des personnes devant y participer », citant deux personnes en particulier, Personne A et Personne B, qui étaient apparemment chargées de la planification de l'événement et envers qui [traduction] « [la GRC] avait un intérêt particulier ».

[121] Bien qu'un membre de la GRC ait parlé directement à l'un des organisateurs pour obtenir des détails au sujet de l'événement, celui‑ci soulevait tout de même des préoccupations en raison de l'activité qu'il générait sur Twitter et Facebook et qui laissait entrevoir un possible barrage routier. La GRC, après avoir appris qu'un autre événement organisé par le mouvement Idle No More était prévu à Kelowna le même jour, avait contacté l'organisateur pour en savoir plus. Selon la GRC, les organisateurs communiquaient l'information relative à cet événement par l'entremise de Twitter et Facebook, de même que par le site Web de l'organisation Idle No More.

[122] Constatant que des manifestants avaient été arrêtés à Vancouver en janvier 2013, le Détachement de Kelowna s'est servi d'un article de CBC News à ce sujet qui comprenait une photo de cinq des personnes arrêtées et citait le nom de l'un des organisateurs de l'événement, Personne C. Cette information a été ajoutée à un document de planification en vue des audiences à venir plus tard dans le mois, mais l'information fournie ne révèle pas à quelle autre fin, le cas échéant, ce renseignement a été utilisé. L'article, la photo et le nom de l'organisateur de la manifestation ont également été utilisés dans un document de renseignement intitulé Enbridge and Idle No More Protests, qui faisait office de document de suivi concernant les manifestations organisées en marge des audiences de la commission d'examen conjoint et le mouvement Idle No More en général.

[123] À une autre occasion, la GRC avait appris qu'une manifestation du mouvement Idle No More devait avoir lieu à Kamloops le 25 janvier 2013, sans qu'un analyste des renseignements criminels du Détachement de Kamloops parvienne à trouver plus d'informations à ce sujet sur Facebook et d'autres sources sur Internet. Les seules informations obtenues se trouvaient sur le site du mouvement Idle No More et concernaient une manifestation prévue à Kelowna le 28 janvier 2013. Un s.é.‑m. de la GRC a plus tard appris qu'un groupe Facebook appelé « Idle No More Kamloops » avait fait une publication sur sa page au sujet d'une manifestation éclair devant avoir lieu le 25 janvier 2013. Ce s.é.‑m. a également mentionné qu'il avait reçu des informations au sujet d'une personne identifiée (Personne D) qui [traduction] « avait publié qu'un événement était prévu aujourd'hui », mais que la personne qui lui avait transmis l'information n'avait pas accès à Facebook et n'avait pu obtenir plus de renseignements à ce sujet. Ce s.é.‑m. avait demandé si la Section des renseignements criminels souhaitait surveiller la page Facebook « Idle No More Kamloops ».

[124] À une autre occasion, un analyste des renseignements criminels des Services de police autochtones chargé de surveiller l'activité sur Facebook était tombé sur un atelier de formation sur le militantisme prévu le 27 janvier 2013 qui avait pour but de favoriser l'acquisition de capacités et d'enseigner des stratégies pour organiser des manifestations et se préparer en vue d'une prochaine élection provinciale. L'événement, intitulé « Enbridge No More – Workshop: Pipelines and Provincial Organizing », devait porter en partie sur l'audience de la commission d'examen conjoint prévue à Kelowna le 28 janvier 2013. Les organisateurs prévoyaient de construire et de décorer une baleine d'environ sept mètres et demi afin de l'apporter à l'audience. L'analyste avait noté le nombre de personnes ayant indiqué leur intention de participer à l'événement et avait fait des captures d'écran des publications Facebook faites par ceux qui devaient être présents. Bien que tout pointât vers un événement [traduction] « des plus pacifique », le nom du groupe Facebook avait attiré l'attention d'un analyste, qui l'avait signalé à d'autres analystes, mais uniquement aux fins d'information. Lorsque le District du Sud de la GRC a appris qu'une manifestation éclair pourrait avoir lieu dans le cadre de cet événement, il s'est servi de Facebook pour tenter de confirmer l'information. Les noms de plusieurs personnes actives sur Facebook qui avaient fait des publications au sujet de l'événement ou qui avaient discuté de questions touchant à la coordination au sein du groupe avaient alors été notés par la GRC.

[125] L'organisateur d'une danse éclair du mouvement Idle No More (dont il a été question plus haut) qui avait pour but d'attirer l'attention sur le projet de loi C‑45 et l'audience de la commission d'examen conjoint devant se tenir à Kelowna a contacté la GRC à Vernon pour l'informer de l'événement et demander une présence policière. Des membres du District du Sud de la GRC ont constaté que l'événement était publicisé par l'entremise de Facebook et d'autres plateformes et ont pris en note le nombre de personnes qui avaient fait connaître leur intention d'y participer sur Facebook.

[126] La GRC avait aussi appris par Facebook qu'un événement était prévu par le mouvement Idle No More à Kelowna le jour où l'audience de la commission d'examen conjoint devait s'y tenir et a noté qu'au moins 150 personnes prévoyaient y participer.

[127] Concernant la manifestation d'Idle No More organisée au palais de justice de Prince Rupert en avril 2013 (dont il a été question plus haut), la GRC surveillait Facebook pour se tenir au fait du nombre de personnes devant y prendre part. Un analyste des renseignements criminels des Services de police autochtones de la GRC avait noté que 28 personnes avaient confirmé leur présence, indiquant dans un courriel subséquent que [traduction] « les chiffres relatifs à la participation attendue sur Facebook sont généralement exagérés ».

[128] Lorsqu'un événement prévu lors du Jour de la Terre en avril 2013 à Kelowna et coordonné par des membres des mouvements Idle No More et Defenders of the Land a été organisé dans l'intention d'inciter des Non‑Autochtones à se joindre aux collectivités autochtones pour poser des [traduction] « gestes directs et non violents », l'un des organisateurs a contacté la GRC afin de demander une présence policière. Un analyste des renseignements criminels des Services de police autochtones de la GRC a suivi de près l'événement et le nombre de participants prévus à l'aide de Facebook et a transmis des captures d'écran saisies à partir de ce site. La GRC a conclu qu'elle ne ferait appel à aucune ressource policière supplémentaire puisque les renseignements recueillis donnaient à entendre qu'il s'agirait d'un événement pacifique. Des membres des Services de police autochtones se sont cependant rendus sur place pour assurer une présence policière.

[129] Le Détachement de Terrace et les employés des communications et de la sécurité de l'ONE ont été à l'affût de toute information publiée sur les sources ouvertes concernant les audiences de la commission d'examen conjoint prévues à Terrace en juin 2013. L'ONE a noté que le projet Northern Gateway et les audiences soulevaient énormément de discussions sur les réseaux sociaux et divers sites Web, sans toutefois relever d'indices quant à de possibles menaces à la sécurité ou troubles prévus. Un analyste des renseignements criminels des Services de police autochtones de la GRC a également surveillé Facebook concernant les manifestations devant se tenir à Terrace les 16 et 17 juin 2013 pendant les audiences de la commission d'examen conjoint. Cette surveillance a notamment consisté à faire des captures d'écran de pages Facebook (qui comprenaient des commentaires publiés par des personnes identifiables pour confirmer leur présence) et à noter le nombre prévu de participants.

[130] Enfin, dans les jours précédant et suivant la publication de la décision de la commission d'examen conjoint concernant le projet Northern Gateway en décembre 2013, l'EISN de la Division « E » de la GRC a surveillé les réseaux sociaux.

[131] D'autres corps policiers ont également surveillé les sources ouvertes afin de recueillir des renseignements, et l'information fournie révèle qu'il leur est arrivé de transmettre les renseignements recueillis à la GRC. Un membre de l'unité des renseignements criminels du Service de police de Vancouver a envoyé à l'Équipe de collecte de renseignements de la Section des renseignements criminels du District du Sud‑Est de la GRC une publication sur un site Web écrite par un anarchiste avoué qui relatait son expérience dans les manifestations organisées par Idle No More à Vancouver contre le projet Northern Gateway. Celui‑ci avait écrit qu'une vingtaine de [traduction] « rebelles anarchistes » masqués et vêtus de noir avaient mis sur pied un [traduction] « contingent provocateur » et « ouvertement agressif » dans une foule de 600 à 1 000 manifestants antipipeline à Victory Square en janvier 2013. Ces anarchistes avaient lancé des feux d'artifice vers le ciel et utilisé des bannières et un drapeau noir pour tenter de contrer les efforts de surveillance de la police. Les anarchistes auraient eu comme intention de [traduction] « causer du trouble aux patrons d'Enbridge », mais n'ont pas pu obtenir la confrontation voulue avec la police grâce aux organisateurs de la manifestation et à d'autres personnes qui se sont interposés.

[132] En résumé, la GRC a obtenu beaucoup de renseignements concernant les manifestations et d'autres initiatives en consultant des sources ouvertes, et particulièrement les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. L'information ainsi obtenue comprenait des détails comme la date, l'heure et le lieu des manifestations, ainsi que d'autres renseignements précis (p. ex. le nombre potentiel de participants ou l'intention des participants d'ériger un barrage routier ou de perturber l'accès à des infrastructures). Dans certains cas, la GRC est même parvenue à obtenir les noms des organisateurs ou d'autres participants. Les captures d'écran réalisées par la GRC sur des groupes de médias sociaux contenaient souvent des publications faites par des personnes représentant un intérêt, et la CCETP remarque que la Loi sur la protection des renseignements personnels assimile aux renseignements personnels « les idées ou les opinions personnelles »Note de bas de page 137.

[133] Si les publications sur les réseaux sociaux sont souvent considérées comme de l'information de nature « publique », leur statut dans le droit n'est pas aussi simple. Chaque plateforme de réseau social a ses propres règles de confidentialité et entente avec les utilisateurs, et le contenu accessible aux utilisateurs peut ne pas être le même tout dépendant s'ils accèdent à la plateforme par un compte avec identifiants ou non. Les utilisateurs de sites de réseaux sociaux peuvent également restreindre l'accès des membres du public avec qui ils ne sont pas connectés à leur profil et à leurs publications. Le contexte juridique peut également avoir une incidence sur les attentes en matière de vie privée. Ainsi, un demandeur dans une poursuite civile peut être tenu de transmettre au défendeur les publications qu'il a faites sur les réseaux sociaux en lien avec l'affaire, accompagnées d'autres documents pertinents pendant la communication préalable (p. ex. dans une poursuite en dommages corporels où le demandeur cherche à obtenir un dédommagement pour la douleur, l'invalidité ou la perte de jouissance, mais fait des publications sur les réseaux sociaux qui contredisent sa réclamation)Note de bas de page 138, tandis que la collecte d'informations par la police sur les réseaux sociaux peut être vue différemment par les tribunaux.

[134] Comme il a été mentionné précédemment, une technique d'enquête policière ne sera considérée comme une fouille ou une perquisition pour les besoins de la Charte que si la personne concernée a une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée, eu égard à l'ensemble des circonstances. Il y a trois grands aspects du droit à la vie privée : la vie privée qui a trait à la personne, la vie privée qui a trait aux lieux, et la vie privée qui a trait à l'information; l'information glanée sur les réseaux sociaux par la police a de fortes chances de se classer dans la vie privée ayant trait à l'informationNote de bas de page 139, et les fouilles réalisées dans le but de les trouver généreront fort probablement de l'information devant être protégée en vertu de la CharteNote de bas de page 140. La Cour suprême du Canada a mentionné que les activités réalisées avec un ordinateur personnel et Internet méritent un très haut niveau de confidentialitéNote de bas de page 141. Même si la Cour suprême du Canada ne s'est pas précisément penchée sur les attentes en matière de protection de la vie privée associées à l'utilisation des réseaux sociaux, il n'en demeure pas moins que les activités d'une personne sur les réseaux sociaux peuvent être assujetties à une protection au titre de l'article 8 de la Charte du fait de leur lien avec l'ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel. Le juge Fish, au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a écrit ce qui suit dans l'arrêt R. c. Cole :

Plus l'objet de la prétendue fouille se trouve près de l'ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel, plus ce facteur favorisera une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Autrement dit, plus les renseignements sont personnels et confidentiels, plus les Canadiens raisonnables et bien informés seront disposés à reconnaître l'existence d'un droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution.

Les ordinateurs qui sont utilisés à des fins personnelles, indépendamment de l'endroit où ils se trouvent ou de la personne à qui ils appartiennent, « renferment les détails de notre situation financière, médicale et personnelle ». [...] Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, l'ordinateur sert à naviguer sur le Web. Les appareils connectés à Internet « révèlent [...] nos intérêts particuliers, préférences et propensions, enregistrant dans l'historique et la mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons dans l'Internet » [...].

Les renseignements personnels de ce genre se situent au cœur même de l'« ensemble de renseignements biographiques » protégés par l'art. 8 de la CharteNote de bas de page 142. [C'est nous qui soulignons]

[135] La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a récemment conclu que les utilisateurs pouvaient avoir une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée en ce qui a trait aux messages personnels échangés par l'entremise des réseaux sociaux, ce qui donne à entendre qu'une perquisition et une fouille, par la police, des comptes sur les réseaux sociaux constitueraient, du moins dans certains cas, une atteinte au droit garanti par la CharteNote de bas de page 143. Dans cette affaire, les messages saisis par la police avaient été échangés en privé et avaient été transmis à la police par les destinataires, et le site de réseau social avait assoupli ses paramètres et ses politiques en matière de protection de la vie privée. L'auteur du message avait néanmoins une attente raisonnable quant au caractère confidentiel des messages même si, une fois envoyés, ceux‑ci pouvaient être facilement imprimés, distribués à d'autres ou (comme c'était le cas dans cette affaire) remis aux autoritésNote de bas de page 144. D'autres tribunaux d'instance inférieure soutiennent qu'un mandat de perquisition doit être obtenu par la police pour recueillir des renseignements auprès et à propos de l'accusé par l'entremise de sites comme Facebook pendant une enquête criminelle, y compris des renseignements personnels à propos de l'accusé et les messages qui y sont échangésNote de bas de page 145.

[136] D'autres tribunaux vont toutefois dans la direction opposée et concluent que l'information accessible au public et affichée sur les sites de réseaux sociaux comme Facebook peut être utilisée par la police, du moins lorsqu'elle n'est pas protégée par les paramètres de confidentialité. Par exemple, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a conclu qu'une fouille de Facebook par la police dans le but de recueillir des renseignements au sujet de l'accusé pour corroborer une « information » reçue d'une source visait des renseignements qui étaient [traduction] « à la vue de tous » et « accessibles à tous ceux voulant les lire »Note de bas de page 146. Des photos publiées sur Facebook en mode public de personnes brandissant des armes à feu sont également utilisées dans le but d'obtenir des mandats de perquisitionNote de bas de page 147. Dans une autre décision, la police a été en mesure d'avoir accès à des publications sur Facebook au sujet d'une « rave » qui encourageaient la consommation d'alcool et de drogues après avoir été informée de l'événement par des parents inquiets, sans que la Cour formule de commentairesNote de bas de page 148. Il y a des signes qui démontrent que les organisateurs de manifestations se servent de plus en plus des paramètres de confidentialité de Facebook, entre autres outils, pour empêcher la police de voir leurs publicationsNote de bas de page 149.

[137] La nouvelle politique nationale de la GRC sur l'utilisation d'Internet pour les enquêtes criminelles et la collecte de renseignements exige que le [traduction] « praticien désigné accédant aux réseaux sociaux explique toute mesure qu'il prend susceptible d'entrer en conflit avec les modalités de service de la plateforme de réseau social »Note de bas de page 150. Il faut donc savoir que les outils que la police utilise pour surveiller des sites comme Facebook peuvent donc enfreindre leurs modalités de service. En 2016, Facebook a banni Media Sonar, une compagnie canadienne qui vend des outils de surveillance des réseaux sociaux à la police, lui interdisant l'accès à ses donnéesNote de bas de page 151, au motif que l'application ne respectait pas la politique de sa plateforme Facebook applicable aux concepteurs d'application. L'information à la disposition de la CCETP ne précise pas si la GRC utilise un logiciel de ce genre pour surveiller Facebook.

[138] La plateforme de réseau social Twitter en est une autre où la confidentialité peut ne pas être assurée. En effet, les gazouillis (ou « tweets ») publics d'une personne (courts messages ou publications sur le compte d'un utilisateur) peuvent être vus par tout le monde sur la plateforme publique, et la Cour de justice de l'Ontario a déterminé qu'un mandat de perquisition n'était pas nécessaire pour les obtenirNote de bas de page 152. La CCETP fait cependant remarquer que Twitter lui‑même interdit aux tierces parties (qui conçoivent des applications permettant de faire un dépouillement du réseau social, par exemple) d'autoriser les organismes d'application de la loi à utiliser les données de Twitter aux fins de surveillance, affirmant que [traduction] « [l]e fait de se servir des interfaces de protocole d'application de Twitter ou de ses produits de données pour surveiller ou profiler des manifestants et des activistes est tout à fait inacceptable et interdit »Note de bas de page 153.

[139] Tout comme avec Facebook, bien qu'il ne soit pas nécessaire pour la GRC et d'autres organismes d'application de la loi d'obtenir l'autorisation d'un juge pour avoir accès à Twitter, les outils qu'ils utilisent peuvent enfreindre les modalités de service du réseau social. À preuve, Twitter a récemment exclu deux compagnies distinctes qui offraient des services de surveillance à des organismes d'application de la loi des États‑Unis après avoir reçu des plaintes selon lesquelles ces compagnies se servaient de la manne de données que sa plateforme génère pour aider les forces policières à suivre de près des militantsNote de bas de page 154. Là encore et comme le veut la nouvelle politique de la GRC, les praticiens qui participent à des enquêtes criminelles ou à la collecte de renseignements doivent être prêts à justifier leurs actions si celles‑ci entrent en conflit avec les modalités de service.

[140] D'après l'examen qu'a fait la CCETP de la jurisprudence, il semble que, sous l'angle de la Charte, la police soit généralement autorisée à recueillir un minimum de renseignements à partir de sources accessibles au public. Ainsi, la collecte de renseignements de nature générale sur des événements prévus par le biais des réseaux sociaux devrait être jugée acceptable, ces renseignements ne devant logiquement pas susciter une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Il n'en va pas de même pour les renseignements personnels à propos de personnes en particulier, mais il semble jusqu'à maintenant que l'information accessible au public sur les réseaux sociaux, comme les noms et les photos de profil, ne soit pas visée par la protection consentie par la Charte.

[141] En ce qui a trait à l'enregistrement vidéo de manifestants cependant, la collecte de renseignements personnels à partir des réseaux sociaux et d'autres sources sur Internet demeure rattachée à des impératifs sur le plan du droit régissant la protection de la vie privée. De l'avis du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP), l'information est souvent affichée en ligne avec une certaine attente en matière protection de la vie privée, que cette attente soit raisonnable ou nonNote de bas de page 155. Le CPVP a lui‑même conclu que le fait que des renseignements personnels soient accessibles sur Internet « ne leur enlève pas leur caractère personnel » pour les besoins de la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 156. Dans un cas précis, des ministères gouvernementaux, parmi lesquels le ministère de la Justice, avaient pendant quelques années consulté régulièrement la page Facebook personnelle d'un militant bien connu et d'autres sites de réseaux sociaux afin de recueillir des renseignements. Leur argument était que les gens renoncent à leur droit en matière de protection de la vie privée lorsqu'ils publient sur les réseaux sociaux, un argument contre lequel le CPVP s'est vivement élevé. Celui-ci avait même recommandé que cette pratique cesse sur-le-champ, à moins que les ministères puissent démontrer que la consultation de ces renseignements est en lien direct avec des activités gouvernementales légitimes, et que tous les renseignements personnels recueillis antérieurement en l'absence d'un tel lien direct soient détruits. Le CPVP avait également recommandé que les ministères se dotent de politiques et de lignes directrices internes régissant la collecte, par leurs employés, de renseignements personnels sur des sites de médias sociaux et la limitant aux renseignements ayant un lien direct avec leurs programmes ou activitésNote de bas de page 157. Les ministères concernés avaient accepté ces recommandations.

[142] Les publications sur les réseaux sociaux peuvent également se révéler trompeuses pour la police lorsqu'elle recueille des renseignements et fait enquête, ce genre d'information n'étant pas toujours fiableNote de bas de page 158. En effet, les publications peuvent être inexactes ou exagérées, être fondées sur du ouï‑dire ou des informations non avérées, ou être même affichées par d'autres personnes ayant utilisé les identifiants de connexion du supposé auteur (p. ex. dans le cas où une personne laisse son ordinateur sans surveillance alors qu'une session sur un site de réseau social est ouverte)Note de bas de page 159. Même l'information la plus simple peut ne pas être fiable. Dans un cas précis, un membre de la GRC avait noté que le nombre de participants prévoyant de prendre part à des événements obtenu sur des sites de réseaux sociaux était généralement gonflé par rapport au nombre de personnes qui s'y présentent réellement, la participation étant estimée à un sixième de celle attendue. Un analyste des renseignements criminels a fait une observation similaire à propos des chiffres de participation gonflés. La GRC, dans son rapport sur le projet SITKA, a également affirmé que les publications affichées sur les réseaux sociaux concernant la participation prévue aux événements gonflent – et de beaucoup – le nombre de participants qui se présenteront véritablement, tout comme il arrive que la participation soit sous‑estiméeNote de bas de page 160.

[143] Qui pis est, des documents à première vue fiables, comme des photos, peuvent être modifiés numériquement à l'aide de procédés qui vont en profondeur et qui sont difficiles à détecter. C'est pourquoi les images (tout comme les photos et les documents) obtenues à partir de sources ouvertes sur Internet doivent être authentifiées pour être admissiblesNote de bas de page 161, ce qui peut parfois se révéler difficile. Les sites Web et les plateformes de réseaux sociaux peuvent eux aussi modifier subtilement les images (p. ex. en recadrant les images ou en en modifiant la taille) ou supprimer des métadonnées pertinentes des images lorsqu'elles sont téléchargées, ce qui complique grandement la tâche de la personne qui cherche à démontrer qu'une image a été modifiée. La documentation fournie à la CCETP est muette sur les problèmes de fiabilité que la GRC pourrait avoir rencontrés lorsqu'elle générait des renseignements à partir des informations obtenues de sources ouvertes, ou sur les méthodes ayant été mises en place pour atténuer ces problèmes.

[144] Nonobstant les préoccupations susmentionnées, la CCETP estime qu'il était raisonnable de la part de la GRC de recueillir des informations sur des événements publics par l'entremise de publications affichées sur des réseaux sociaux et, donc, accessibles au public. Par souci de précision, il était raisonnable d'obtenir des détails comme la date, l'heure et le lieu d'un événement et le nombre de personnes ayant manifesté leur intention d'y prendre part. Il ne s'agissait pas là de renseignements personnels ni confidentiels qui auraient suscité chez toute personne raisonnable des attentes en matière de protection de la vie privée, du moins tant que la présence et la participation d'une personne en particulier ne font pas l'objet d'une surveillance. La collecte de ces informations était aussi directement liée aux programmes et aux activités de la GRC, comme l'exige la Loi sur la protection des renseignements personnels. L'information a permis de brosser un portrait sommaire, mais utile de la forme que devrait prendre un événement donné et a aidé la GRC à évaluer le niveau de menace et à déterminer l'intervention policière à privilégier. Bien que la menace d'activité criminelle fût minime, voire inexistante, certaines audiences tenues par le passé avaient donné lieu à quelques perturbations, et il était raisonnable de la part de la GRC de se tenir au fait de l'évolution de la situation en recueillant des renseignements.

[145] Cela dit, la CCETP constate que les moyens pris par la GRC pour surveiller les événements et les groupes publics par l'entremise des réseaux sociaux ont souvent donné lieu à la collecte de renseignements personnels. Des captures d'écran de sites de réseaux sociaux comme Facebook contenaient de nombreux noms parmi les membres du groupe et les possibles participants aux événements, ainsi que des renseignements divers, comme leur intention de participer aux événements, leurs avis concernant une question faisant l'objet d'un débat, voire leur appartenance au groupe Facebook. Or, ces renseignements semblent avoir été conservés.

[146] Depuis les événements faisant l'objet du présent rapport, la GRC s'est dotée d'une politique nationale qui encadre l'usage qu'elle fait d'Internet pour mener des enquêtes criminelles et recueillir des renseignementsNote de bas de page 162. En vertu de cette politique, l'information obtenue d'une source ouverte peut être utilisée pour générer des renseignements criminels admissibles dans une poursuite devant un tribunal, et les fonctions de collecte de renseignements à partir de sources ouvertes peuvent être exécutées par toutes les catégories d'employés de la GRC (pour peu qu'ils satisfassent aux exigences en matière de formation, de désignation et d'autorisation, lesquelles varient selon le niveau de l'activité de collecte de renseignements à partir de sources ouvertes qui doit être réalisée). L'information tirée de sources ouvertes est définie dans la politique comme étant [traduction] « des renseignements non classifiés bruts qui proviennent d'une source primaire, p. ex. Internet, et peuvent comprendre tout type de média de toute forme. L'information de sources ouvertes est obtenue, tirée, achetée ou récupérée de façon légale à partir de sources “ouvertes” ou “disponibles au public” comme des sites Web, des blogues, des réseaux sociaux et des bases de données en ligne »Note de bas de page 163.

[147] Il est également question dans la politique de la génération de renseignements à partir d'informations de sources ouvertes (RSO). Reprenant le libellé de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la politique exige que tous les RSO recueillis aient un lien direct avec le mandat du programme opérationnel et les activités d'application de la loi officielles. Dans les situations où il est difficile de dire si des activités relatives aux RSO peuvent aller à l'encontre de la politique ou pourraient enfreindre la loi, les praticiens désignés doivent consulter le commandant de l'unité et les Services juridiques de la GRC, entre autres. Les activités de collecte de RSO sont divisées en trois niveaux. Chaque niveau est plus secret que le précédent et peut nécessiter le recours à des identités numériques discrètes ou dissimulées.

[148] La politique traite également des attentes en matière de protection de la vie privée individuelle, interdisant le recours à des outils, des techniques ou des logiciels spécialement conçus pour contourner les paramètres de confidentialité en ligne. Les praticiens désignés doivent utiliser une méthode passive de collecte de l'information de façon à pouvoir montrer que les données obtenues sont librement accessibles sur Internet »Note de bas de page 164. Ils doivent également s'assurer d'avoir légalement accès à l'information recherchée en ligne, puisque [traduction] « l'attente raisonnable du public quant au respect de la vie privée revêt une importance primordiale »Note de bas de page 165. La politique énonce également que la collecte, la conservation et le retrait des renseignements personnels doivent se faire conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et que les praticiens doivent avoir « en place des mécanismes qui sont conformes ou supérieurs à toutes les exigences légales et relatives à l'accès à l'information, telles qu'énoncées [Manuel des opérations de la GRC] et au paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels »Note de bas de page 166.

[149] Au sujet des réseaux sociaux en particulier, la politique énonce ce qui suit :

5. 1. Il est acceptable de mener des activités de collecte aux fins de RSO dans les médias sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Google+, etc.) et d'utiliser les éléments, les logiciels ou les outils de tiers qui s'y trouvent, pourvu que l'une des conditions suivantes soit remplie :

5. 1. 1. les activités de recherche et de collecte sont passives et s'inscrivent dans une tâche ou un objectif d'enquête précis;

5. 1. 2. le client a besoin de confirmer ou d'infirmer une information provenant du renseignement criminel, une information concernant une menace ou une piste d'enquête traditionnelle qui se rapportent à une personne, à un lieu ou à un incident.

5. 2. L'intervenant désigné doit lire et comprendre les conditions d'utilisation des sites Web qu'il consulte.

5. 2. 1. L'intervenant désigné doit pouvoir expliquer clairement toute démarche pouvant aller à l'encontre des conditions d'utilisation. [...]Note de bas de page 167

[150] Bref, la nouvelle politique offre certaines orientations quant aux attentes en matière de protection de la vie privée et à la collecte de renseignements personnels à partir de sources comme les réseaux sociaux. Elle définit en des termes généraux les circonstances dans lesquelles il est acceptable de recueillir des renseignements personnels (il faut que la collecte soit en corrélation directe avec une activité d'application de la loi légitime). Si la nouvelle politique avait été en vigueur lorsque les activités de collecte de renseignements reprochées dans le présent rapport ont eu lieu, la CCETP estime que la situation aurait été sensiblement la même sur le plan de la conservation des renseignements personnels lorsqu'il n'y a aucun lien avec une activité criminelle ou autre menace de dommages.

[151] La CCETP croit qu'il aurait été utile que la politique de la GRC sur l'utilisation des sources ouvertes soit plus claire en ce qui a trait aux réseaux sociaux et aux renseignements personnels. Il devrait être précisé dans la politique les renseignements pouvant être recueillis à l'aide de sources comme les réseaux sociaux de même que les fins auxquelles l'information peut et ne peut pas servir. La politique devrait également établir les mesures devant être prises pour s'assurer de la fiabilité de l'information ainsi obtenue. La CCETP recommande tout particulièrement que la politique (et les politiques connexes sur la conservation des renseignements personnels) exige que les dossiers de réseaux sociaux, y compris les captures d'écran, soient détruits dès qu'il est possible de le faire et conformément aux lois applicables une fois qu'il est déterminé qu'il n'y a aucun lien avec des activités criminelles ou que l'information n'est plus nécessaire pour les fins auxquelles elle avait été recueillie au départ.

Conclusion no 7 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller les sources ouvertes afin de recueillir des renseignements sur les manifestations et les protestations à venir.

Conclusion no 8 : La politique actuelle de la GRC sur l'utilisation des sources ouvertes ne donne pas d'orientations claires quant à la collecte, l'utilisation et la conservation de renseignements personnels obtenus sur les réseaux sociaux dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

Recommandation no 3 : La GRC devrait fournir des lignes directrices claires qui décrivent les renseignements personnels pouvant être recueillis sur les sites de médias sociaux, les utilisations qui peuvent en être faites, et les mesures devant être prises pour s'assurer de leur fiabilité.

Recommandation no 4 : La politique de la GRC devrait exiger la destruction des dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (comme des captures d'écran de sites de médias sociaux) une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien entre les renseignements et des activités criminelles.

iii. Vérifications de personnes par la GRC

[152] La CCETP a examiné la documentation à sa disposition et a pu constater que la GRC avait procédé à des vérifications dans les sources ouvertes et la base de données interne concernant un certain nombre de personnes figurant parmi les organisateurs des manifestations et des protestations et les participants à celles‑ci.

[153] À titre d'exemple, Personne A et Personne B ont été qualifiées de personnes d'intérêt par des analystes des renseignements criminels de la GRC en janvier 2013, parce qu'elles auraient participé à l'organisation d'un événement du mouvement Idle No More à Kelowna. Un analyste des renseignements criminels du Détachement de Kelowna a demandé à deux autres analystes s'ils avaient « dressé un portrait sommaire des personnes devant y participer ». Personne B a plus tard été mentionnée dans un document de renseignement intitulé Enbridge and Idle No More Protests comme étant [traduction] « à la tête » d'une centaine de manifestants du mouvement Idle No More dans la partie ouest de Kelowna.

[154] Le 18 janvier 2013, la directrice générale d'un hôtel de Kelowna (où l'audience de la commission d'examen conjoint devait se tenir) a écrit à des membres de la GRC et de l'équipe de sécurité de l'ONE pour les informer que deux personnes l'avaient approchée pour lui demander sa coopération et son autorisation afin que leurs groupes respectifs tiennent une manifestation dans l'hôtel le jour de l'audience de la commission d'examen conjoint.

[155] La première personne ayant parlé à la directrice générale ce jour‑là, Personne E, souhaitait qu'un espace soit réservé sur le site de l'hôtel pour son groupe de manifestants, « Enbridge No More », le jour de l'audience de la commission d'examen conjoint et l'a informée que les participants de son groupe proviendraient de partout en Colombie‑Britannique et qu'elle s'attendait à ce que l'événement suscite beaucoup d'intérêt. Selon elle, le mouvement Idle No More serait également représenté. Lorsque la directrice générale lui a expliqué que l'hôtel et le terrain autour étaient une propriété privée et non un lieu public, Personne E l'a avertie que les manifestants pourraient mal réagir au fait d'être tenus à l'écart de l'événement et qu'elle, en tant que directrice de l'hôtel, avait essentiellement deux choix : se ranger du côté des manifestants, ou avoir mauvaise presse et mal paraître sur les chaînes de télévision à l'échelle du pays. La directrice générale lui a répondu qu'elle ferait part de ses commentaires aux Services juridiques de la chaîne de l'hôtel, un geste qu'a approuvé Personne E, et qu'elle leur transmettrait ses coordonnées au cas où ils souhaitaient lui parler directement. Ses coordonnées ont aussi été communiquées à la GRC, à la demande de cette dernière. Les commentaires de Personne E au sujet de la manifestation « Enbridge No More » ont été ajoutés à une note d'information de la GRC concernant les manifestations prévues en marge de l'audience de la commission d'examen conjoint le 28 janvier 2013.

[156] Personne E semble avoir été vue par la direction de l'hôtel comme une menace potentielle, celle‑ci ayant fait part à l'ONE et à la GRC de ses inquiétudes concernant la sécurité et le bien‑être des employés et des clients de l'hôtel à la suite de [traduction] « commentaires reçus récemment par certains des manifestants [...] ». Le matin du 21 janvier 2013, la GRC a dépêché un contingent à l'hôtel afin qu'il procède à une reconnaissance, et le directeur régional de la chaîne hôtelière a informé la GRC que leurs avocats étaient d'avis que la direction de l'hôtel ne devrait pas accepter d'accueillir l'audience de la commission d'examen conjoint. Le directeur régional de la chaîne hôtelière a également informé la GRC que Personne E avait téléphoné chaque jour à l'hôtel pour formuler des « menaces » relativement à la manifestation et demander la coopération de l'hôtel, notamment fournir l'électricité pour de gros haut‑parleurs et un endroit pour prononcer des discours. Le même jour, un sergent de l'Équipe de collecte de renseignements du District du Sud‑Est de la Section des renseignements criminels de Kelowna a envoyé un courriel au surintendant du District du Sud‑Est pour lui demander si quiconque avait « dressé un portrait sommaire de [Personne E] », indiquant qu'il était disposé à coordonner cette initiative, mais qu'il ne voulait pas effectuer un travail ayant déjà été fait. Plus tard le même jour, le sergent de la GRC a répondu qu'il devrait recevoir des informations de sources ouvertes et que des vérifications de « niveau 4 » seraient effectuées sur « le sujet ».

[157] Toujours le même jour, le sergent de la GRC de l'Équipe de collecte de renseignements du District du Sud‑Est a transmis quelques renseignements au sujet de Personne E, qu'il a décrite dans son courriel comme une [traduction] « personne d'intérêt ». Il a écrit que Personne E :

[Traduction]
[...] était très engagée dans la signature de pétitions et les enjeux sociétaires qu'elle appuie. Elle figurait parmi les organisateurs d'une manifestation pro‑choix tenue devant l'hôtel de ville en septembre 2012 [...] qui s'est déroulée pacifiquement, d'après ce que je peux voir. Elle s'oppose au projet d'Enbridge et manifeste un soutien à tout le moins passif aux enjeux qui touchent les Premières Nations, parmi une multitude d'autres enjeux sociaux.

Tout indique qu'elle se sert de son droit démocratique d'adresser des pétitions et de manifester contre des enjeux, tant privés que gouvernementaux, avec lesquels elle est en désaccord. Je n'ai relevé aucune preuve de problème de santé mentale ou d'une propension à la violence ou à la désobéissance civile agressive.

[158] Le 22 janvier 2013, un conseiller en sécurité de l'ONE, qui avait lui aussi reçu le courriel de la directrice générale de l'hôtel concernant Personne E, a voulu obtenir auprès de la GRC des renseignements plus détaillés au sujet du groupe qu'elle représentait. Le 23 janvier 2013, le sous‑officier des opérations de la Section des renseignements criminels de la Division « E » a également demandé, lors d'un incident qui sera abordé sous peu, que des vérifications au sujet de Personne E soient effectuées dans la base de données de la police et des sources ouvertes. Personne E a contacté la GRC plusieurs jours plus tard pour faire connaître ses inquiétudes au sujet des manifestations à venir. Il semble qu'un dialogue se soit établi entre elle et la GRC avant la tenue de l'événement.

[159] La deuxième personne à parler à la directrice générale de l'hôtel, Personne F, a indiqué qu'elle avait déjà travaillé avec Personne E, mais que son organisation avait retiré son soutien à l'organisation de cette dernière pour des raisons qui la préoccupaient et que les deux ne collaboraient plus ensemble. Personne F avait alors expliqué à la directrice générale qu'elle s'attendait à un très grand nombre de participants et demandé qu'ils soient autorisés à utiliser une partie du stationnement de l'hôtel, précisant que le groupe serait pacifique et respectueux, ne tenterait pas d'entrer dans l'hôtel, serait accompagné de membres des services de police des Premières Nations et de la GRC, et quitterait les lieux au premier signe de violence. Ces informations ont été inscrites dans une note d'information interne. La documentation dont dispose la CCETP ne mentionne pas si des vérifications ont été effectuées dans les sources ouvertes et la base de données de la police au sujet de Personne F. Cependant, la dissociation de son groupe de celui de Personne E préoccupait les responsables de la sécurité de l'ONE, puisque l'on en ignorait les raisons. Lorsque l'ONE a appris que deux groupes de manifestants avaient communiqué avec l'hôtel, l'un de ses conseillers en sécurité a jugé qu'il n'en fallait pas plus pour décider de tenir l'audience en deux endroits, ce qui aurait pour conséquence d'exclure le public de la salle d'audience, comme ce qui avait été fait à Vancouver et à Victoria.

[160] Personne G a également attiré l'attention de la GRC en janvier 2013 en raison de son rôle en tant qu'organisatrice et de personne-ressource pour une manifestation du mouvement Idle No More prévue le 28 janvier 2013, jour de l'audience de la commission d'examen conjoint à Kelowna. Personne G avait contacté le caporal Martin Trudeau, sous‑officier des services de police ruraux et des Premières Nations de la GRC à Penticton, en Colombie‑Britannique, à la mi‑janvier 2013 pour informer la GRC de la manifestation. Le caporal Trudeau avait noté dans un courriel que les organisateurs de la manifestation savaient que l'hôtel où l'audience devait avoir lieu était une propriété privée et ne voulaient causer aucun problème. Il avait également souligné que Personne G avait déjà organisé une manifestation du mouvement Idle No More ce mois‑là et qu'elle [traduction] « est très à l'écoute et collabore très bien jusqu'à maintenant ». Le sous‑officier des opérations de la Section des renseignements criminels de la Division « E » a déclaré que le District du Sud‑Est de la Section avait reçu comme mandat de recueillir des renseignements concernant l'audience à venir, mais en l'absence d'analyste au sein du District du Sud‑Est, il demandait que des vérifications de la base de données de la police et des sources ouvertes soient effectuées sur Personne G et un autre [traduction] « organisateur/collaborateur possible », Personne E (abordée précédemment). La chaîne de courriels à ce sujet comprenait une note d'information contenant des renseignements contextuels sur les événements et quelques renseignements de base au sujet des organisateurs.

[161] En réponse à la demande de la Section des renseignements criminels de la Division « E » de la GRC, un membre du personnel civil de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé de la Colombie‑Britannique, Section des sources ouvertes, a dressé un [traduction] « portrait sommaire » de Personne G et réuni des informations tirées de sources ouvertes comme YouTube. Le profil (qui, selon le membre du personnel civil de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé de la Colombie‑Britannique, a été dressé à partir d'informations tirées de sources ouvertes) contenait des renseignements comme l'adresse, la date de naissance, le numéro de téléphone, le numéro de permis de conduire, la taille, la couleur des cheveux et des yeux, ainsi que des renseignements sur des personnes qui lui seraient apparentées d'après leurs noms (et comprenaient des renseignements comme la date de naissance et l'adresse de ces personnes, et même des renseignements relatifs au permis de conduire délivré en Colombie‑Britannique pour certaines d'entre elles). Nulle part il n'est fait mention de casiers judiciaires. Selon les informations communiquées à la CCETP, ce profil a été envoyé à la Section des analyses criminelles de la Division « E », District du Sud‑Est, ainsi qu'à un analyste des renseignements criminels et un officier des opérations du Détachement de Kelowna. Peu de renseignements sur Personne E, Personne F, Personne G et les événements auxquels elles étaient associées figuraient dans les notes d'information de la GRC en vue de l'audience prévue en janvier.

[162] Il est arrivé à quelques occasions que l'ONE procède à ses propres vérifications et les transmette à la GRC. Le 23 janvier 2013, un conseiller en sécurité de l'ONE a transmis à la GRC une liste des intervenants devant présenter un exposé lors de l'audience de Kelowna qui comprenait les noms, adresses électroniques, numéros de téléphone et villes de résidence de ceux‑ci. Dans cette liste, le nom de deux personnes était en surbrillance pour indiquer que des vérifications dans des sources ouvertes avaient été réalisées à leur sujet et semblaient indiquer qu'il s'agissait de militants, bien que, comme il est précisé dans le document, il ne soit pas rare pour des militants et des manifestants de présenter des exposés. Rien dans la documentation fournie à la CCETP ne permet de conclure que la GRC a pris de quelconques mesures relativement à cette information ou a procédé à ses propres vérifications sur les intervenants devant prendre part à l'audience.

[163] L'objectif du renseignement criminel est de déjouer les activités criminelles. Il va de soi que la GRC doit connaître les dernières informations et derniers renseignements lui permettant de mettre au jour de possibles menaces criminelles et de réaliser les aspects de son mandat ayant trait au maintien de l'ordre et à l'exercice des droits de toutes les parties concernées. La collecte d'informations pertinentes sur les organisateurs et les participants lorsque des manifestations sont prévues peut être un objectif raisonnable dans le cadre du processus de collecte de renseignements, surtout dans le cas, par exemple, d'un organisateur ayant déjà participé à des manifestations violentes ou troublé la paix. En pareil cas de figure, une approche plus musclée à la sécurité pourrait être justifiée.

[164] Il n'empêche que la CCETP est préoccupée par la pratique qui consiste à procéder à des vérifications approfondies au sujet de personnes soupçonnées de faire partie des organisateurs ou des participants lors de manifestations, alors qu'il n'y a aucun motif raisonnable ou aucune raison en tant que telle de soupçonner ces personnes de prendre part à une quelconque activité criminelle et qu'il n'y a aucun renseignement ni aucune information donnant à entendre que les protestations et les manifestations organisées pourraient donner lieu à des gestes de violence ou autre acte illicite. De l'avis de la CCETP, il n'y a pas grand intérêt à dresser un « portrait sommaire » de personnes ayant attiré l'attention de la GRC uniquement parce qu'elles organisent une manifestation ou une protestation (un droit qui est garanti par la Constitution) ou ont fait connaître leur intention de prendre part à l'une d'elles (un droit qui est lui aussi garanti par la Constitution). Dans ces circonstances, la CCETP se demande s'il sera systématiquement raisonnable ou acceptable d'effectuer de telles vérifications, surtout si les informations recueillies sont rassemblées en un « profil » ou un « portrait sommaire » et conservées.

[165] Dans le cas de Personne G, la GRC a généré un profil détaillé à son sujet alors qu'elle s'était montrée à l'écoute et directe avec la GRC au sujet de la nature de l'événement auquel elle était associée. D'après les renseignements fournis, aucune activité criminelle (ni même une activité de moindre gravité) ne semble avoir été relevée, et aucune menace importante n'avait été associée à l'événement organisé par le mouvement Idle No More le même jour que l'audience de la commission d'examen conjoint prévue à Kelowna le 28 janvier 2013.

[166] Les renseignements dont dispose la CCETP n'indiquent pas si les sources consultées pour dresser le « portrait sommaire » de Personne G comprenaient la base de données de la police ou d'autres bases de données gouvernementales (ou si d'autres produits de renseignement criminel ont été générés à l'aide de ces bases de données), mais la CCETP constate que des membres de la GRC avaient demandé à consulter des bases de données de la police à son sujet et au sujet d'autres personnes. Il est raisonnable de déduire que les renseignements obtenus au sujet de Personne G étaient liés à son permis de conduire de la Colombie‑Britannique et comprenaient son adresse, sa date de naissance, sa taille, son poids, et la couleur de ses yeux et de ses cheveuxNote de bas de page 168. Les renseignements pouvant être obtenus à l'aide du permis de conduire d'une personne (ou, plutôt, du numéro de permis de conduire lui‑même) ne sont généralement pas des renseignements accessibles au public, ce qui est une caractéristique d'une source ouverte. En fait, il s'agit de toute évidence de renseignements personnels, généralement protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il est donc raisonnable de présumer que ces renseignements ont été obtenus en consultant une base de données de la police ou du gouvernement. Il s'agit d'un point important, puisque les renseignements personnels qui ne sont pas accessibles publiquement ne peuvent être recueillis, utilisés ou divulgués par des institutions gouvernementales fédérales, sauf dans les circonstances autorisées par la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 169.

[167] Au début d'une vérification des antécédents ou d'une évaluation des renseignements, on ne sait pas toujours si les informations recueillies révéleront une menace d'activité criminelle ou une menace à la sécurité nationale, ou si elles seront simplement liées à une activité de militantisme, de manifestation ou de protestation tout à fait licite. Les informations recueillies peuvent nécessiter une analyse pour déterminer s'il y a une menace criminelle ou non. En ce sens, il n'est pas déraisonnable de recueillir des informations afin de dresser le profil récent d'une personne à l'aide des renseignements obtenus. À partir du moment où il a été déterminé que Personne G représentait un risque nul sur le plan des activités criminelles ou de la sécurité nationale (ou qu'il n'y avait plus aucun besoin de recueillir d'autres informations pour assurer la sécurité lors des audiences), l'utilisation et la conservation de ses renseignements personnels auraient dû cesser.

[168] Outre le fait que la CCETP a reçu le « portrait sommaire » de Personne G ainsi que des documents faisant mention de ses renseignements personnels en 2014, il n'est pas indiqué dans les documents dont dispose la CCETP les usages qui ont été faits de ses renseignements personnels ni la période pendant laquelle la GRC les a conservés. Les renseignements ont été communiqués à la Section des renseignements criminels de la Division « E » et à un analyste des renseignements criminels faisant partie du personnel civil de la GRC au sein du Détachement de Kelowna le lendemain de leur collecte. Nulle part dans les documents fournis il n'est indiqué si ces renseignements ont été transmis à d'autres personnes, et il n'a pas été clairement établi quand ces renseignements ont été liés aux résultats obtenus à l'issue des vérifications dans les bases de données de la police qui avaient été demandées.

[169] Aussi préoccupée que soit la CCETP au sujet de cette question, elle ne dispose pas de renseignements suffisants pour conclure qu'il était déraisonnable d'utiliser et de conserver les renseignements personnels de Personne G. Par conséquent, la CCETP conclut que les membres de la GRC auraient besoin d'une politique ou de lignes directrices à cet égard.

[170] Lorsqu'aucun lien n'est établi entre les renseignements obtenus et une activité criminelle, ceux‑ci n'ont plus aucune utilité sur le plan de l'application de la loi ou du renseignement criminel. La CCETP se doit de rappeler, comme elle l'a fait plus tôt, que le mandat de sécurité nationale de la GRC ne vise pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, sauf lorsque les activités de cette nature constituent une menace envers la sécurité du Canada aux termes de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Conformément à cette restriction, la CCETP recommande à la GRC d'élaborer une politique ou des lignes directrices prévoyant que tous les renseignements personnels, y compris ceux de personnes participant à des activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, ne soient pas conservés une fois qu'il est établi que ces renseignements n'ont aucun lien avec une activité criminelle ou la sécurité nationale ou qu'ils ne sont plus nécessaires aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis. Tous les dossiers contenant de tels renseignements personnels, y compris les renseignements personnels rassemblés en des « profils », devraient être jetés ou détruits dès que possible et conformément aux lois applicables.

Conclusion no 9 : La CCETP ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour conclure qu'il était déraisonnable de conserver le profil et les renseignements personnels de Personne G.

Conclusion no 10 : La GRC ne dispose pas d'une politique ou de lignes directrices claires concernant l'utilisation et la conservation des renseignements personnels lorsqu'il est déterminé qu'il n'y a aucun lien avec des activités criminelles.

Recommandation no 5 : La GRC devrait se doter d'une politique lui interdisant de conserver les renseignements personnels qu'elle a recueillis une fois qu'il est établi qu'ils ne sont liés à aucune activité criminelle.

[171] La CCETP a examiné les autres exemples de vérifications ayant été effectuées par la GRC qui figuraient dans la documentation et elle est d'avis qu'elles n'étaient pas en soi déraisonnables. La police a un mandat de sécurité publique à remplir et aidait l'ONE, à sa demande. Même en l'absence d'indications d'activités criminelles ou d'un niveau de menace important, la GRC était aux prises avec plusieurs questionnements, notamment les perturbations susceptibles de découler qu'une manifestation ou d'une protestation et le risque pour le personnel de l'ONE, les participants à l'audience, le personnel et les clients de l'hôtel où se tenaient les audiences et la population en général. En répondant à ces questions, la GRC s'acquittait non seulement de son mandat d'application de la loi, mais également de son devoir de recueillir des renseignements. Les audiences qui s'étaient déroulées à Vancouver avaient été le théâtre de manifestations de grande envergure et très dynamiques auxquelles avaient pris part des participants au comportement provocateur. À une occasion même, les manifestants étaient parvenus à pénétrer dans la salle d'audience et à perturber les procédures. Rien d'étonnant donc à ce qu'il y ait eu des craintes (surtout de la part de l'ONE) que des tactiques agressives similaires soient employées à Kelowna pour manifester et perturber le processus d'audience.

[172] Il semble que Personne E, en particulier, était vue comme une menace potentielle au bon déroulement de l'audience. La GRC a donc cherché des renseignements à son sujet et au sujet de son organisation. Bien qu'ils fassent mention de « portraits sommaires », les documents dont dispose la CCETP indiquent seulement que des vérifications ont été effectuées concernant Personne E (outre le fait que des renseignements au sujet de Personne E aient été transmis à la CCETP, les documents n'indiquent pas si un profil a été établi ou si des renseignements personnels à son sujet ont été conservés). En l'absence de renseignements plus poussés, la CCETP conclut que les vérifications réalisées n'étaient pas déraisonnables et formule la même conclusion au regard des vérifications sans doute réalisées concernant Personne A et Personne B.

Conclusion no 11 : Il n'était pas déraisonnable d'effectuer des vérifications dans les sources ouvertes et la base de données interne dans les autres cas examinés par la CCETP.

[173] La CCETP est d'avis que l'un des moyens les plus efficaces de recueillir des renseignements consistait à communiquer directement avec les organisateurs de l'événement, qui ont d'ailleurs communiqué avec la police eux‑mêmes à plusieurs occasions. La CCETP réitère la recommandation formulée par le juge Ted Hughes dans le rapport sur les manifestations lors de la Conférence de l'APEC et qui va comme suit : « La GRC devrait poursuivre et renforcer, au besoin, sa politique actuelle de rencontre et de collaboration ouvertes avec les leaders des groupes contestataires, bien avant la date prévue d'un événement susceptible de troubler l'ordre public, pour permettre à la police et aux manifestants d'atteindre leur objectif dans un climat permettant d'éviter tout affrontement inutile »Note de bas de page 170. Cette recommandation va de pair avec celle formulée dans un rapport du Police Executive Research Forum (un groupe de réflexion composé de dirigeants de différents corps policiers) voulant que la police établisse des communications dès qu'il est possible de le faire avec les organisateurs des manifestations dans un effort pour faire preuve de « transparence » dans le cadre du processus de collecte de renseignementsNote de bas de page 171. Cette façon de faire permet de demander le soutien et la coopération des organisateurs afin de planifier une manifestation sûre et pacifique, de les informer des attentes et des objectifs de la police, et d'obtenir des informations. Le modèle parfois employé par la GRC qui s'inspire de cette approche et qui est efficace s'appelle l'« intervention mesurée »Note de bas de page 172, Note de bas de page 173.

[174] La CCETP constate que des membres de la GRC ont communiqué avec des organisateurs à quelques occasions et ont collaboré avec eux. Cela dit, la GRC devrait envisager de communiquer directement avec les organisateurs des événements chaque fois que c'est possible afin de recueillir les renseignements les plus fiables et d'instaurer une relation de confiance entre la police et les manifestants. Cette démarche aurait également pour avantage de grandement faciliter la collecte de renseignements de la plus haute importance sur les événements prévus, comme les intentions des organisateurs, la participation attendue et les aspects qui pourraient poser problème.

Deuxième allégation : La GRC s'est livrée de façon inappropriée à des activités secrètes de collecte de renseignements ou d'infiltration d'organisations pacifiques

[175] Les courriels examinés par la BCCLA ont aussi mené à l'allégation suivante :

[Traduction] [C]ertains des renseignements de la GRC sont tirés de « sources confidentielles » qui pourraient avoir des liens directs avec des groupes de défense d'intérêts, comme le mouvement Idle No More, ou en faire partie. Cela donne fortement à entendre que la GRC s'adonne à des activités secrètes de collecte de renseignements ou d'infiltration d'organisations pacifiques dont l'unique aspiration est de donner une voix à leurs membres afin qu'ils fassent connaître leurs préoccupations et leurs points de vue sur de grandes questions d'intérêt public. Là encore, la BCCLA est troublée à l'idée que la GRC infiltre des groupes dont les membres exercent pacifiquement leurs droits de réunion et de liberté d'expression garantis par la Charte ou mène des activités secrètes de collecte de renseignements à leur sujetNote de bas de page 174.

[176] La CCETP a examiné les documents versés au dossier et a pu constater que le sergent Steve Barton et le caporal Rob Robertson ont assisté à un événement en civil dans le but d'observer discrètement ce qui s'y déroulait. L'atelier sur le militantisme intitulé « Enbridge No More – Workshop: Pipelines and Provincial Organizing » (abordé précédemment) était prévu pour le 27 janvier 2013, le jour précédant l'audience de la commission d'examen conjoint à Kelowna. La description donnée sur Facebook de l'atelier allait comme suit : [traduction] « Vous êtes invités à un après‑midi d'ateliers et de formation où vous apprendrez à utiliser des outils et des stratégies afin de renforcer les liens de solidarité et d'organiser des rassemblements, ce qui pourrait se révéler utile lors des prochaines élections provinciales ». Bien qu'un analyste des renseignements criminels ait noté que l'événement avait été organisé en vue de l'audience de la commission d'examen conjoint, tout indiquait toutefois qu'il serait « des plus pacifique », et les renseignements relatifs à l'événement ont été transférés dans l'unique but d'en informer les personnes concernées. L'ONE a toutefois été informé de l'atelier et se disait « préoccupé » par celui‑ci d'après un courriel envoyé par un représentant de Tocra Inc. à un surintendant du District du Sud-Est de la GRC.

[177] Le 23 janvier 2013, le caporal Albrecht, sous‑officier responsable de l'Équipe de ciblage du Détachement municipal de Kelowna, indiquait que lui et le sergent Barton étaient en contact avec des sources à Vancouver, notamment l'EISN de la Division « E », concernant les manifestations organisées contre le projet Northern Gateway afin d'avoir une meilleure idée de ce à quoi ils devaient s'attendre. Un membre de l'EISN les avait informés que des [traduction] « anarchistes vêtus de noir » avaient pris part aux manifestations de Vancouver, mais croyaient qu'il serait difficile pour des membres de ce groupe de se rendre à Kelowna en raison d'un manque de ressources. Il croyait néanmoins que l'atelier « Enbridge No More » qui était prévu serait un [traduction] « bon baromètre » quant au nombre d'anarchistes qui viendraient à Kelowna en vue de l'audience.

[178] Selon le sergent Barton, l'EISN de la Division « E » lui avait dit qu'elle avait trouvé la surveillance des ateliers [traduction] « très utile pour évaluer le nombre potentiel de participants locaux aux manifestations ou événements prévus dans la région ainsi que le niveau d'agressivité et les types de personnes qui pourraient y prendre part ». Reconnaissant qu'il était improbable que les [traduction] « anarchistes » assistent à l'atelier, il a indiqué que lui et le caporal Albrecht croyaient qu'ils auraient ainsi une meilleure idée de l'intérêt que suscitait cet enjeu dans la région et [traduction] « du pouls de la population locale ». Selon le sergent Barton, le but de leur présence était [traduction] « d'observer passivement le déroulement de l'événement et de s'abstenir de faire quoi que ce soit qui ferait de l'opération une infiltration ».

[179] Pendant l'après‑midi du 27 janvier 2013, le sergent Barton et le caporal Robertson se sont rendus à l'Église unie de Kelowna, où l'atelier avait lieu. Avant d'entrer dans l'église, le sergent Barton a observé l'arrivée de plusieurs véhicules, notant leurs numéros de plaque d'immatriculation et décrivant les occupants, qui semblaient tous avoir la soixantaine. Comme de plus en plus de personnes entraient dans l'église, il leur a emboîté le pas. Il a fait les observations suivantes :

[Traduction] Foule d'environ 19 à 21 personnes pour le moment. Hommes et femmes entre 25 et 70 ans avec âge moyen dans la cinquantaine ou soixantaine. Une femme blanche aux cheveux foncés âgée de 35 à 40 ans est l'organisatrice de l'événement. Elle demande aux gens de s'identifier à l'aide d'une étiquette collée sur leurs vêtements et place des chaises en cercle. Des tables sont montées avec des brochures et des pétitions. Un groupe de Kootenay (Nelson) est présent avec des bannières et des pancartes portant l'inscription [traduction] « Non au pipeline ». Aucune pancarte ni brochure antigouvernement n'est visible, et il n'est aucunement question d'actes de violence. Il est manifeste que ces gens sont inquiets au sujet du pipeline et qu'ils veulent être entendus. Un homme plus âgé du groupe provenant de Kootenay discute avec le sergent Barton d'un possible geste d'éclat, entre autres choses, et d'une collaboration souhaitée avec les chefs des Premières Nations concernés. Le même homme s'inquiète de la présence d'espions du SCRS dans la salle.

La présence de radicaux n'a pas été constatée.

[180] Le sergent Barton a quitté les lieux lorsque le groupe s'est assis en cercle pour entamer les discussions. Il a noté que les discussions du groupe semblaient se dérouler sur un ton exempt de violence. Lui et le caporal Robertson ont noté approximativement 18 numéros de plaque d'immatriculation dans le stationnement situé derrière l'église, dont un véhicule avec un homme à l'intérieur qui avait un autocollant contre la fracturation hydraulique sur le pare-choc (Don't Frack With my Water). L'information dont dispose la CCETP n'indique pas à quelles fins, le cas échéant, ont servi les numéros de plaque, mais il est raisonnable de supposer qu'ils ont servi à consulter les bases de données de la police et que toute information utile obtenue grâce à ces vérifications a été intégrée aux produits de renseignement de la GRC.

[181] Le sergent Barton et le caporal Robertson ont observé l'arrivée de participants supplémentaires qui entraient dans l'église, portant le nombre de participants total à une trentaine de personnes environ, puis sont partis.

[182] Le 28 janvier 2013, l'événement « Enbridge No More » s'est déroulé sans incident, comme les organisateurs l'avaient assuré, et a été ponctué de nombreux discours prononcés à l'intérieur du lieu de l'audience. Une centaine de participants y ont assisté. Des membres des services de police des Premières Nations et du Détachement de Kelowna ont offert leur soutien et travaillé étroitement avec les organisateurs, se tenant mutuellement informés de l'évolution de la situation. Les médias étaient également présents, et il n'y a eu aucun signe d'agitation ou de désobéissance civile.

[183] La politique de la GRC définit une opération d'infiltration comme étant « [...] une technique d'enquête que l'agent ou l'agent de la paix utilise pour obtenir des preuves ou des renseignements criminels par voie de représentation erronée, de prétexte ou d'apparence »Note de bas de page 175. Un agent d'infiltration a généralement recours à un faux nom et à une fausse identité. De plus, des équipes de couverture sont affectées à l'agent pour assurer sa sécurité et suivre de près l'opération afin de détecter les menaces et les risquesNote de bas de page 176. Les agents d'infiltration reçoivent une formation spéciale et doivent remplir les conditions nécessaires pour obtenir un numéro d'agent d'infiltration de la Direction générale nationalNote de bas de page 177. Toutes les opérations d'infiltration doivent avoir été préalablement approuvéesNote de bas de page 178, un processus qui exige notamment l'élaboration d'un plan opérationnelNote de bas de page 179, dont l'approbation finale, selon la nature de l'opération, doit être obtenue auprès d'un officier des opérations criminelles divisionnaire, de son délégué ou, dans le cas d'une opération d'infiltration de grande envergure, de la Division générale de la GRC à Ottawa.

[184] À l'inverse, les « opérations à l'aide de policiers en civil » sont définies comme des « opérations dans le cadre desquelles l'agent de police conserve son identité d'agent de police [...] »Note de bas de page 180. Ces opérations n'ont pas à passer par le processus d'approbation détaillé auquel sont soumises les opérations d'infiltration. La Cour supérieure de justice de l'Ontario a affirmé dans l'une de ses décisions que [traduction] « si des policiers en civil peuvent être envoyés en soutien à des opérations d'infiltration dans un rôle qui doit demeurer secret, ils ne sont pas pour autant des agents d'infiltration et n'ont pas reçu la formation qui fait d'eux des agents d'infiltration »Note de bas de page 181. Leur fonction est de se « cacher au vu de tous » ou de « se fondre au décor » en s'habillant en civil, et non de jouer un rôle précis.

[185] Le renseignement « permet à la police d'affecter ses ressources là où elles sont le plus nécessaires, [...] et d'arrêter certaines personnes soupçonnées d'exciter la violence »Note de bas de page 182. Des opérations d'infiltration ont permis de recueillir des renseignements lors de manifestations passéesNote de bas de page 183. Si l'on garde à l'esprit qu'il est question en l'espèce d'une opération par des agents en civil et non d'une opération d'infiltration, la CCETP a déjà conclu que l'utilisation d'agents d'infiltration par la police pour recueillir de l'information relative aux manifestations est acceptable lorsque les agents agissent conformément aux lois et aux politiques applicables et non, par exemple, comme des agents provocateursNote de bas de page 184. Dans le rapport de la Commission des plaintes du public contre la GRCNote de bas de page 185 traitant de l'enquête d'intérêt public sur les opérations d'infiltration pendant les Sommets du G8 et du G20 de 2010, la Commission était arrivée à la conclusion que les agents d'infiltration de la GRC étaient déployés en « opérations de collecte de renseignements » avec, comme directive, de communiquer tous les renseignements qu'ils parviendraient à trouver concernant la probabilité qu'une activité criminelle ou un acte violent soit dans les plansNote de bas de page 186. La Commission des plaintes du public n'a trouvé aucune preuve d'instructions directes ou indirectes visant à influencer ou à encourager les personnes qu'on leur avait demandé de cibler.

[186] La CCETP reconnaît l'importance, pour la GRC, d'avoir des renseignements exacts et récents, surtout lorsqu'elle doit composer avec des événements publics soulevant la controverse et susceptibles d'attirer un grand nombre de manifestants et de militants. Le risque que ce genre de situation donne lieu à des comportements violents ou illicites est constamment présent, même lorsque la quasi‑totalité des participants exerce pacifiquement leurs droits constitutionnels. La GRC a le devoir de protéger le public ainsi que les participants aux audiences et doit également répondre aux demandes d'aide reçues de l'ONE. Or, le niveau de menace lors du processus d'audience de la commission d'examen conjoint n'avait rien à voir avec celui associé aux Sommets du G8 et du G20, qui sont des événements d'envergure internationale réunissant des dirigeants de partout dans le monde qui attirent une attention mondiale et énormément d'opposition. Les sommets tenus antérieurement et les rencontres internationales de nature semblable sont réputés pour être le théâtre de grandes manifestations donnant lieu à des troubles comme des dommages à la propriété, des affrontements avec la police et une multitude d'arrestations. Le Sommet du G20 en 2010 a attiré jusqu'à 10 000 manifestants et mené à plus d'un millier d'arrestations.

[187] Les audiences de la commission d'examen conjoint étaient quant à elles d'une envergure relativement petite et locale par comparaison. Aucun dirigeant mondial n'y a pris part, et elles n'ont pas attiré d'attention à l'échelle l'internationale. Les audiences se sont tenues en différents endroits, souvent dans des villes ou des centres urbains plus petits, peu propices aux grandes manifestations. Les manifestations et les protestations qui ont marqué les audiences de la commission d'examen conjoint et celles qui ont entouré le mouvement plus général antipipeline ou le mouvement Idle No More dans l'ensemble de la Colombie‑Britannique se sont révélées être pour la grande majorité non violentes et exemptes d'incident. Seules les manifestations de Vancouver ont été marquées d'une certaine agitation et de troubles, et même là la grande majorité des manifestants sont demeurés pacifiques.

[188] Les opérations en civil nécessitent souvent davantage de ressources policières, comme le paiement d'heures supplémentaires, ce qui posait problème en l'espèce. Il est donc d'autant plus important pour la GRC de bien concilier des priorités divergentes au moment de déterminer comment elle affectera ses ressources limitées. Il y a donc lieu de se demander si l'intervention de la GRC relativement aux audiences de l'ONE convenait dans les circonstances.

[189] Toujours est‑il que le sergent Barton et le caporal Robertson ont assisté à un événement qui était ouvert au public. Ils ont observé passivement l'atelier, pour partir peu de temps après. Malgré l'évaluation réalisée initialement donnant à croire que l'atelier tenu à Kelowna le 27 janvier 2013 serait [traduction] « des plus pacifique », l'EISN de la Division « E » a tout de même recommandé que des membres de la GRC y assistent afin de prendre le pouls des participants et de faire la lumière sur leurs intentions. La CCETP n'est pas d'avis que cette conduite peut être qualifiée de perquisition abusive, puisque l'atelier était ouvert au public et que tout le monde (y compris la police) pouvait entrer dans l'église. Il n'y avait donc pas d'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Même si les membres de la GRC qui s'y sont rendus étaient en civil dans l'intention de donner l'impression qu'ils n'étaient pas des agents de police, rien n'indique qu'ils ont franchi la limite de l'opération d'infiltration. Certes, il aurait peut‑être été préférable qu'ils s'y rendent en uniforme et discutent directement avec les organisateurs et les participants, mais dans ces circonstances précises, la CCETP estime que les actes de la GRC étaient raisonnables.

Conclusion no 12 : Il était raisonnable pour la GRC d'assister à l'atelier et de faire des observations.

[190] Le fait que la GRC ait relevé les numéros de plaque d'immatriculation dans le stationnement de l'église mérite d'être analysé séparément. En situation de surveillance routière (et autres situations d'application de la loi comme la récupération de véhicules volés), la police a généralement le droit de prendre en note des numéros de plaque et de consulter les dossiers des conducteurs dans la base de données, même de façon aléatoire. Il est courant pour la GRC de vérifier des numéros de plaque dans le cadre de ses activités quotidiennes. En ce qui a trait à la surveillance dont il est question en l'espèce, la CCETP remarque que les membres de la GRC n'ont appréhendé ni détenu aucun conducteur et n'avaient pas pour mandat la surveillance routière. Ils ont pourtant noté les numéros de plaque des véhicules garés (sans doute pour procéder à des vérifications à l'aide des numéros relevés). Il n'a pas été établi si cette activité nécessite une autorisation légale, mais si l'on considère que c'est le cas pour les besoins de la présente analyse, la CCETP comprend que la GRC a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law pour s'acquitter des devoirs de préservation de la paix et de prévention de crime qui lui incombentNote de bas de page 187, Note de bas de page 188.

[191] Lorsqu'il est question de l'utilisation, par la police, de technologies de reconnaissance automatique des plaques d'immatriculation, le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie‑Britannique a déterminé qu'un numéro de plaque d'immatriculation a qualité de « renseignement personnel » au sens où l'entend la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la province, c'est‑à‑dire qu'il s'agit de [traduction] « renseignements consignés concernant une personne identifiable, autres que ses coordonnées »Note de bas de page 189. Le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario (CIPVP) est également arrivé à la conclusion qu'un numéro de plaque d'immatriculation est un renseignement personnelNote de bas de page 190, Note de bas de page 191. On peut donc supposer que les plaques d'immatriculation ont également qualité de « renseignement personnel » selon la définition qui en est donnée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale (à laquelle la GRC est assujettie), bien que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada ne semble pas s'être encore prononcé sur la questionNote de bas de page 192. Si l'on suit cette interprétation de la loi, la GRC peut relever des numéros de plaque d'immatriculation dans le but de procéder à des vérifications, pour peu qu'elle le fasse dans un but qui est directement lié à ses programmes ou à ses activités. La GRC serait alors autorisée à se servir des renseignements ainsi obtenus aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou dans un but compatible avec ces finsNote de bas de page 193. Comme pour tous les renseignements personnels, la GRC ne pourrait partager ces renseignements avec une autre institution que dans des circonstances bien précises.

[192] Comme il a été mentionné précédemment, les renseignements fournis ne mentionnent pas ce que la GRC a fait avec les numéros de plaque d'immatriculation recueillis ou avec les renseignements obtenus lors de la vérification de ces numéros (si vérification il y a eu). Même si de telles vérifications ont été effectuées, il est fort probable qu'elles n'aient pas permis, dans la majorité des cas, de recueillir des renseignements utiles. Toujours est-il qu'il y a lieu de se demander si la GRC conserve ce qui peut être des renseignements personnels concernant des personnes qu'elle n'a aucune raison de soupçonner d'une quelconque activité criminelle. La CCETP constate que la GRC n'a pas de politique ou de ligne directrice concernant la collecte, l'utilisation et la conservation des numéros de plaque d'immatriculation et des renseignements personnels qui leur sont rattachés aux fins de la collecte de renseignements. Elle recommande donc que la GRC se dote d'une politique qui prévoit que, lorsqu'aucun lien n'a été établi avec une activité criminelle, les renseignements recueillis ne servent plus aux fins d'application de la loi ou de collecte de renseignements criminels et ne soient pas conservés. Tous les dossiers contenant ces renseignements devraient être jetés ou détruits dès que possible et d'une manière conforme aux lois applicables.

[193] Pour ce qui est des cas précis qu'elle a examinés, la CCETP conclut que la collecte de numéros de plaque d'immatriculation par la GRC aux fins du renseignement criminel n'était pas déraisonnable. Les numéros de plaque d'immatriculation ont été recueillis dans le cadre d'activités qui s'inscrivaient dans son mandat, et rien n'indique que les renseignements ainsi recueillis ont été partagés à l'extérieur de la GRC.

Conclusion no 13 : Il n'était pas déraisonnable de prendre en note des numéros de plaque d'immatriculation aux fins de la collecte de renseignements.

Conclusion no 14 : La GRC n'a pas de politique ni de ligne directrice concernant la collecte, l'utilisation et la conservation des numéros de plaque d'immatriculation et des renseignements personnels qui y sont rattachés pour les besoins de la collecte de renseignements.

Recommandation no 6 : La GRC devrait se doter d'une politique prévoyant que, lorsqu'un numéro de plaque d'immatriculation et les renseignements personnels qui y sont rattachés ne sont pas liés à une activité criminelle, les renseignements ne devraient pas être conservés.

Troisième allégation : La GRC a indûment divulgué des renseignements concernant des personnes et des groupes

a. Partage de renseignements avec Ressources naturelles Canada

[194] La BCCLA a fait remarquer que le courriel daté du 19 avril 2013 de Tim O'Neil avait été partagé avec Ressources naturelles Canada et affirme que ce ministère :

[Traduction] [...] est une institution gouvernementale qui organise des « séances d'information protégées » semestrielles lors desquelles il semblerait que la GRC et le SCRS partagent des informations sur des questions de sécurité, notamment la surveillance des organisations et des militants environnementaux, avec l'ONE et des représentants du secteur de l'énergie. De fait, le courriel de M. O'Neil se termine par une invitation aux destinataires à faire part de leurs préoccupations avec des représentants de la sécurité qui assisteront à la prochaine séance d'information protégée de RNCanNote de bas de page 194.

[195] Dans la mesure où cette sous‑allégation s'applique aux activités de la GRC, il s'agit de déterminer si le partage de renseignements de la GRC avec Ressources naturelles Canada était raisonnable. La CCETP a pris connaissance du courriel de M. O'Neil et n'a trouvé aucune indication, que ce soit dans le courriel en tant que tel ou dans la documentation volumineuse reçue de la GRC, qu'il a envoyé le message en copie conforme à quiconque associé à Ressources naturelles Canada. La CCETP a néanmoins procédé à son analyse en partant du principe que le message ait été à un moment ou à un autre transmis au personnel de Ressources naturelles Canada par M. O'Neil ou un autre membre de la GRC.

[196] Le courriel du 19 avril 2013 de M. O'Neil portait sur la demande de l'ONE pour que soit réalisée une évaluation du risque auquel étaient exposés les membres de l'ONE. L'ONE y avait inclus des liens vers une vidéo et du contenu généré par des utilisateurs qui donnaient à penser que des infrastructures énergétiques essentielles (en l'occurrence, des stations d'essence) seraient ciblées. M. O'Neil, bien qu'il n'avait mis au jour aucune menace directe ou précise envers l'ONE ou ses membres, indiquait cependant qu'il y avait un mouvement d'opposition continu envers le secteur pétrolier canadien, et en particulier les sables bitumineux albertains et les oléoducs. L'ONE étant l'organisme de réglementation fédéral pour de nombreux aspects des projets de développement des sables bitumineux et des oléoducs, les risques qu'il soit la cible de manifestations, voire de menaces, étaient donc présents.

[197] Comme il a été expliqué précédemment dans ce rapport, le mandat de Ressources naturelles Canada comprend la protection des infrastructures énergétiques essentielles sous compétence fédérale. La GRC et Ressources naturelles Canada étant tous deux responsables d'assurer la sécurité de ces infrastructures essentielles, il est naturel qu'ils partagent de l'information et des renseignementsNote de bas de page 195. Par conséquent, dans le contexte d'une évaluation par la GRC d'une menace potentielle envers l'ONE et de renseignements relatifs au mouvement d'opposition envers le secteur pétrolier canadien, le mandat de Ressources naturelles Canada signifie qu'il serait raisonnable de la part de la GRC de transmettre à son personnel une copie du message.

Conclusion no 15 : Il était raisonnable pour la GRC de partager avec Ressources naturelles Canada des renseignements au sujet de menaces potentielles aux infrastructures énergétiques essentielles.

b. Partage de renseignements avec l'Office national de l'énergie

i. Les renseignements partagés avec l'Office national de l'énergie contenaient des renseignements tirés de sources confidentielles concernant des événements ou des personnes liés aux audiences de l'Office national de l'énergie

[198] La BCCLA soutient ce qui suit :

[Traduction]
Au vu des caviardages réalisés en application du sous‑alinéa 16(1)c)(ii) de la Loi sur l'accès à l'information, tout indique que la GRC et les agents de sécurité de l'ONE ont partagé des renseignements obtenus de sources confidentielles concernant des événements ou des personnes liés aux audiences de l'Office. C'est un constat particulièrement troublant, de l'avis de la BCCLA, puisque cela semble indiquer que la GRC partage des aspects confidentiels de son travail d'enquête et d'application de la loi avec un organisme fédéral indépendant dont la fonction est l'arbitrage, sans compter des représentants de l'industrie qui sont partie aux mêmes audiences. Un tel partage de renseignements peut entraver la capacité de ces groupes à participer pleinement et efficacement au processus de l'ONE, puisqu'il est possible que des représentants de l'industrie reçoivent des renseignements susceptibles de les aider à faire accepter leurs points de vue par l'Office, qui pourrait fort bien avoir été mis au fait d'allégations non prouvées, mais tout de même hautement préjudiciables contre des personnes, des groupes ou des organisations qui se présentent devant luiNote de bas de page 196.

[199] La BCCLA cite dans sa plainte des documents caviardés qui incluent une chaîne de courriels entre un conseiller en sécurité de l'ONE et des membres de la GRC.

[200] Le sous-alinéa 16(1)c)(ii) de la Loi sur l'accès à l'information énonce que le responsable d'une institution gouvernementale peut refuser la communication de documents demandés aux termes de la Loi qui contiennent des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment des renseignements « (ii) qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle [...] »Note de bas de page 197.

[201] La CCETP conclut que les renseignements faisant l'objet des échanges entre la GRC et l'ONE ne provenaient pas de sources confidentielles, nonobstant le sous‑alinéa 16(1)c)(ii) de la Loi sur l'accès à l'information qui est invoqué pour justifier les caviardages. Dans les faits, l'échange de courriels portait sur l'approche faite par des organisateurs de la manifestation auprès de la directrice d'un hôtel où devait se tenir une audience de la commission d'examen conjoint. La directrice avait alors contacté l'ONE et la GRC au sujet des organisateurs de la manifestation, et son courriel était cité dans la chaîne de courriels et les échanges qui comprenaient des détails comme son nom et son lieu de travail. Un deuxième cadre de la chaîne hôtelière prenait également part aux discussions, et son nom, son titre et ses commentaires ont également été caviardés. Rien dans l'information transmise ne permet de conclure que ces employés ont communiqué des renseignements sous le couvert de la confidentialité ou qu'ils avaient reçu l'assurance que les renseignements qu'ils fourniraient resteraient confidentiels. La CCETP est d'avis que certains passages manifestement caviardés dans un effort pour protéger des renseignements obtenus de sources confidentielles l'ont été par erreur, quoiqu'en toute bonne foi, selon elle, l'intention ayant été de protéger l'identité de tierces parties.

Conclusion no 16 : La GRC n'a pas partagé de renseignements obtenus de sources confidentielles avec l'Office national de l'énergie.

ii. Les renseignements partagés avec l'ONE ne se résumaient pas à des renseignements tirés de « sources ouvertes »

[202] La BCCLA fait valoir que la GRC a partagé des renseignements [traduction] « de haut niveau » avec l'ONE, affirmant ce qui suit :

[Traduction] [N]ous notons que les documents communiqués par l'ONE démontrent que la GRC lui avait transmis des renseignements qui allaient au‑delà de simples renseignements tirés de sources ouvertes que son propre personnel de sécurité avait été en mesure de rassembler. Par exemple, « l'évaluation de la menace » réalisée par l'ONE relativement à ses audiences de Kelowna et Prince Rupert confirme que l'ONE avait consulté [traduction] « des ressources du renseignement d'envergure nationale » au sein de la GRC et du SCRS, en plus des détachements locaux de la GRC de Kelowna et de Prince Rupert. La BCCLA est préoccupée par le fait que la GRC communiquerait des renseignements d'un niveau aussi élevé à un organe d'arbitrage gouvernemental indépendant comme l'ONE, surtout si elle ne s'attend pas à ce que les procédures de l'ONE soient le théâtre d'activités criminellesNote de bas de page 198.

[203] Sur cette question, la CCETP doit tout d'abord rappeler qu'elle ne peut pas se prononcer sur la conduite de l'ONE en tant que telle – lorsqu'il a décidé de consulter la GRC ou le SCRS – ou encore sur celle du SCRS – lorsqu'il a transmis des renseignements à l'ONE, pour autant qu'il l'ait fait. La CCETP ne peut que se prononcer sur les questions liées aux informations ou aux renseignements que la GRC a transmis à l'ONE, le cas échéant.

[204] Des documents, comme le plan de sécurité de l'ONE en vue des audiences devant se tenir à Terrace en juin 2013, indiquent que l'ONE avait consulté des équipes nationales du renseignement de la GRC et qu'il avait été établi qu'aucune menace ne planait sur les participants aux audiences. Le document révèle toutefois que le Détachement de Terrace et l'unité de sécurité de l'ONE étaient en communication constante et qu'aucun renseignement relatif à d'éventuelles menaces n'avait été transmis par la GRC à l'ONE, puisqu'aucune menace n'avait été mise au jour. La GRC et le personnel de la sécurité de l'ONE ont malgré tout continué de surveiller les sources ouvertes comme Twitter et Facebook, mais n'ont trouvé aucune indication pointant vers une quelconque menace à la sécurité ou des troubles.

[205] La CCETP a examiné d'autres partages de renseignements survenus entre la GRC et l'ONE et ne peut conclure qu'il y aurait eu des échanges réguliers de renseignements de « haut niveau ».

Échelle nationale

[206] L'enquête d'intérêt public a révélé que la GRC a communiqué des renseignements de nature générale à l'ONE, comme le document de l'ERIE de la GRC intitulé Menaces criminelles planant sur l'industrie pétrolière canadienne, le 24 janvier 2014. Il convient cependant de noter que ce document, même s'il porte la mention « Protégé A – Réservé aux Canadiens », ne contient pas de renseignements de « haut niveau » ni d'évaluations de la menace relativement aux audiences ou encore des renseignements précis sur des menaces criminelles planant sur les audiences ou des personnes en particulier. De plus, l'ERIE a informé la CCETP qu'elle n'avait rien trouvé dans ses dossiers démontrant que des renseignements avaient été partagés avec d'autres organismes ou entreprises concernant des personnes et des groupes cherchant à participer aux audiences de l'ONE.

Division « E »

[207] La GRC et l'ONE ont collaboré étroitement pour assurer la sécurité des audiences de la commission d'examen conjoint. Le partage de renseignements était réciproque, la GRC et l'ONE s'informant mutuellement des manifestations et des protestations prévues relativement aux audiences. Ces renseignements étaient généralement tirés de sources ouvertes.

[208] En ce qui a trait aux audiences de Prince Rupert, M. G (chef du groupe de la sûreté de l'ONE) avait demandé au s.é.‑m. Steinhammer (sous‑officier responsable des opérations, Détachement de Prince Rupert), le 21 janvier 2013, de s'informer au sujet d'une possible évolution du portrait de la sécurité à Prince Rupert. Le s.é.‑m. Steinhammer avait répondu [traduction] « Nous n'avons reçu aucun renseignement relativement aux audiences ». Comme il a été mentionné plus haut, M. G avait demandé au s.é.‑m. Steinhammer le 15 février 2013 s'il avait été informé d'une quelconque menace de la part d'un groupe appelé « The People's Summit on the Northern Gateway Project » quant aux audiences de la commission d'examen conjoint qui devaient se tenir à Prince Rupert; le s.é.‑m. Steinhammer avait répondu [traduction] : « Nous n'avons absolument rien reçu ».

[209] Le 31 janvier 2013, le personnel de la sécurité de l'ONE apprenait par le biais d'un reportage dans les médias que le groupe de conservation Sierra Club Canada envisageait de donner son aval à des gestes de désobéissance civile comme forme d'opposition au projet Northern Gateway, ce qui lui a fait craindre un climat potentiellement plus « belliqueux » lors des audiences de la commission d'examen conjoint. L'ONE a alors demandé à la GRC de procéder à une évaluation de la menace et des risques en vue des audiences de Prince Rupert, en mettant l'accent sur la probabilité qu'il y ait des manifestations houleuses en lien avec le projet Northern Gateway ou les audiences de la commission d'examen conjoint. La GRC a accepté, mais des contraintes de temps ont fait en sorte que son évaluation s'est résumée à examiner des événements antérieurs et la situation qui avait cours à ce moment‑là.

[210] Comme il a été expliqué plus haut, l'ONE a comme mandat de protéger les infrastructures essentielles comme les pipelines et collabore avec la GRC pour assurer leur protection ainsi que la sécurité de son personnel et le bon fonctionnement des audiences de la commission d'examen conjoint. La CCETP conclut que la GRC n'a pas partagé indûment des informations ou des renseignements confidentiels avec l'ONE, mais qu'elle a répondu à des demandes visant des informations et des évaluations de la menace en lien avec des questions directement liées aux responsabilités de l'ONE.

Conclusion no 17 : Il était raisonnable dans les circonstances pour la GRC de partager des renseignements et des évaluations de la menace avec l'ONE.

iii. Les informations partagées avec l'Office national de l'énergie contenaient des renseignements personnels au sujet de personnes précises

[211] La BCCLA allègue ce qui suit :

[Traduction] Il semble hautement probable que les « renseignements » partagés avec l'ONE et des représentants de l'industrie comprenaient des renseignements personnels concernant des personnes précises. Nous constatons également que l'Office a ensuite partagé certains de ces renseignements avec Tocra Inc., une firme privée qui offre des services de consultation en matière de sécurité aux industries du pétrole et du gaz naturelNote de bas de page 199.

Échelle nationale

[212] L'ERIE de la GRC a indiqué qu'il n'existait pas à proprement parler au sein de la GRC une politique sur le partage de renseignements entre la GRC et d'autres organisations concernant les différentes personnes et les différents groupes cherchant à participer aux audiences de l'ONE. Cela dit, la GRC a signé une convention d'accès utilisateur avec l'ONE pour encadrer précisément le partage des renseignements contenus dans le Système de signalement des incidents suspects (SIS). L'ERIE a expliqué que le but de cette convention était de protéger les renseignements en la possession de la GRC et enregistrés dans le SIS. L'ERIE a fait remarquer que la GRC a conclu de telles conventions avec plus d'une centaine d'entreprises canadiennes. La bibliothèque du SIS contient des documents présentant un intérêt pour les propriétaires et les exploitants d'infrastructures essentielles qui ont été produits par d'autres organismes d'application de la loi, intervenants du milieu universitaire, membres du secteur privé et la GRC. Ce système ne contient aucune information en lien avec une enquête en particulier et aucun renseignement personnel accessible à des utilisateurs du système provenant du secteur privé.

[213] L'ERIE a informé la CCETP qu'elle ne communique aucune information concernant des enquêtes criminelles à des partenaires du secteur privé ou public, ni ne leur fournit de noms ou autres renseignements personnels au sujet de possibles suspects dans une enquête criminelle, sauf lorsqu'elle doit partager des renseignements avec un service de police ayant compétence afin de l'aider dans une enquête ou de faire avancer l'enquête de la GRC, et dans le cas d'une enquête sur une menace interne lorsque l'entreprise fait enquête sur l'un de ses employés. L'ERIE a fait savoir qu'elle partage des renseignements sur les menaces criminelles avec des propriétaires et des exploitants d'infrastructures essentielles afin d'en assurer la protection et celle des employés qui y travaillent et de la population en général et de veiller à ce que les services puissent continuer d'être offerts aux Canadiens. L'ERIE a assuré que chaque évaluation vise une menace criminelle et qu'elle n'enfreint pas le droit de manifester et d'exprimer son désaccord de façon licite et non violente.

Division « E »

[214] La CCETP a examiné la documentation reçue et est arrivée à la conclusion que la GRC a effectivement partagé des renseignements personnels au sujet d'une personne en particulier à une occasion. Le 18 janvier 2013, un conseiller en sécurité de l'ONE a reçu en copie conforme un courriel envoyé par un officier des opérations du Détachement de Kelowna à différents membres de la GRC au sujet d'une manifestation à venir du mouvement Idle No More. Comme c'est souvent le cas dans les chaînes de courriels où un message est une réponse à un message antérieur, le courriel que le conseiller en sécurité a reçu en copie conforme citait en entier le corps du courriel précédent qui décrivait l'événement et indiquait que Personne G avait contacté la GRC à ce sujet. Il se trouve que ce courriel comprenait son nom et son numéro de téléphoneNote de bas de page 200. Le conseiller en sécurité, lorsqu'il a répondu à ce courriel, a ensuite inclus dans les destinataires un représentant de la firme de sécurité privée Tocra Inc., ce qui a eu pour conséquence de transmettre les renseignements personnels de Personne G dans le corps du message.

[215] De l'avis de la CCETP, la communication par la GRC à l'ONE du nom et du numéro de téléphone de Personne G constitue une divulgation passible de conséquences en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, comme il a déjà été mentionné, interdit généralement à une institution gouvernementale de divulguer des renseignements personnels au sujet d'une personne sans son autorisation, à moins que l'une des exceptions prévues dans la Loi s'applique. En l'occurrence, Personne G avait pris l'initiative de contacter la GRC, et il est raisonnable de conclure qu'elle lui avait transmis ses coordonnées pour qu'elle puisse communiquer avec elle au sujet des activités policières liées à la manifestation à venir. Rien n'indique cependant qu'elle avait consenti à ce que ses coordonnées soient divulguées à l'ONE.

[216] L'une des exceptions à l'interdiction de divulgation prévues dans la Loi qui est pertinente en l'espèce est la « divulgation pour usages compatibles », c'est‑à‑dire la divulgation de renseignements personnels afin qu'ils servent aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou à une fin compatible avec celles‑ci. L'exception pour usage compatible est le motif le plus plausible pour justifier la divulgation des renseignements personnels en l'espèce, puisque la CCETP ne peut trouver aucune autre exception, comme l'intérêt public, qui pourrait s'appliquer. Malgré cela, la CCETP ne peut conclure que la divulgation de ces renseignements personnels à l'ONE était pour un usage compatible. L'inspecteur de la GRC qui a envoyé le courriel en question semble avoir inclus l'ONE dans les destinataires pour l'informer de l'événement à venir, qui devait avoir lieu sur le site de l'hôtel ou à proximité. La communication de ces renseignements personnels à l'ONE ne servait aucun but opérationnel compatible avec le rôle de la GRC au regard de l'audience de la commission d'examen conjoint prévue à Kelowna. La CCETP n'est pas non plus convaincue que l'ONE avait « le droit ou le besoin de savoir » cette information, comme l'exige la politique de la GRC.

[217] Pour les raisons susmentionnées, la CCETP conclut que la divulgation de ces renseignements personnels n'était pas raisonnable.

Conclusion no 18 : Il n'était pas raisonnable pour la GRC de partager les renseignements personnels concernant un organisateur de la manifestation avec l'Office national de l'énergie.

Recommandation no 7 : Le Détachement de Kelowna devrait revoir toutes ses politiques régissant la collecte, la conservation et la divulgation des renseignements personnels et prendre des mesures pour veiller à ce qu'il y ait divulgation de renseignements personnels seulement lorsqu'elle est conforme à la législation et aux politiques.

[218] Concernant l'allégation voulant que [traduction] « l'Office ait ensuite partagé certains de ces renseignements avec Tocra Inc., une firme privée qui offre des services de consultation en matière de sécurité aux industries du pétrole et du gaz naturel » et qui avait été engagée sous contrat par le groupe de la sûreté de l'ONE pour lui apporter un soutien, la CCETP ne peut commenter sur les pratiques de partage de renseignements de l'ONE.

« Effet dissuasif » allégué des activités de la GRC

[219] Le droit à la liberté d'expression est garanti à l'alinéa 2b) de la Charte. Aux alinéas 2c) et 2d), la Charte garantit également les droits de réunion pacifique et d'association, qui, par leur exercice, sont étroitement liés à l'exercice de la liberté d'expression. Dans sa plainte, la BCCLA mentionne que [traduction] « [l]a protection du discours démocratique et la participation au processus décisionnel sont au cœur même de ces libertés »Note de bas de page 201, et rappelle que la Cour suprême du Canada se fait un devoir d'insister encore et encore sur l'importance vitale que revêt la liberté d'expression pour la société et la démocratie canadiennes.

[220] La BCCLA se dit particulièrement préoccupée de « l'effet dissuasif » que pourraient avoir selon elle les activités de collecte de renseignements et de partage d'informations de la GRC sur la participation aux procédures de l'ONE et l'exercice du droit à la liberté d'expression. On entend par « effet dissuasif » la réticence des personnes à exercer leurs droits constitutionnels (et, en particulier, la liberté d'expression) en raison d'une activité de leur gouvernement qui insuffle une crainte de subir des représailles. Selon la BCCLA :

[Traduction]
Un gouvernement qui, par ses actes, dissuade ou décourage ses citoyens d'exercer leur droit à la liberté d'expression enfreint l'alinéa 2b) de la Charte. Une telle violation est particulièrement condamnable lorsqu'elle restreint le droit de s'exprimer relativement à des affaires d'intérêt public. La BCCLA soutient que la surveillance, la collecte de renseignements et le partage d'informations avec d'autres organismes gouvernementaux et des intérêts dans le secteur privé ont un effet dissuasif sur des groupes et des citoyens qui auraient aimé participer au débat public ou aux procédures devant [l'ONE]. La surveillance de la police peut également dissuader les personnes qui auraient simplement voulu rencontrer ou rejoindre un groupe pour en apprendre davantage sur une question faisant l'objet de débats publics ou encore pour échanger des informations ou des points de vue avec d'autres de leur milieu. De fait, la BCCLA a entendu de la part de plusieurs des groupes concernés que certains de leurs membres actuels et éventuels s'étaient dits très préoccupés et hésitants à l'idée de participer à leurs activités à la lumière des récents reportages dans les médias faisant état de la surveillance de la GRCNote de bas de page 202.

[221] La CCETP n'a reçu aucune information indiquant que la GRC avait surveillé ou observé des personnes qui cherchaient uniquement à participer aux audiences de la commission d'examen conjoint de l'ONE ou recueilli des renseignements et partagé des informations à leur sujetNote de bas de page 203. L'information dont dispose la CCETP ne fait état que d'initiatives visant à mettre au jour des menaces d'activités criminelles lors des audiences ou des manifestations et protestations publiques liées à celles‑ci (ainsi qu'aux événements publics organisés dans le cadre du mouvement plus vaste Idle No More).

[222] Cela dit, il ne fait aucun doute que les activités consistant à participer à une audience de l'ONE ou à une manifestation ou protestation publique correspondent en tout point à des formes d'expression qui doivent être protégées selon les tribunaux. De même, il ne fait aucun doute que la liberté d'expression est d'une importance fondamentale dans une société démocratique. En effet, « il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques »Note de bas de page 204. Le droit à la liberté d'expression n'est cependant pas absolu. Il est de jurisprudence constante que des restrictions raisonnables à la liberté d'expression pourraient être justifiées aux termes de l'article 1 de la CharteNote de bas de page 205.

[223] Les tribunaux ont établi un critère pour déterminer si le droit à la liberté d'expression garanti par la Charte a été violé. Ce critère nécessite de répondre aux questions suivantes :

  • L'activité a‑t‑elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d'application de la protection offerte par l'alinéa 2b)?
  • Le lieu ou le mode d'expression ont‑ils pour effet d'écarter cette protection?
  • Le comportement ou le texte législatif reproché à l'État enfreint‑il le droit à la liberté d'expression, par son objet ou son effet?
  • Le cas échéant, est-il malgré tout jugé acceptable aux termes de l'article 1 de la Charte?Note de bas de page 206

[224] Si un tribunal devait conclure que la conduite de la GRC en l'espèce a eu un effet dissuasif sur l'exercice du droit à la liberté d'expression, cette conclusion mènerait fort probablement à la conclusion selon laquelle la conduite en question constituait une violation de la Charte.

[225] Les tribunaux canadiens ont déjà eu à se prononcer sur l'effet dissuasif d'une conduite de l'État ou de la policeNote de bas de page 207. La CCETP remarque que le critère légal permettant de conclure à un effet dissuasif est très difficile à satisfaire. Une revue de la jurisprudence semble indiquer que les tribunaux se sont jusqu'à aujourd'hui généralement abstenus de conclure à un tel effet au vu de la preuve dont ils disposaient dans les affaires où cette question a été soulevée. La Cour supérieure de justice de l'Ontario a énoncé, dans la décision qu'elle a rendue en 2015 dans l'affaire Canadian Broadcasting Corp. c. Ontario (Procureur général)Note de bas de page 208 (qui portait sur une surveillance en se fondant aux médias, une technique où des policiers en civil se fondent aux médias pour procéder à de la surveillance pendant une manifestation publique, sans toutefois aller jusqu'à prétendre être des journalistes), les éléments qui doivent être présents pour conclure à un effet dissuasif :

[Traduction]
150 Même si les tribunaux utilisent différents termes pour parler du fardeau qui incombe à un demandeur dans une affaire de nature constitutionnelle pour démontrer que la loi ou la pratique reprochée constitue une infraction à l'art. 2 de la Charte, l'importance du lien exigé demeure la même et a été établie il y a des décennies : le demandeur doit établir un « lien direct » (Moysa, p. 1581, RCS) ou un « lien de causalité entre [la pratique ou la loi relative au mobile] et la réticence à exprimer ses opinions » (R. c. Khawaja, [2012] A.C.S. no 69, 2012 CSC 69 (Khawaja), selon la juge en chef McLachlin, par. 81).

151 Il y a deux manières de prouver un tel lien de causalité. En règle générale, le demandeur doit présenter des éléments de preuve démontrant « l'effet dissuasif » de la pratique reprochée sur le droit à la liberté d'expression garanti par la Charte. En de rares cas, l'effet dissuasif peut « aller de soi » ou « être inféré de faits connus et d'observations antérieures » (Moysa, p. 1581 RCS; Khawaja, par. 79‑80).

152 Le critère permettant de démontrer qu'un effet dissuasif « va de soi » ou « peut être inféré de faits connus et d'observations antérieures » est difficile à satisfaire. Un tribunal ne tirera cette conclusion que lorsque « toute personne raisonnable conviendrait [...] [de] l'effet paralysant » de la pratique ou de la loi contestée sur le droit à la liberté garanti par la Charte (Khawaja, par. 79), ou lorsqu'il existe un lien « indiscutable » (Moysa, p. 1581 RCS) ou « exceptionnel » (Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, [1990] A.C.S. no 92 (Danson), juge Sopinka, p. 1101 R.C.S)Note de bas de page 209.

[226] Il n'est pas toujours nécessaire de présenter une preuve d'expert pour établir un lien de causalité entre une pratique reprochée à l'État et une violation de la Charte, mais une preuve objective est généralement exigée par les tribunauxNote de bas de page 210. Au bout du compte, le juge dans l'affaire Canadian Broadcasting Corp. c. Ontario (Procureur général) est arrivé à la conclusion que la preuve présentée n'était pas suffisante pour établir un lien de causalité entre la « surveillance en se fondant aux médias » et une quelconque restriction à la liberté d'expression. Au contraire, la Cour a jugé que quiconque participe à une manifestation sait parfaitement qu'il existe une possibilité d'être observé ou filmé et que l'effet dissuasif existait déjà au départ, hormis la tactique de la police qui consiste à exercer une surveillance en se fondant aux médiasNote de bas de page 211.

[227] La nature de la preuve devant être présentée pour corroborer l'effet dissuasif ne doit être ni spéculative ni anecdotique. Dans la décision Corp. of the Canadian Civil Liberties Assn. c Toronto (City) Police ServiceNote de bas de page 212, la Cour supérieure de justice de l'Ontario s'est prononcée sur une allégation d'effet dissuasif concernant la conduite des policiers qui consistait à utiliser des dispositifs de dissuasion acoustiques lors de manifestations. La Cour a rejeté ce qu'elle a qualifié de preuve spéculative et anecdotique présentée pour démontrer le lien entre l'usage de tels dispositifs et l'effet dissuasif qu'ils peuvent avoir sur certains manifestants, qui auraient sans cela pris part aux manifestations organisées en marge du Sommet du G20. La preuve dont disposait le juge n'était pas suffisante pour « arriver à une quelconque estimation raisonnable du nombre de personnes qui se seraient ou non présentées à la manifestation et à la marche organisées par les demandeurs »Note de bas de page 213. Le juge ne disposait en outre « d'aucun élément de preuve pour conclure à un lien de causalité entre l'utilisation des dispositifs de dissuasion acoustiques et tout “effet dissuasif” avéré sur le nombre potentiel de participants aux activités des demandeurs organisées pendant [cette] fin de semaine »Note de bas de page 214.

[228] Bien entendu, tel qu'il a été déjà noté dans ce rapport, il n'appartient pas à la CCETP de déterminer si les personnes ayant cherché à participer aux audiences de l'ONE ou aux manifestations et protestations ont été restreintes dans l'exercice de leurs droits constitutionnels ou si ceux‑ci ont été de quelque façon que ce soit bafoués par les actes de la GRC. Ce rôle incombe aux tribunaux. La CCETP peut cependant examiner si la conduite de la GRC est respectueuse des principes de la Charte.

[229] Bien que l'examen de la conduite de la GRC par la CCETP soit exposé en des termes généraux, sa portée se limite aux incidents révélés par les informations qui lui ont été présentées. La CCETP ne peut prédire l'effet que pourrait avoir une conduite future de la GRC – qui pourrait différer sur plusieurs points de celle examinée aux présentes – sur les droits garantis par la Charte.

[230] En guise de prémisse à son analyse de la question, la CCETP croit que les personnes, lorsqu'elles se sont demandé si elles participeraient ou non aux manifestations et protestations publiques, particulièrement celles prévues sur les lieux des audiences de l'ONE ou à proximité, savaient sans doute que ce genre d'activité pourrait les placer dans la mire de la police pendant ses activités de surveillance. Cela étant, l'effet dissuasif, si effet il y avait, sur le droit d'exercer leur droit à la liberté d'expression existait probablement déjà, même si elles ignoraient à ce moment‑là si la GRC procéderait à des activités de surveillance et d'observation et la forme qu'elles prendraient. Il est donc difficile d'établir que les activités de la GRC ont eu un effet dissuasif sur la participation.

[231] En ce qui a trait à l'observation et à la surveillance des manifestations et des protestations par la GRC, celle‑ci a, en vertu de la loi, le devoir de maintenir l'ordre et de prévenir le crime. La présence de la GRC aux audiences, aux manifestations et aux protestations, et même sa surveillance de ces événements publics, allaient de pair avec ce devoir. Par ailleurs, ce genre d'activités de surveillance et d'observation n'est pas nécessairement synonyme de violation du droit à la liberté d'expression ou des droits connexes à la liberté d'association et de réunion pacifique garantis par la Charte. En effet, le public comme les participants pourraient s'attendre à ce que la police soit présente à ce genre d'événements publics pour intervenir dans l'éventualité où surviendraient des actes de violence, lesquels ne sont pas une forme d'expression protégéeNote de bas de page 215. La CCETP recommande néanmoins que les vidéos et images saisis lors d'une manifestation ou une protestation pacifique ne soient pas conservées.

[232] La GRC, pour être mieux à même d'estimer la participation aux manifestations et aux protestations et l'état d'esprit dans lequel devraient être ceux qui y prendront part, consulte des sources ouvertes à la recherche d'informations liées aux événements en question. La CCETP a déterminé que cette collecte d'informations était raisonnable dans les circonstances et qu'elle s'était résumée à du contenu accessible au public. Il n'est pas établi hors de tout doute que cette activité limite le droit à la liberté d'expression. Comme la violence elle‑même, les menaces de violence (qui n'ont pas été établies en l'espèce, mais semblaient avoir été la préoccupation première de la GRC dans ses activités de surveillance) ne sont pas une forme d'expression protégée par la CharteNote de bas de page 216.

[233] Comme elle l'a déjà affirmé, la CCETP est préoccupée par les vérifications effectuées par la GRC et, surtout, par le fait qu'elle ait conservé les informations recueillies sur des personnes qui n'étaient même pas soupçonnées d'activités criminelles, mais qui avaient été identifiées comme étant des organisateurs ou des participants d'une manifestation ou d'une protestation à venir ou d'un autre événement susceptible de troubler l'ordre public. Bien que la se soit refusée à conclure que les vérifications réalisées sortaient du cadre raisonnable en tant que tel, ces vérifications semblent avoir eu peu d'utilité, et l'utilisation et la conservation des renseignements personnels obtenus au sujet de ces personnes sont problématiques et pourraient être qualifiées de déraisonnables en l'absence de lien avec une activité criminelle. La CCETP recommande que les renseignements recueillis grâce à ces vérifications ne soient pas conservés lorsqu'aucun lien n'est établi avec une activité criminelle. Il se peut aussi que des personnes soient alarmées d'apprendre qu'elles ont fait l'objet de vérifications. Quoi qu'il en soit, il est difficile d'affirmer sans l'ombre de doute que de telles vérifications vont à l'encontre du droit à la liberté d'expression garanti par la Charte.

[234] Le fait que la GRC a dépêché des agents en civil pour assister à une rencontre portant sur le militantisme et les événements susceptibles de troubler l'ordre public afin de recueillir des informations sur les autres personnes présentes et le groupe dans son ensemble pourrait soulever des préoccupations. Les circonstances, expliquées précédemment, ont toutefois démontré que les membres de la GRC se sont rendus sur place dans un but précis et ne sont pas restés longtemps. Il est peu probable qu'un tribunal irait jusqu'à conclure qu'une telle conduite a eu un effet dissuasif ou a bafoué un droit garanti par la Charte.

[235] Cela dit, il se pourrait fort bien que les numéros de plaque d'immatriculation (et les vérifications que la GRC a sans doute effectuées à l'aide de ceux‑ci dans les bases de données de corps policiers) relevés sur les véhicules des personnes présentes à la rencontre constituent un problème si l'on analyse la situation sous l'angle de l'effet dissuasif. Certes, cette collecte de renseignements n'entravait aucune loi en ce sens qu'aucun mandat de perquisition n'aurait été nécessaire, et la CCETP n'a pas conclu que l'activité était déraisonnable dans les circonstances. Il n'en demeure pas moins qu'une personne raisonnable serait justifiée de se demander ce que la GRC a fait de ces renseignements et pendant combien de temps ils ont été ou seront conservés. La GRC n'a pas précisé les renseignements qu'elle espérait obtenir à l'aide des numéros de plaque d'immatriculation (comme, par exemple, un indice que le propriétaire du véhicule avait déjà commis des actes de violence lors d'événements publics passés) ou l'usage qu'elle a fait des renseignements obtenus. La CCETP recommande que la GRC se dote d'une politique prévoyant que les renseignements recueillis ne permettant pas d'établir un lien avec des activités criminelles ne soient pas conservés. La CCETP rappelle que toute décision relative aux conséquences qui pourraient découler de cette activité du point de vue de la Charte devrait être rendue par un tribunal disposant d'une preuve pertinente suffisante.

[236] En règle générale, les activités de partage de renseignements de la GRC semblent être respectueuses des droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association. La CCETP a certes conclu que la GRC avait, à une occasion, indûment partagé des renseignements personnels, mais cet incident semble être un écart à la politique de la GRC et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et non une pratique acceptée. La GRC fait habituellement preuve de prudence lorsqu'elle partage des renseignements avec l'ONE, et il n'y a pas eu d'autre incidence où elle a envoyé à l'ONE des renseignements sensibles ou personnels.

[237] Dans l'éventualité où un tribunal conclurait que des personnes ont finalement décidé de ne pas prendre part à une manifestation ou à une protestation, que ce soit à titre d'organisateur ou de participant, parce qu'elles savaient que la surveillance de la GRC irait au‑delà de la surveillance courante, il lui faudrait déterminer si cette atteinte aux droits garantis par la Charte se situe dans des limites raisonnables aux termes de l'article 1 de la Charte. On peut avancer qu'une telle conduite de la part de la police est justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte au motif qu'elle portait atteinte de façon minimale aux droits des manifestants à la liberté d'expression, d'association et de réunion. Il n'empêche que la CCETP réitère ses préoccupations et exhorte la GRC à faire preuve de retenue dans ses activités de surveillance et de collecte de renseignements lorsque tout indique que le niveau de menace est faible.

Conclusion

[238] Les allégations soulevées par la BCCLA mettent en évidence la mince ligne qui sépare le mandat consistant à préserver la sécurité nationale et à mener des activités policières dans le cadre d'événements susceptibles de troubler l'ordre public et l'exercice des droits qui est fondamental à une société libre et démocratique. Comme l'a souligné la Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (mieux connue sous le nom de « Commission McDonald »), il faut concilier les besoins en matière de sécurité nationale avec les exigences de la démocratie. Cette commission considérait également « [...] le gouvernement responsable, la règle de droit et le droit à la dissidence comme des éléments fondamentaux de nos valeurs démocratiques »Note de bas de page 217. De même, la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar a conclu que, bien que les activités de collecte de renseignements criminels de la GRC doivent se poursuivre, il est impératif que la GRC se cantonne à son mandat d'application de la loi et que la distinction entre les services de police et le renseignement de sécurité soit rétablie, respectée et préservée, la réponse du Canada au terrorisme ayant créé de la confusion quant aux rôles de la GRC et du SCRSNote de bas de page 218.

[239] La CCETP s'est longuement attardée sur les actes de la GRC dans son examen des allégations de la BCCLA et a pris en considération les lois et les politiques pertinentes. Dans la très grande majorité des cas, la CCETP a conclu que la GRC avait pris des mesures raisonnables en réaction aux défis que posaient les audiences de l'ONE et les manifestations et les protestations s'étant déroulées en Colombie‑Britannique en rapport avec celles‑ci sur le plan de l'application de la loi et du maintien de l'ordre public. Lorsqu'elle a conclu que la GRC avait agi déraisonnablement, l'incident en question semble avoir eu une portée limitée.

[240] La CCETP exhorte la GRC à faire preuve de retenue dans ses activités de surveillance et de collecte de renseignements liées à des événements pour lesquels les informations donnent à entendre que les actes de violence ou autres actes criminels sont peu, voire pas, probables. La GRC devrait avoir recours à une intervention mesurée lors d'événements susceptibles de troubler l'ordre public et travailler directement avec les organisateurs des manifestations chaque fois que cela est possible. La CCETP recommande que la GRC se dote de politiques et de lignes directrices efficaces pour encadrer la collecte et la conservation de renseignements et qu'elle ne conserve pas les renseignements personnels lorsqu'aucun lien avec des activités criminelles n'est établi et que les événements visés par la collecte sont terminés. Il est à espérer que les conclusions et les recommandations formulées dans le présent rapport aideront la GRC à apporter les améliorations nécessaires aux processus qu'elle utilise pour se préparer et réagir aux événements susceptibles de troubler l'ordre public.

[241] La CCETP dépose son rapport d'enquête publique conformément au paragraphe 45.76(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Le président,
Ian McPhail, c.r.

Annexe A – Plainte de l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique datée du 6 février 2014

Le formulaire de plainte transmis à la GRC le 18 février 2014 comprend les documents suivants :

(Document disponible en anglais seulement)

  • une lettre de cinq pages que la Commission a reçue le 6 février 2014;
  • le formulaire d'autorisation d'un représentant dûment rempli accompagné de renseignements supplémentaires;
  • une lettre de cinq pages que la Commission a reçue le 12 février 2014, ainsi que d'autres renseignements.

Annexe B – Enquête d'intérêt publique datée du 20 février 2014

(Document disponible en anglais seulement)

February 20, 2014

The Honourable Steven Blaney, P.C., M.P.
Minister of Public Safety
269 Laurier Avenue West
Ottawa, ON K1A 0P8

Dear Minister:

Re: Public Interest Investigation into the Complaint of the British Columbia Civil Liberties Association

The Commission has received a public complaint from the British Columbia Civil Liberties Association regarding Staff Sergeant Steinhammer, Tim O'Neil and other unidentified members of the RCMP (attached hereto). I consider it advisable in the public interest to investigate this complaint pursuant to subsection 45.43(1) of the RCMP Act, and am accordingly initiating such investigation.

I have also notified the Commissioner of the RCMP in accordance with the requirements of the RCMP Act.

Yours truly,

Ian McPhail, Q.C.
Interim Chair

Att.

February 20, 2014

Commissioner Robert W. Paulson
Attention: Manager, National Public Complaints Unit
Royal Canadian Mounted Police
73 Leikin Drive, M5 Building,
3rd Floor, Suite 101, Mailstop #47
Ottawa, ON K1A 0R2

Dear Commissioner:

Re: Public Interest Investigation into the Complaint of the British Columbia Civil Liberties Association

The Commission has received a public complaint from the British Columbia Civil Liberties Association regarding Staff Sergeant Steinhammer, Tim O'Neil and other unidentified members of the RCMP (attached hereto). I consider it advisable in the public interest to investigate this complaint pursuant to subsection 45.43(1) of the RCMP Act, and am accordingly initiating such investigation.

In order to expedite the Commission's investigation into this complaint, I request that the RCMP designate an official with whom the Commission's investigator can liaise in order to determine what documents and further information are necessary in the context of this investigation.

I also request that you notify the subject members identified to date of this complaint, and confirm same.

Yours truly,

Ian McPhail, Q.C.
Interim Chair

Att.

February 20, 2014

Mr. Paul Champ
Champ & Associates
Equity Chambers
43 Florence Street
Ottawa, ON K2P 0W6

Dear Mr. Champ:

Please be advised that I have initiated a public interest investigation into the complaint of your client, the British Columbia Civil Liberties Association, of February 6, 2014 pursuant to subsection 45.43(1) of the RCMP Act. A Commission investigator will contact you in the near future in order to speak with you regarding your allegations.

When the investigation is complete the Commission will send you a copy of its report which will include its findings and recommendations relating to this matter.

Yours truly,

Ian McPhail, Q.C.
Interim Chair

Annexe C – Résumé des conclusions et des recommandations

Conclusions

Conclusion no 1 : Il était raisonnable de la part de la GRC d'assurer une présence visible lors des audiences de l'Office national de l'énergie.

Conclusion no 2 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller la manifestation de Prince Rupert.

Conclusion no 3 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller des événements dans le but de détecter des activités criminelles.

Conclusion no 4 : La GRC a agi raisonnablement en surveillant les manifestations.

Conclusion no 5 : Il était raisonnable de filmer les manifestations.

Conclusion no 6 : Comme en témoigne la politique sur l'utilisation d'une caméra de surveillance en circuit fermé sur laquelle se fonde la GRC, celle-ci n'a pas de politique claire sur l'enregistrement vidéo d'événements susceptibles de troubler l'ordre public comme des manifestations et des protestations.

Conclusion no 7 : Il était raisonnable de la part de la GRC de surveiller les sources ouvertes afin de recueillir des renseignements sur les manifestations et les protestations à venir.

Conclusion no 8 : La politique actuelle de la GRC sur l'utilisation des sources ouvertes ne donne pas d'orientations claires quant à la collecte, l'utilisation et la conservation de renseignements personnels obtenus sur les réseaux sociaux dans les situations où aucun lien avec des activités criminelles n'a été établi.

Conclusion no 9 : La CCETP ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour conclure qu'il était déraisonnable de conserver le profil et les renseignements personnels de Personne G.

Conclusion no 10 : La GRC ne dispose pas d'une politique ou de lignes directrices claires concernant l'utilisation et la conservation des renseignements personnels lorsqu'il est déterminé qu'il n'y a aucun lien avec des activités criminelles.

Conclusion no 11 : Il n'était pas déraisonnable d'effectuer des vérifications dans les sources ouvertes et la base de données interne dans les autres cas examinés par la CCETP.

Conclusion no 12 : Il était raisonnable pour la GRC d'assister à l'atelier et de faire des observations.

Conclusion no 13 : Il n'était pas déraisonnable de prendre en note des numéros de plaque d'immatriculation aux fins de la collecte de renseignements.

Conclusion no 14 : La GRC n'a pas de politique ni de ligne directrice concernant la collecte, l'utilisation et la conservation des numéros de plaque d'immatriculation et des renseignements personnels qui y sont rattachés pour les besoins de la collecte de renseignements.

Conclusion no 15 : Il était raisonnable pour la GRC de partager avec Ressources naturelles Canada des renseignements au sujet de menaces potentielles aux infrastructures énergétiques essentielles.

Conclusion no 16 : La GRC n'a pas partagé de renseignements obtenus de sources confidentielles avec l'Office national de l'énergie.

Conclusion no 17 : Il était raisonnable dans les circonstances pour la GRC de partager des renseignements et des évaluations de la menace avec l'ONE.

Conclusion no 18 : Il n'était pas raisonnable pour la GRC de partager les renseignements personnels concernant un organisateur de la manifestation avec l'Office national de l'énergie.

Recommandations

Recommandation no 1 : La GRC devrait envisager de se doter d'une politique régissant l'enregistrement vidéo de protestations et de manifestations qui énonce des critères et des conditions pour l'enregistrement vidéo de tels événements et précise les périodes pendant lesquelles ces enregistrements seront conservés.

Recommandation no 2 : Plus particulièrement, la totalité des enregistrements et des images captés lors de protestations et de manifestations pacifiques devrait être détruite dès qu'il est possible de le faire.

Recommandation no 3 : La GRC devrait fournir des lignes directrices claires qui décrivent les renseignements personnels pouvant être recueillis sur les sites de médias sociaux, les utilisations qui peuvent en être faites, et les mesures devant être prises pour s'assurer de leur fiabilité.

Recommandation no 4 : La politique de la GRC devrait exiger la destruction des dossiers obtenus à partir de sources de médias sociaux contenant des renseignements personnels (comme des captures d'écran de sites de médias sociaux) une fois qu'il est établi qu'il n'y a pas de lien entre les renseignements et des activités criminelles.

Recommandation no 5 : La GRC devrait se doter d'une politique l'interdisant de conserver les renseignements personnels qu'elle a recueillis une fois qu'il est établi qu'ils ne sont liés à aucune activité criminelle.

Recommandation no 6 : La GRC devrait se doter d'une politique prévoyant que, lorsqu'un numéro de plaque d'immatriculation et les renseignements personnels qui y sont rattachés ne sont pas liés à une activité criminelle, les renseignements ne devraient pas être conservés.

Recommandation no 7 : Le Détachement de Kelowna devrait revoir toutes ses politiques régissant la collecte, la conservation et la divulgation des renseignements personnels et prendre des mesures pour veiller à ce qu'il y ait divulgation de renseignements personnels seulement lorsqu'elle est conforme à la législation et aux politiques.

Date de modification :